2017 - 2018 - Les Amériques à vélo couché


 

Partir encore

 

Bonjour,

La saison hivernale touche à sa fin. La neige agonisante laisse de plus en plus de place à l'herbe encore grise. Nous n'avons pas eu d'hiver, juste un échantillon. Pas encore rassasiée de ski et d'épicéas enneigés, je suis pourtant et déjà impatiente de passer à autre chose. Alors après le long voyage à vélo en Asie, de la France à l'Iran, puis du Kazkhstan à l'Inde et enfin du Myanmar à la Russie et retour, et quelques morceaux d'Amérique du sud, de Lima à Santiago puis de Santiago à Ushuaia, j'ai envie d'un voyage long pour découvrir l'Amérique du nord et l'Amérique centrale.

Ca tombe bien, j'ai acheté il y a une semaine un billet d'avion London- St John's.

London, tout le monde sait où c'est. St John's, c'est déjà une autre histoire.

Comme j'aime les bouts de route et les fins du monde, c'est sur le tarmac de l'aéroport le plus oriental de toute l'Amérique du Nord que je poserai les pieds le 30 mai, sur la péninsule d'Avalon, elle-même sur l'île de Terre Neuve au Canada, avec mon vélo sous le bras.

Ensuite, rien n'est défini à ce jour et je ne pense pas que ce le sera beaucoup mieux au moment du départ. Juste qu'il faudra rester au Canada environ deux à trois mois avant de passer aux Etats-Unis pour trois mois, puis au Mexique, puis..., puis...

Je ne sais pas jusqu'où j'irai, n'ai ni objectif précis, ni point d'arrêt, ni de billet retour. Je ne sais guère à quoi ressemblera ce voyage. C'est normal, j'en saurai plus en rentrant.

 

Un mois avant Les Amériques à vélo couché

 

Salut,

Il y a un mois, il restait deux mois avant le grand départ. Donc il en reste un. Yeah. Jusque là tout va bien. Maintes tâches administratives et matérielles ont été classées, impôts, mise hors circulation de mon carosse, réparation et remontage de mon véhicule à deux roues tip top en ordre comme il a rarement été, carte et commissions bancaires,  ça avance. Il reste les choses qui ne peuvent se faire que dans la dernière semaine mais dès lors que l'on sait "comment faire", le plus gros est fait.

Dans un mois je tournerai la clé, à peu près heure pour heure, même jour. Qu'est ce que je vais bien pouvoir en faire d'ailleurs de cette clé ? La ranger dans une mini poche ? La confier à quelqu'un ? La jeter à l'Orbe ? Je partirai à vélo de chez moi pour me rendre en Suisse, à Vallorbe, où je prendrai le train jusqu'à Paname. De là, nous ne démarrerons que le 26 mai au matin, de bonne heure de bonne humeur. Nous visons un ferry dans la matinée du 28.

Restera alors à nous rendre à Gatwick pour décoller après avoir trouvé des cartons et emballé les vélos.

La tâche finalement la plus chronophage et qui n'est pas terminée est de renouveler la musique du mp3. Mon lecteur a une mini capacité de stockage de 1 Go, donc j'ai préparé plusieurs play list de cette taille, je pourrai ainsi varier les plaisirs. J'ai également chargé Cédric Gras, Elie Wiesel, Darwin, Hemingway, Soljenitsyne et d'autres aux cotés de Jules Vernes, Maupassant... Je ne serai pas à court de lecture.

Claire, ma coéquipière est venue passer trois jours dans le Jura. Nous avons arpenté les sentiers suisses, gravi quelques sommets, débusqué des chamois, des cerfs aussi, fait la fête avec quelques zamis, mangé de la morbiflette et bu du macvin, pris l'autorisation d'entrer au Canada (AVE) et donc défini le calendrier de départ ci dessus.

Nous avons tenté sans grande conviction de définir des règles du jeu. Si quelqu'un veut venir nous rejoindre ? Combien de personnes max de manière à garder un contact intéressant avec les populations (plus on est moins c'est facile et plus on a  tendance à ne pas aller vers "l'autre"). Nous n'avons apporté aucune réponse si ce n'est  "on verra quand on y sera". Et je crois que c'est plus sage.

Ensuite nous avons déplié les cartes sur la table entre un petit déj à la cancoillote et la visite du musée des mondes polaires de Prémanon. et tenté de tracer un début d'itinéraire. Pffftttt... euh... ben on verra quand on y sera. De plus entre temps, un énorme iceberg a eu la bonne idée de venir se frotter aux côtes de la péninsule d'Avalon, pas vraiment sur notre route mais du coup, peut-être qu'on commencera par partir ailleurs. bref, rien ne sert une fois de plus de tirer des plans sur la comète, le voyage se fera. Il y a bien des noms et endroits stabylotés en rose sur la carte, par exemple, les monts "chic-choc" parce qu'on ne peut pas passer à travers mais nous en avons surtout conclu que les cartes "Reise know how" sont de bonne qualité et légères, indéchirables et résistantes à l'eau.

 

Essoré

 

Jour J-3.

Tout a été pressé, serré, trituré, foulé au pied, tordu, noué et dénoué.

Plus moyen de tirer une goutte des paquets à l'origine bien gonfflés.

Comme des éponges.

La liste des choses à faire : essorée.

La liste des choses à emmener : essorée.

La tête et l'organisme purgés, vidés dans le bons sens du terme : essorés

Je pars avec des kilomètres devant les roues, la tête vide pleine à se remplir d'autres et d'ailleurs, de la lecture pour des mois, de la musique pour longtemps et avec de quoi écrire un moment.

Je me régale d'avance.

Finalement la météo est annoncée bonne pour mardi, j'irai donc à la gare à vélo. Vallorbe-Paris. Deux jours dans la capitale chez Claire, mon binome. Voir quelques amis. Puis ce sera la sortie de Paris à vélo par la banlieue nord,  rejoindre Dieppe où nous aurons droit à un tour de bateau avant de pédaler encore. Une paire de centaines de kilomètres à avaler, quelques nuits dehors et la dernière à l'aéroport de Gatwick, trouver des cartons pour emballer les vélos pour le vol (rassurez vous tout est déjà calé) nous promettent déjà des moments pas tristes et des journées bien remplies. Puis avion. Paf, 30 mai 12 h 30 heure locale, St John's sur la péninsule d'Avalon, Terre Neuve, Canada. La cohabitation avec Claire s'annonce plutôt bien. On devrait pouvoir aller au moins jusqu'à Auvers sur Oise sans se foutre sur la gueule. Et après St John's, nous commencerons par remonter les vélos après avoir croisé les doigts pour :

1) qu'ils arrivent

2) en bon état

La météo ... oh bon,on verra quand on y sera.

Pas encore de photo, même si le voyage a commencé depuis un moment...

 

Quitter la France pour les Amériques à vélo

Bois d'Amont, mardi 23 mai, 10 h 15. C'est parti. Gaz, électricité, eau, tout est coupé. Les reflets des nuages sur le lac de Joux ont rarement été aussi beaux. Ais-je jamais vraiment pris le temps de les contempler avec soin ? Les grèbes huppés aussi, que je n'avais jamais remarqués. Vallorbe, une heure d'attente, le TGV entre en gare. Quand il en repart, il reste un pneu sur le quai, c'est celui de rechange de ma petite roue. Et hop, première bourde ! Je suis attendue par Claire sur le quai gare de Lyon. Deux journées et trois nuits à Paris, des pique-niques sur les quais de Seine... déjà l'exotisme. Ben oui, de l'eau et des bateaux qui vont dessus. Et des gens qui crient et agitent les bras comme s'ils partaient pour de longs mois tels les marins de Loti. Non, ceux de Loti ne criaient pas.

Vendredi 26 mai 9 heures. Paris. Vélos lestés, nous partons légères, accompagnées de quelques amis de Claire, qui nous guideront jusqu'à Auvers sur Oise où la municipalité a osé ouvrir une « Maison de l'absinthe », comme si l'absinthe avait attendu Van Gogh pour exister. Depuis, nous sommes seules et à la campagne, enfin. Les kilomètres défilent sur les petites routes coincées entre les champs de colza et ceux d'orge barbue ou de blé vert. Dépaysement déjà dans ces paysages ponctués de clochers ici pointus. Nous passons la première nuit chez des warm shower de première classe. Agriculteurs éleveurs bio, François et Claire nous font goûter leurs productions maison et nous finissons la soirée à couper les tiges des fleurs de sureau destinées aux tisanes. Ils vont jusqu'à nous mettre en relation avec des amis à eux 10 km avant Dieppe, où nous pourrons dormir le jour suivant. La grand mère nous demandera, avant de nous donner accès à un point d'eau, si nous ne sommes pas des vagabondes.

Dimanche 28 mai 12 h 30. Dieppe. Le bateau quitte la France. D'un côté comme de l'autre, les falaises blanches que découpent les valeuses sont surmontées de verts pâturages. La France est belle, même quand on la quitte.

Après la traversée nous avons roulé une heure, jusqu'à Lewes, où nous avons dormi chez Robert, une connaissance à Claire. Le lendemain, nous arrivons à l'aéroport avec nos cartons de vélo récupérés à 1,5 km de là dans un magasin de cycles. Il est 13 h 30, l'avion ne décollera que demain matin. Démontage des montures, emballage, puis lecture, musique, manger, scrabble, violon, manger, installation pour dormir, dormir, enregistrement des bagages, manger, passage de la sécurité, embarquement. Comme vous pouvez le constater, nous n'oublions pas d'apporter du carburant à l'organisme même si on ne pédale guère. Claire court après les chariots abandonnés par leur propriétaire afin de récupérer les jetons dans le but de s'en servir pour prendre des douches dans les campings canadiens.

Quelques heures plus tard nous sommes dans le hall de l'aéroport de St John's en train de remonter nos vélos. Tout tourne rond, tout est arrivé intact. La température ici est plus jurassienne que parisienne, une petite laine est de rigueur et encore les habitants sont unanimes sur le fait que c'est la plus belle journée cette année. Il fait 13 degrés. Nous débarquons peu après chez Joy, qui nous accueille pour la nuit dans sa jolie maison. Elles sont ici sont en bois peint et St John's est une ville aérée qui s'étend sur plusieurs collines. La côte découpée est belle vue d'avion.

Voila, il ne reste qu'à pédaler. La traversée de Terre Neuve, c'est environ 900 bornes. Je n'ai guère parlé de Claire : tout va bien. Nous roulons au même rythme et nos manières d'appréhender le voyage concordent. Comme elle est fana de la lecture de carte, je la laisse faire, je me laisse guider, ça me fait des vacances...

 

Les Amériques à vélo couché : Traversée de Terre-Neuve

 

31 mai, lessivées, séchées, toutes nos affaires en ordre, nous prenons la route sous un soleil radieux et un ciel bleu qui semble être une exception à la règle dans ces confins nord-américains. Profitons-en. Le premier soir, après une étape d'une centaine de kilomètres en montagnes russes avec vent de face, l'employée d'une crèche d'enfants nous met à disposition une maisonnette. La journée du lendemain est marquée par la vue de deux orignaux en bord de route. Il fait froid mais sec, nous faisons halte à la mi-journée dans une petite épicerie perdue au milieu du rien, tenue par un papy Terre-Neuvien pur sucre. Le soir nous trouvons refuge sur une terrasse abritée en bordure d'un terrain de base-ball où des équipes de femmes jouent jusqu'à la nuit noire. Une autre fois nous dormirons dans un minuscule local ouvert vers une patinoire municipale hors d'usage en cette saison, et le lendemain dans un abri dans un parc d'enfants. Une jeune femme du village viendra nous y apporter des fruits et des yaourts, une heure de discussion et l'offre d'une douche que nous refusons, étant déjà installées et lavées depuis un moment. La nuit suivante, alors que nous faisons halte à la mi-journée dans un motel pour pique-niquer au chaud, une chambre nous est offerte, ainsi qu'une soupe, un café, la lessive et le séchage, bref la totale. Un soir plus tard, après une journée pluvieuse encore, un type nous indique un abri au bord de la rivière et vient nous allumer un feu, avec une bonne réserve de bois qui permettra le séchage de toutes nos affaires. Le lendemain, nous sommes accueillies, je dormirai dans l'atelier, nous aurons douche et repas. Après le souper, nos hôtes nous emmènent en auto voir une baie emplie de glaçons tout droit venus de l'Arctique, poussés par les vents. Impressionnant et extraordinaire, juste à la lumière rasante du soleil déclinant. Sur le retour, un détour par une décharge municipale nous fait voir quatre ours noirs en train de se repaître de déchets en tous genres. Nous partirons de cette maison avec une verrine de confiture maison et chacune une paire de chaussons en laine. Le lendemain alors que nous pique-niquons, une jeune femme nous donne spontanément deux confiseries et disparaît avant que nous ayons eu le temps de la remercier. Un chauffeur routier qui nous avait vues plusieurs fois s'est arrêté pour nous donner une barre de céréales et un jus de fruit chacune.

Ceci pour dire l'hospitalité et la bienveillance des habitants de l'île, qui compensent le manque de chaleur d'autre part, surtout la première semaine.Car si le cœur des gens semble chaud et leur esprit ouvert, la nature est rude et les conditions climatiques pas toujours très faciles. Les températures sont basses, quelques degrés de positif seulement et surtout, l'humidité. Crachin qui finit par mouiller, qui oblige à pédaler avec les tenues de pluie sous laquelle je prends un sauna permanent, et l'impossibilité de faire sécher le soir venu, même à l'abri, tant l'air est saturé d'eau (91 à 95 % suivant les jours). Renfiler des habits humides au matin... hum quel bonheur. Cela ôte toute envie de faire des détours et il va sans dire que toutes les occasions et propositions pour passer un moment au sec et au chaud sont exploitées. Cependant, le dernier tiers fut plus sec, plus ensoleillé, plus chaud et ce temps nous a au moins permis d'éviter ces nuées de mouches qui piquent qui font la réputation de cette contrée.

