De Rabat à Tanger par Meknès
Disposant de trop de temps pour aller à Tanger sans m’ennuyer, je décide donc d’un détour. La météo s'annonçant compliquée fin de semaine, je dois toutefois rester sur mes gardes, ne pas aller trop loin, au risque d'avoir à pédaler dans le mauvais temps pour finir… je ne vais pas m'infliger des supplices inutiles. Meknès, ville classée au patrimoine mondial de l'Unesco me fait de l'œil, je pourrai ensuite soit revenir sur la côte, soit poursuivre dans les terres par Ouezzane, le ciel décidera pour moi. Donc Meknès, c'est parti ! Voie rapide, puis nationale avec petit accotement, puis route de campagne déserte dans un fond de vallée arborée. Après avoir passé Tiflet et Khemisset, je me pose vers 15 heures en catimini dans une plantation de mandariniers délimitée par des cyprès et des haies d’épineux, en poussant un rare portail non cadenassé mais grinçant. À l’abri du vent, des regards et du soleil chaud, je n’y verrai personne bien que j’aie entendu une voiture s’arrêter en début de nuit, le portail s’ouvrir, se refermer… j’en suis loin, mais tous mes sens sont en éveil et ma discrétion est immense. Des hommes
sont d’ailleurs passés de l’autre côté de la haie sans déceler ma présence. Pas de bruit, pas de lumière. Bref, nuit tranquille. Les 38 km et 500 de d+ me séparant de Meknès sont avalés le lendemain matin sous les nuages et j’arrive au centre-ville quelques kilomètres seulement après avoir quitté la petite route de campagne, jalonnée de fermes, de chiens enquiquinants et de bonnes rampes où j’ai dû pousser mon vélo vert et son chargement, vert également. La recherche d’hôtel peut commencer, le premier est complet. Juste là, je croise une Française sur le trottoir, lui demande où elle loge, et ma foi, me rends à l’endroit indiqué. C’est un riad somptueux, il y a des chambres et des dortoirs de 5 lits. C’est très propre, le tarif est acceptable (moins de 10 euros). Toit terrasse dominant le reste. Je m’installe, bien qu’aucune cloison entière ni mur plein ne sépare les dortoirs, ni entre eux, ni du patio dont le rez-de -chaussée est… un restaurant ! Je ne paie qu’une nuit pour commencer et pars me promener dans la médina sous le ciel toujours gris. Ce n'est pas gênant car quoi qu'il en soit, sauf à être dans l'axe parfait des ruelles, le soleil ne plonge que rarement au fond des artères à la fois trop
étroites et trop hautes. Au moins, pas de contraste compliqué à gérer avec tout noir d’un côté et cramé de l’autre. J'aime bien cette médina, elle est calme, habitée, pas trop commerçante, propre. Mes pas me mènent ensuite vers d’autres intérêts comme le bassin Agdal, réserve d’eau ancestrale, accolé aux écuries et greniers antiques fermés actuellement, le palais royal dont on ne voit que la porte mais dont on devine l’étendue puisque le tour de l’enceinte fait 3,5 km. En fait, à l’intérieur, se trouvent l’ancien palais en ruines de Moulay Ismaïl, le palais de Momo 6, et le golf royal. On voit tout bien en vue satellite sur gogole map. Si je suis passée voir le mausolée de Moulay Ismail, c’est uniquement pour voir les mosaïques, les boiseries et la pierre sculptées, l’art floral, la géométrie et la calligraphie qui sont les 3 piliers de l’art arabe. J'ai terminé par la cité médiévale, déroutante, un autre monde d’arches, de murs très hauts, de voûtes, de vieilles pierres sur des murs rénovés. Beaucoup d’impasses. La cité est habitée, par des familles. Ce lieu est vraiment surprenant. Ce sera le
même programme le lendemain, mais avec le soleil en plus et sous le ciel bleu, à aller me perdre un peu plus profond... Comme à Rabat, la ville comporte des kilomètres de remparts et un petit tas de portes travaillées. La médina, habitée et vivante est très agréable, colorée, à taille humaine. Mon séjour à Meknès fut donc plaisant… ce n’était pas une raison pour y laisser un t-shirt technique manches courtes jaune pétant Espace Évasion que je regrette déjà ! Je m’en veux, je ne comprends pas, je regarde systématiquement par terre, sous le lit, sur le lit, et je ne l’ai pas vu, c’est une énigme, un mystère…
Et puis il a fallu prendre la décision de la prochaine destination. J’ai fait travailler sévère mes méninges. Tel jour à telle heure, il fait beau là, il pleut ici, le front vient d’ouest, ils annoncent ça ici, et ça là-bas… ok, donc en faisant comme ci et comme ça, en partant pas trop tôt, je ne devrais croiser que deux averses. Et j’ai prévu les étapes en conséquence avec des haltes là où il y a des hôtels car les nuits seront à priori toutes arrosées. J’oublie l'option de continuer dans les terres, vais me rapatrier sur la côte où ça semble plus clément.
