2024 - L'Ecosse (part. 2)

 J'aime le vent, la pluie et la gadoue...


 

 Ouaich, c'est probablement ça puisque j'y retourne !

01025483 copy 2432x1824C'est peut-être juste pour vérifier que c'est toujours comme ça, que ce sont des bouts du monde où le ciel chiale régulièrement, se met en colère, devient tout noir pour nous en faire voir de toutes les couleurs. Pour voir si partout sur ces confins de terre balayés par les vents, l'eau regorge, stagne ou vient gonfler des rivières impétueuses à l'improbable couleur de rouille. Pour voir les littoraux insulaires de sable blond ou des hautes falaises inaccessibles que scindent des cascades d'eau douce qui sautent dans l'eau salée de l'océan au moment où un rayon de soleil oblique se glisse entre deux averses.

Oui, je vais retourner me frotter aux éléments, m'immerger dans le sauvage des Highlands et surtout des îles qui bordent l'Ecosse. Parce que même si ce n'est pas facile tous les jours de s'y déplacer à pied, dans des terrains spongieux voire innondés, avec tout mon barda sur le dos, ou en stop, il y a quelque chose de magique et des sentiments indescriptibles de n'être rien dans tout ce grand, qui me rend euphorique, à fouler ces espaces déserts, sans aménagement pour l'humain, où tu peux marcher des bornes et des heures avant de trouver l'endroit "le moins pire" où tu pourras monter ta tente pour te reposer. 

01025554 copy 2432x1824Comme ceux qui me suivent depuis un moment le savent, c'est dans ces endroits retirés, à vivre H24 dehors, que je me sens le plus vivante, et parfois même animale, avec pour seules préoccupations mes besoins vitaux dont celui de glisser dans le paysage fait partie. Mais non, non, je ne m'interdis pas du tout de visiter les auberges aussi quand le besoin s'en fait sentir.

Arran, Gigha, Islay, Jura, Kerrera, Mull, Barra, Eriksay, South Uist, Benbecula, North Uist, Berneray, Lewis and Harris, les Orcades, les Shetlands, ce n'est pas la variété des îles qui manque. Il FAUT que j'aille sur Jura, c'est une absolue nécessité et je vous explique pas pourquoi ! Et puis passer de l'une à l'autre de ces îles en ferry (c'est fou quand on grossit la carte, le nombre d'îlots minuscules qui apparaissent autour de petites îles elles -mêmes autour de terres plus grandes). L'Ecosse n'est pas très grande mais qu'est ce qu'elle est vaste ! Et puis marcher sur le sable blanc ou noir des plages gigantesques dignes de celles des Maldives sans la chaleur, les mains dans les poches, juste mon sac sur le dos, libre, parcourir l'Hebridean Way ou le Cape Wrath trail (oui encore lui puisqu'il m'a résisté l'automne dernier et que je suis têtue...). Mamamia, je m'y vois déjà, sous un rayon de soleil entre deux ondées. Réminiscence d'images, je suis au bord de la route sous ma cape de pluie dégoulinante en train de tendre le pouce dans les bourrasques. Je vais encore entendre parler le gaélique et rencontrer quelques personnages rudes au coeur sur la main et chercher dans des échoppes minuscules un coin où sécher et de quoi contenter mon estomac.

01026180 copy 2432x1824Et puis il y a tant d'endroits sur la "mainland" que j'aimerais voir. Dans ce pays, pas une minute n'est identique. La lumière joue et change sans cesse, d'une seconde à l'autre presque, tant et si bien qu'on pourrait bien rester planté à un seul endroit pendant des heures qu'on y ferait un voyage indescriptible et riche de mille paysages différents. 

Qu'est ce que ce sera le jour où j'irai en Islande, hors-saison !? Ca viendra, ça viendra !

Bref, voilà, je retourne en Ecosse, avec le même matériel sauf les chaussures, et en espérant que les nouvelles me tiennent un peu mieux au sec. Le 10 avril je partirai pour un temps indéfini et cependant limité par la reprise du boulot le 6 juin, de quoi patauger à volonté dans les tourbières.

Il a été très rare dans ma vie de voyageuse que j'aille 2 fois au même endroit. Je crois que je suis clairement restée sur ma faim l'automne dernier, entravée par des précipitations exceptionnelles. Alors certes, les températures et la pluie seraient peut-être moins méchantes en juillet-août, mais en été, il y a des gens, et pire encore : des midges (moustiques microscopiques qui se gavent de notre sang et dont on se rend compte des piqûres une fois que l'épiderme est en feu). En partant tôt dans le printemps, j'espère être tranquille un moment même si je ne compte pas laisser mon répulsif et mon filet de tête dans le Jura.

Et comme d'habitude en préparant ce voyage, je rêve, tout en sachant trop bien que ce voyage sera complètement différent de celui que je fais déjà, dans ma tête... Deux voyages pour le prix d'un ! 

A bientôt

 

Arran, Islay, Gigha, Jura, Mull and co...


Des salves de pluie épaisse crépitaient sur le tarmac d’Edimbourg. Un peu comme quand j’en suis partie fin octobre. À me demander si entre-temps, il y a eu autre chose. Juste avant que le zinc ne pose ses roues sur la piste, j’ai pu voir entre chien et loup des champs inondés sous les nuages noirs. L’avion s’est posé avec presque deux heures de retard, après avoir subi maints contrôles suite à un impact sur le fuselage lors du précédent vol. Mais l’impact “rentrait” dans les tolérances pour voler, nous avions donc fini par décoller.

 

01037042 copy 1824x2736Arriver de nuit sous la flotte n’est pas ce qu'il y a de plus joyeux, ni encourageant. Mais j’ai au moins l’avantage d’avoir des repères. Je sais qu’il faut aller vite pour ne pas faire la queue une plombe au contrôle de l’immigration. Mon sac est arrivé vite sur le tapis et tout aussi vite je me suis dirigée vers l’arrêt de bus pour Glasgow. Ce dernier arrive dans les 10 minutes et ne traîne pas pour repartir. Pendant une heure encore je n’ai vu que des gerbes de flotte s'écraser contre les vitres et le pare-brise, aveuglée par les phares des véhicules en sens inverse sur la voie express. Par bonheur à Glasgow il ne pleut pas. Là aussi j’ai mes repères, connais la gare routière et file dare-dare vers l’auberge où j’ai tout anticipé en ligne. À 22 h 10 j’y entre, à 22 h 20 je suis couchée. 

 

Sam Bates, plus connu sous le nom de Smug, artiste contemporain d’origine australienne mais basé à Glasgow. Si j’ai décidé de consacrer une journée entière encore à cette ville, c’est parce qu’à l’automne, j’étais passée à côté de quelques unes des plus belles fresques murales, signées Smug justement. Couvrant des façades entières, elles sont si travaillées qu’on dirait des peintures à l’huile. Et je me suis régalée de cette journée… sans pluie, offrant même quelques rayons de soleil. 

