Du Haut-Atlas à l'Anti-Atlas.


 

Je crois que c’est la première fois que j’ai ce “truc” de ma vie. J’ai déjà goûté aux giardiases, salmonelloses et autres sympathiques désagréments intestinaux, mais jamais à “ça”. Avantage, j’ai retrouvé en 48 heures la ligne de mes 18 ans, flotte dans le bracelet de ma montre et dans mes shorts, qui heureusement, sont tenus par des ceintures (donc réglables). C'est fou tout de même comme nous sommes réduits à pas grand-chose en si peu de temps par des bébêtes invisibles tant elles sont petites ! Autre grande chance (en plus d’avoir perdu mes kilos superflus) : cela m’arrive en ville, j’ai une chambre d’hôtel avec clim et salle de bain privative pour 14 euros la nuit, avec du papier hygiénique à volonté (Imaginez ce point en bivouac, en rupture de pq et à court d’eau. Nan nan, la vie est bien faite… mais sérieux, j’aurais sauté dans une bagnole pour rejoindre une ville…) Il y a des chambres single à 6 euros dans cet hôtel mais là, j’ai besoin du haut de gamme, enfin… du caisson blanc qui ronronne et des toilettes libres à proximité immédiate ! Et puis pharma, échoppes, tout est là, même un aéroport si les choses ne s’arrangeaient pas ! Ouarzazate est une ville calme, où je me contente de faibles déplacements. J’ai pris chaud patate, ça m’a bien secouée, enfoncée bien profond, une loque, reste à voir comment ça va repartir en terme d’énergie à déployer sur le vélo.

 

Les tenues vestimentaires dans ce pays sont vraiment d’une grande diversité. Chez les femmes, on va des bras nus sans foulard au nikab, et chez les hommes, du t-shirt à la djellaba en passant par le costard cravate. Toutefois, jamais de jambes nues et les nikabs sont souvent accompagnés des djellabas. 

 

Bon, à Ouarzazate, le petit marchand n’a pas la monnaie sur mon billet de 200 pour ma bouteille à 5,5. Il me la file qd même, en me disant “tu reviendras payer plus tard”. Merci pour la confiance gars ! Pas comme si j'étais juste touriste de passage hein… À l'hôtel, Hamid n’a pas la monnaie sur mon billet de 200, “ je te donne 50 plus tard”. Au distributeur de la poste, un homme pourtant jeune galère depuis un moment, je finis par m’approcher pour l’aider à faire son retrait, tape son code confidentiel... les billets sortent, il est content et me serre la main avec un grand sourire. La confiance règne et ça me plaît tellement. Hamid m’a rendu mes 50, je suis allée payer ma bouteille au commerçant. Et Hamid veut me crever mes pneus cette nuit pour ne pas que je parte demain…

 

J’ai passé quelques heures à regarder passer la vie, les 4L, kangoo, Dacia, Mercedes, motos et quads, les “petits taxis”, qui sont ceux, jaune pâle, qui restent dans la ville et que tout le monde prend, les trottinettes électriques, les vélos déglingués, les bus de ville “luxe”, ma foi dans un état de délabrement avancé, les minibus de transports touristiques, rutilants, les taxis collectifs aux galeries chargées, les gros bus intervilles, et les bus luxueux des opérateurs touristiques. J’ai vu passer un cycliste au moins octogénaire, marocain, frisant le mètre cinquante et tremblotant, maillot cycliste et casque, les mains en position basse sur le cintre, à environ 6 km/h. Et puis ici les simplets, les handicapés de tous genres et les estropiés ne sont pas remisés dans des institutions, dans la journée ils sont dans la rue. Les regards ici ne sont pas pesants, ils ont l’habitude des touristes occidentales. J’ai eu une longue discussion à propos du statut des femmes, de l’état de la France, et de sa vie avec Hamid, le sympathique employé de cet hôtel, retraité de l’armée. Les femmes de ménage sont black, parlent berbère et chouilla français. 

 

Nous sommes le 9 octobre, j’ai stoppé le régime spécifique, ai arrêté antispasmodiques et antidiarrhéiques, garde les antibio jusqu’au bout du traitement. Et je bois, je bois et bois encore, espère sérieusement reprendre la route demain, en croisant les doigts pour que “ça fasse”. Je ne pensais pas rester 4,5 jours à Ouarzazate !

 

Vendredi, je monte sur mon vélo non sans une certaine appréhension, il est clair que ce n’est pas du 100%... Je démarre tranquille, ca tombe bien c’est plat et un léger vent m'est favorable. 20 km, je pique à droite vers Aït Ben Hadou, et lors d’une pause banane, un cyclo coloré me passe. Je réenfourche rapidement, le rattrape. C’est Omar, il vélotaf, son vélo est customisé comme une oeuvre d’art (art brut), et nous faisons route ensemble jusqu’au village avec sa kasbah classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Les bus de touristes alignés ne m’incitent pas y entrer, je me contente de vues extérieures et préfère prendre du temps à siroter le thé offert par Omar au snack des amis, là où il travaille, peintre de son état.