Je commence donc par une étape de 110 km qui aboutit à Souk El Arbaa, rondement menée avant d’avoir du vent latéral trop fort, par la nationale d’abord calme, et qui s’est chargée au fil des heures sans devenir un problème. Le vent m’a d’abord aidée, mais j’ai ensuite dû appuyer, pour finir par me battre un peu. Un seul hôtel répertorié, annoncé comme un taudis. Effectivement. État de saleté et de délabrement très avancés. J’aurais pu prendre une “duche”, vu qu’y avait pas d’o, fenêtres explosées, bref, à se demander comment ils peuvent encore avoir l’autorisation d’ouverture au public… Mais de l’autre côté de la rue, je vois “café/hôtel”. Donc je traverse, et me voici logée dans un hôtel simple mais propre, avec douche eau chaude sur le palier, une petite chambre simple avec lavabo, table, chaise, miroir, fenêtres et volets qui ferment, au second pour ne pas entendre le bruit du foot à la télé au bar, toit terrasse avec fil pour étendre ma lessive, accueil sympathique, prix modique, c’est parfait. Et s’il faut rester là jusqu’à mardi matin à attendre que le déluge passe, ce ne serait pas bien grave… je vais d’ailleurs y réfléchir car il y a un bon resto à côté, et le marché est bien fourni en fruits et légumes.
Dans la soirée il se met à pleuvoir et le matin, les flaques d’eau cachent une bonne partie du macadam. Je laisse passer l’averse de 9 heures et démarre. La route est trempée mais le soleil est là. C’est bien sûr ce jour-là que Iphigénie, Mapy et autres applis m’envoient sur une route jaune sur les cartes, qui est en fait une piste, qui s’est transformée en bourbier avec la flotte. Mes baskets et mon vélo en ressortent couverts de boue, mes mollets aussi. Passage de ma monture au jet haute pression dans la première station-service. À la sortie du village, je croise la rabasse de 11 h annoncée, je m’abrite sous un hangar, mes lunettes de vue tombent, une branche se fait la malle, je sors la pince coupante pour réparer, avec mes lunettes de soleil embuées par l’humidité sur le nez. Oui parce
qu'elles sont aussi adaptées à ma vue, et parce que sinon j’y vois tout flou pour réparer les autres, c’est con hein, mais faut toujours avoir deux paires à sa vue. Bref, je finis par y arriver et me rends compte à ce moment-là qu'il y a 4 personnes à côté de moi, qui éclatent de rire quand je prends conscience de leur présence, la bouche en rond. J’étais tellement focus lunettes… Bon, la rabasse est passée et j’étais bien contente de ne pas être dessous. J’en profite pour contenter mon estomac, puis repars. Normalement, je ne devrais plus avoir de pluie aujourd'hui. Je traverse une belle forêt mais jonchée de déchets comme c’est peu croyable, puis navigue entre des jardins, des serres, et me retrouve avec Gabriel, un jeune cyclo bordelais, pour les 25 derniers kilomètres. Il finit par me demander ouvertement mon âge, un peu surpris par mes “capacités physiques”. Ah ah, il faut dire que son vélo menaçant de tomber en ruines craque de partout, qu'il est très chargé, pédale en claquettes et tout ceci n’aide pas à un pédalage fluide contre le vent. Mais oui Gabi, une femme de 55 ans, ça peut avancer non de bleu… Bon, je n’ai pas vu le temps passer, me voici à Larache, au centre-ville et je trouve facilement à me loger. Ma petite chambre pas chère me plaît bien, j’ai les bruits de la rue mais les boules Quies sauveront mon sommeil. L’ampoule au
plafond diffuse de la lumière même “éteinte”, et ça, c’est plus embêtant, et je ne peux pas l’atteindre ! Une fois douchée et ma lessive faite et mise à sécher sur le toit-terrasse, je peux partir voir cette ville que j’avais imaginée sans intérêt. Eh bien, j’ai été très surprise. D’abord il y a la violence de l’océan qui prend aux tripes ici encore, les alignées de tétrapodes brise-lames à l’entrée du port et de la lagune, les anciens remparts et bastions, en rénovation, la plage immense en face, le port aux bateaux colorés, la médina pour le moins labyrinthique, toute en pente et en escaliers, et qui se prend parfois pour Chefchaouen avec ses bleus et son blanc, qui dégringole jusqu'à une grande esplanade où les gosses jouent au foot, et il y a la corniche, et le gros ovale central de la ville nouvelle où l’architecture est espagnole, et le marché sur une jolie place pavée ornée de fresques murales. Bref… c’eût été dommage de ne pas venir à Larache. Dans la soirée comme prévu la pluie revient, mais ma lessive est sèche et je suis à l’abri !