Nous avons pédalé sur la seule route qui traverse l'île de St John's à l'Est, à Port aux Basques au Sud. Un bandeau d'asphalte de 900 km, large, la plupart du temps à quatre voies avec de confortables banquettes qui nous vont bien. Elle a des hauts et des bas cette route, des montagnes russes ou de longs faux plats, et guère de plat. Nous ferons jusqu'à 1200 m de dénivelée positive et nos étapes mesurent 90 km en moyenne. Il y a bien la "voie verte", l'ancienne voie de chemin de fer qui traverse l'île et a été réhabilitée en piste vtt (est vendue comme telle) mais le passage répété des quads a fait que même les quads ne peuvent plus y passer tant tout est détérioré... Elle se revégétalisera bientôt ! 405 000 km² pour 528 000 habitants dont 100 000 à St John's. La population se concentre sur les côte Nord et Est de l'île, le contour en est très découpé, forme une multitude de baies, de fjords, de presqu'îles et de péninsules. À l'Ouest, une chaîne de montagnes barre l'accès facile à la mer. Au sud de la route, pas grand monde. Au centre de l'île, des milliers de kilomètres carrés de tourbières, de lacs, de forêts impénétrables, aucune voie d'accès. Les forêts sont parfois d'une densité qui m'étourdit : des allumettes en boite., et dans certains sous-bois ombragés il reste de la neige pour un moment. Des bouleaux, pas encore feuillés malgré juin, des épicéas pas très grands et des arbustes, de l'eau, des lacs immenses d'un bleu profond. La carte de l'île donne le vertige. La toponymie de l'île, les noms des lacs, des rivières, des baies sont géographiques, ou tirés de noms d'animaux ou de prénoms mais n'ont pas la magie de ceux de Terre de Feu qui étaient ceux d'explorateurs, de déboires ou de victoires. Les infrastructures humaines sont peu nombreuses mais toutefois salvatrices. Sans elles, je serais incapable de survivre dans cette nature. Parachutée au milieu de ce no man's land, je ne donnerais pas cher de ma peau.

Les gens vivaient ici de la pêche mais aujourd'hui, même si cette activité persiste dans quelques communautés côtières, beaucoup d'hommes vont travailler sur le continent, en Alberta, dans le pétrole et par rotations de trois semaines. À part ça il y a l'exploitation forestière. Terre Neuve a sa propre identité et dire que les habitants en sont fiers est peu dire.

À Appleton à côté de Gander, dans le parc pour enfants où nous avons passé une nuit, il y a un morceau du World Trade Center. Quand eut lieu la catastrophe, une partie des avions qui devaient atterrir à New York ont été déroutés sur Gander et les passagers furent logés chez les familles des alentours. Il était impossible de trouver un lieu plus aux antipodes en matière de densité humaine. New York – Gander. À Gander, l'hôpital et la base militaire sont les deux institutions qui fournissent le plus d'emplois à la population.

Les kilomètres défilent, une bourgade tous les 50 ou 100 bornes permet le ravitaillement alimentaire. Ils roulent tous dans d'énormes pick-up 4 x 4 et quand après l'étape nous enfilons les chaudes doudounes, nous envions les bras nus des enfants qui jouent, rouges de chaleur...

À partir de Deer Lake, il a commencé à faire bon, le ciel s'est dégagé, et après Corner Brook, le terrain est devenu très collineux. Le relief s'est accentué, petites montagnes toujours recouvertes de forêts, avec des lacs dans chaque creux comme des bijoux dans des écrins, lovés dans des endroits que l'on découvre au dernier moment, taches de lumière dans l'immensité forestière. Tel un immense serpent dans ce paysage démesuré, la route trace. La circulation est beaucoup moins dense et nous sommes bien, avides de ces grands espaces. Nous passons notre dernière nuit à Saint Andrews chez deux jeunes filles Warm Shower où la soirée fut fort agréable. Derrière les baies vitrées, le vent fait rage et la rivière est bien mouvementée, les arbres se balancent et la pluie dégringole.

Il nous restait 30 bornes ce matin pour rallier Port aux Basques dans le brouillard et l'humidité, mais heureusement vent en poupe. Le ciel se dégage alors en quelques dizaines de minutes et nous quittons Terre-Neuve sous le même soleil radieux qui nous a accueilli. Port aux Basques, comme toutes les bourgades de cette île est composée de petites maisons colorées. Juste avant le bout de la route et notre ferry, nous avions le choix entre aller à l'Isle aux Morts ou Apoile Rose-La Blanche. Sept heures de traversée au programme. Sac à beurrrrk ou pas sac à beurrrrk ?

Les images ici.

 

Les Amériques à vélo couché : Nouvelle Écosse - Nouveau Brunswick

Tout est nouveau ici : l'Écosse, le Brunswick, Glasgow... Les colons soit n'avaient que peu d'inspiration, soit voulaient reproduire à l'exact et peut-être avec nostalgie ce qu'ils avaient quitté.

Bien. Le début de la traversée entre terre Neuve et Sydney est houleux. Dès la sortie du port je m'applique à respirer profondément et à fixer l'horizon. C'est long 7 heures. Après déjà deux ou trois heures, les vagues sont un peu moins creuses et je trouve la force d'aller jusqu'à l'arrière du bateau où je suis moins brassée. Une demie-heure avant de débarquer j'ai même faim, et avale quelques tartines que Claire me prépare avec soin. Pas sac à beurrrkk ! Gagné !

Nous voici en Nouvelle Écosse sur l'île du Cap Breton. La maison de nos hôtes est à 23 km, mouahaha, qu'il faudra refaire à l'envers. J'y reste deux nuits. Avec Claire, nos chemins se séparent momentanément ici. Non non, on ne s'est toujours pas foutu sur la gueule, mais Cap Breton c'est le spot mondial de la musique irlandaise et Claire va donc aller de session en session pendant une semaine, revenir sur ses pas parfois, puis voir des amis à Halifax. Je décide de suivre un autre itinéraire. Elle connaît la Gaspésie, moi non. Rendez-vous est pris pour le 30 juin au soir quelque part le long du Saint Laurent.

La journée de repos à Sydney m' a été très profitable, nos hôtes attentionnées m'ont bichonnée et je pars en pleine forme. Le tour du Cap Breton à vélo est (soit-disant) l'une des 10 plus belles randonnées cyclistes au monde, pas moins. Premier jour avec une météo parfaite, je me régale et bivouaque sur la plage dans une véranda en moustiquaire d'une maison plus ou moins abandonnée. Fantastique, la baie d'Ingonish dans toute sa splendeur. Si les entrées de parcs nationaux sont gratuites cette année au Canada, les campings eux, sont très chers et le bivouac sauvage est interdit. Je suis entrée dans le PN du Cap Breton mais en suis ressortie pour dormir. Depuis la véranda-moustiquaire que j'ai dégoté pour la nuit, les lueurs crépusculaires sur la baie d'Ingunish me laissent bouche bée. Le « Cabot trail » est effectivement très beau, 250 km très vallonnés, voire montagneux pour faire le tour de ce Cap. Il faut un peu d'énergie quand même, les montées y sont rudes et fréquentes. On ne fait pourtant qu'effleurer les 500 m d'altitude. Les paysages sont très beaux. Ici, c'est la pleine saison de l'explosion des verts, les feuillus sont dans tous leurs états, mélangés aux épicéas, et ce, jusqu'à l'océan d'un bleu profond. La côte est belle, tout est spectaculaire. Je croise Claire peu avant ma sortie du parc, nous sommes en avance sur ce qu'on avait prévu, et pressées l'une comme l'autre de terminer notre étape ! On aurait du se croiser un jour plus tard. Je passe la nuit à l'entrée du parc national avec la bénédiction du garde.

Le lendemain, ma route longe plus ou moins la côte, belle encore, petite route agréable posée sur le terrain et qui en épouse bien tous les reliefs. Chéticamp me laisse sous le charme, petit port de pêche, maisonnettes colorées et éparpillées le long de l'axe principal. En fin d'après midi, une femme rencontrée à la superette de Mabou m'offre l'hospitalité et m'installe dans une dépendance à hauteur des frondaisons denses, où je dispose de quasi toutes les commodités.

Le lendemain, arrivée à Afton, je suis logée chez Jack du réseau Warm shower, un Néerlandais installé ici depuis 24 ans, marié à une indigène. Les Mi'kmaw sont arrivés ici il y a plus de 10 000 ans, par l'Ouest et le détroit de Béring. Ils se sont d'abord installés en Gaspésie, puis en Nouvelle Écosse, Ile du Prince Édouard et une partie du Nouveau Brunswick et de Terre Neuve. Ils parlent une langue algonquine et sur les 20 000 indigènes restants, environ 1/3 la parlent toujours. Leur mode de vie d'antan était le même que les peuples sibériens : chasse, pêche, commerce de peaux contre objets en métal (couteaux, chaudrons...). Jack tient une minuscule boutique de cigarettes détaxées. Les « native people » ont quelques avantages de cette sorte après avoir été bien spoliés par les colons. D'ailleurs dans le journal du lendemain un dessin humoristique montre un indigène, boulet au pied, pour fêter les 150 ans de la naissance du Canada. Ils habitent dans des « réserves », eh oui... Ils sont très typés, foncés de peaux, et comme partout ailleurs, sont un peu les « laisser pour compte » de la société. Ce n'est pas un scoop.

Antigonish, New Glasgow, Pictou, River John, Tatamagouche, Wallace, Miramichi, Petit Rocher, Belledune, Shédiac, Campbellton... les noms se suivent et ne se ressemblent pas. Des étapes d'une centaine de kilomètres depuis Sydney me permettent d'allonger le trait régulièrement sur la carte que je stabylote chaque soir avec délectation. Parfois pourtant une demie-journée de pluie me donne une bonne occasion pour me reposer un peu. J'ai l'occasion aussi de franchir quelques ponts monumentaux, comme celui du Bras d'Or ou de Miramichi, appelé le pont du centenaire.

La côte que je longe est sauvage et belle, pas très peuplée. Les forêts ou les champs viennent jusqu'à l'eau et des maisons colorées égayent le littoral. Des baies douces à l'eau peu profonde, entourées de marais et peuplées de nombreuses espèces d'oiseaux me font tourner la tête souvent. Les propriétés ne sont pas délimitées par des haies, et encore moins des murs, l'espace est ainsi ouvert et joli à regarder. Après chez Jack, j'ai dormi dans un cabanon chez des particuliers, puis dans une salle inoccupée d'un B&B où j'ai déroulé mon matelas, bien contente d'être à l'abri de la pluie et au chaud. La nuit d'après, j'ai reposé mes jambes dans la caravane de Steve et Natalie avec qui j'ai passé une excellente soirée, puis chez James, un Warm shower chez qui j'ai dégusté du homard. Il faut dire que Shédiac est la capitale mondiale du homard et ils en mangent comme on avale une saucisse de Morteau ou un Mont d'Or.

Je suis arrivée en Acadie, les gens parlent français mais j'ai parfois des difficultés à les comprendre. Oh l'accent est délicieux et les expressions me font sourire.

Sur la route, déjà deux crevaisons et un pétage de câble (de dérailleur arrière). Sauf que mon câble de rechange était 10 cm trop court, quelle négligence de ma part ! Donc 40 km sur le petit pignon et heureusement encore, une grosse bourgade se trouvait là, avec un vélociste fort sympathique !

Au Nouveau Brunswick, les secteurs de la pêche, médicaux et du tourisme semblent être les plus gros pourvoyeurs d'emplois. Avant, il y avait des papeteries, comme à Terre-Neuve.

Arrivée à Bathurst, j'ai pris la route de la côte acadienne, l'océan est là tout près mais ne fait pas de vagues. Je longe en fait la baie des Chaleurs et en ces jours orageux elle porte bien son nom. J'essaie de passer entre les gouttes, n' y parviens pas toujours. Certains villages parlent majoritairement Français, d'autres sont anglophones, mais dans tous les cas, comprendre les gens demande une certaine attention. Accent à couper au couteau... À Belledune, je longe un port industriel énorme puis une scierie toute aussi importante. Je ne peux m'empêcher de penser encore à ce documentaire qui maintenant date un peu : « L'erreur boréale », qui traitait du problème de déforestation massive au Québec. Derrière les 40 mètres de forêt le long des lacs et des routes, les vues du ciel montraient une terre totalement dévastée dans des concessions données par l'État à des entreprises qui négligeaient de replanter correctement et se trouvaient surpris, un jour, de toucher la concession voisine. Il doit encore être visible en libre sur internet. Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui de la politique forestière mais il y a deux décennies, c'était grave.

La baie des Chaleurs fait partie du gigantesque golfe du Saint Laurent, séparé de l'océan par Terre-Neuve et deux passages : les détroits de Belle-Isle au Nord et de Cabot au Sud. (que nous avons franchi en bateau il y a maintenant 10 jours). De Belledune, je vois l'entrée de la baie des Chaleurs, entre la péninsule de Gaspésie couverte de montagnes et l'île Miscou.