 

Arran m’a vu débarquer le lendemain après une heure de train puis une heure de bateau. Pour l’arrivée du ferry et en guise de bienvenue, un magnifique arc-en-ciel allait d’un bout à l’autre de Brodick, principale ville de cette île qui compte 5500 habitants ( et 25 000 en saison touristique). Le plafond est à 200 m d’altitude, les sommets à 800 m, je choisis donc de rester en bas pour l’instant, traverse l’île dans la largeur jusqu’à Blackwaterfoot d’où je commence à marcher, le long de la côte, le long du golf puis de formations basaltiques, jusqu'à King’s caves (des grottes), puis aux pierres levées de Machrie. Et là, comme si je ne savais pas ce qu’est l’Écosse hors sentier, j’ai voulu couper dans la pampa. J’avais 500 mètres à faire pour rejoindre quelque chose. Eh bien non seulement il a fallu que je retourne d’où je venais mais en plus j’ai rempli mes godasses de flotte ! Belle opération ! Malgré les saucées du jour, j’étais sèche alors il faut croire que c’était dommage ! 

Revenue sur la route, un bus est passé dans ma direction, j’ai sauté dedans pour revenir en ville et tendre le pouce pour aller au sud. 

 

Au sud. Le Sud d’Arran est constitué de collines glabres tapissées de verts pâturages où broutent de plantureuses Highlands à grandes cornes. Il y a du vent. Je l’ai de face et ne suis pas mécontente quand enfin une auto s’arrête et m’emmène à ma destination du jour : Lagg. Connue pour sa distillerie, le village tient en quatre maisons, un hôtel, la salle des fêtes dont un recoin fait bar. Le camion pizza de l’île tourne dans les villages et les hameaux, un passage par mois, c’est aujourd’hui à Lagg et ça se passe à la salle des fêtes aussi, comme le culte. Pourquoi je vous parle de la salle des fêtes ? Parce que c’est là que j’ai dormi cette nuit-là. J’ai demandé un endroit à l’abri du vent pour planter ma tente, j’ai atterri dans la grande salle. Plutôt cool et je ne suis pas mécontente de cette animation à la cuisine et au bar car jusqu’à maintenant je n’ai vu que des nuques penchées sur des smartphones, les citadins de Glasgow ou les filles qui partageaient mon dortoir à l’auberge. Quelle tristesse ! J’ai dormi sur une table, mieux que par terre. J’ai fait le tour de l’île en stop, donc visite guidée, suis repassée à Brodick, suis montée à Sannox pour marcher le long de la côte jusqu'à Lochranza, ai gravi des sommets au dessus de Pirnmill avant de grimper sur le Goatfell, 874 m, point culminant de l’île et couvert de neige de ces dernières averses. La météo s’est montrée capricieuse sur Arran mais j’ai tiré mon épingle du jeu.

 

Puis j’ai repris le bateau. Pour rejoindre le Kintyre. 

 

C’est une péninsule toute en longueur qui fait partie de la “main land” mais on se croirait sur une île. J’y ai marché 2 jours de Tarbert, jolie petite bourgade, petit port mignon, jusqu’à l’embarcadère pour l’île de Gigha où j’ai marché 2 jours encore, ne manquant pour rien au monde le point culminant à 100 m tout rond. Population totale de l’île :150 habitants… 

Quelques pierres debout et vieilles croix en pierre sculptées.

 

J’ai repris le bateau dans l’autre sens. Puis un autre encore, avec un court transfert entre les deux.

 

Islay, autre île, plus grande. Les principales “ industries” de ces îles sont les distilleries, partout. Partout on y fabrique du whisky, mais d’où vient l’orge ? La tourbe pour le maltage ok, mais l'orge ? Je vois à travers les baies vitrées de ces usines à alcool des immenses alambics en cuivre. Marche dans les montagnes, marche le long des côtes, marche le long de plages magnifiques. La météo est conciliante, j’en profite. Des bivouacs somptueux dans des paysages grandioses, lumières qui explosent les pupilles, arches naturelles, grottes, oiseaux de mer, aigles, phoques, et des centaines de cerfs et de lapins. Mais pas un chat ni l’ombre d’un randonneur. Des vans et campings car oui, mais ils ne marchent guère, ils font des “road trip”. Je me délecte aussi des villages croquignolets lovés au fond de criques ou de baies aux eaux limpides sur sable blond, de phares blancs sur des îlots minuscules ou à l’extrémité de pitons rocheux. Mon séjour à Islay a été interrompu par trois jours sur l'île voisine.

 

Les bouteilles portent le même nom mais ne contiennent pas le même breuvage et n’ont pas la même “gueule” que les nôtres, il y a des montagnes, qui culminent à 800 mètres mais sont tout aussi rudes que les autres, il y a 175 habitants et pourtant l’île est grande. Une minuscule épicerie. L’île aux milliers de cerfs, plus de 10 000, des comptages ont lieu chaque année à cette période, sur demande du gouvernement. Un type impliqué m'a prise en stop, sur un carré de 5 x 5 km, l'an dernier, 1100 cerfs. Quand je vous dis que ça pullule ! Je n'en fais même plus de cas tant ils sont partout, dommage qu'ils fuient tout de même quand j'approche. Bref, j’ai nommé Jura. Des lacs très bleu sur fond de landes dorées, ou de tourbières noires. Jura, c’était une exploration obligatoire quand on sait d’où je viens. J’y ai marché 3 jours, suis allée dormir dans des lieux hors du temps, accessibles seulement après des heures de marche sur une éponge, pour arriver sur des sites néolithiques, des lieux qui furent habités, je me demande pourquoi et comment ce fut possible. Je suis allée au bout de Jura, enfin… presque ! L’avant dernière maison de l’île, tout au nord, est celle où Georges Orwell a écrit 1984. Il aurait fallu que je marche 10 km aller retour, pour voir quoi en fin de compte ? Quatre murs chaulés de blanc sur fond d'océan azur. J'ai renoncé. J’ai pris bien du plaisir sur l’autre Jura avec encore du beau temps. C’est relatif bien sûr et il faut choisir tout de même les meilleurs jours pour arpenter la montagne mais globalement, du soleil et du sec. Ce qui rend le terrain moins spongieux, moins imbibé. J'ai constaté que la plupart des gens ici savent situer le Jura, je veux dire le mien. Certains ont même avoué avoir déjà bu du vin et gardé la fameuse bouteille gravée. De retour sur Islay, j’ai complété ma visite de cette île par le nord de ce fer à cheval, ai visité des réserves naturelles et autant de lieux improbables, tous d’une beauté originelle impressionnante. La nature est brute, sans aménagement à part quelques pistes. 