 

Je finis par me remettre en route, remonte toute cette vallée que je trouve superbe, et termine la journée en poussant le vélo dans les bosses. Bivouac avec point de vue panoramique avant Telouet.

 

Le lendemain, toujours pas bien de l’appétit, je dois me forcer pour manger. J’avance bien cependant, en ne forçant pas trop et longe les contreforts sud des hautes montagnes du Haut Atlas dans une atmosphère opaque, poussiéreuse, décevante. Bivouac encore, avec encore une vue jolie jolie.

 

Dimanche, c’est parti par une piste jusqu’à Aït Kallat, détour qui me permettra ensuite de passer au cœur du massif du Siroua, de géologie particulière, volcanique, et réputé pour son safran, qui fait partie de l’anti-atlas. En effet les montagnes de l'Atlas se décomposent en trois chaînons distincts : le Moyen Atlas, le Haut Atlas et l'Anti-Atlas. Ce dernier chaînon, le plus au sud, regroupe le djebel Saghro (où j'avais randonné l'an dernier, magnifique), le djebel Siroua et l'anti-atlas de Tafraout. Bon, cette étape courte dans le djebel Siroua est une horreur pour les jambes, les côtes sont des rampes que je passe pour la plupart en marchant, les descentes se négocient sur les freins. Le démiurge devait être en colère ce jour-là pour créer un paysage aussi torturé. Je parviens à Amassine où je pense récupérer un axe plus important mais décide surtout de demander l'hospitalité. Je suis accueillie dans la première maison, sauf que ces gens sont pauvres, qu’en guise de dîner nous avons partagé 4 oeufs à trois. Je ne peux pas manger mes provisions devant eux et comme celles-ci s'épuisent et que dimanche oblige, tout est fermé, je ne peux pas non plus me départir du peu qu'il me reste pour le lendemain. Je m’endors le ventre creux… Par contre, bonheur, j’ai l’occasion de “décortiquer” le fameux safran. En fait, il s’agit de récolter des crocus sativus qui poussent dans ce massif, cultivés ou non, pour ensuite prélever les trois stigmates rouge, puis les sécher. Sur le marché européen, le prix de vente oscille entre 30 000 et 40 000 euros le kilo. Octobre, la saison démarre, et sera aussi courte que celle de nos colchiques (proche cousin). Je ne vous raconte pas le boulot que c’est…

 

Lundi matin, petit déjeuner réduit à un thé, je leur laisse un billet pour l’hébergement qui pour moi, n’a pas eu de prix. Et l’axe plus important, que nenni, j’apprends que je dois aller jusqu’à Askaoun avant de retrouver l’asphalte, mais aussi que Blake, qui a vu Jipe et Marie, m'accueillera dans sa famille. Je pars le coeur joyeux et cet état ne me quittera pas de la journée. La piste est en pente douce et je n’ai pas à pousser ma monture pour atteindre les 2 cols à 2500 m, les paysages sont juste un gros coup de coeur et donnent franchement envie de s’attarder en rando itinérante dans ce massif. Autant de vallées douces, de sommets bruts, de villages pittoresques, une activité pastorale intense, des sources d’eau partout, bref, l’idée d’un paradis sur terre, à 2500 m d’altitude. Comme mon étape est très courte, je me prélasse, me vautre dans ce décor enchanteur, me repais de bonnes sensations, et finis par arriver à Askaoun vers 13 h. Petit arrêt gargotte, achats pour le lendemain et hop, Blake arrive. Je le suis jusqu’à la maison sur les hauteurs du village voisin. Premier thé. Pendant qu’il prépare le tajine pour nous deux, je me douche et règle perfecto mes freins dont j’ai changé les plaquettes il y a deux jours. Tajine. Tour en scooter dans les jardins, visite de l’agadir du village, ce grenier fort à la fois collectif et individuel, mais ancestral et toujours usité. Son gardien se fait vieux. Retour à la maison, thé, puis dîner vers 21 heures et enfin, enfin… dodo ! Tous ces repas devraient finir de me requinquer !

Blake a 24 ans, il travaille comme laborantin (études de chimie) au secteur “or” de la mine d’Askaoun où sont extraits principalement de l’argent, du zinc, du cobalt, et un peu d’or. Il travaille en 3 x 8 et nous quitte à 21 heures après avoir préparé le dîner pour sa sœur et sa mère, au jardin toute la journée. Son père est dans la montagne avec le bétail.

C’était drôlement bien chez Blake, dommage que je me sois faite bouffer par les punaises de lit, déclenché l'allergie habituelle, et au possible en avoir amené dans mes affaires… à suivre. Vive la cortisone. 