Montréal et Québec sont à l'Est du Canada, mais je suis encore à l'Est de ces deux villes. À Campbellton avant de rentrer dans la province de Québec, j'ai déjà 2300 km au compteur. Cette ville aussi possède son grand pont, qui ressemble un peu aux précédents, métallique. À l'heure où ils ont été construits, il y a longtemps que la construction en pierres avait été abandonnée outre Atlantique. A l'autre extrémité du pont, je serai dans la province du Québec, prête à affronter les montagnes russes de la péninsule de Gaspé et à longer les Monts Chic-Chocs.

A bientôt.

 

Les Amériques à vélo couché : Gaspésie

 

7 h 45 en ce 22 juin, je passe sur le pont de Campbellton. De l'autre côté, il n'est encore que 6 h 45. Décalage d'une heure entre les deux provinces. Me voici à 6 heures de différence avec Paris. Le vent me pousse gentiment, je laisse tourner les jambes sans forcer, je sais que je ferai long. La route 132 longe le littoral et me rappelle mon voyage entre Dunkerque et Gibraltar, au plus près de l'eau. Ici aussi, l'eau est à ma droite. De l'autre côté de la baie des Chaleurs, où j'étais avant, je vois la grande cheminée du port de Belledune. Je m'arrête à Caspédiac et suis logée chez Andréa et Z et bichonnée encore. Leur maison surplombe l'océan et le matin, devant mon bol de céréales, je vois les ballets des pêcheurs. Je décide, le lendemain, de foncer à Percé pour voir le rocher éponyme, avant l'arrivée des nuages. 104 km, vent légèrement défavorable, j'appuie sur les pédales et fais bien car à une demie-heure près, je n'avais plus le ciel bleu. Percé est très touristique, tout ça pour un bout de calcaire qui se dresse dans l'eau, certes très photogénique. La curiosité, le site phare de la Gaspésie. Ok je le concède, ça vaut le coup d'oeil. Par la fenêtre de la caravane où je dors, je vois les pêcheurs à la ligne par dizaines, postés stratégiquement là où se mélangent l'eau douce de la rivière à celle, salée, de la mer.

J'arrive à Gaspé trempée de pluie et profite d'une accalmie pour faire sécher un peu les sacoches et manger avant de continuer. Plus loin, la préposée à l'entrée du parc national de Forillon veut m'héberger mais il me faudrait refaire 10 km à l'envers, je décline et trouve à Cap aux Os un abri municipal ouvert au tout venant. Ce n'est pas encore ce soir que je monterai ma tente. Les journées sont belles. Je fais beaucoup de kilomètres mais tant que mes conditions de récupération sont ce qu'elles sont, ça ira. Pas de tente à monter, pas de bataille à livrer avec les maringouins, pas de position de contorsionniste, bref, un minimum de confort, je ne vais pas cracher dessus. Et puis des contacts avec la population locale... Depuis que je suis dans la province de Québec, le jour est levé à 4 h et se couche vers 21 h 30. Et aujourd'hui 24 juin, c'était la fête « nationale » du Québec, tout était fermé.

Forillon est le nom du parc national qui prend place tout au bout de la pointe de Gaspésie, l'endroit est beau et je pose le vélo un moment, chausse les baskets et monte à la tour d'observation panoramique qui se dresse en haut du Mont St Alban à 300 m d'altitude. De là, je vois le rocher Percé et Gaspé, mais même en scrutant bien, je ne vois pas le rivage de l'île Anticosti. Combien de détours à contourner des baies et des anses ai-je fait ? À partir de là, le terrain change vraiment, les bosses deviennent sévères et se suivent à un rythme effréné, et à partir du Cap des Rosiers, je prends le vent de face. Je longe le détroit d'Honguedo. La Gaspésie fait le dos rond, ce dos que je vois comme la rive sud de l'énorme fleuve Saint Laurent et je me demande si je serai capable de voir, dans les prochains jours, la rive nord, la côte du Labrador. À Cloridorme, je monte ma tente et bivouaque, ça faisait longtemps... Je longe les monts Chic-Chocs, densément boisés, verts. La route est exigeante, les villages de pêcheurs au fond des anses sont séparés par des falaises que la route gravit à chaque fois. Ce ne sont pas des côtes, ce sont des rampes, voire des murs qui m'obligent à mettre pied à terre et pousser ma monture. Je n'ai pas choisi l'itinéraire le plus facile, c'est le plus long, celui qui cumule le plus de dénivelée positive, mais le plus beau. Si par hasard la route fait une incursion un peu à l'intérieur, alors je vois des petits lacs dans chaque creux. La côte est relativement habitée et les villages se suivent d'assez près mais l'intérieur est une nature sauvage, entière. Rien ni personne. Le royaume des ours noirs, des lynx, des cougars, des coyotes, des orignaux ( un spécimen a déboulé du bois sur la petite route du parc trente mètres devant ma roue et a traversé la route après m'avoir regardée, je m'étais arrêtée immédiatement et ne bougeais pas, je n'étais pas très fière). A l'Anse Pleureuse, après une étape de 68 km qui en valaient au moins le double, je capitule et me repose quelques heures. Ces endroits sont charmants, les petits phares jalonnent le littoral, pas très hauts mais joliment posés sur les caps minuscules.

Le jour suivant, le vent est moins violent et le terrain plus conciliant. Après être passée hier à l'Anse du Griffon, Manche d'épée et Sainte Madeleine de la Rivière Madeleine, je traverse aujourd'hui Saint Maxime du Mont Louis, Mont Saint Pierre, Rivière à Claude, Ruisseau à Rebours, La Martre, Le cap au Renard, Tourelle, Sainte Anne des Monts, Cap-Chat, Capucins. Tous ces noms me font sourire et s'accordent parfaitement avec l'espèce de bonhomie que dégagent l'attitude et le parler des gens d'ici. Certains endroits de la montagne sont déboisés, je me renseigne : coupes à blanc non replantées suite à des épidémies de tordeuse. À part ça, la forêt nationale est exploitée par des entreprises privées, par concessions cédées pour le dollar symbolique, qui encaissent les bénéfices et touchent des subventions de la part de l'état pour replanter... Cherchez l'erreur ! Les agriculteurs ont quasi disparu de la région qui est principalement habitée par des retraités. Aucune industrie, population vieillissante, la morue a quasi disparu des eaux du fleuve. Reste le tourisme.

Depuis Sainte Anne des Monts, le nom des établissements en tous genres en bord de route a changé. Au lieu de voir « La réparation automobile gaspésienne », je vois le « Garage du Saint Laurent ». Au lieu de voir « la cantine de Gaspésie », je vois « la cantine du Saint-Laurent ». J'ai en quelque sorte changé de région, pourtant sur la carte, je suis encore en Gaspésie. Mais je suis le long du fleuve, l'eau est encore un salée, peut-être suivant les marées. La côte en face, que je ne vois toujours pas, est à 60 km. À Capucins, je suis dans le dernier village de Haute Gaspésie, demain dès les premiers kilomètres, je passerai dans la zone appelée « La côte ». Avant, il y a eu « La pointe » et « La baie des chaleurs ». Les couchers de soleil sont magnifiques ces jours. La Gaspésie est en fait l'extrémité des Appalaches.

Matane, Rimouski. Je suis sortie de la Gaspésie et retrouve ma coéquipière pour une petite journée. Nous pédalons ensemble jusqu'à Trois Pistoles et nos chemins se séparent à nouveau. Claire file vers Québec et Montréal comme prévu pour y être le 5 juillet au soir. Nous sommes le 1er juillet, jour de fête nationale du Canada, 150 ans. Ce matin, je devais prendre le traversier pour passer rive nord du Saint Laurent, dans le but de faire le tour du fjord de Saguenay et de rejoindre Québec par la petite région appelée « Charlevoix ». Le bateau est annulé. Le prochain sera demain matin. Jour de repos !

 

Les Amériques à vélo couché : Saguenay-Québec

 

Le traversier est parti de Trois Pistoles le lendemain comme prévu. Dans la brume. Visibilité à 300 mètres. N'empêche que les marsouins étaient au rendez-vous quand même et les blancs bélugas aussi ! Arrivée sur l'autre rive du Saint-Laurent aux Escoumins, les bosses ne se font pas attendre, et comme à Paris, Sacré-Coeur est en haut d'une côte. La route qui longe le fjord sans jamais le laisser voir est magnifique, remonte la vallée de la rivière Sainte Marguerite, classée en zone de pêche pour les saumons. C'est la pleine saison et les taquineurs sont nombreux à lancer leur mouche. Je m'installe pour bivouaquer et me fais virer par un garde : toute la rivière est protégée, je suis bonne soit pour payer, soit pour refaire 20 bornes. J'ai du mal à comprendre la logique, si je paie je ne suis pas nuisible, ça doit être ça. Je remets tout sur le vélo et finalement, trouve un endroit mille fois mieux à la sortie de la zone.

À Saguenay, pour une raison inexplicable, je décide de faire le tour du lac St-Jean. Autant en profiter puisque je suis là et que j'ai du temps. C'est sûrement que j'avais envie de voir à quoi ressemble cette région agricole où poussent notamment des fraises, des patates et surtout des bleuets. Bleuet est ici le nom des myrtilles. Après avoir passé la rivière Mistassini à l'endroit de sa 9eme chute, je découvre enfin les champs entiers de bleuets. Les gros producteurs ont mangé les petits, les fruits sont ramassés mécaniquement avec des tracteurs équipés d'outils appropriés et sont transportés pour la plupart dans une grosse usine de tri et traitement à St-Bruno, où je dormirai une nuit. Les bleuets sont ensuite expédiés congelés pour être utilisés et vendus tels quels ou transformés. Mais là, ce n'est pas la saison du tout.

D'origine glaciaire, le lac St Jean fait 1000 km², soit quasi le double du Léman, mais il est peu profond et n'est pas entouré de hautes montagnes. Plusieurs rivières l'alimentent mais pour sortir et rejoindre le Saint-Laurent, l'eau doit passer par le fameux fjord de la rivière Saguenay, tandis que les routes d'accès sont toutes plus montagneuses les unes que les autres.

C'est un bien grand détour que j'ai fait là (600 km), pas tout à fait un aller-retour mais pas loin. Partout et encore j'ai trouvé des gens fort sympathiques qui m'ont laissé un coin de pelouse pour camper voire un lit parfois, et avec qui discuter un peu. La région Saguenay Saint-Jean (200 000 hab) est capable de quasi s'autosuffire. Il y a des industries, des cultures, les gens originaires d'ici ont une forte identité et il n'est pas besoin d'aller à Québec ou Montréal, tout se trouve sur place. Il faut dire que les accès ne sont pas forcément aisés.

De Saguenay, plusieurs itinéraires s'offrent à moi pour rejoindre le bord du fleuve et Québec. « L'autoroute » avec larges accotements mais aucun village, la route historique déserte et sans bordure dont les côtes font chauffer les moteurs des berlines, ou alors la route du fjord, longue, très vallonnée aussi, jolie, variée et jalonnée de villages. Il se trouve que la famille des amis d'une amie habitent à 15 km de La Baie, le long du fjord et j'y suis attendue. Jean Christophe et Guylaine habitent une maison incroyable dans un endroit tout aussi incroyable. Baies vitrées de ouf, on croit vivre dehors, pièces immenses, très hautes, un espace lumineux de verre et de béton brut qui donne droit sur la baie du Saguenay, la forêt et les montagnes en face. Pas de bruit de route, rien que le clapotis de l'eau et la pêche blanche l'hiver quand le fjord est pris par la glace. Cela doit être tellement beau l'hiver ou quand les éléments se déchaînent.Un havre de paix. Bientôt ils déménageront cependant pour intégrer l'éco-village juste à côté. M'arrêter là après toutes ces journées et nuits bruyantes me fait le plus grand bien. En face un peu en avant, il y a Sainte Rose du Nord où je suis passée il y a quatre jours.

Le lendemain, je me sauve du danger de m'installer là en partant tôt, alors que le brumisateur est en route sur la région. Petit Saguenay, je me déroute à peine, c'est de là qu'on voit le mieux le fjord, droit dans l'enfilade, et ça vaut le détour. On m'avait annoncé un régime de bosses infectes mais finalement le découpage de mes étapes (fruit du hasard) ne va pas mal. Oh, il ne faut pas se méprendre, j'ai régulièrement plus de 1000 m en positif pour finir le soir à la même altitude que le matin, mais ma foi les jambes se sont accoutumées à l'effort quotidien et en passant les reliefs et les rampes sans m'affoler, je me ménage.

Saint Siméon, je retrouve le Saint-Laurent comme je l'avais quitté, dans la brume, qui se limite à quelques centaines de mètres le long du fleuve. La Malbaie, Baie Saint Paul, Saint Féréol Les Neiges, entre chaque village, je passe à plus de 500 m d'altitude, … et redescends au niveau de l'eau. Orages et averses font partie du quotidien mais la température permet de ne mouiller rien d'autre que les habits courts et légers qui sèchent vite ensuite. Et les Tim Hortons, une espèce de McDo en pas pire avec wifi libre me permettent de me connecter régulièrement pour faire halte de temps en temps chez des « Warm showers » où je suis toujours très bien reçue.