 

Sur ces îles, quand je veux un transfert pour aller d'un point à un autre, je tends le pouce. Les locaux s’arrêtent, les touristes beaucoup moins, ils ont peur, les bandits sont partout dans ces endroits paumés, à tendre le pouce pour peut-être voler une bagnole qui n’ira quoi qu’il en soit, pas bien loin, jusqu’à un ponton... J’ai même fait du tracteur pour 4 km. Les voitures sont rares parfois mais elles s’arrêtent. Je n’attends jamais longtemps. Et si je suis sur un axe où circulent des bus, alors il suffit de faire signe au chauffeur, mais j’évite, c’est horriblement cher. Les routes sont la plupart du temps à voie unique, 3 mètres de large, on ne croise pas. Tous les 300 mètres se trouvent des places de croisement. Les locaux haïssent la saison touristique, les gens ne savent pas anticiper et c’est le foutoir, certains prennent les places de croisement pour des parkings... La conduite sur les “single lane” est tout un art, il ne faut pas être pressé. L’éloge de la lenteur.

 

J’ai repris le bateau pour rentrer sur Kintyre, et après un transfert jusqu’à Oban où j’ai consacré trois heures de visite à la ville, j’ai sauté sur un ferry pour venir sur Mull, où je me trouve actuellement. 

 

À noter que dans ce pays, partout dans les toilettes publiques, ou celles des salles d’attente de ferries, on trouve des protections hygiéniques, à disposition. 

 

Sur Mull, là aussi des distilleries, des moutons aux pattes et la tête noires, ébouriffés par le vent froid, des montagnes à gravir, des plages paradisiaques désertes (et c'est comme ça que je les aime) et des villages tout blancs ou au contraire très colorés. Après quelques jours bien remplis déjà sur Mull, je suis posée pour 2 nuits à l'auberge de jeunesse de Tobermory, le plus gros village de l’île. Il pleut, alors en attendant de rejoindre mon auberge à 17 heures, j’ai trouvé un endroit à l’abri, au chaud, équipé de prises de courant, de toilettes, douches, lave et sèche-linge. Sur le port. Les locaux m’avaient indiqué un endroit similaire sur Islay, où j’avais pu tout laver, mon linge et moi, bien pratique. Depuis Glasgow, je n’ai jamais dormi encore dans un lit. 

 

En tout cas, que ce soit sur des îles petites ou plus grandes, passées les dernières maisons d’un patelin minuscule, tout de suite le sentiment d’être dans du grand sauvage est bien présent. Dormir dans la nature, silence et ciels d’une pureté impressionnante. Pas de pollution, très peu d’avions. Du calme, de la lumière, des nuages et des herbes qui dansent au gré des vents, du froid, et pas de pont sur les torrents. Du sauvage là, tout près à côté. Autre chose que j’apprécie énormément dans ce pays : la possibilité de planter sa tente partout là où il n’y a pas nuisance. Pas besoin de chercher la discrétion. Et puis je ne sais pas si les faits divers malheureux existent ici, bref, c’est tout de même un pays très très tranquille qui a beaucoup à offrir.

 

Côté pratique, ça va, j'ai la pêche et dors comme un gros bébé, les yeux parfois fatigués de lumière. Les jours sont longs, il fait clair de 5 h 30 à 21 h 20. Mes chaussures, pour l’instant, me permettent de patauger dans les sphaignes et la tourbe sans avoir les pieds mouillés, quel panard ! J’avais hésité à partir soit avec des chaussures hautes donc lourdes et étanches au possible ou au contraire avec des petites, qui seraient toujours trempées mais qui sécheraient très vite. Les opportunités ont fait que j'ai des grosses, en test, et jusque là, je ne regrette vraiment pas. Il faut ça pour faire du mode sanglier, ou non, dans ces contrées sauvages et gorgées d'eau où chevilles, pieds et genoux sont largement mis à contribution. Je suis toujours aussi satisfaite de ma tente, comme de mon sac, mon matelas ou le reste. Mon sac n'est pas trop lourd, je me ravitaille au max tous les 4 jours. Je suis pas mal embêtée par les tiques, je marche pourtant couverte et pantalon dans les chaussettes mais malgré ça, j’en ai retiré de ma peau jusqu’à plus d’une dizaine par jour, parfois à des endroits que je ne peux voir et difficilement accessibles. Je surveille à mort. Côté températures, je n’ai jusque là guère quitté la polaire et la veste par dessus. Les températures nocturnes ne dépassent pas 5 degrés, j’ai eu du gel, et en journée, le vent froid dissuade de s’étaler sur les plages. Ça me va bien comme ça, je ne transpire pas beaucoup, et surtout, tant qu’il fait frais, il n’y a pas ces mûries de petits moustiques, les midges. 

 

Voilà, 19 jours déjà se sont envolés. Et si je ne donne des nouvelles que s’il pleut alors j’espère que vous attendrez un moment avant les prochaines.

 

Ciao

 

 

 

 

Mull, Hébrides Extérieures sud


Je vous avais laissés à Tobermory, sur l’île de Mull par un temps pluvieux qui n’incitait guère à sortir. Visite du musée local avec comme d’habitude les outils, les habitations, les vêtements, quelques us et coutumes. Puis une accalmie m’a autorisée une promenade jusqu’au phare voisin, ainsi qu’un petit aller-retour en stop jusqu’à Salen pour photographier quelques épaves de bateaux. Mull est une île à la superficie déjà importante et son nombre de kilomètres de littoral est impressionnant. Tout n’est que détours et temps de route importants. Elle regorge de sommets, lacs, plages et j’ai donc consacré les jours suivants à la poursuite de sa découverte, tantôt sur les hauteurs, tantôt à chercher la présence de phoques ou d'otaries au fond de baies rocheuses. J’ai eu la chance d’en voir se prélasser. Sur Mull également et enfin, une vraie présence de celles qui figurent sur tous les mugs, t-shirts et autres souvenirs d’Écosse, les vaches aux longs poils dont seul le vent peut écarter la mèche et laisser voir que oui oui, dessous se trouvent des yeux. Elles sont belles ces Highlands. J’ai bien évidemment gravi le point culminant de l’île, le Ben More à 966 m en mode rapide sans mon gros sac. Puis par les routes (toujours des single track), transportée par des dizaines de locaux ou touristes qui commencent à sérieusement affluer, j’ai poussé jusqu’à la petite île de Iona, sa célèbre et superbe abbaye, ses plages, ses prairies grasses au nord, son golf, et sa tourbe profonde au sud. De retour à Craignure, j’ai repris le ferry pour Oban, y ai rempli mon sac de vivres et suis remontée sur un bateau (qui repasse à 500 m de Mull) pour me rendre à Castlebay sur Barra, l’île la plus au sud des Hébrides extérieures où l’on puisse arriver. Sur le bateau, plusieurs couples avec de gros sacs à dos, il y a fort à parier qu'ils sont là pour la même chose que moi. Ils prennent des taxis, je lève le pouce, économise 18 euros pour 8 km au passage, me fais prendre par un vrai type d'ici qui me raconte l'histoire de l'ancien ferry qui reliait Barra à Vatersay jusqu'en 1991, avant que la digue ne soit construite, me montre les débris de l’avion qui s’est écrasé là pendant la seconde guerre mondiale, et m'indique son école primaire, il y 35 ans… Visite guidée et commentaires qui se poursuivent pendant 15 minutes après l’arrivée à destination, dans l’utilitaire, moteur coupé. Me voici donc au départ de l’Hebridean Way sur l’île de Vatersay. Plus au sud il y a encore des cailloux, inhabités. L’Hebridean way, itinéraire long qui remonte toutes les Hébrides Extérieures promet monts et merveilles. 