 

Le lendemain, définitivement requinquée, énergie revenue, gêne intestinale enfin disparue, je me fais vraiment plaisir à gravir les dernières bosses du Siroua avant de plonger dans la fournaise de Taliouine. Le prix de l’or rouge, le safran, s’y discute ferme au cul des kangoos ou autres utilitaires, ce sont les femmes qui ont les narines qui frétillent et donnent leur avis d’expertes. Après un repas gargantuesque dans un boui-boui, je me remets en selle, direction toujours le sud ouest. Je quitte rapidement la nationale peu passante pour une route qui sera de plus en plus déserte au fil des kilomètres. J’installe mon bivouac à 15 h, à l’ombre d’un arbre, le dernier avant au moins 25 km… Il fait trop chaud, ça monte et le vent ne m'aide pas. Avec 87 km et 860 d+ au compteur, ma journée est faite, le reste pour demain. Je passe en revue t-shirt de nuit, drap sac et duvet, et… déloge la méchante punaise encore gorgée de mon sang tentant de se faire la malle en loucedé sous mon matelas.

 

Nuit calme loin de tout, ça fait du bien. L’étape du jour, déjà difficile par le relief, est rendue exténuante par le vent de face. Je suis remontée sur des hauts plateaux dont je me demande un peu s'ils font déjà partie de l'anti-atlas de Tafraout. J’avance bien encore, passe Igherm, et à la sortie du village, me charge de 8 kilos d'eau, n'etant pas sensée en retrouvervavant le lendemain. L'arrêt à la mosquée pour ce faire me vaut un délicieux couscous accompagné de kefir, nickel. Je repars le ventre plein, le vélo bien lourd et finalement avance plus que prévu, et pose mon bivouac en toute discrétion. Sauf que… ayant demandé des infos à Jipe sur un de leur précédent bivouac, il a cru bon de dire au poste des forces auxiliaires que j’allais passer (pour qu'ils m'accueillent et que j’y pose aussi ma tente). Mais je ne m’y suis pas arrêtée parce que l’endroit ne me plaisait pas (vent, chiens, mosquée…), les militaires se sont inquiétés, m’ont cherchée, ont ratissé les alentours jusqu’à 10 km, et ont fini par me trouver. Démontage, remballage, panier à salade, remontage et nuit de merde avec un chien qui a gueulé une bonne partie de la nuit à 20 mètres de ma tente. Je pars le lendemain sans me retourner ni saluer les bidasses, un peu furax contre la terre entière.

 

Heureusement, la route déserte, les hauts plateaux, la fraîcheur relative, le paysage, l’absence de vent me réjouissent et je me régale. Je rentre vraiment dans le cœur de l’anti atlas de Tafraout, je bifurque à droite pour aller voir d’un peu plus près cette partie du massif qui se distingue déjà par la couleur de sa roche, plus foncée. Dans les villages, les femmes portent des tenues qui pourraient s’apparenter à des nikabs, il n’en est rien, je passe dans la tribu des Ammelns, et c’est la tenue traditionnelle, toute noire, légèrement et finement brodée, avec aux pieds des babouches très colorées, superbes. À Ida Ougnidif ce jour-là, je suis accueillie dans la famille de la pharmacienne car il n’y a aucune possibilité d’hébergement dans la bourgade. Les trois femmes de la maisonnée sont excitées comme des puces d’avoir une française à la maison. Les deux jeunes parlent un peu français et anglais, ce qui permet de communiquer, et de leur dire d’arrêter de vouloir à tout prix fuir le Maroc pour la France ou l’Allemagne, le rêve pour beaucoup. Comme souvent, le dîner se prend tard, entre 20 et 21 heures, alors que je lutte depuis un moment contre l’endormissement !

 

Vendredi 17 octobre, normalement, c’est le dernier jour de ce voyage avec des dénivelés de dingue (je cumule 30 000 m depuis Nador), je pars vers 8 h 30 avec l’objectif d’atteindre Tafraout, où je pourrai me poser quelques jours. Je passe par la montagne, quasi déserte, j’ai dû voir en tout et pour tout une dizaine de véhicules, pas plus d’humains. Par contre, le nombre de lacets négociés, en montant ou en descendant fût impressionnant. Je ne pense pas avoir eu 100 m de plat consécutifs de la journée. La chaleur aidant, je termine mon étape bien séchée, dans tous les sens du terme. L’arrivée par en haut sur la magnifique vallée verte de Ammeln restera gravée, entourée de massifs montagneux imposants. Et l’arrivée dans la petite bourgade calme de Tafraout marque une étape importante de ce voyage. Deux jours de repos me sont nécessaires, ma petite chambre orientée nord, avec wc, douche et petite terrasse au calme et privative, ne me coûte que 5,5 euros la nuit et ne devrait donc pas me ruiner !