Dernière petite étape avant Québec. Je quitte la jolie maison de Dominique, passe à la chute Montmorency et en reprenant mon vélo... mince, à plat à l'arrière. Démontage, rien de grave, mais là je me rends compte que ma cassette/pignons danse la carmagnole. En face le grand pont qui permet l'accès à l'île d'Orléans et ses cultures de fraises, patates et autres, s'élance par dessus un bras du Saint-Laurent. À partir de là, je crois qu'on peut parler de rivière même si à Québec, il y a encore un traversier pour rejoindre l'autre rive. À peine plus au sud, on trouve des ponts. À Québec, mon warm shower habite dans le quartier Limoilou, à deux pas du centre. Une coloc de jeunes dans un bâtiment « les pénates » qui est une coopérative. L'un d'eux est cocher et promène les touristes, un autre fait une thèse en sociologie, un autre encore travaille dans une radio locale engagée, une autre est à « l'école de la vie ». Que de richesses et de diversité, et ça fait un bien fou. Dès mon arrivée on me dit que je peux rester là autant que je veux. Simon m'accompagne et me fait découvrir sa ville et le repas commun est partagé dans la bonne humeur. Je vois un vélociste à deux pas qui resserre ma cassette, me voici soulagée.

Québec, les ruelles et les églises recyclées en bibliothèques, les petits endroits conviviaux mais aussi ce que tous les touristes ne peuvent manquer, la rue Saint-Jean, le château de Frontenac, la vue sur la ville et le Saint-Laurent depuis la citadelle, le bassin Louise... Et puis c'est le festival d'été, deux semaines de festivités, des spectacles la journée dans la ville haute et des concerts le soir. Je ne m'y installe pas pour autant, mes semelles sont de vent.

Dans quelques jours, Montréal...

 

Les Amériques à vélo couché : Québec – Frontière US Vermont

 

La coloc qui m'accueille occupe le bâtiment d'une ancienne usine de découpage de viande. Reconversion réussie. Charpente métallique et tuyauterie en partie apparentes donnent un look vintage que j'aime beaucoup. Le tout au cœur du quartier Limoilou, très en vogue actuellement. Dans le temps, c'était le quartier où se situaient les usines et les logements ouvriers. À Québec, j'ai vu des rues aux façades colorées, d'autres en pente, des remparts, des touristes par centaines qui mangent des glaces pour se donner l'illusion de se rafraîchir sous le ciel lourd à la limite de craquer en orage, des vues superbes sur le fleuve roi, celui qui a vu arriver les Français et les batailles contre les Anglais. D'ailleurs dans les jours suivants, sur ma route vers Montréal, je traverse tous les villages historiques, avec des vestiges de fortifications. Sur le fleuve passent les super tankers, devant les maisons, des pancartes « Viens pas couler chez nous ! » et d'autres qui protestent contre ce que je comprends être un projet de pipeline. Pour remonter le cours, les bateaux changent de main, les capitaines du Saint-Laurent prennent la relève et assurent le pilotage, extrêmement délicat. Les hauts-fonds sont nombreux, le chenal de navigation étroit et parfois entre des zones de petits rapides. Il faut tenir compte des marées qui se font sentir encore même si l'eau n'est pas salée ou alors si peu qu'on n'en sent le goût. Les bateaux peuvent ensuite remonter très loin dans les terres américaines par les grands lacs. Justin, le contact de la coloc de Québec chez qui je dors une nuit à Deschambault me dit qu'à partir de la confluence avec le Saguenay, l'eau n'est plus salée. Justin me dit aussi que depuis deux ans qu'il habite ici avec sa famille, deux supertankers sont restés pendus. Et je connais tout de la fabrication du sirop d'érable, le géant barbu et chevelu n'a pas été avare de détails et sa production est délicieuse.

Pour me rendre à Montréal, je prends la route 138 qui longe le fleuve. Elle est tranquille car parallèle à une autoroute qui absorbe une grosse partie du trafic, et celui des poids-lourds en totalité (mais assez loin pour ne pas la voir ni l'entendre). Et je vois les supers tankers. C'est plat, c'est bien pour mes jambes après toutes les bosses du Charlevoix. Toutefois pressée d'arriver à Montréal chez Marie et Guillaume, j'irai jusqu'à faire une étape de 160 km, profitant d'une température fraîche et d'un vent nul.

Je maîtrise de mieux en mieux le Québécois, les « cââââlice », « tabernac », « crisment », « char, noirceur, brunante et astheure (à cette heure), maringouins, barguiner, maganer, débarbouillette » n'ont plus de secret pour moi. Et je sais bien dire « Bon jour » quand je m'en vais, en guise de « Bonne journée » et emploie le « scorrec » pour « c'est correct » qui veut dire « ça va » à toutes les sauces. Il faudra tout de même que je finisse par goûter de la poutine.

La Rivière des Outaouais vient grossir les eaux du Saint-Laurent en amont de Montréal. La première se divise en Rivière des Mille Îles et Rivière des Prairies. Entre les deux il y a Laval (île Jésus), tandis qu'entre le Saint -Laurent et la Rivière des Prairies se trouve l'île de Montréal. Elle est grande cette île, et très peuplée. Je m'y suis arrêtée deux jours et demi chez Marie et Guillaume. Je n'ai pas vu le temps passer, j'ai été chouchoutée encore. Qu'écrire ? Je vais me perdre dans les superlatifs. J'ai marché dans la vieille ville, sur les quais du vieux port, écouté Dju (groupe musical de Montréal) sur la place d'armes et gravi le Mont Royal, ça ne peut pas se louper. De là haut, la vue sur les buildings de la ville est belle.

Je suis partie le matin du 16 juillet de Montréal. Et contrairement à mon idée première qui était d'aller passer pas très loin de Ottawa, je vais partir vers le sud et passer la frontière avec les Etats-Unis (enfin... j'espère). Le but est d'aller visiter un peu le Vermont et les White Mountains du New Hampshire. Ensuite je toucherai l'océan dans le sud du Maine vers Portland pour revenir couper le Saint Laurent dans l'état de New York en passant par les Adirondack Mountains. Sortez l'atlas ou connectez vous sur Google maps ! Encore un joli détour en perspective, qui devrait m'offrir d'autres paysages pour un temps.

Toutes les photos de cette partie canadienne sont dans la galerie.

 

Les Amériques à vélo couché : États-Unis part one. (New York, Vermont, New Ampshire, Maine)

 

Plus je me pose longtemps à un endroit, plus il m'est difficile d'en partir. Ça dure 100 mètres... et je suis de nouveau dans mon voyage. J'étais bien chez Guillaume et Marie. Me voici donc partie de Montréal par le magnifique pont Jacques Quartier qui m'offre une belle vue encore sur la ville, les quais et les buildings. En fin de journée je me présente à la frontière des États-Unis. Je n'ai pas de billet de retour en France ni même de preuve de sortie de territoire. Le douanier me pose mille questions sur un tas de choses, je lui explique mon voyage, ma vie, mon projet, mon itinéraire... Il veut tout savoir, si j'ai de quoi assurer au niveau financier, pour quelle date dois-je être de retour pour travailler en France, je ne brille pas. Après 20 minutes et avoir répondu trois fois à chaque question, je le vois qui se déride un peu, devient presque souriant et sympathique. Il me dit qu'il comprend ce que peut être un voyage à vélo au long cours, qu'il me pense honnête, et après que j'aie rempli la fiche verte, abat enfin le tampon convoité dans mon passeport. Et me souhaite bon voyage avec un grand sourire. OUF !

Me voici aux États-Unis. État de New-York. Pas longtemps, 2 km et je passe dans le Vermont sur un grand pont. C'est un petit État où les types ont des salopettes et des grandes barbes et font pousser des légumes bio, roulent en Dodge et s'écartent bien quand ils me doublent sur les petites routes sans accotement. Je traverse une partie du lac Champlain dans la longueur, 6 ème étendue d'eau douce des États-Unis, par les îles au milieu. Paysages somptueux, circulation calme, macadam nickel. Les îles sont reliées les unes aux autres par des ponts. Le lac Champlain fait quatre fois le Léman en superficie. Sur la carte ici, c'est une flaque d'eau, mais qu'elle est belle ! Axe de communication entre le Saint-Laurent et l'Hudson, il est d'origine glaciaire, à 30 mètres d'altitude. Il abriterait un monstre mythique mais je ne l'ai pas vu !

Les paysages du Vermont sont des collines verdoyantes arrondies, pas trop agricoles mais un peu quand même (mélange d'élevage et de cultures), pas trop forestières, je vois parfois loin, c'est assez ouvert et des montagnes plus hautes me barrent l'horizon. C'est évidemment là que je me dirige ! Une femme m'offre comme ça une cannette de Canada dry, une plaque de chocolat et me prend dans ses bras. J'étais en train de pique-niquer. Le tout a duré 30 secondes. Que, qui suis-je pour ces gens là, qui n'ont que deux semaines de congés par an, comme au Canada ? Une incarnation du rêve, du courage, de la liberté ? Un type me demande si j'ai besoin de quoi que ce soit, renseignements ou autres. Tout le même jour. Ça fait bientôt deux mois que je fais une overdose de gens gentils, que je suis comblée de gentillesse et de bonnes intentions, pareil pour mes hôtes Warm Shower.

Je suis alors allée un peu dans les montagnes, histoire de voir. C'était beau. Ensuite, je suis passée à Montpelier (ici ça s'écrit comme ça), minuscule capitale d'État, puis à Lisbon, Naples et Raymond. Atteindre Bethlehem (pareil) s'apparente toutefois à une montée au Golgotha. Enfin... entre temps il y a eu les White Mountains et un col. Oh c'est très touristique, train panoramique, stations de ski, cascades, sentiers de randonnée, complexes démesurés. Le Mont Washington, le plus haut, culmine à 6288 pieds. Ah ah oui, parce qu'ici on parle en galons (environ 4 litres), en pieds (3 et des brouettes dans un mètre), en acre, en miles, en pounds, en Fahrenheit... Et des pieds carrés, combien y en a t-il dans un acre hein ? Des yards dites-vous ? Mon compteur est toujours en kilomètres, ça va plus vite que les miles, et je paie en dollars.

Les orages ont laissé la place à une chaleur caniculaire avec des températures ressenties données à 38 degrés Celsius. Hum, donc les bivouacs sont délicats. Au choix : je reste dehors mais me fait bouffer par les suceurs de sang à travers pantalon et chemise longue dès que le vent tombe, soit je me rentre dans ma tente et me liquéfie... Ultime solution : m'asperger de DEET, qui bouffe même le plastique mais fait fuir les bestioles. La température de l'eau des nombreux lacs sur mon itinéraire est indécente. Là où je peux, je m'arrête piquer une tête. Là où je peux ? Euh oui parce que soit les bords de lac sont des propriétés privées, soit tout est récupéré par des pseudo parcs machin, bref temples de consommation encore, où les obèses arrivent en monstrueux 4 x 4 et se ruent sur des glaces et autres Coca. Je fuis. Enfin... non, pas tout à fait encore. Entre Portland et Kennebunkport (oui oui, là-même où Bush possède une maison mais je m'en tape!), c'est la côte d'usure entre le 14 juillet et le 15 août, je ne vous fais pas de description détaillée des différents comportements, c'est ni mieux ni pire. À quelques encablures, le long des réserves fauniques, marais et roselières sillonnés de canaux paisibles, il fallait se gaffer des traversées de tortues et deux bornes plus loin, des orignaux ! Qui l'eut cru ? Et mon premier serpent écrasé (pas par moi !).

Bon, pour la nuit suivante, je sors de la route principale et vais dans un petit village où j'installe ma tente à proximité des terrains de sport déserts. Mais là, comme à chaque fois, j'aurai la visite de la police, alors parfois à 19 heures, mais ici à 23 heures, alors que j'avais justement signalé ma présence dans le but même d'éviter ce genre de désagrément. Oh rien, contrôle de passeport, quelques questions dont la plus importante : quand et par où sortirez-vous des États-unis (itinéraire) ? Je viens visiter leur pays et y dépenser mes devises et tout ce qu'ils trouvent à me demander est quand est ce que vous vous cassez de chez nous et par où ? Ils sont sur les dents et me cassent les pieds. Qu'ils se rassurent je ne compte pas passer ma vie dans ce genre d'endroit où visiblement la délation fait partie du quotidien. Des étendards étoilés petits ou énormes flottent au vent, sur les balcons, dans les rues, les pots de fleurs, sur les places, dans les commerces, sur les casquettes, partout. La Suisse est gentille à côté et sur certains bâtiments que je pense municipaux, flottent des bannières à l'effigie du type à la mèche blonde. Ah l'Amérique !Retourner dans le Vermont, vite ! Nan mais quand même il y a des gens gentils, ils sont un peu noyés mais il y en a. Les McDo, KFC, Subway, machin Donuts, Urban quelque chose se succèdent. Pas un paquet de pâtes à l'épicerie mais un rayon entier de biscuits, un autre de bonbons en tous genres, un autre encore de chips, puis les sauces, gâteaux salés, PQ et clopes. Les frigos sont emplis de boissons gazeuses sucrées, mais de yaourt ou de fromage que nenni ! Ah l'Amérique !

Les motards tatoués roulent en débardeur et sans casque sur des Goldwin, des Harley, des Indian Roadmaster, des choppers démesurés, les bras à la verticale et les pieds loin devant dans des bottes à bouts pointus et relevés. Aucune moto de vitesse, non, sacoches en cuir clouté et lanières en bout de guidon qui flottent au vent, comme les cheveux et les rouflaquettes. Bandeau sur le front ou bandana comme les écumeurs des mers. Ah l'Amérique ! Ils vont tranquille et sont cools. Et pour moi, petit escargot avec ma maison dans mes sacoches, les accotements sont parfois si larges qu'on pourrait y faire passer un peloton entier, même si sur d'autres tronçons, ils sont carrément absents.