 

Vatersay donc, 1ère île. Pour accéder au sud, il faut passer sur un isthme enherbé et bordé de deux plages magnifiques autant que symétriques. Sous un rayon de soleil, certes timide, l’endroit s’apparente à une promesse enchanteresse, digne d’un programme électoral. Mais la suite, dès le lendemain matin, comme le programme électoral, me fait me demander, après avoir mis les pieds dans le bateau, si je ne me suis pas embarquée dans une galère. Ciel gris, océan gris, plages grises. Les merveilles de Barra, 2ème île, dans un brouillard à couper au couteau sous un crachin persistant… “ Mais qu’est ce que je fais là ?”, la question ne s’invite pas souvent dans mon esprit mais là, oui. Patauger dans la tourbe dans le brouillard sous le crachin, hum… Il ne reste plus qu’à trouver de l’eau, oui c'est paradoxal, et un endroit sec, plat, abrité du vent pour planter ma tente sur ce bout de terre tourbeux, sans arbre ni relief à l’horizon. Ce sera chose faite à côté de la salle d’attente du ferry que je prendrai le lendemain. J’ai même l’électricité !

 

Ici, les prévisions météo sont fiables quand la pluie est annoncée mais elles peuvent se tromper quand le beau est attendu !

 

Bref, j’ai marché les 3 premiers jours sous un ciel palot, sur du sable palot au bord d’un océan palot avec un fort vent de face. Je suis malade rien qu’à imaginer à quoi ça doit ressembler sous un rayon de soleil. Il ne faisait pas mauvais à proprement parler, il a juste manqué la lumière pour la magie,.. et tenir la promesse ! Oui, les plages de Vatersay, Barra, Eriskay, South Uist, Benbecula, North Uist, Berneray sont exceptionnelles. J’ai vu des otaries encore, dans l’eau, et des panneaux “attention traversée d’otaries” le long des routes. Une mouette m’a suivie pendant une dizaine de kilomètres sans cesser 30 secondes de me crier dans les écoutilles. Elle a bien failli me rendre folle, je lui ai parlé gentil, puis méchant… Je suis passée d’une île à l’autre soit par des digues, soit par des bateaux.

 

Après avoir gravi le point culminant de Benbecula à 100 m pour la vue sur les myriades de lacs et l'océan sous le ciel toujours gris, il y a eu la tempête. Arrivée après un vrai mais trop court moment de soleil sans vent, alors que je quittais Benbecula pour passer sur North Uist à marée basse, elle était prévue mais les hébergements contactés à portée de ma bourse étaient complets et les campings sont toujours très exposés au vent. Donc exit, il va falloir que je me débrouille pour me poser en sécurité. La chance, oui la chance a fait que ce soir-là vers 16 heures, j’ai doublé le seul bois de plus d’un are de toutes les Hébrides extérieures. Je m’y suis arrêtée, ai sauté par dessus les deux clôtures, le sol sous les arbres pouvait accueillir une tente et quelques maisons très proches me fourniraient de l’eau. Nickel. J’y suis restée deux nuits et une journée entière, ne sortant de ma tente que pour assumer des besoins primaires. Il a plu, il a surtout venté, les 75 km/h annoncés y étaient largement, pendant 12 heures j'ai entendu le vacarme du vent hurlant tandis que ma tente ne bougeait pas d'un poil et que j'avalais dans la même journée un livre entier de James Ellory et une plaque de chocolat noir, tout aussi entière. Le lendemain, alors que j’entamais la traversée de North Uist, un brouillard épais encore sous un fin crachin m’a fait tendre le pouce sur les parties asphaltées. Une conductrice m'apprend que le nom des îles que j'ai précédemment visitées sont souvent donnés comme prénoms. Ainsi, les fillettes s’appellent Jura, Iona, les garçons Arran… 

 

North Uist est un patchwork impressionnant de lacs qui se remplissent avec la marée mais ne se vident pas complètement quand l’océan se retire. Les buttes culminent à 200 mètres et l’habitat est très dispersé, comme partout. Toutes les routes sont à voie unique. Les cyclos ont débarqué en force. Je revois de temps à autres les marcheurs qui font aussi ce chemin. 

 

Ce soir je suis sur l’île de Berneray, toujours dans le brouillard. Je me suis posée dans une auberge en auto-gestion. Il y a une douche, des toilettes, une belle et grande cuisine, de l’électricité, de l’eau, de la 4G, trois dortoirs, des cyclistes et des marcheurs. Les autres ne sont pas bienvenus, il faut arriver à la force du jarret. Le bâtiment est traditionnel, murs chaulés blancs avec un toit végétal posé dessus, des petites ouvertures. Par la fenêtre à 5 mètres il y a l'océan, et une plage de sable fin. L'endroit est superbe et j'espère le découvrir demain matin sous une lumière qui le mettra mieux en valeur.

 

Bien sûr, me voilà déjà à la porte de Harris, que j'ai vu à l'automne. J’ai traversé les Hébrides extérieures sud sans bien du soleil, sans les couleurs escomptées, c’est toujours décevant, c’est comme ça, lalalalala... Je suis un oiseau de passage, et on ne choisit pas la couleur du ciel le jour où on passe. Rester des journées entières sous la tente à attendre les éclaircies n’est pas non plus une solution. Des vacanciers qui m’ont prise en stop ont parfois été là où je voulais aller, ne sachant pas quoi faire eux-mêmes par ce temps si bas. D’ailleurs à ce propos, jamais je n’ai galéré à me faire pousser plus loin.

 

Demain et le jour suivant sont annoncés plus clairs, voire légèrement ensoleillés. Je l’espère. Et à 7 heures je serai dans mes chaussures pour profiter au maximum de ce qui m’entoure.

 

J’ai remis des photos dans la galerie. Vous verrez, c’est beau l’Écosse !

 

 

 

Berneray, Harris et Lewis, cap Wrath trail et bricoles.


 

Berneray.

