Maroc, de la Vallée Heureuse à Tinghir


 

Nous sommes partis de chez Hassan à Imelghaz par un petit matin un peu nuageux, et avons descendu la Vallée Heureuse. Après seulement 26 km, à Aït Bou Oulli, un café fait l’objet d’une pause thé, et pendant ce temps un orage carabiné, de pluie et de grêle, noie la vallée. Les prévisions ne sont pas engageantes, nous trouvons un gîte. Un bruit se fait entendre, le temps de sauter à la fenêtre et nous voyons une vague de boue faire monter le niveau de la rivière de plus de deux mètres en deux secondes ! Le lendemain nous poursuivons, par monts et par vaux en croisant les doigts pour qu'aucune coulée de boue ne nous bloque la route, par des vallées vraiment hors des sentiers battus, avec beaucoup de pistes infectes et des pentes renversantes. Je laisse pas mal d’énergie à pousser le vélo dans la caillasse dans des rampes innommables. Nous installons ce soir-là le bivouac à un col pour être en sécurité en cas de pluie mais ce n’est pas du goût de la gendarmerie royale qui vient nous déloger alors que je quasi dormais. Nous voici embarqués jusqu’au village en contrebas où l’on nous propose un garage habité par un ancien, ses chats, et une odeur prenante de pommes en décomposition. Je ne suis pas d’accord et finalement nous remontons dans le véhicule et le chauffeur (un civil) nous emmène dormir dans sa maison en construction. Au moins sommes-nous tranquilles. Comme d’habitude, toutes les personnes, flics ou non, ont été absolument courtois et souriants. 

 

Le lendemain, des rudes montées au programme encore, je laisse des litres de sueur dans la poussière des pistes ou sur le macadam. Nous rejoignons alors la grande route qui file à Ourzazate. Mais elle est totalement défoncée, heureusement ça descend, que dis-je, ça plonge. Nous sommes toujours au coeur de l'Atlas. Philippe casse un rayon à l’arrière, pause réparation et resto à Aït Tamlil. Un peu plus loin nous nous logeons en gîte au carrefour de la vallée de la Tessaout, dont on nous a vanté les mérites. Dans l’après-midi, je dégote sur une appli une route que je n’avais pas vue jusque-là et qui pourrait bien nous arranger. Il faut juste s’assurer que les orages récents n’ont pas rendu impraticables les quelques kilomètres que nous devrons faire en sandales dans le lit de la Tessaout. 

Nous voici donc le lendemain dans cette vallée très typique et impressionnante. Nous faisons le détour pour aller visiter le village de Megdaz, doté de nombreux bâtiments massifs en pierres, bois et pisé. Philippe a les intestins en vrac, je soupçonne une giardiase, et dans l’après-midi, dans ce gîte chez l’habitant au bout d’une piste accrochée comme elle peut à la montagne, cul de sac, la boîte de médocs arrive sur la table. La logistique marocaine, la chaîne humaine s’est mise en branle, avec une efficacité incroyable. Les médocs sont arrivés de Demnate (80 km) dans une bagnole, dont le chauffeur a laissé la boîte à un type qui venait jusqu’au village à pied avec son âne chargé, 6 km. Voilà, c’est ça aussi le Maroc. Le total du transport a coûté 2,4 euros !!!

 

Le jour suivant, nous commençons donc les pieds dans l’eau sur 2 km, avant de retrouver rapidement le macadam. La vallée de laTessaout, hors des sentiers battus puisque les véhicules ne peuvent pas la suivre à cause de ces 2 bornes qui pour nous étaient faciles, est ponctuée de villages plus ou moins détruits. Nous nous demandons si le tremblement de terre il y a un an a impacté jusqu’ici. Une partie de la population loge sous des tentes qui ressemblent plus à du matériel d’urgence qu’à des tentes berbères. La mosquée est visiblement le premier édifice à être reconstruit. Avec les aléas climatiques actuels, et notamment les pluies torrentielles violentes, je crains que ces villages et maisons en terre aient bien des soucis dans le futur… Au terme de cette journée, nous basculons sur le versant sud de l’Atlas.