Je comptais piquer une tête dans le lac Winnipesaukee, magnifique et que je devine sauvage... en d'autres saisons. Mais là non c'est pas possible, quand il y a une plage publique il y a des gens qui agitent des drapeaux et alpaguent le client pour qu'il vienne garer son énorme caisse sur son parking déjà bondé, à prix fort. Je ne me suis même pas arrêtée prendre une photo, la foule entassée... mais ce lac découpé, immense, et saupoudré de plein d'îles boisées avec les White Mountains en multiples arrière-plans est une petite merveille. M'en aller, m'en aller plus loin. Sur une dizaine de kilomètres, la route est jalonnée de sacs poubelles de grande contenance, pleins, tous les cinquante mètres des deux côtés. Je me demande qui a bien pu mettre ça là, est-ce une forme de manifestation quelconque ? Ah non, je comprends un peu plus loin, une armée de gilets fluo ramasse les détritus, cannettes Red Bull, gobelets en carton McDo ou Subway et autres emballages dégueulasses dont les automobilistes se débarrassent. Volume impressionnant. Ah l'Amérique !

À la vitesse moyenne de 20 km/h, je passe en spectatrice et sans faire de bruit. Discrètement. Mon œil et mon esprit sont en éveil, je ne suis que spectatrice, le monde est ainsi fait, mon cerveau a de quoi turbiner, je ne laisse rien paraître. Sourire et passer, répondre avec patience aux gens qui me questionnent sur l'engin bizarre qui me transporte ou mon voyage. On me respecte sur la route et personne n'a été désagréable avec moi jusque là alors...

Il me faut quitter cette zone des lacs pour enfin retrouver un peu de calme et des gens adorables à East Grafton, Lebanon, Middlebury, Lake Placid... Sous la chaleur caniculaire, j'ai du mal à prendre au sérieux les panneaux « attention skidoo » et les engins garés devant les maisons me font sourire. Ah oui, saisons très marquées, l'hiver peut être sévère mais les tomates poussent bien en été.

J'ai croisé les Green Mountains lors d'une journée entière passée sous la flotte et le lendemain je revois le lac Champlain dans son extrémité sud avant d'entamer la traversée des Adirondacks. Le ciel a bien du mal à se montrer sous son meilleur jour : couvert et gris, bas. Dommage, l'arrivée sur Lake Placid est aussi belle que difficile, les hauts sommets et falaises bordent la route qui monte, qui monte... J'immortalise les tremplins olympiques et le panneau à l'entrée de la ville. Montréal, JO d'été 1976, Lake Placid, JO d'hiver de 1932 et 1980, j'arrive toujours trop tard ! Lake Placid est une bourgade minuscule (2000 hab) qui triple sa population en période estivale. La région est très belle, canotage, sup paddle, vtt, rando, ski, ce ne sont pas les moyens de se défouler qui manquent. Montagnes densément boisées, lacs et lacis de rivières tranquilles, tourbières. De l'eau et du bois.

Pour monter à Lake Placid, alors que la journée s'annonçait déjà à 109 km et 1331 m de positif, je me goure de route, demande mon chemin. Les ouvriers me disent de continuer, que ce sera beaucoup plus plat par là. Ok, tout va bien. Résultat des courses : 15 km et 100 m de dénivelée positive de plus que par l'autre côté, mais quand t'es parti, ben t'es parti et plus t'avances moins tu fais demi-tour !

J'ai bien aimé les Adirondacks, mais j'ai bien aimé aussi quand j'en suis sortie, quand j'ai vu autre chose que toujours des arbres de chaque coté de la route, pas d'horizon. Alors quand sont revenus les champs cultivés et les grandes roselières, les collines herbeuses et des choix de route un peu plus grands, j'ai encore pédalé quelques dizaines de kilomètres et suis venue butter sur le Saint-Laurent, eh oui, encore lui ! Pour ma dernière soirée aux US (avant une autre session, plus tard), mon hôte Warm Shower a la bonne idée de m'inviter à manger dans un resto buffet à volonté : si tout le monde était comme moi, les tenanciers feraient faillite...

Bien, en passant la frontière US par Wolfe Island et ses deux ferrys, j'apprends à mon grand désarroi que mon visa US court depuis la première entrée, donc je n'aurai pas 90 jours supplémentaires en repassant. Oh merde ! Moi qui voulais retarder ma sortie définitive, je me retrouve à être obligée de quitter le territoire américain avant le 13 octobre. Autant dire que je sais quoi faire de mes journées si je veux un peu profiter des grands parcs nationaux : avancer ! Au pire, si je vois que je suis trop juste, je me ferai transporter, mes affaires et moi, pour traverser les grandes prairies du Sud Dakota. Mais quand même, quel loupé, quelle négligence de ma part de ne pas m'être renseignée avant. Pas pensé une seconde ! Allez, ça vaut mieux qu'un accident même si l'un n'empêche pas l'autre. Me voici avec un bel objectif !

 

Les Amériques à vélo couché : Les Grands Lacs

 

Le premier traversier me pose sur l'île canadienne de Wolfe au milieu du Saint-Laurent à l'endroit d'où il sort du lac Ontario, un des cinq grands. D'ailleurs il est impressionnant de voir jusqu'où les porte-containeurs et supertankers peuvent remonter à l'intérieur des US, loin encore après les grands lacs. Une fois le goulet Québec-Montréal franchi, la voie est libre... Donc, je traverse l'île et prends le second ferry qui me pose à Kingston dans la province d'Ontario. Comme ses voisines Québec et Manitoba, elle va jusqu'à la baie James. Territoires immenses qui contiennent à eux seuls je ne sais combien de fois la France.

Mon but est de filer à Sault-Sainte-Marie, entre le lac Supérieur et Huron (Michigan n'est pas très loin), pour y franchir de nouveau la frontière. Les paysages ont radicalement changé et si je suis plus au Nord que le Nord de l'État de New York, j'ai l'impression d'être plus au Sud. Prairies de fauche, vaches dans les champs, cultures (maïs, patates, haricots verts...), forêts de feuillus, petits villages, jolies rivières navigables, écluses... Période de moissons. Des champs jaunes et des champs verts.

Cela ne dure toutefois pas, et je me retrouve de nouveaux dans des paysages boréaux de tourbières, bouleaux, marais, arbres gris les pieds dans des eaux rousses ou noires. Je suis alors au nord de la péninsule de Bruce, qui sépare le lac Huron de la vaste baie georgienne. Si vaste que je n'en devine pas l'autre bord. Ces lacs (Huron, Erié, Ontario, Michigan et Supérieur) sont de véritables mers intérieures par leur superficie. Et les plus grands d'entre eux (Erié, Michigan et Supérieur) communiquent entre eux. À Tobermory j'ai pris un traversier jusqu'à l'île Manitoulin. Sur la carte c'est minuscule mais le bateau met une heure trois quarts et pourtant il fend l'écume à vitesse honorable. Manitoulin Island est relativement peu habitée, quelques villages et communautés indiennes, le ciel est gris. Après Little Current, il s'épanche... Je passe sur Great La Cloche Island, que je trouve très belle même sous la flotte. Des petits lacs par dizaines, sauvages, entourés de conifères, de myrtilles et de framboises sauvages, des rochers rouge couverts de mousses, et pas grand monde. La traversée de Birch Island et de la réserve indienne de Whitefish River me permet de reprendre roue sur le continent.

Ne reste plus qu'à suivre la route 17 jusqu'à Sault-Sainte-Marie. À Walford, un couple de francophones de l'Ontario m'accueille. Je demandais à planter ma tente sur le terrain, ils ont décrété que je serais mieux à l'intérieur. Tous deux sont issus de familles originaires de France, il y a X générations. Ils ont gardé la langue française et la défendent contre vents et marées. Lui a passé une partie de sa vie en Europe et a appris le métier d'horloger en Suisse, à Neuchatel. Voici de quoi alimenter la conversation un moment. Longtemps ils ont habité à Elliott Lake, un peu plus loin, là où il y avait des mines d'uranium de quoi faire vivre la ville. Puis la mine a fermé. Aujourd'hui, des retraités y vivent l'été, tandis qu'ils possèdent une autre maison en Floride pour l'hiver. Chez mes hôtes, quand on parle de vélo, on dit un « bicycle à pédales ». Délicieux. Sur 8 millions d'habitants que compte l'Ontario, 842 000 parlent français. Au moment d'aller dormir, Paul et Diane réalisent soudain que leur maison est un tel capharnaüm d'objets hétéroclites entassés partout et encore ailleurs qu'il est délicat de trouver un coin où je peux gonfler mon matelas... Il y a des rencontres qui marquent. Ces gens étaient d'une simplicité, d'une spontanéité, d'une générosité impressionnantes, allant jusqu'à me remercier de m'être arrêtée chez eux...

Le lendemain, à ma plus grande surprise, je double quelques charrettes tirées par des chevaux sur le bord de la route. Ce sont des Ménnonites, nombreux dans le secteur. Ils ont défrichées des terres pour les cultiver. Je passe à Spanish, puis dans la réserve indienne de Serpent Lake, à Blind River, à Thessalon avant d'arriver à Bruce Mines. De temps en temps je vois le lac (Huron). À Bruce Mines aussi il y avait des mines, parmi les plus vieilles du pays, de cuivre. Actuellement fermées. Après le village, dans la campagne, je demande à planter ma tente. On me dit qu'il va pleuvoir. Je ne le sais que trop. Me voici invitée chez Ruth et sa famille. Et là, tout en mangeant du brownie accompagné de framboises fraîches, sirop d'érable maison et crème glacée, je me délecte du bruit de la pluie qui dégringole en la regardant passer derrière les carreaux ! La prière a été faite avant le repas, quinze secondes où les paroles prononcées étaient pour moi, mon voyage, ma santé, ma sécurité. Je n'ai jamais cru à rien mais cette attention me touche.

Je suis alors à 62 km de Sault-Sainte-Marie, mes deux précédentes étapes ont été longues (155, 135) et celles d'avant leur ressemblaient, j'ai en partie profité d'un vent favorable et le relief était peu marqué. Sur la route, de grands panneaux invitent les automobilistes à se méfier des ours, à ne pas les approcher, ne pas les nourrir... et stipulent que ces animaux peuvent être dangereux. Ruth me confirme qu'il est facile d'en voir, dans les décharges... Le lendemain, une averse matinale, une météo annoncée pluvieuse pour tout le jour et l'insistance de Ruth pour que je me repose une journée auront raison de ma motivation. Jour de repos, j'en avais besoin. Cependant il ne tombera pas une goutte et c'eut été un jour parfait pour avancer. Ballade à pied au bord du lac avec Ruth, je me suis détendue et je crois que c'était indispensable. Le soir, 10 personnes à table, Ruth m'a préparé un gâteau d'anniversaire... On est loin de la date mais comme j'étais déjà en voyage je n'avais pas eu de gâteau. Non mais sans dec ! Brownie tapissé de crème et framboises fraîches représentant la feuille d'érable canadienne. C'était ma dernière nuit dans ce pays, enfin... j'espère que demain verra mon soulagement par rapport à la durée de mon séjour aux US.

Sault Sainte Marie. Je m'engage sur le pont international qui enjambe la rivière Sainte Marie, très courte, entre le lac Supérieur et le lac Huron. Écluse monumentale, pont monumental, poste de douane monumental. Le premier douanier ne me parle pas, il aboie ! Ça commence fort. Je tends mon passeport et laisse faire. Il cherche le carton vert, feuillette... Pas de carton vert, je l'ai dégrafé et planqué ailleurs (s'il me refuse carrément l'entrée aux US, je retenterai ma chance avec plus tard). Il vérifie sur son ordi, il constate que j'ai été enregistrée sortie et barre d'un trait rageur le tampon précédent. J'ai espoir. À la radio, il indique qu'il m'envoie au bureau pour un I94. C'est bien ce que je veux, super. L'employé qui me reçoit alors est souriant, cherche le carton vert, me demande ce que j'en ai fait (mensonge mais mensonge cohérent) et qui a barré le tampon... euh, votre collègue. Il me pose des questions logiques, me demande combien de temps il me faudra pour rejoindre la frontière mexicaine. Je lui demande le maximum, 90 jours. Aucun souci. Je repaie les 6 dollars, et j'ai jusqu'au 2 novembre pour sortir. Ça, c'est fait !

Je peux rouler le cœur léger. Et les jambes aussi. Parce que du coup, j'ai du temps devant moi, pas le feu au lac. À Sault côté US, j'achète un pneu, le marchand intéressé par mon voyage me fait une ristourne sans que je ne lui demande rien. C'est bon pour un premier contact. Je récupère une carte du Michigan et me voici lancée sur la route M28, rive sud du lac Supérieur. Il me faudra cependant rouler deux jours avant de le voir, à Minusing. Avant, j'ai eu entre autre une ligne droite, parfaitement droite, de 40 km de long. Exactement. Sans rien d'autre de chaque côté que de la forêt. Et surtout sans absolument aucun relief. Pas la moindre déclivité dans un sens ni dans l'autre. Je ne sais pas si j'avais déjà expérimenté ça ! Le Michigan se décompose en deux parties, la « upper » et la « lower » péninsule. La première se situe entre le sud du lac supérieur et le nord de Huron et Michigan, tandis que la seconde sépare les lacs Huron et Michigan et ressemble à une moufle.