Au matin, tôt, le ciel est clair entre les nuages et quelques rayons de soleil éclairent la terre par intermittance. Je pars à 7 h par la plage et fais le tour de l’île en passant par le point culminant à 93 m. À 10 h 20 je suis dans le ferry, le soleil a disparu, le temps est bouché et pendant le trajet d’une heure, le ciel nous tombe dessus sous forme liquide. À l’arrivée à Levenburgh, ça semble aller vers le beau, je ne me presse donc pas trop, passe à l’épicerie compléter mes vivres et casse la croûte. 

 

Puis j’entame ma marche, 44 km de montagnes russes dans du terrain parfois difficile sans sentier, parfois macadam, avec tout ce qu’il ya entre les deux. Le ciel se dégage au fil des minutes, je range les vestes, le buff, puis les jambes du pantalon. Il fait bon et beau et le paysage est un ravissement.

 

South Harris, j’étais ici en octobre et les averses carabinées jouaient un peu avec mes nerfs tout en offrant des éclairages spectaculaires très contrastés. Je voulais revoir South Harris dans des conditions permettant de profiter des paysages en étant à pied. Et ma foi, c’est réussi. En plus, j’ai de la chance avec la marée, elle est basse quand j’arrive à Sargasta et découvre une immense étendue de sable bordée d’eau turquoise. Un endroit duquel on a du mal à décrocher le regard, comme aimanté. C’est juste très beau. L’appareil photo chauffe, moi aussi. J’avance et je veux arriver à un point précis avant de poser mon bivouac : la vue sur Seilebost. Parce que c’est aussi moche que Sargasta, et que je ne veux pas prendre le risque d’un ciel couvert demain. En fond d'écran, des montagnes. J’arrive un peu claquée après cette journée de plus de 30 km, cependant, les jours sont si longs que j’ai encore 3 heures de jour devant moi quand je me pose. 

 

Mais le lendemain il fait beau encore, mon coeur est en joie, mon voeu est exaucé, je traverse tout South Harris en me délectant. Un randonneur/traileur m’accompagne sur une dizaine de kilomètres. Je reconnais bien sûr un tas d’endroits au passage. 

 

Tarbert. J’y arrive vers 16 heures, me fais confirmer les horaires de ferrys, reprends les prévisions météo et revois mon programme, tends le pouce, me pose vers Maraig. Je ne monterai pas plus au nord, j’y avais passé du temps déjà en octobre. 

 

Et là, le bonheur. Je suis posée sur un petit parking plat au bord d’une route en cul de sac. Là, parce que c’est le seul endroit plat, sec, abrité du vent. 30 mn plus tard arrive un premier camping-car. Gens sympathiques, m’offrent le thé, mais jouent avec leur chien, allument la télé, causent fort, bref, pas très discrets,j’ai l’impression de vivre avec eux. 3,5 mètres séparent leur véhicule de ma tente. Un second camping-car se pointe, se glisse dans l’intervalle et manque d’écraser mes ficelles de tente en reculant. Je n’y crois pas, mais oui, il a l’intention de s’installer là, sa carrosserie à 1 m devant moi. Je lui fais donc la remarque, et l’incite à aller ailleurs. Mais non, il y a la place dit-il en envoyant ses gazs d’échappement droit dans ma tente. Je termine mon repas, range mon duvet, mon matelas, remballe tout mon barda, remets mon sac sur mon dos et vais m’installer plus loin, sur un terrain plus venté, moins plat, moins sec. C'était ça ou je crevais les pneus, sans rire, blaireaux, ils m’ont mise en colère ! C’était des Anglais.

 

Le lendemain, temps mitigé mais sec, mes jambes sont fatiguées, j’ai tendance à traîner la savate dans le pentu sur le sentier côtier et montagneux qui me ramène à Tarbert, aussi, une fois arrivée sur le macadam, je continue certes à marcher mais lève le pouce quand un van passe et s’arrête. On m’emmène et m’offre un thé à l’hôtel-restaurant-bar de Tarbert ! Après-midi repos mérité, auberge de jeunesse, lessive machine et séchage, douche et retrouvailles avec des gens déjà croisés sur les chemins ou les routes.

 

Je quitte South Harris en me disant qu’il y aurait encore à faire sur cette île mais d’autres endroits m’appellent et les jours me filent entre les doigts. Je quitte les Hébrides Extérieures lundi matin 13 mai à 7 h 20.

 

Arrivée à Uig sur Skye, les seules missions du jour sont de me rendre à l’auberge à Broadford en stop par la route touristique, de faire des courses pour 4 jours pleins, et remplir la bouteille d'essence du réchaud, le tout avant la pluie. En passant devant le château de Dundevan sans pouvoir l’apercevoir, je ne me pose plus la question de le visiter ou non, une queue de 30 mètres et le prix de l’entrée sont dissuasifs. C’est un musicien aux yeux fatigués après le festival de Portree qui m’a emmenée plus loin, il y avait de la bonne musique et un sacré foutoir dans son van. Hors ces missions, j’ai eu le temps, en plus, de faire un nettoyage de mon réchaud, qui en avait grandement besoin depuis un moment. À l’auberge, le personnel n’a pas changé, toujours aussi sympathique, et me reconnaît quand j’arrive. Tarif nuit dortoir en octobre : 21 livres, en pleine saison mai : 36. Ça pique un peu !8

 

Le matin du jour suivant pariant de manière un peu osée sur la météo du jour, je prends le bus pour Morvich et reprends le Cape Wrath trail (CWT) en gros là où j’avais dû abandonner l’an dernier. Et cette fois-ci je me régale, mets des variantes montagneuses sur mon itinéraire, des lignes de crête parfois bien assez techniques avec un peu de gaz, augmentant par la même occasion et de manière considérable le nombre de munroes à mon actif ( sommets de plus de 3000 pieds). La météo est belle dans l’ensemble. Les jours sont si longs, de 4 à 23 heures, que j’attends parfois la fin d’une perturbation avant de partir pour mon étape, à 16 heures, ou au contraire de terminer ma journée à 10 heures après déjà 5 heures de marche. Je m’adapte et ne sors jamais la cape de pluie, profite des créneaux soleil pour parcourir les parties en altitude. 25, 30, 35 km par jour, sur du terrain allant du macadam au mode sanglier, sans sente. En effet le CWT est une espèce de GR mais sans balisage et parfois sans sente, pas de pont pour enjamber torrents et rivières, les déchaussages sont fréquents. Sur les longues parties asphaltées, je tends le pouce. Une fois, c'est le transport scolaire qui me prend. Les gamins font plus d’une heure de bus le matin, idem le soir, pour aller à l’école à Kinlochbervie. Le bus ratisse large et pourtant ne ramasse qu’une dizaine de gamins… Quelques randonneurs sur ce CWT, pas la foule, loin de là. Je suis seule toute la journée de pluie et brouillard au Strathan bothy à l’écart de l’itinéraire officiel. Je regarde avec inquiétude le niveau de l’eau monter, le ruisseau que je cherchais entre les herbes pour remplir ma poche à eau est devenu là, une rivière impétueuse, et ici, un lac, les moutons courbent l'échine et tournent le cul au vent, le regard vide. Et je m’escrime à vouloir faire flamber un feu de tourbe. Ce n'est pas le feu qui me réchauffera mais bien le fait de m'activer et de jouer du boufadou toutes les 3 minutes. Demain, sur mon chemin, des rivières et ruisseaux infranchissables en cas de crue, d’où mon inquiétude… Dans la nuit le niveau redescend bien, je garde espoir, le ciel a l’air de virer vers le bleu.

