Retour au bercail


 

Je quitte la ville de Tanger en short. Il y a au moins le contenu d’une sacoche entière que je n’ai pas servi, n’ayant pas fait de rando en altitude. Les gants et fins surgants, collant, sous vêtement chaud, petite doudoune, pantalon de pluie… Sans compter ce qu’il faut toujours emmener, au cas où, la mécanique, la pharmacie et trousse secours. Et puis le sac à dos. Et puis le réchaud et l’essence et la gamelle que j’ai très peu servis. La veste de pluie qui m’a servi une fois de coupe-vent, en ville. Ceci dit, à l’heure qu’il est, pas certaine que je ne m’en servirai pas pour rentrer chez moi car il va y avoir un choc thermique au moment de remonter dans le Jura, où il faudrait des pneus cloutés.

 

Mes derniers kilomètres au Maroc furent montagneux, agréables. J’ai profité du soleil et des températures idéales, me suis rincé l’œil dans la Méditerranée, avec le rocher de Gibraltar bien visible en point de mire. D’ailleurs, le fait d’avoir pedalé la côte marocaine fait une belle continuité sur le rivage atlantique avec mon périple de 2014 entre Dunkerque et Gibraltar.

Je m’égare… J’ai savouré ces derniers kilomètres.

 

Voilà le port, que je connais pour l’avoir pratiqué l’an dernier. Immense, moderne, calme. Enregistrement entre 11 h 30 et 16 h 30. J’y suis à 12 h 30 après avoir dépanné un cycliste marocain qui avait un pneu à plat le long de la route. Il n’y a plus qu’à attendre l’embarquement, à discuter avec d’autres cyclos (10 en tout sur le bateau) et motards. Le navire quitte le quai à 21 h 30. Bye bye terre africaine, bye bye Morocco. 

 

Nous larguons les amarres à 21 h 30. C’est parti pour 40 heures, dont 2 nuits. Je partage la cabine de 4 seulement avec Nadia, discrète, calme et fort sympathique. Une partie de la journée pleine sur le bateau est occupée à “randonner” pour tenter d’atteindre les 10000 pas avec un couple cyclo franco britannique. À force de glandouille, le soir arrive, la mer est houleuse, nous tangons comme des pochtrons lors de nos moindres déplacements et il n’en faudrait guère plus pour commencer à mettre à mal les estomacs sensibles. Toujours avec mes deux cyclos, nous regardons, que dis-je, nous extasions, nous laissons envahir, dans l’obscurité épaisse et abrités du vent, par le déferlement, les roulements, les mouvements de ces énormes et puissantes masses d’eau et d’écume. Des creux de 3 mètres de haut, c’est peu mais déjà très impressionnant. Un spectacle à part entière. Le navire, imperturbable dans ce chaos liquide, trace sa route dans la nuit. Nous ne nous imaginons même pas dans les canots de sauvetage qui nous apparaissent soudain pas plus gros que des coques de noix. La puissance des éléments nous fait taire. C'est comme une hypnose, un envoûtement. Pour rentrer à l'intérieur, nous nous mettons à deux pour tirer la porte que le vent retient, et avec toutes nos forces, finissons par l’ouvrir juste assez afin de nous glisser dans le couloir.

 

Le lendemain, nous sommes réveillés à 7 heures par le haut-parleur. Nous serons au port à environ 9 heures (au lieu de 12 h 45) et les cabines doivent être libérées dans 30 minutes. Le navire s’immobilisera contre le quai de Sète à 10 heures. Si jusque là le retour se faisait dans la douceur et la lenteur, le fait de poser pied à terre en France me fait passer la seconde.

 

Le mistral me mord les joues, me glace, me cloue sur place dans mon déplacement jusqu’à la gare, je sors le gros bonnet. Vu l'heure, je pourrais être chez moi ce soir, certes tard, mais après quelques tergiversations téléphoniques avec un ami du Jura qui devrait venir me chercher à la gare, il apparaît que, vu l’état catastrophique des routes dû aux chutes de neige et la nuit, lui faire faire l’aller-retour Bellegarde s’apparenterait à une véritable expédition. Je reste finalement sur le plan initial, fait escale à Valence chez mes amis Bruno et Marianne, où j’arrive en milieu d’aprem. 

 

Et le lendemain, je rallie finalement Genève en train, puis pédale 25 km au bord du Léman et sous l’unique averse de la journée, jusqu'à Nyon, pour reprendre un train jusqu’à la Cure où Paco me cueille avec la voiture d’Isa pour m’emmener chez moi. Association de bienfaiteurs... À ce moment-là, je passe de la seconde directement à la cinquième. Il a pris deux pelles car 50 cm de neige obstruent l’accès à ma porte. C’est l’hiver, les paysages sont superbes, les majestueux épicéas sont couverts de neige. Paysage de carte postale. Ça remet vite dans le bain, partie du Maroc en short, j’arrive chez moi avec polaire, gore tex, gants, surpantalon, bonnet, et froid aux pieds malgré les sacs plastique entre chaussettes et baskets. Il fait 0 degré dans mon appartement, les velux de ma mansarde sont sous la neige. Le feu n'attend plus qu’une allumette pour démarrer… anticipation du 12 septembre. 

Puis il faut sauter dans la bagnole avec les cabas pour aller s’approvisionner en denrées alimentaires, finir de déneiger, me battre avec mes velux pour ôter la neige et ne pas vivre comme une taupe, dans le noir, passer quelques coups de fil qui priment…

 

Le voyage est terminé. Loin déjà, même s’il y a seulement quelques heures, je n’étais clairement pas encore rentrée. 

 

Et ce voyage fût bon encore, doux, sans bagarre jamais contre les éléments, sans difficulté notoire, sans mauvaise expérience, comme si j’avais juste eu à me laisser glisser, et vivre, sobrement. Le voyage le plus facile, je pense, que j'aie fait. Même mon coup de calgon à Ouarzazate n’est plus qu’un très lointain souvenir. Et je maintiens que le Maroc, après ce deuxième opus, est un bel endroit pour aller se promener à vélo. Paysages, population, culture, diversité, climat, dépaysement, facilité d’accès, sécurité, coût de la vie, accueil ; tout est aligné pour passer un agréable et régénérant séjour. 

 

3509 km, 43485 mètres de dénivelée positive. 70 jours sur place, 78 jours en tout. Le transport (train + bateau) représente quasi un tiers du coût total du voyage (1380 euros en tout en étant souvent à l’hôtel). 

 

Si j’ajoute le voyage de 2024, ce sont environ 7000 km de routes marocaines parcourues : un bon aperçu du pays, sans plus. Il y aurait encore de la place pour faire un bon mélange de vélo/rando de 2 ou 3 mois pour aller plus profond dans les massifs et la culture berbère.

 

Dès le lendemain de mon retour, je sors les skis de fond et parcours avec volupté les pistes de la forêt du Risoux dans ce paysage de rêve…

 

Vous trouverez encore quelques photos supplémentaires dans la rubrique dédiée. 

À bientôt pour d’autres aventures, quand et où ???