 

De la piste, de la piste encore pour le démarrage ce 11 octobre qui marque les 4 semaines depuis notre débarquement à Nador. Paysages différents, plateau désertique, puis constellé de villages dans une belle vallée cultivée avant de descendre complètement la somptueuse vallée des Roses. À l’heure de la prière, les chants des différents muezzins de la vallée se mêlent et résonnent entre les montagnes abruptes. Nous posons ce soir là nos sacoches à Kelaat M’Gounat, grande ville s’il en est. L’hôtel est central, un des moins cher de la ville, et nous convient bien. Philippe décide alors et m’annonce arrêter là son voyage, sans autre raison invoquée qu’une profonde démotivation, un manque d’envie de continuer.

 

Soit, je continuerai seule.

 

Le jour suivant je démarre donc seule, retrouve très vite mes petites habitudes et façons de faire… Mon itinéraire global est tracé, volontairement assez court, j’aurai bien loisir de rallonger si j’ai du temps en rab. Je pars par la vallée et les gorges du Dades. C’est un site touristique majeur, soit-disant incontournable et je m’attendais à beaucoup plus de bus, quads, 4x4 et motards que je n’en ai eus, autrement dit quasi rien. Les villages sont plus riches, les maisons plus solides et massives, et revêtues de crépis colorés, mais les gamins n’oublient pas de me courir après pour me demander “Missieu, missieu, donne moi un bonbon, donne moi un stylo, donne moi de l’argent”. Je dois parfois faire les gros yeux pour qu’ils me lâchent. Le macadam est bon, les échoppes bien fournies. D’ailleurs tout le long on trouve à vendre de l’eau de rose et de l’huile d’Argan. De gros complexes touristiques qui ressemblent à des citadelles en pisé, parfois avec piscine, dénotent derrière les femmes qui passent à pied, courbant l’échine sous leur fardeau de bois mort ramassé dans la nature. Deux mondes se côtoient et la différence de niveau de vie est criante. Les effets de la surfréquentation touristique sont souvent révoltants. Je pose mon bivouac à 2300 m, le long d’une route qui relie le Dades au Todhra, autre site touristique recensé. 

 

Il me faut au petit matin suivant pousser le vélo sur 3 km, la route n’est pas terminée, tout est en travaux, les ouvriers me saluent et m’encouragent, les chauffeurs de camions et d’engins passent au pas pour ne pas m’asphyxier de poussière, avec leur prévenance habituelle et appréciée. La descente se fait debout sur les pédales, à 12 km/h, jusqu’à la fin des travaux. Puis c’est le vent de face qui m’oblige à pédaler dans la descente sous peine de remonter ! Une grosse omelette à Tamtattouchte me redonne un peu de jus, je me lance dans les gorges du Todhra, défilé rocheux de 20 km de long ou parfois les falaises se touchent presque au dessus de la route et de l’oued asséché. À partir de là, je vois autant de touristes que de locaux en visite, c’est dimanche, il y a du monde.

 

À la sortie des gorges, la gendarmerie royale est au bord de la route, j’en profite pour demander un hôtel pas cher à Tinghir, qui, je m’en rendrai compte rapidement une fois en ville, sont très nombreux (à partir de 4,5 euros). L’arrivée sur la ville par en haut est magnifique avec le regard qui s’étend sur tout l’oasis, qui compte tout de même plus de 80 000 habitants. Je dégote une piaule, 2 lits, avec fenêtre et petit balcon, douche et lavabo pour 8 euros. Seul bémol, elle donne sur la rue passante, bruyante.

 

Au centre de Tinghir, un jardin public sépare l’avenue d’une alignée de cafés restaurants aux tarifs dérisoires et aux assiettes plus que copieuses. Je m’y régale avant d’aller traîner dans l’ancien quartier juif et sur le marché où je fais le plein de vitamines. Puis je me rends compte que l'effervescence augmente au fil des heures sous ma fenêtre. Tinghir est en fête, c'est le souk, le gros ! Les nuages s’amoncellent, les orages sont annoncés dès ce soir et pour toute la journée du lendemain encore. Ce sera donc pour moi un jour de repos complet avant de continuer vers le sud et le désert. 

Cela fait donc plus d'un mois que j'ai débarqué à Nador. Ce mois fut d'une richesse folle et tout ne fût que régal, ou presque. Maintenant seule, je vais tâcher de faire en sorte que le mois prochain m'apporte et me réjouisse autant. Ce sera différent bien sûr, le plaisir de la liberté retrouvée et de la fin des petites concessions remplacera celui de partager en live les impressions... Ainsi va la vie !

Plus de 50 photos ont été ajoutées dans la galerie, de quoi vous occuper un peu ! À une prochaine !