 

Sandwood bay, lieu magique, est vite atteint et ensuite, 10 km de mode sanglier. Pour traverser la principale rivière, je me déssape du bas, garde juste la culotte, et mets les crocs, dégraffe la ceinture du sac à dos car se faire embarquer par le courant avec un sac à dos lourd et sanglé, c’est l’horreur assurée. Je ne vois pas le fond car l’eau est rouille, y vais en testant d’abord devant avec mes bâtons mais n’aurai de l’eau au maximum qu’à mi cuisses, pas trop froide et sans courant fort. Le Cap colère (cape Wrath) est atteint le jour même, sous un ciel gris et dans le vent frais, il reste 17 km faciles sur une ancienne route bien dégradée pour rejoindre le ponton où un bateau assure la traversée vers Durness. Un bivouac somptueux encore et pas trop de ces voraces midges même s’il est inconcevable de sortir pisser à partir du moment où ils se pointent, et jusqu'au lendemain matin… Comment je fais ? Je pisse dans ma gamelle, dans la tente. Pour le reste, si je dois sortir, je m’équipe, moustiquaire de tête, répulsif, gants… et je m’arrange pour avoir tout terminé, repas, brossage des dents, vaisselle avant leur assaut. Le soucis parfois est que je dois rester dans ma chambre à cause de ces mûries alors que le soleil donne encore fort et longtemps, donc ma tente est une étuve, je ne peux pas monter la moustiquaire seule, c’est la seule variante que ma tente ne permet pas. Bref, j’ai des piqûres quand même un peu partout et les démangeaisons m’obligent à pommader à la cortisone. 

 

Durness, un bout du monde, est un village où des centaines voire milliers de gens passent chaque jour en saison touristique, le camping est plus grand que le village, les alentours sont superbes, l’épicier, le restaurateur font leur beurre mais le village se meurt. Les familles avec enfants sont parties vivre ailleurs, il restait 3 enfants à l'école. Quelle enfance pour ces gamins ? Sans activité annexe, sans vie sociale, sans copain ? C’est donc une vision totalement tronquée qui s’offre à ma vue. L’hiver, les heures de lumière sont peu nombreuses, le vent glacial balaye la contrée, le brouillard, la pluie, et la solitude.

 

Le Ben Hope, point culminant du secteur me fait de l’oeil, j’ai quelques jours devant moi avant mon retour en France, et décide donc de tenter le coup après avoir bien visité les alentours de Durness. Je marche 10 bornes dans la pampa sur un chemin carrossable après 50 en stop et me retrouve nez à nez avec une rivière large au fond d’une vallée somptueuse au pied du Ben Hope. Sur la carte, un gué, je vois bien l’entrée et la sortie mais l’eau me paraît bien profonde. La rivière est bordée de haute végétation, les suceurs de sang pullulent, si je veux passer, je dois me déssaper complet et porter mon sac sur ma tête en le tenant d’une main, mes bâtons dans l’autre. Il est 19 heures, je plante ma tente un peu en retrait et verrai le lendemain, la nuit porte conseil. Au matin, le niveau a baissé de 40 cm environ mais ça ne change pas grand chose, et puis les nuages accrochent déjà le sommet, la fatigue me tombe dessus et me coupe l’envie. J’ai fait demi-tour, ai refait les 10 km à l’envers puis les 50 en stop et ai continué jusqu’au village de Scourie, côte ouest toujours. De là, j’ai marché jusqu’à Tarbert (encore un) où se trouve le ponton d’embarquement pour l’île de Handa, ai dormi au pied d’une antenne de télécom car c’était le seul endroit plat et sec, sur les cailloux, et le lendemain, suis allée visiter cette île. Plages de sable à l’Est, pentes douces herbeuses ou tourbeuses, pour déboucher à l’ouest en haut de falaises d’une centaine de mètres de haut où nichent, volent et crient des milliers d’oiseaux. Des mouettes, mais aussi des oiseaux plus épais et foncés comme les eiders, d'autres plus fins et élégants comme les sternes, ou encore les colorés macareux. Dans l'eau, les phoques se prélassent. Dans le ciel les nuages très contrastés s’accumulent et offrent des éclairages forts. À midi je sors de l’île et la suite sera pour la prochaine fois…

De nombreuses nouvelles photos dans la galerie.

Ciao ciao.

 

Retour trop facile.


 

Bah, il faut que je vous raconte mon retour…

Je quitte donc l’île de Handa vers midi, bien contente d’y avoir vu sternes, mouettes, gracieux pingouins torda, fulmars boréaux, guillemots de Troïl, huîtriers-pie au long bec rouge, austères labbes parasites, et colorés macareux-moines, entre autres. Je suis tout au nord du pays, il faut maintenant que je commence à descendre, j’ai un jour et demi pour ce faire. Pas de transports en commun là où je suis avant l’unique bus de demain matin. Je marche en levant le pouce trois secondes tous les quarts d’heure, fréquence à laquelle passent les véhicules. 2 kilomètres. Un van avec 2 beatniques dans la soixantaine tout droit sortis de Woodstock, dont un ressemblerait presque à Iggy Pop s’arrête. On est serrés comme des sardines en boîte, à 3 sur la banquette 2 places. Juste 8 km comme ça. Bien cools les mecs, et attentionnés. Ils me déposent à une bifurcation, le passager descend du van et m'aide à remettre mon sac sur mon dos. La route sur laquelle je suis maintenant n’est pas plus passante. Je marche, mais cette vallée me réjouit les pupilles, ce serait presque regrettable de me faire emmener trop vite ! La route qui va de Rhiconich à Lairg est un enchantement. Une auto remplie de 7 personnes typées hindou stoppe.

- Bonjour, vous allez bien, vous avez besoin d’aide ?

Le stop est devenu tellement rare que certaines personnes ignorent le signe et pensent que j’ai besoin d’aide, c’est la seconde fois que ça arrive en trois semaines.

- Bonjour, tout va bien, merci, juste besoin de me faire pousser plus loin mais votre auto est pleine.

- On peut se serrer.