Minusing donc, bord du lac, jusqu'à Marquette. Bien sur je ne vois pas l'autre rive. 82 000 km² d'eau douce, le plus grand. Profondeur moyenne : 149 m. Le rivage est beau, plage et forêt, il me faisait penser à notre côte atlantique par endroits, pinède, sable, sans les vagues toutefois. Je me baigne en vitesse, la température est bonne. À Marquette, il y a une énorme infrastructure dans le port. C'est l'ancien quai de chargement du minerai. Il y avait des mines pas bien loin, le train montait sur cet immense truc et le minerai de fer se déversait directement dans les bateaux. Il reste un tel quai en activité 2 miles plus au nord. Les bâtiments anciens de la ville sont comme partout, en briques. Et le reste est comme partout aussi : des avenues et des rues en quadrillage, pas de hauts bâtiments, des maisons en bois. On cherche les centre-bourgs mais ils n'existent pas vraiment. Dans la coloc de warm showers qui m'accueille ici, il y a une carte des US épinglée au mur. Je peux me rendre compte du chemin parcouru même s'il en manque un bout, et je vois surtout qu'en faisant le même nombre de kilomètres encore et sans vraiment de détours, je passerai par les parcs nationaux qui m'intéressent et serai sur la côte Ouest si je veux. Mais que ce pays est grand quand même.

Je n'avais pas du tout imaginé que la « upper peninsule » puisse être aussi boisée et aussi peu peuplée. C'est quasi un désert humain. Les étendues de forêts sont impressionnantes et il ne faut pas laisser passer les épiceries en se disant qu'on trouvera plus loin. Je fais étape à Kenton, 20 habitants permanents. Mes hôtes m'emmènent voir une cascade et nous marchons jusqu'à un point de vue perdu dans la forêt au bout d'un chemin boueux. Autour, je ne vois que de la forêt, de la forêt et encore de la forêt. Et une chance inouïe qu'ils m'aient conviée à dormir à l'intérieur, la pluie qui tombe pendant des heures est épaisse et serrée. Ici encore, on ne ferme ni les portes des maisons ni les voitures ni rien, rien n'est clôturé et les vies sont simples.

Je suis à la limite du Wisconsin et ne reverrai le lac supérieur que brièvement à Ashland. La suite ? Toujours vers l'Ouest pour l'instant, un chouillas sud, mais vraiment un chouillas.

Pour l'instant vous trouverez la suite dans le blog (section Nouvelles fraîches).

 

Les Amériques à vélo couché : Des lignes droites

 

Wisconsin, Minnesota, Dakota Sud.

Ah ben non, je n'ai pas revu le lac supérieur. Parce que quand je suis passée à Ashland, j'étais dans la tourmente. Donc un œil sur la route, ses trous ses flaques et ses pièges, et l'autre sur les directions à prendre. Je l'ai aperçu quand même, il était gris et il avait des vagues, que j'entendais aussi sous mon casque et ma capuche.

J'ai encore pris une heure de décalage horaire à l'entrée du Wisconsin qui est vite traversé. C'est un petit État qui est plus haut que large, comme le Michigan. Crac, deux jours et je me retrouve dans le Minnesota. Ce qui change par rapport à avant c'est que j'ai pu sortir des axes principaux et prendre des petites routes, celles qui épousent bien le relief et dont le macadam est parfois en triste état. Mais quelle tranquillité. Des dizaines de kilomètres, des bagnoles qui se comptent sur les doigts de la main et qui vont doucement. De la piste même parfois ! Côté paysage, toujours des lacs et des forêts. C'est un peu plus ouvert par endroits, et peut-être plus feuillus que résineux. Il y a des fermes mais les vaches ne sortent jamais, ni l'hiver ni l'été ! Dans ces contrées très peu peuplées, les gens sont sympas et je n'ai pas encore vu de flingue, juste quelques magasins. Une fois quand même on m'envoie ailleurs alors que je demande à planter ma tente quelque part sur les trois hectares de terrain tondu, en me trouvant comme excuse que ça va déranger le chien. Oups ! Mais le voisin était sympa, ça compense.

Puis chemin faisant, le paysage a changé, les forêts se sont faites riquiqui et la place laissée au bocage plus grande. Des champs avec de l'herbe inexploitée et toujours des étangs en pagaille. Quand je regarde la carte de cet État, je ne vois que ça d'ailleurs : des étangs et des lacs. Des taches bleues partout. À Little Falls, j'arrive sous une pluie battante mais je suis attendue. Derrière la maison il y a le fleuve magique. Je guette, à travers la pluie drue depuis la terrasse fermée et une bière à la main, si je vois apparaître Tom Sawyer et Huckleberry Finn mais non, c'était beaucoup plus au sud. Sous mon nez coule le Mississipi. Mes hôtes ne comprennent pas mon enthousiasme, mais dans ma tête je vois des bateaux à aubes. Je ne suis pas très loin de la source ici. Le fleuve est sauvage, bordé de joncs et d'arbres majestueux, pas plus large qu'une grande rivière qui gèle en hiver. C'est aussi ici que Charles Lindberg vivait. Kelly me fait visiter la ville en vitesse, en auto (il pleut toujours).

Entre Little Falls et Alexandria, sur la route 10, un objet contondant est venu se ficher dans mon pneu arrière. J'ai du m'arrêter dans une ferme pour l'extraire à l'aide d'une pince. Quelle ne fut pas ma surprise, en débarquant, de voir la coupe de cheveux et tenue vestimentaire réglementaires, les enfants sont beaux. Le papa porte la barbe taillée comme il se doit, et la maman arrive dans la carriole tirée par le cheval. Je suis chez des « Amish », un peu des cousins des Mennonites, en tout cas comme eux anabaptistes. J'ai vraiment eu l'impression d'atterrir dans un autre monde et me suis trouvée à la limite du ridicule avec mon casque fluo, mes lunettes et mon short moulant. Nous avons échangé quelques mots sympathiques. Les enfants vont à l'école à pied, par tous les temps quelle que soit la saison, ils vivent simplement, quasi en autarcie, ne se mélangent pas aux Américains. Comment pourraient-ils ? Deux mondes diamétralement opposés, deux manières de vivre radicalement différentes. Ensuite j'ai commencé à voir des champs de maïs et de soja, mais il y avait encore de la forêt et des étangs, très beaux, sauvages.

Après Alexandria, le paysage a évolué encore. Les bois riquiqui se sont transformés en haies, les étangs en champs de maïs ou de soja et il n'y eu bientôt que ça : haies, maïs, soja. Mais j'ai encore des arbres. À Sisseton, je suis au cœur d'une réserve indienne. Ils ont leurs routes, qu'ils entretiennent, ils ont leur lois, leur tribunal, leurs écoles, ouvertes à tout le monde, leur police, leur hôpital, et beaucoup de soucis de drogue et d'alcoolisme. Ils sont exonérés de pas mal de taxes. Si les deux communautés ne sont pas ouvertement adverses, elles ne se fréquentent pas. Faudrait pas mélanger les torchons et les serviettes. Ici, ils disent « Native Americans », appellation qui me plaît bien, mais le shérif que je rencontre au « Subway » alors que je tente en vain une connexion, me déconseille de planter ma tente dans le parc et m'envoie à l'église luthérienne (où je resterai deux nuits) tout en m'offrant ma consommation en guise de bienvenue ! La pluie s'invite à nouveau et le lendemain sera jour de repos pour les jambes. Pas pour la tête ! Squattant la bibliothèque municipale (connexion), je prépare avec soin la suite de l'itinéraire aux US, vérifie la cohérence entre kilométrage prévu et temps imparti, bref, trace une ligne à peine plus précise que ce qu'il y avait jusqu'alors.

Je suis dans le Dakota du Sud. Et je n'ai jamais eu autant de signes amicaux que depuis que je suis passée aux US ! Et chez les gens, en ville ou à la campagne, rien n'est clôturé, les portes sont ouvertes jour et nuit, les autos aussi et tout ça, c'est plutôt cool et inverse à une certaine image que je me faisais des US. La religion tient une place importante, comme la famille, le travail, la patrie... Les routes du Dakota forment un quadrillage quasi parfait, tout est parallèle ou perpendiculaire, aucune place à la fantaisie, des rues dans un sens et des avenues dans l'autre, numérotées. Rien n'a été laissé à l'imaginaire ni aux hommes (et femmes) célèbres. Des «State road » et des « County road » (oh non pas les routes du comté, faut pas rêver!). Pas d'itinéraire plus long ou plus court, ça revient toujours au même. Marre du vent de face, hop, allez, un petit coup en latéral alors... Je dégringole sur les marches irrégulières de l'escalier du Dakota tiré au cordeau. Le long des routes, quelques panneaux contre l'avortement et d'autres qui disent que les enfants sont des cadeaux de Dieu... Tout le monde se défend d'apprécier Trump, mais le Dakota du Sud est à 80% conservateur...

De Sisseton, j'ai mis la gomme. Il faut dire que j'ai bénéficié d'un vent parfois conciliant et heureusement car l'inverse pourrait vite transformer les journées en véritable enfer. Toujours du soja, toujours du maïs, un peu de tournesol, des silos éparpillés, de grosses exploitations disséminées. Dès que je prends un peu de hauteur, les grassland, c'est à dire des pâturages jaunes. Et des lignes droites de folie, ne pas s'affoler, faire au bout, les kilomètres finissent par s'accumuler. De Sisseton, je suis passée un peu à l'Est d'Eden, il y avait des hommes mais pas de souris, Buffalo lakes, Aberdeen, Pierre (où je traverse le Missouri et change encore d'heure), Midland, Philip. Des immensités, des solitudes, des villages fantômes où la station-service quand il y a une, fait office d'épicerie (ne pas compter trouver des pâtes ou de pain, mais un Coca, des biscuits, des chips, et de l'eau surtout). Il y a des mecs hâlés et burinés, usés avant l'heure, avec des chapeaux, des ceintures et des bottes en cuir : des cowboys comme dans les films.

Et puis après avoir traversé la Buffalo Gap National Grassland où j'ai vu mes premiers bisons, j'ai visité mon premier grand parc national : Badlands. Ça veut dire ce que ça veut dire : les mauvaises terres. Un chaos de roches érodées en matériau instable, des canyons, pas d'arbre, des anfractuosités partout, un labyrinthe. Au dessus, le plateau recouvert de prairies où les touffes d'herbes jaunes et pas bien épaisses ploient sous le vent qui se déchaîne. Comme moi ! Très beau, impressionnant. Partout des pancartes mettent en garde contre les rattlesnake ou crotales (serpents à sonnette très venimeux) et je vois des espèces de bouquetins au cul blanc dont les cornes ressemblent à celles des mouflons. Tout est dans la galerie photos, ça vaut mieux qu'un long discours. Une piste en tôle ondulée m'a ramenée ensuite sur la route que j'ai suivie jusqu'à Rapid City. Même si je serai encore dans le Dakota du Sud les prochains jours, mon post s'arrête là. C'était le post des lignes droites.

Le jour où j'étais dans le parc national des Badlands, c'était le 21 août. Et le 21 août, c'était l'éclipse de soleil. J'étais bien sur la ligne et à l'entrée du parc, les rangers distribuaient des lunettes pour voir le phénomène. Nickel. Éclipse quasi totale, quelle chance de me trouver là précisément, et avec le matériel nécessaire ! Ça a fait beaucoup de choses pour une seule et même journée ! Le soir, j'ai posé mes sacoches à Scenic, cinq habitants permanents, une station service et des bâtiments abandonnés, en bois, avec des enseignes bancales ou qui menacent ruine. Encore un air de far west. Par la porte à battant du saloon, je m'attends à voir sortir un cowboy avec des éperons à ses bottes, et à le voir filer au triple galop euh... sauf que là, les cowboys sortent de l'épicerie avec red  bull et chips et les chevaux sont sous les capots !

J'avoue qu'il m'a fallu un peu de mental pour les épuiser ces lignes droites. Que j'ai du piocher un peu parfois et me dire que j'ai déjà fait des choses ô combien plus difficiles et que ce n'est pas ça qui va me faire flancher. J'ai mis quelques échantillons dans la galerie, il faut juste imaginer le vent en plus, de face, latéral ou dans le dos, qui hurle dans le casque du matin au soir, jamais dans la même direction, c'est déjà ça, ça laisse espoir toujours... Je suis passée dans des paysages où il n'y avait plus un arbre, où les bagnoles semblent en lévitation au dessus d'une flaque d'argent dans des ondes de chaleur qui dansent au dessus de la route qui se perd plus loin que le regard ne peut porter, qui s'évapore à l'horizon. J'ai abattu près de 1500 km en 13 jours (et encore, avec un jour et une demie journée de repos pour cause de météo insolente), parce qu'il ne faut pas traîner dans ces contrées sous peine de devenir folle, aussi parce que les jambes tournent bien et parce qu'il n'y a que ça à faire : avancer. Ces paysages ne peuvent qu'être traversés. Il n'y a rien pour s'arrêter et le soleil cogne et le vent souffle. Et il y a quelques ranchs, plus au Sud, ça s'appelle des « estancias ». Je me suis crue parfois en Patagonie. Mon compteur affiche 8380 km.

J'ai aimé les traverser ces grands espaces. En une semaine, je suis passée d'un corridor taillé dans la forêt où l'eau était omniprésente, à un paysage sans limite où tu vois arriver les tempêtes, les tornades et les perturbations une journée à l'avance. Je me souviens avoir lu deux livres : « Tueur de bisons » et « Le vent » aux éditions Phébus. Je ne sais plus où ça se passait mais j'ai cru être à cet endroit là par l'ambiance ressentie. Dans les derniers kilomètres avant d'arriver dans Rapid City, ma patte de dérailleur casse, je remplace... et surtout je vois se dessiner les Blacks Hills, montagnes où je me dirige, la verdure et les arbres réapparaissent.

49 nouvelles photos dans la galerie.