Le lendemain lundi, comme prévu les averses alternent avec les éclaircies, je sors, pour la 1ère fois du voyage, la veste de pluie pour aller prendre l’air mais elle ne verra pas l’eau. Rien de nouveau, je passe l’après-midi à regarder pour la suite… pas loin de la fin. Contrairement à ce que j’ai écrit la dernière fois, je ne compte pas les jours, ne fais pas de compte à rebours, je continue à profiter. La météo est annoncée bonne jusqu’à la date de mon bateau, il ne me reste plus que 2 hébergements à trouver (la partie la moins plaisante des haltes en ville), et 150 km à parcourir à vélo, en trois fois.
Mardi 18, je remonte sur mon vélo pour faire 42 km seulement. Au matin, les routes sont encore détrempées des pluies intenses de la nuit mais le soleil est là et le vent faible m’est favorable. J’arrive à Asilah vers 11 h 30 et file direct à l’hôtel dont on m’a dit du bien. Toutes les chambres sont libres. Je prends la moins chère, toutes sont propres. J’ai des draps, une serviette, un lavabo, une
table de chevet, une lucarne sur le patio garni de plantes vertes, une autre sur la rue calme, des patères, un miroir, sol carrelé et belle faïence au mur. C'est gai et coloré, le tout dans la superficie d’une petite cabane du Risoux, 2 x 2,4 m ! Douche chaude et toit terrasse, que demande le peuple ? Je pose mes affaires, mange mon pique-nique et pars visiter la petite bourgade, très charmante. Le port de pêche est croquignolet, l’esplanade trop propre, la médina derrière les remparts offre du calme, des petites ruelles à foison, plein de fresques murales. Bref, c’est encore une très jolie halte que je fais là. Au coucher du soleil, celui-ci éclaire les remparts et les murs blancs et bleus. Rien à dire, c’est très sympa. Saison morte, à part deux bus de touristes et une quinzaine de campings-cars sur le parking qui leur est attribué, personne. D’ailleurs je suis absolument seule à l’auberge.
Le jour qui suit, je n’ai qu’une soixantaine de km à faire sur le vélo, et un marathon pour trouver à me loger. Aller à Tanger, sans vouloir y passer un automne (certains comprendront). Dernière ville de cette infernale série. À vélo, je pars toujours en short mais les matins sont frais et les manches longues indispensables. J’ai suivi la côte au mieux, longé des lagunes, été voir le phare du Cap Spartel. Il paraît que c’est ici que se mélangent les eaux de l'Atlantique et de la Méditerranée… C’est vrai que la côte marocaine, à cet endroit, fait un virage à 90 °, qu’elle quitte une direction plein Nord pour prendre plein Est et initier le détroit de Gibraltar dont la partie la plus rétrécie se situe un peu plus loin, à 40 km environ. Bon, depuis la corniche de Tanger, l’Espagne est aujourd'hui très visible, on la touche du doigt en tendant le bras. A midi je suis dans la médina, dans le quartier des hôtels pas chers. Certains sont bien bien miteux, et les autres beaucoup trop chers. Je finis par louer une chambre double (pas de single dispo) dans une pension au fond d’une impasse. J’y espère du calme. C’est propre, j’ai drap et serviette, lavabo. La douche sur le palier est propre et chaude. Je m’installe et pars à pied prendre quelques points de repère pour les jours suivants.