Franchement, ils sont 7 dans une 8 places avec des bagages qui débordent de partout, il n’y a qu’en Afrique et en Inde qu’on trouverait décent d’embarquer encore des passagers. Je décline en les remerciant, la rencontre fut aussi chaleureuse que brève. À côté de ça, il y a bien sûr quelques autos et gros camping-cars qui m'obligent à me serrer sur le bas-côté, avec de quoi transporter un régiment, mais les conducteurs ne font que passer en se tordant le cou de l’autre côté genre "Je ne la vois pas, en fait elle n'existe pas", alors que n'importe quel chauffeur normal regarderait pour prendre garde à ce piéton. Et il y a ceux qui font un signe d'impuissance genre "On te prendrait bien mais on peut pas, le camion ne fait que 7 m de long, peut prendre 2 personnes en plus, mais vraiment on peut pas, c'est dommage hein..." Ce n’est pas le fait qu’ils ne s’arrêtent pas qui me met en rogne, c’est leur hypocrisie. Quelque part je crois qu’ils n’assument pas leur comportement d’égoïste, ils ont honte.

 

Après 3 à 4 km, deux femmes, des locales, dans une petite auto déjà bien remplie s’arrêtent et m’embarquent. Mon sac sur mes genoux me prive d’un bout de paysage. La passagère se fait déposer chez elle. Comment peut-on vivre ici ? Un hameau de quelques maisons au milieu de la nature. Au plus fort de l'hiver, le jour se lève à 10 h 30, se couche à 15 heures, le jour, pas le soleil hein, juste de la clarté, un crépuscule qui n’éclot jamais. Et le reste du temps tout est plongé dans la nuit, et le froid, et le vent. Il n’y a rien ni personne à des kilomètres. La première épicerie, épicerie seulement, est à une heure de route, à Kinlochbervie, là où le ramassage scolaire emmenait les gamins dans le post précédent. Le supermarché digne de ce nom le plus proche est à 2 h 30 heures de route par bonnes conditions, donc sans touriste (single track road), et pas l’hiver. Il faut aller à Inverness. Quelle tranquillité, quelle magie d’habiter ainsi au milieu des éléments. J’ai vu, ces dernières semaines, ces maisons, grandes baies vitrées sur la vaste nature, le sauvage, j’imagine, la sensation de vivre vraiment partie intrinsèque des éléments en étant tout confort à l'intérieur. Mais quelles contraintes, quelle vulnérabilité, quelle solitude ! Il faut avoir le mental solide, de quoi s’occuper, ne pas avoir peur de faire des kilomètres. Tesco, la marque de supermarchés locale, assure les livraisons sur demande. La conductrice me pose plus loin devant chez elle, même pas un hameau, 2 maisons. Je suis à 35 miles (57 km) de Lairg, seule sur ce ruban d’asphalte étroit dans l’immensité bordée de lacs, de tourbières, d’eau partout en fait, et de hautes collines. Je marche 100 mètres en levant les yeux, inquiète. Le ciel est devenu très noir, dans quelques minutes il pleuvra. Je pose le sac pour enfiler les habits de pluie, n’en ai pas le temps, un camping-car se pointe, et s’arrête. Le couple de Tchèques avec leurs 3 enfants m’embarquent au minimum jusqu’à Inverness, c’était inespéré, j’avais pour objectif d’être à Lairg ce soir, pour dormir quelque part dans ma tente à côté de la gare en rase campagne pour prendre le premier train demain matin, et on me pousse deux heures et demie plus loin... J'accepte surtout car il pleut, ne me soucie pas de la suite, tant que je peux avancer, j'avance. Bon, par le fait, il va être plus compliqué de trouver à me loger puisque je vais aller de ville en ville, mais je verrai bien, je ne sais pas où je vais atterrir, donc évite de tirer des plans sur la comète. Nous n’avons pas fait 1 km que de grosses gouttes épaisses et serrées s’abattent sur le pare-brise ! Quelle chance encore ! La discussion va bon train. Tous les membres de cette famille ont des yeux de ouf, un regard prenant, lumineux, incandescent.

 

Inverness, ils me lâchent à 15 h 34 après avoir roulé fort. Je suis maintenant dans des zones urbanisées, sur de gros axes avec beaucoup de véhicules et toujours sous la flotte, j'arrête ici de tendre le pouce. Coup de fil à l’auberge de jeunesse, complète, un train part pour Stirling à 15 h 44. Je fonce droit sur le quai concerné sans passer par la case guichet et achète directement mon billet au contrôleur devant le train. Il pleut toujours, je descends le pays, au sec et au chaud. J’aime voyager en train, le confort, la possibilité de se lever, de marcher, de changer de place, de manger, de recharger mon tél, d'aller pisser un coup... J'aime le train surtout quand il ne va pas vite, qu’il est aux trois quarts vide et que je peux m'installer au carré de sièges autour de la table. Je n'aime pas les TGV, la vitesse des images qui défilent me fatigue. Mais les trains écossais laissent le loisir de voir et d’apprécier les paysages. Je profite des 3 heures de trajet pour manger un morceau, et pour chercher un hébergement à Stirling où j’aimerais faire escale. Mais là aussi c’est mort, complet ou trop cher. Je commence a regarder sur Maps où se situe le terrain de foot local quand Solène, amie de Dunfermline, pas très loin de la capitale, me propose d’arriver chez eux ce soir, en deux bus je peux y être. Les correspondances ne me laissent pas le loisir de traîner en route, tout s’enchaîne très vite. À 20 h 35, j'arrive après cette journée de folie. J’ai marché, pris un bateau, visité une île à pied, repris le bateau, marché, fait du stop, voiture, marché, voiture, marché, camping-car, puis train, puis bus, et encore bus, puis marché, rien que ça, traversé le pays de haut en bas en un temps record, vraiment record, je ne pense pas qu’il eût été possible d’être plus efficace à moins d’être prise encore plus vite en stop. En transport en commun je serais arrivée 21 heures plus tard. Andy m’accueille, Solène est au théâtre. Et je peux vous garantir que l’eau chaude qui me coule dessus quelques minutes plus tard et la vraie serviette qui me sèche sont un pur bonheur. Dans le plumard qui m’attend je peux m’étaler, avoir les cuisses qui ne se touchent pas, me mettre en étoile de mer la truffe dans l'oreiller, me retourner sans m’entortiller dans mon drap-sac et me retrouver coincée comme une chipolata. Je peux oublier les midges et aller pisser au milieu de la nuit, sans contorsion, tout est doux, tout est propre. Oh mais quelle délectation, quel luxe ! J’adore les bivouacs sauvages, vraiment, mais j’adore aussi les premières nuits où ça s’arrête après une longue période, avant que cela ne devienne l’habitude à nouveau. 