 

Les Amériques à vélo couché : Black hills - Wyoming - Grand Lake (Colorado)

 

Rapid City. Dix bornes avant je suis dans les prairies jaunes avec une vue à perte de vue justement, et soudain je me retrouve dans des pentes boisées avec des montagnes partout autour. Montagnes à vaches sans vache mais du vert, des belles pinèdes et des odeurs etc... Bref, changement radical. Les Black Hills sont un îlot surgi des plaines, une tache probablement sur les photos satellites, un massif surprenant qui culmine à plus de 2400 m et qui abrite une faune abondante et des écosystèmes variés. Pendant deux à trois jours je sillonnerai sa partie sud un peu dans tous les sens, avide de découvrir ses spécificités. Pour commencer, le Mont Rushmore et les têtes des quatre présidents (Jefferson, Washington, Lincoln et Roosevelt) sculptées dans la montagne. 17 ans de travaux entre 1927 et 1941. Et puis il y eut la route très exigeante appelée Iron Mountain, avec deux particularités : elle se boucle sur elle-même trois fois de manière à absorber la dénivelée et les tunnels creusés sont tous dans l'axe du Mont Rushmore et des 4 têtes de l'autre côté de la vallée... Ensuite j'ai suivi Needles highway, qui est une toute petite route dans le Custer State park (comme un parc nat. mais géré par l'État, pas par la conf.) et qui m'a projetée à 1980 m d'altitude, serpentant au milieu de roches aux formes incroyables, des tours, des dents, des cathédrales, des trous... Chaussant alors les baskets, j'ai gravi le point culminant du massif, le Mt Harney 2414 m d'où la vue panoramique était superbe. Et après un bivouac à un emplacement de rêve, je suis passée au mémorial de Crazy Horse. La montagne là aussi est sculptée. Crazy Horse et sa chevelure dans le vent, bras tendu devant, montre la direction à sa monture qu'il chevauche. Bon... la sculpture promet d'être monumentale, mais ne sera terminée que dans … cent ans. Pour l'instant, seul le visage de l'Indien émerge du rocher et le centre touristique accueille un beau musée sur les Indiens d'Amérique.

Bien. Tout près il y a Wind Cave National Park, avec comme son nom l'indique, des grottes. Un des premiers parcs nationaux des États Unis et le premier à protéger une grotte. Il se trouve que le jour où je me pointe c'est l'anniversaire du système de parcs nationaux et les visites guidées sont gratuites. Donc je prends la plus complète, 450 marches à gravir dans un dédale horizontal autant que vertical, et des plafonds en boxwork (voir galerie photo), ce qui en fait la spécificité. Pendant ce temps l'orage passait. Quand je suis sortie de la grotte les éclairages sur la plaine étaient très contrastés, grandioses, bleu foncé et noir sur le jaune des plaines éclairées par le soleil qui revenait. De là, je suis retournée dans les plaines qui sont plutôt des plateaux vu l'altitude. En effet, entre Hot Springs et Cheyenne, l'altitude est comprise entre 1400 et 1800 m. Paysages de rolling hills où, comme en Patagonie, en Mongolie et encore ailleurs, l'expression de vertige horizontal prend toute sa signification. De temps à autres, des troupeaux de vaches noires paissent dans les pâtures jaunes.

L'accueil est toujours bon. Un soir que je monte ma tente dans le parc municipal d'un petit village, la voisine vient me dire qu'il faut aller sur sa pelouse car là où je suis, l'arrosage automatique se lancera dans la nuit... et m'offre des concombres. Le lendemain, c'est sur une aire de repos que je me pose. Juste une maison en fonctionnement autonome avec rien à 37 km dans un sens et rien dans l'autre à 60. Mais il y a de l'eau et quelques arbres, un peu d'herbe et deux tables de pique nique. Pendant que je suis aux toilettes en train de me laver et de rincer mon maillot, un inconnu a posé un paquet de M&M's dans mon casque. Plus tard, la femme venue de je ne sais où pour vider les poubelles m'offre des fraises et une pâtisserie... Sur la route, les accotements généreux me rendent les journées très agréables, les voitures passent loin, d'autant plus que souvent, les conducteurs se déportent quand même sur la voie de gauche. Les gens ne ferment pas leur maison, même en ville, et les automobilistes sont très courtois. Bref ici, c'est loin d'être des enragés, ça va doucement.

Wyoming. Nous y voici. Cet État totalement rectangulaire est le moins peuplé de tous les États-Unis avec une densité de 2,2 hab/km², ça ne fait pas bezef. Un tiers de grandes plaines à une altitude moyenne de 2040 m, les deux autres tiers sont montagneux et le point culminant à 4207 m. C'est une contrée rude balayée par le vent. Sur plus d'un tiers de France en superficie, seulement 99 municipalités dont 17 de plus de 5000 habitants. C'est juste pour planter un peu le décor. Mais quand même, Cheyenne, capitale d'État, n'est pas la plus petite des capitales, c'était Pierre en plein milieu du Sud Dakota avec 13 000 hab. Cheyenne en compte 60 000 et doit son existence à la création de la voie ferrée, l'Union Pacific Railroad. À l'époque de la construction, les villes émergeaient des plaines puis disparaissaient, se déplaçaient avec les travaux. Villes sans shérif, saloon, alcool, prostitution, coups de feu et meurtres faisaient partie du quotidien. Cheyenne aujourd'hui est paisible, les trains longs comme des jours sans pain, chargés de minerai, traversent en klaxonnant, le jour comme la nuit, et c'est ici, dans un jardin public, qu'est exposée la plus grosse locomotive à vapeur jamais construite au monde : Big Boy. Le Wyoming est le premier État à donner le droit de vote aux femmes en 1869 et une femme est gouverneur d'État dès 1925. À part ça, le parc du Yellowstone, situé dans cet État mais que je n'irai pas voir car trop éloigné, est le premier parc national au monde, 1872. C'était le chapitre culturel.

Bon, c'est encore le pays des cowboys, chapeaux comme il se doit, Jean's, bottes en cuir, grosse boucle au ceinturon, chemise épaisse en tissu solide, mains caleuses et teint buriné, Dodge et Chevrolet. Et ils sont attachés à leur grandes plaines et à leur paysages sans fin. C'est vrai qu'il y a une beauté toute particulière dans cette espèce d'austérité. J'aime beaucoup, enfin... quand j'ai le vent dans le dos.

De Cheyenne, j'ai rejoint Laramie, encore plus haute, puis Walden, encore plus haute. Me voici dans l'État du Colorado. Après être passée par la Medicine Bow National Forest et un col à 2900 m je retrouve des lignes droites et un paysage sans arbre à 2700 m mais avec des nuances incroyables dans les verts et les jaunes et des sommets au loin où restent des névés. Puis de nouveau un col dans la forêt domaniale d'Arapaho et me voici sur le versant Pacifique, je viens de passer la Great Divide, à 3200 m. À Grand Lake, où Richard, rencontré à la bibliothèque municipale (pour connexion) me met à l'abri de la pluie pour la nuit, je suis à 500 m de l'entrée du Rocky Mountains National Park et de sa fameuse route : la Trail Ridge Road, qui monte à plus de 3700 m. J'ai changé de monde, ici, tout est voué à la cause touristique, été comme hiver. Les enseignes clignotent, les bars branchés affichent des tarifs en proportion avec l'altitude, il y a des resorts, des lodges et des pancartes propriété privée partout. J'ai comme l'impression d'avoir perdu de l'authenticité... ici, il faut faire de l'argent. Je ne fais que passer. Enfin... j' y resterai tout de même une journée car la météo annoncée n'est pas assez bonne pour m'engager dans les montagnes, c'était très bas et noir ce matin, finalement ça s'est dégagé mais il est trop tard maintenant. À 26 dollars pour planter une tente et l'interdiction de me mettre où je veux, je dois traverser le parc national d'une traite. Une journée de repos bien méritée avant l'étape de montagne... et il y a pire comme endroit. Dans la nuit, un ours est venu défoncer le container à poubelle de la copropriété... en pleine ville.

 

Les Amériques à vélo couché : Grand Lake – Mancos (Colorado)

Les gens

 

J'avais commencé à préparer un post avec comme d'hab un peu mon itinéraire, mes ressentis, une ou deux anecdotes, un peu de culture et tout mais j'ai changé d'avis, j'ai tout effacé, je recommence pour juste dire en détail un peu l'accueil que j'ai sur ma route parce que j'ai chaud au cœur tous les jours.

Des paysages, oui bien sur, je les traverse, je suis dans les montagnes, ça fait mal aux jambes et j'accumule des dénivelées impressionnantes. Je monte à 3700 m pour redescendre à 2300/2400 et recommencer sans cesse. Depuis Grand Lake je n'ai fait que ça, des 1600 m par jour, des belles montées avec des jolis points de vue et des belles descentes dans des forêts où les feuillus commencent à changer de couleur et prendre des teintes si dorées que je ne peux les regarder sans mes lunettes de soleil. J'ai vu des lacs turquoises, des animaux, de belles rivières, des vallées ouvertes et larges, cultivées et des canyons si encaissés que le fond était insondable (Black Canyon of Gunnison). J'ai traversé des petits villages fantômes et des villes guère plus grosses. Bref, j'ai fait du chemin sous un ciel la plupart du temps bien agréable, quelques averses par ci par là, rien de très méchant. J'ai lutté contre le vent ou l'ai remercié quand il me poussait. J'ai roulé deux jours dans une atmosphère opaque due à la fumée de feux de forêts qui sont plus loin, ailleurs... J'ai traversé Rocky mountain national park, ai pédalé la peak to peak road, ai passé Guanella pass, Trout creek pass, Monarch pass, et la Great Divide (ligne de partage des eaux) plusieurs fois. Je mets des photos de tout ça dans la galerie.

Les gens.

Grand Lake : je m'installe devant un ordi à la bibliothèque municipale pour me connecter. À côté de moi il y a Richard. On commence à discuter, il m'invite chez lui et sa femme Maritza et ses amis. Il est originaire du Texas, là où l'hurricane a tout détruit. Il regrette d'ailleurs d'avoir tout loupé. Il est réparateur de bandits manchots. Je suis donc chez eux mais ils ont quelque chose de prévu dans la soirée et s'absentent, me laissant seule dans l'appartement... avec le frigo à dispo car ils s'en vont demain et tout doit disparaître si possible ailleurs qu'à la poubelle. Le lendemain, je décide de ne pas partir pour cause de météo insolente, mais eux repartent dans le Texas et l'appart est loué dès l'après midi. Ils me laissent les clefs du garage propre comme une chambre afin que je puisse dormir en sécurité dans la ville. Je reposerai la clef sous le paillasson de l'agence qui gère leur appartement. Merci.

Estes Park : je dépasse la ville car il me reste du temps mais me retrouve dans les bois, sans eau, dans une montée interminable... Une maison, je vais voir. Des gens sont en formation. Fin de journée. Une des stagiaires, la femme du pasteur, me dit de charger tout mon bazar dans sa voiture, elle m'emmène chez elle. Je redescends donc à Estes Park et le lendemain elle me remontera ici à 8 heures puisqu'elle revient. Douche, lit et tout le reste. Merci.

Idaho Springs : je comptais planter ma tente dans le city park de Black Hawk, mais la ville de casinos est blindée de junkies et ce n'est pas le bon endroit. Je passe encore une montagne et me retrouve dans ce fond de vallée tout à fait glauque qu'est Idaho Springs, avec entre les falaises l'autoroute interstates, la rivière et la route de service. Où dormir dans ces conditions ? Une odeur de barbecue m'attire, je pousse mon vélo dans le chemin en caillasses, voient ces gens et demande à planter ma tente sur leur terrain. Pas question : l'ours rode. Je dormirai dans la caravane grande comme mon appartement, suis conviée à manger. Bière, douche, repas et fin de soirée à la guitare en duo. Merci Todd et Gail. Le meilleur reste à venir : Todd habite à Montrose. Trois jours plus tard en rentrant chez lui, il me double sur la route mais ne peut s'arrêter. Sitôt arrivé chez lui, il enfourche sa Harley Davidson et vient à ma rencontre me proposer de loger chez lui et s'assurer que tout va bien, mais je vais à Black Canyon... et ne m'arrêterai pas à Montrose. Merci.

Une nuit de bivouac derrière l'église de Jefferson. Les villageois, peu nombreux, sont très sympas avec moi.

Maysville : je demande à une dame si je peux planter ma tente là, sur un terrain tondu apparemment inoccupé. Nancy insiste, je dis bien insiste pour que je loge chez elle, me dit que je lui tiendrai compagnie, qu'elle a beaucoup de place. Douche, repas, petit déj, la totale. Merci.

Gunnison : George et Joy. Je m'engage sur ce chemin où il est pourtant bien écrit en gros « propriété privée », je poursuis, m'enfonce dans les bois et arrive à ces deux maisons au bord de la rivière avec grand terrain. Personne. Je rebrousse chemin mais croise le proprio Georges. Demi tour. Je plante ma tente sur le terrain. Les ancêtres de George sont originaires de Vilette en Suisse. Je ne suis pas invitée mais comme l'ours rode régulièrement, j'ai le garage à dispo pour y mettre ma nourriture (ailleurs que dans la tente) et mon vélo. George, très âgé,viendra voir régulièrement si je n'ai besoin de rien et me faire un brin de causette très amicale. Merci.