Tanger, toujours cette chanson dans la tête, elle ne me quittera pas tant que je ne la quitterai pas moi-même. Il n’y a franchement pas grand chose à voir. La médina, ok, les ruelles sont trop étroites, trop hautes, trop commerçantes, aucun rayon de soleil et pas vraiment de détails croustillants à se mettre dans l’objectif, même en arpentant de bas en haut et de droite à gauche au pas de sénateur, coincée derrière des groupes de 50 en file indienne. Beaucoup d’Espagnols. D’ailleurs c’est dans cette langue que je me fais souvent alpaguer, exit le french, ça rafraîchit mes modestes connaissances. Sinon, que des commerces. Les portes n'ont rien de spectaculaires. Non, je ne suis pas blasée. Le quartier Dradeb, tout en escaliers, pas de commerces, des habitants, et visiblement pas les plus riches de la ville. Ça fait comme une autre médina sauf que le quartier n’est pas ceinturé. De loin, et au soleil toute la journée, l’étalement des murs blancs sur le flanc de la colline est plutôt photogénique. Ensuite, le port, de pêche, de plaisance ou de ferries, tout est totalement inaccessible,
ce qui se comprend, si près de l’Europe. Les remparts et bastions, les tombes romaines qui servent de poubelles, quelques mosquées, synagogues et églises. J’ai tout de même vu deux types faire un métier surprenant : fumeurs de pieds de bovins. C’est coupé au niveau du genou, il y a une cargaison de pieds sur le trottoir devant l’atelier, le type empale chaque pied sur une longue broche avant d’y mettre au-dessus de la braise. Ça c’est du métier. Alors, comme je ne vais pas faire 3 jours la même chose en attendant celui du bateau, je décide le second jour de prendre le bus pour sortir de ville et aller randonner dans la réserve du Cap Spartel, entre autres. Le bus me pose et après 1 km à pied, le sentier convoité disparaît dans les broussailles et arbustes piquants et griffants. Je galère, les cartes sont fausses, les sentiers n’existent pas ou plus, mais je finis par retomber sur une sente et poursuis vers le sommet du cap, à 300 mètres d'altitude, où est érigée une tour. Le phare, lui, est beaucoup plus bas, j’y suis passée à vélo. La vue côté océan : des plages de sable, pas de
végétation, mais côté méditerranée, on a une belle forêt et une côte rocheuse. Alors c'est marrant, pourquoi ce serait juste là la jonction des eaux de la mer et de l’océan ? Qu’est ce qui fait dire ça ? Eh ben en observant l’eau justement, on peut voir des remous qu’il n’y a pas ailleurs, ça clapote, ça fait des petits courants circulaires, juste là, sur une centaine de mètres de large. Serait-ce donc ça ? L’atmosphère est bien limpide aujourd'hui encore, la côte espagnole très distincte du rocher britannique jusqu’à Cadix. Et puis il y a un radôme et des antennes sur un sommet tout proche alors je pourrais me croire à Poêle Chaud, avec la Dôle, le Léman (détroit), et l’Espagne c’est les Préalpes… Bon, j’ai continué, suis descendue jusqu'à la mer, comptant emprunter ensuite le sentier côtier jusqu’à Tanger. Je suis tombée sur des tentes faites de bouts de tissu, de bâches, de cartons. Des mecs vivent là ! Il y a plein de pêcheurs. Les mêmes ? Je me demande s’ils vivent là et pêchent pour assurer leur subsistance ou s’ils utilisent ces abris quand ils viennent pêcher… Certains ont l'air de vivre là. Toujours est-il que mon cheminement est empêché par des rochers surplombant la mer alors je dois tout remonter. Arrivée en haut, je chope le bus pour 3 km de route. Tout se passe bien un moment, mais ensuite, je suis encore empêchée par les forces auxiliaires qui m’interdisent un sentier. Décidément, je ne pourrai pas marcher le long de la mer, je dois me contenter du macadam entre deux murs de 4 mètres de haut. Il y a un militaire tous les cinquante mètres. Alors tant pis, je
rejoins la ville, mange une omelette, des frites et des lentilles et rentre à l’hôtel. Demain sera mon dernier jour plein en Afrique, mon dernier jour plein au Maroc, mon dernier jour plein à Tanger. Alors pour terminer en beauté ce voyage, je m’offre un passage au hammam, avec gommage s’il vous plaît. Le hammam était moyennement chaud, en fait, ce sont des bains publics pour celles et ceux qui n’ont pas de salle d’eau chez eux. Celui où je me rends est réservé aux femmes, au cœur de la médina, donc populaire. On commence par se laver avec du vrai savon et de grands seaux d’eau. Ensuite le gommage. Allongée à même le carrelage en slip, je me suis fait bien frotter par la dame en short à genoux à côté de moi. Bon, après 2,5 mois de douches vite faites, de poussière et de sueur et de pollution, il n’y avait pas à douter de ce qui allait ressortir de ma peau. Je sais très bien pourquoi je voulais gommage et pas massage. De la tête aux pieds la dame a frotté, ôté la crasse, ça a fait massage en même temps, j’avais limite honte en voyant ce qu’elle enlevait. J’ai perdu mes marques de bronzage (nan, quand même pas). Bon, ça a fait du bien. Le reste de la journée est occupé à faire un gommage sur mon vélo plein de boue séchée, d’aller m’approvisionner en nourriture pour les 3 prochains jours et à glandouiller.
Ça commence à sentir sérieusement la fin, même si pour me rendre au port j'ai encore quelques dizaines de kilomètres à faire et 600 m de dénivelée positive, sur une route qui s’annonce belle.
Un dernier post quand je serai rentrée dans le Jura, où la neige et le froid sont bien présents, où les skis sont déjà de sortie ! Alors pour avoir un peu de chaleur, allez voir les photos, j’en ai remis une ballée dans la galerie Maroc 2025. Tchuss !