 

Quelle bonne maison ! Le lendemain, repos, courses au supermarché ou j’achète de l’ananas, une mangue, des avocats, une aubergine, des courgettes, un poivron, des œufs, entre autres. Oh que ça fait du bien aussi ces légumes assaisonnés au four et ces fruits ! Et lessive !

 

Pour mon dernier jour, la météo s’annonçant bien correcte jusque dans le milieu de l’après-midi, je vais à Edimbourg, et passe enfin sur le grand pont historique de l'estuaire de la Forth en train, arpente de nouveau le Royal mile, cette fois-ci sous le soleil, en t-shirt et sans vent. Les bâtiments, même s’ils restent sombres et austères, sont un chouillas moins oppressants. Je file ensuite gravir Arthur’s seat, une petite colline qui domine et offre une belle vue sur la ville et ses environs. Puis je file dans le quartier bobo de Leith avant de remonter dans la ville nouvelle en longeant la rivière en crue, très brune, et qui charrie tous les détritus d’Edimbourg. Ce n’est ni beau ni ragoûtant, beurk. Et qui je croise ? Qui m'interpelle par mon prénom dans la grande ville ? La famille aux yeux de braise ! La probabilité de se recroiser… pfff. Je m’attarde ensuite un moment à écouter avec délectation les musiciens et chanteurs de rue, c’est une des choses que j’apprécie le plus dans les villes. Ça et les graffs. Il ne fait ni chaud ni froid, température idéale, belle journée de printemps. Puis retour en train chez Solène et Andy, faire le sac en vue de l'avion du lendemain (1 minute), petite soirée resto, il pleut depuis un moment.

 

Jeudi 30 mai 2024, 7 h 40, Solène me dépose à l’aéroport. Il fait beau, à priori meilleur que dans le Jura où je vais débarquer par un jour maussade. Il fait bon cependant à Genève quand l’avion se pose, en avance. Le Jura se cache dans des nuages épais et foncés. Je tends le pouce, sans conviction aucune, à la sortie parking dépose-minute de l’aéroport tout en manipulant mon téléphone de l’autre main à la recherche d’un éventuel blablacar. Contre toute attente, une vitre se baisse et me voici propulsée à Signy au pied de la Givrine. Le plus dur esrt fait, d'ailleurs je n’ai même pas le temps d’aller me poster qu’un gaillard des Rousses me reconnaît et allonge son parcours pour me déposer devant ma porte sous la pluie battante. La vie est belle, et j’ai presque envie d’aller gratter un Cash, un Banco, un Black jack ou de remplir une grille de loto. Retour au bercail comme j’en étais partie, en stop, l’aventure jusqu’au bout. Mon chez moi. Fin du voyage. 

 

Mon second séjour relativement long en Écosse (7 semaines) se termine donc. J’aurais 1000 choses de plus à raconter, des anecdotes d’autostoppeuse à foison, des dizaines et dizaines de rencontres diverses et variées, certes éphémères mais souvent riches, amusantes, toujours plaisantes, le bon côté de l'Humanité, celui qui fait qu'on garde un miniscule espoir... De la petite dame âgée qui n'a jamais pris personne depuis qu'elle avait eu un désagrément à Glasgow il y a 50 ans qui s'arrête parce que je suis femme avec sac à dos sur une route cul de sac, aux deux chevelus restés en mai 68, en passant par tout ce qu'il y a entre, y compris les entrepreneurs qui me casent à l’arrière tout noir de leur véhicule, assise sur les pots de peinture et les caisses à outils, ou l’électricien qui me fait visiter Skye, la dame qui fait demi-tour après être passée devant moi, regrets, des Anglais, des locaux, des Français, Allemands, Américain, des mamans, des papas... ou, et ou, et encore et aussi… J'ai bénéficié d’une météo bien meilleure que si j’étais restée en France, je me suis gavée, je suis claquée. Claquée de la longueur des jours qui était indécente si haut au nord ces derniers temps, claquée de la lumière, claquée de l’intensité de mes activités, claquée de la gymnastique imposée ces 10 dernières soirées par les midges (terminées les toilettes à poil dehors avec ma bouteille pour douche à attendre de sécher dans le vent et le soleil (et le froid parfois), bonjour les toilettes de chat au gant de toilette accroupie dans la tente, finis les repas du soir tranquille posée sur un rocher panoramique jusqu’à ce que le soleil foute le camp derrière l’horizon, bref, une plaie que ces minuscules diables). J’ai dormi à 80 % en camping sauvage, vraiment sauvage, jamais dans les campings, 3 ou 4 auberges de jeunesse et 3 nuits en cabane non gardée (bothy). Je l'ai déjà dit mais la possibilité de pouvoir s'installer quasi partout sans avoir à se planquer ni craindre quoi que ce soit est extrêmement appréciable et permet des bivouacs absolument somptueux dans les meilleures conditions. Je pouvais demander aux locaux l'état du terrain, les meilleurs spots, dévoiler mes intentions… Un autre aspect extrêmement plaisant de ce pays est le sentiment de sécurité. J'ai parfois laissé ma tente avec les affaires dedans le temps de faire une rando sac léger, j’ai pu laisser régulièrement mon sac à dos quelque part, dans des salles d'attente de gares ou de terminaux de ferries, le temps d'aller visiter villes ou villages, j'ai pu, sans craindre de ne rien retrouver, laisser téléphone et batterie externe charger sur une prise de hall de supermarché le temps de mes emplettes, voire d'un tour avant de repasser plus tard tout récupérer. J’ai pu me permettre des choses que je ne me permettrais pas partout, l’esprit serein. De même que le risque d’agression, ou juste d’être enquiquinée me semble quasi nul. Ce ne sont pas des énervés… Ce serait un endroit pour vivre, cette Écosse, loin du stress, du rush (bien que le Jura ne soit pas le pire endroit sur terre), si les midges n’existaient pas ! Ici aussi il y a besoin d’accompagnateurs en montagne pour les collectionneurs de Munroes… Il y a un territoire à parcourir, à explorer, mais non, je rentre dans mon Jura natal, comblée de mon séjour ici certes, mais comblée également de reprendre le travail dans mes montagnes et de retrouver mes connaissances, proches, amis… C'est une très belle destination toute proche pour assouvir des besoins de nature intacte, de grands espaces, de vie dehors… Maintenant que j’ai bien fait ma grosse sauvage avec parfois des journées entières sans voir personne ni émettre un seul son, retour à mon métier de contact humain et de parlotte incessante !

 

Et même après ces deux séjours consécutifs qui font 3 mois en tout sur ce petit territoire, il y a encore un tas d’endroits qui donnent envie, et puis la fin d’hiver aussi, immersion hors-saison, quand les éclairages sur les montagnes et les baies enneigées doivent être parfois apocalyptiques…

 

La galerie photo s’est enrichie, n’hésitez pas à y jeter un oeil, constater par vous-même de la diversité des paysages rencontrés.

 

Ciao ciao