Maroc, de Nador à Imilchil


 

Voilà plus de deux semaines, je quittai mon domicile. Après un arrêt à Valence, un autre à Prats de Sournia, je pris le train de Ille sur Têt à Barcelone. La mer fût d’huile et le bateau aux trois quarts vide pendant toute la traversée entre la ville espagnole et Nador. Pendant la navigation, nos passeports furent ornés d’un tampon par des douaniers embarqués, en dernière page. J’avais retrouvé Philippe, mon camarade de voyage, à Gerone, dans un wagon bondé de gens et de vélos. Après une attente debout de 5 heures dans un parking couvert béton où je tombais de sommeil, nous embarquâmes enfin, au milieu de la nuit. J'eus la chance d'être seule dans ma cabine… Nous débarquâmes du ferry au début du jour suivant après 30 heures de navigation, juste au sud de l'enclave espagnole de Melilla, à l’Est du Maroc. D’ailleurs nous aperçumes à droite en passant à vélo, le grillage bien haut qui marque la frontière. D’un côté l’Afrique, de l’autre l’Europe, endroit stratégique à la protection renforcée. Nous entrâmes au Royaume du Maroc un vendredi, notre dimanche. Après passage au distributeur pour nous fournir en Dirhams et au magasin d’alimentation pour alourdir les sacoches, nous partîmes, chevauchant fièrement nos bicyclettes dans les banlieues glauques et grises jonchées de détritus. 

 

L’aventure pouvait commencer.

 

Nous prîmes vers le Sud, très légèrement Ouest, par des routes à la circulation anecdotique. La température accablante (pour une Jurassienne) nous obligea, les premiers jours, à faire de longues pauses méridiennes en attendant que le mercure redescende un peu dans le tube. Très vite les paysages nous enchantèrent, très vite nous fûmes accoutumés à la conduite de nos chargements et très vite nous comprîmes que nous aurions des tendinites à l’épaule, à force de lever le bras en l’air pour répondre aux salutations et autres signes d’encouragement. Il sembla juste que la gendarmerie royale s’acharna sur nous, en nous contrôlant à 5 ou 6 reprises dans les premiers jours, en nous virant de notre premier bivouac à la nuit tombante pour d’obscures raisons (pour nous installer 200 mètres plus loin dans un bâtiment désaffecté en bord de route où il était probablement plus facile de nous surveiller) avec des explications on ne peut moins rocambolesques. Deux jours plus tard nous furent même escortés quelques kilomètres… pour notre “sécurité”. N’allez pas prendre peur, ils n’ont juste probablement rien d’autre à foutre et justifient leurs émoluments comme ils le peuvent.

Notre itinéraire suivit des petites routes fort belles et sympathiques, traversant ici des gorges aux parois rouges, là des forêts de chênes liège ou de cèdres, ici encore des grands espaces désertiques. Nous passâmes des cols en série, atteignant allègrement les 2000 mètres d’altitude, sur du revêtement plus ou moins lisse, plus ou moins troué, nous arrêtant boire des thés brûlants dans des cafés où les autochtones discutent pendant des heures. Nous vîmes de belles vallées vertes et cultivées, la récolte des pommes bat son plein. Dans les villages traversés, la vie n’est pas riche mais ce n’est pas la misère non plus. Les maisons sont simples, de pisé ou de béton,nous eûmes l’occasion de voir les intérieurs. Si quasi toutes sont pourvues d’électricité, elles n’ont pas l’eau courante et nous croisâmes souvent des ânes chargés de jerricans. Des kilomètres pour aller à la plus proche fontaine. Pourtant, depuis quelques semaines maintenant, le Maroc reçoit des pluies orageuses abondantes qui font gonfler les oueds asséchés en torrents de boue et détériorent les routes. Nous eûmes nous aussi notre lot d’orages violents, éclairages apocalyptiques, bourrasques à défriser les moutons, grêle… À Missour, où je pus enfin acheter une carte SIM, le dithyrambique employé de Maroc Telecom me dit être allé dans ma région mais en Suisse, dans un village nommé les Bioux ! À 10 km de chez moi…

 

Pendant toute la première semaine, jusqu’à Midelt, nous ne croisâmes qu’un seul couple de touristes, ne comprenant guère pourquoi cette région est délaissée (tant mieux). Nous ne fûmes embêtés par rien, nous nous régalâmes de tout, jusqu’à Midelt. 

 

Dans cette petite ville, située sur l’axe principal entre Fez et Merghouza, nous nous trouvâmes soudain dans un autre monde, celui du tourisme de masse. Serveurs de restaurant au Français impeccable, tablées entières d’Occidentaux en “tour” et même un supermarché aseptisé et vide de clients où l’on a de nouveau bien alourdi les sacoches. 

 

Après cette ville, nous prîmes, encore et sans vraiment le savoir, la clé des champs. Toutes nos cartes et applis nous annonçaient une petite route asphaltée mais dès la sortie de la bourgade, c’est sur une piste que nous laissâmes notre sueur. Le lendemain, nous rencontrâmes nos premiers nomades berbères sous leur tente noire. Malheureusement, le seul contact apparemment possible consiste à courir vers nous pour nous demander de l’argent, de l’eau, de la nourriture. Nous avançons sur une piste de plus en plus détériorée. Cirque de Jaffar, endroit magnifique, la piste s’arrête, les innondations ont tout embarqué. Les motos abandonnent, je ne suis pas venue jusque là pour faire demi-tour sans être certaine de ne pouvoir passer. Nous déchargeâmes, nous portâmes les vélos et les sacoches, nous poussâmes, mais nous passâmes. Et nous fûmes évidemment seuls au monde sur ce chemin aux paysages grandioses.

 

Toute la route traversant la partie Est du Moyen Atlas entre Midelt et Imlichil ne fût qu’enchantement, nous nous régalâmes les pupilles même si les enfants nous assaillaient dans les villages, pauvres. Sucession de hauts et de bas, les fonds de vallée étaient à 2000 m, les cols jusqu’à 2600 m, le macadam intermittent, la route déchirée.

 

La plupart de nos nuits furent des bivouacs sauvages. Nous eûmes cependant 2 fois à demander un endroit “sécurisé” pour dormir, pour ne pas prendre le risque de nous faire virer ou assaillir de questions par les curieux. Nous fûmes invités à l’intérieur deux fois. Berbères ou Arabes, il ne nous est pas évident de faire la différence, nous manquons encore d’expérience sur ce point.

 

Mon camarade de voyage et moi-même sommes sur la même longueur d’ondes concernant bien des sujets (rythme de vie et découpage des journées, bivouacs, itinéraires et manière de voyager). Quelques concessions d’un côté comme de l’autre permettent de contenter les deux protagonistes. Puisse durer cet état de fait ! Même si nous ne pédalons pas toujours ensemble, nous restons à vue. Philippe m’attend dans les montées, en profitant pour faire de nombreuses photos. Ma foi, la vie est plutot belle !

 

Nous sommes à Imlichil, dans une auberge confortable où nous nous apprêtons à laisser montures et affaires pour partir randonner 3 jours sac au dos. La météo est annoncée au beau fixe.

 N'hésitez pas à aller voir dans la rubrique "photos" dans Maroc évidemment pour les images de ce début de bourlingue.

À la prochaine !