Black Canyon of the Gunnison : la partie ne s'annonce pas facile, peu de maisons, un camping à l'entrée du parc. À mi hauteur de cette montée diabolique j'avise une maison habitée à l'écart. Je vais voir et demande à planter la tente sur le terrain chez Dawn et Dave qui ont des convives ce soir. Maison immense et luxueuse sur une propriété de ouf, baies vitrées sur l'espèce de maquis sauvage environnant très beau et vue sur les montagnes au loin. Ils ne manquent vraiment de rien. J'aurai douche, bière, repas avec eux, et impossible de partir sans emmener des provisions dont je n'ai pas besoin. Merci.

Ridgway : je loge en Warm shower. Je me sens bien chez John et Mallory dès la première minute et jusqu'à la fin. Accueil formidable. Merci.

Dans la cambrousse avant Rico : je passe un col, descends de l'autre côté, n'ai pas vraiment les jambes. Petite route sensée couper un peu et surtout me faire moins de dénivelée (1600 pour la journée tout de même). La route en question, j'ai du mal voir sur Google maps, après deux miles asphaltés, la piste. Je suis engagée, je poursuis, ça ne devrait pas être très long et c'est en bon état. Sauf qu'à la fin pour remonter sur la Highway, je me tape 2 miles (3,2 km) à pousser le vélo dans la pente très raide en petits cailloux sans adhérence. Un peu plus loin, je prends l'orage, me réfugie sous un abri vers une maison qui se trouve là comme par hasard. Lui arrive un peu plus tard et me trouve là, sous son abri, en train de casser la croûte. Dug et Stéfie, des phénomènes. Lui géologue à la retraite, 69 ans, avec ses bottes incroyables et son pantalon molletonné, elle, enseignante à Telluride (haut lieu de la jetset des États-Unis), bavaroise bien en chair, 52 ans. Il est passionné par les Indiens d'Amérique, l'histoire du chemin de fer et des mines. Tout un poème, soirée mémorable, des gens comme ça avec qui on se sent bien avant même d'avoir échangé une parole, juste au regard, sur le visage. Merci.

C'est l'enfer ce voyage, l'enfer vous dis-je. Je prends mes notes tard le soir, je n'ai jamais été aussi propre et aussi bien nourrie. Ils sont fous, ils me gavent et me gâtent.

Pourtant, la moitié d'entre aux au moins, si on rentre un peu dans la discussion, font la prière avant de passer à table, sont pour les armes à feu et conservateurs à fond, avortement etc... bien racistes aussi, très individualistes, famille travail patrie et fiers d'avoir dégommé un jour un ours ou un cougar (lion des montagnes). J'ai coupé court parfois à certaines conversations pour rester sur la bonne impression d'hospitalité reçue. La plupart des gens qui ont ouvert leur porte font attention à ce qu'ils mangent et je n'ai pas été gavée de séries télévisées absurdes. Bref, c'est très très mélangé tout ça dans ma tête. Mais ce qui est certain, c'est que l'hospitalité dont ils font part et le niveau de discussion est loin des clichés et de l'image que je pouvais avoir des États-Uniens. Je n'en vois qu'une partie certes, dans des États peu peuplés encore, mais ces portes ouvertes sans avoir à les pousser m'ont permis de dormir en sécurité dans les zones boisées, d'avoir de la compagnie très variée et agréable. La plupart d'entre eux m'ont remercié d'être passée par là et de m'être arrêtée chez eux...

Et tout ça c'est juste bon à recevoir, pour le mental, pour le voyage, pour cette idée qu'on se fait du monde et de l'humanité.

Demain, je descendrai des montagnes pour entrer dans le désert au niveau du parc national Mesa Verde, tout près de l'Utah. Je n'aurai normalement plus à y craindre l'ours mais ahaha, d'autres dangers me guetteront, comme le serpent à sonnette ou le scorpion...

L'ours, en cette période, est présent dans les villes et les villages. Il dévalise systématiquement les poubelles. Tout ça parce qu'en juin il y a eu une vague de froid qui a gelé toutes les baies. Pas de baies, pas de nourriture pour le plantigrade. Maintenant, c'est la période où il se goinfre avant l'hiver, sauf qu'il n'y a rien à goinfrer dans les forêts, donc il va chercher là où il y a...

Les Amériques à vélo couché : Du désert

Rico, Colorado – Moab, Utah

 

Bien, après un dernier col à plus de 3000 m, et une descente dans une très belle vallée, je sors des Rocky Moutains à temps. Devant moi, ciel bleu, derrière moi, ciel charbon. J'arrive à Dolores, il fait chaud, changements radicaux, températures, paysages... me voici un peu dans le désert. Les prévisions météo pour la semaine qui vient sont mauvaises dans les montagnes, bonnes là où je serai. Ouf ! À temps vous dis-je. J'ai rendez-vous à Mancos chez Paul et Sara, hôtes WS, le festival continue, le courant passe super bien. Paul est pilote et convoie des familles et riches hommes d'affaire, sur demande, pour une compagnie aérienne. Ils possèdent pour leurs loisirs un petit avion et rentrent juste de week-end. Grands voyageurs, leurs photos sont plus aériennes que les miennes. Paul m'emmène le lendemain visiter le parc national Mesa Verde tout proche. Alors je précise qu'ici, les PN n'ont rien à voir avec les nôtres, ils sont faits pour être visités en bagnole et celui-ci aurait été une véritable épreuve à vélo vu les reliefs et la longueur. Ce sont des ruines, des villages vieux de 1000 ans environs sous des voûtes dans les falaises des canyons de cette région étonnante, impressionnante. Quand on est sur le plateau, on ne devine pas les canyons, mais quand on est au bord, il ne faut pas tomber... Très beau. Mesa Verde c'est un peu une île qui émerge au dessus de la plaine. Paul a pris une visite guidée de l'un des sites majeurs et nous visitons seuls les autres sites. Nous nous arrêtons à tous les points de vue, marchons un peu aussi, bref j'ai fait un tour individuel complet et guidé de cette petite merveille. Dans l'après-midi je réenfourche ma bécane, Paul m'accompagne jusqu'à Cortez. Et ce soir là, je dors dans la salle de classe de la petite école vieille de 106 ans de Batle Rock dans la réserve indienne de Matuzema. Après les cow-boys, me voici chez les Indiens. C'est aussi appelé le Canyon of the ancients. Ce n'est pas un parc mais un monument national. Le fond du canyon est large et cultivé, j'y vois de la vigne et beaucoup de verdure, des fermes, tandis que les bords offrent autant de couleurs que de formes différentes. Je continue à en prendre plein les yeux et ce n'est que le début.

Le lendemain, je sors de ce canyon et me retrouve vraiment dans le désert. Ça y est, là, je me sens vraiment toute petite, il faut assurer, il faut gérer l'effort, il faut prendre un stock d'eau, les stations-service-épicerie-restaurant sont à 50 ou 80 bornes les unes des autres. Et le soleil cogne fort. Aneth, Montezuma Creek, Bluff (où je vois les Navajo Twin Rocks), Mexican Water. Je suis dans la réserve indienne Navajo, immense, écrasée de soleil, pas un arbre, du bush et de la caillasse de toutes les couleurs, des canyons. Je suis redescendue à 1800 m mais remonterai rapidement. Le paysage n'est pas dénué d'intérêt, c'est juste énorme. Quelques degrés de moins et ce serait parfait. Je ne transpire même pas, tout s'évapore au fur et à mesure tant l'air est sec. J'ai ressorti crème hydratante pour les jambes et baume pour les lèvres. Mon budget boisson est aussi élevé que mon budget nourriture, jus de fruits, lait frais, coca parfois.

Puis Kayenta au bout d'une longue ligne droite. Ravitaillement. J'ai l'intention d'aller camper avec vue sur Monument Valley mais le ciel est si noir derrière moi que je demande à planter ma tente vers une habitation à l'abri de bosquets. Je suis chez les Navajos mais n'aurai que peu de contacts avec eux, les laissant vaquer à leurs occupations. Pendant dix minutes c'est l'apocalypse, le sable rentre jusque dans ma tente intérieure et les arceaux ploient méchamment. Mes pâtes sont sablées.Trois gouttes et le calme revient.

Le jour suivant je descends jusqu'à l'entrée de Monument Valley, laisse mon vélo à l'entrée au Visitor Center et fais du stop pour visiter le site, d'autre part interdit aux vélos, aux voitures de tourisme trop basses, aux campings cars... Un Indien m'emmène un bout puis je tombe sur un couple de Français dont la nana est originaire de Villers-Le-Lac, et fais le tour complet avec eux. Le ciel très orageux nous offre des éclairages très étranges et les tours de roc prennent un caractère parfois très lugubre, sauvage. Nous sommes obligés de nous arrêter un moment pour laisser passer encore une tempête de sable. Enfourchant de nouveau mon vélo dans l'après-midi, je vois les voitures qui s'arrêtent toutes, je me retourne et effectivement le ciel est un spectacle. Des rideaux d'eau tombent entre les tours au loin. Mais comme ça vient contre moi, j'appuie sur les pédales comme une forcenée et arriverai sous le premier avant-toit de Mexican Hat alors que les premières gouttes s'écrasent. Encore une trombe ! Je repars cependant après une heure avec les pleins d'eau mais malheureusement n'irai pas bien loin. Les bourrasques m'obligent d'abord à descendre de vélo, j'avise un creux dans le terrain et m'y réfugie et commence à monter ma tente. Mais quand je plante une sardine, le temps d'aller à une seconde et le vent a fait voler la première. Je me bats, retient plusieurs fois la tente qui se contorsionne et voudrait bien s'enfuir, c'est vain, et je risque de casser du matériel. Je n'y arriverai pas. Je replie les arceaux à la hâte, à genoux dans la terre ocre, et entasse tout mon matériel sous ma bâche que je couvre de grosses pierres et me mets sous un petit abri dans le rocher. Ça flashe de partout et le vent hurle, je prends un sac d'eau et puis le calme revient et entre deux bourrasques et deux orages, je parviens à m'installer. Dans la soirée, une accalmie plus longue que les autres avec toujours ce ciel de suie quelque part me donne des lumières de fin du monde sur un relief spectaculaire et Valley of Gods, des arcs en ciel aussi, et je me régale avant de m'endormir.

Encore du spectacle le lendemain. Il semble que la route va droit dans le mur, enfin... la falaise. Des panneaux à répétition préviennent : 10 % de pente, route étroite et non asphaltée sur 3 miles. Je ne la devine même pas, mais elle est bien là et la vue plongeante sur le bas est de plus en plus impressionnante. Les lacets sont réguliers et la piste en bon état, un régal ! Début d'après midi, j'arrive à Natural Bridges. Comme d'hab dans ces parcs, je laisse mon vélo au Visitor Center et fais la visite avec des gens. Trois arches dans le rocher, de grande envergure, enjambent le canyon. La plus haute forme une voûte de 70 mètres, tout de même. Paysage alentour magnifique. Je fais les pleins d'eau car n'aurai rien avant Blanding à 65 km. Bivouac sous les genévriers.

Et puis je suis montée au nord en passant par Blanding et Monticello avant d'arriver à Moab. Dénivelées usantes, je plonge dans les canyons et remonte de l'autre côté, le vent me laisse tranquille ou m'aide, c'est déjà ça. Les températures sont fraîches la nuit (8 à 10 °C max) et très agréables la journée (25°C), c'est nickel. Je peux enfin m'arrêter n'importe où pour dormir, aviser un chemin, m'y engouffrer et m'éloigner de la route de quelques centaines de mètres avant de m'installer. La majorité des terres est publique, il n'y a pas d'ours ni autres dangers notoires. Je suis bien sur sortie du Colorado, pour entrer en Utah, faire un tout petit bout en Arizona avant d'être de nouveau en Utah. Je suis toujours à plus de 2000 m et dans le parc de Yellowstone au nord du Wyoming, il y a déjà eu des chutes de neige ! J'ai parfois monté les pentes à grands renforts de Brownie trempé dans le Yoplait à la vanille, enfin... quand j'en avais. Et bien sur je profite d'une demie-journée de repos pour... travailler, préparer la suite qui s'annonce belle toujours.

La suite ? Durant deux jours au moins, je vais rester dans les alentours de Moab. Le décor y est impressionnant, il y aurait à faire pendant un mois... Je me rendrai demain matin dans le Parc National Arches, puis ensuite dans celui de Canyonlands. Cela représente des kilomètres et des dénivelées importantes mais venir ici et passer à côté sans au moins voir ça me paraît ridicule. Et ensuite j'aurai au moins deux ou trois jours de route avant le prochain parc national : Capitol Reef. Ici à Moab, il y a des falaises rouges partout, la rivière Colorado a creusé dans le plateau, la Green River aussi, elles se rejoignent à peine au sud, et depuis Canyonlands PN je devrais avoir de jolis points de vue...

31 nouvelles photos dans la galerie. Je précise juste que je ne fais aucune retouche, j'ai d'autres chats à fouetter, je les mets telles qu'elles sont. À part ça j'ai passé depuis un moment les 10 000 bornes, suis même plus près des 11 000. Mes étapes sont moins longues car plus montagneuses, et puis dans ces grands espaces, je dois faire attention à moi, ben oui !

 

Les Amériques à vélo couché : Des parcs nationaux, de Moab à Kanab

 

Bon, Moab est à l'Utah ce que Chamonix est aux Alpes. On te propose pléthore d'activités toutes plus fun les unes que les autres. Quad, rafting, Vtt, escalade, canyoning, rando et tout le reste. Des enseignes qui clignotent et des bars branchés. C'est LA qu'il faut venir, l'endroit à la mode, le MUST. Septembre Octobre, c'est LA saison, il fait un peu moins chaud. On me dit qu'il n'y a que les Européens qui sont assez bargeots pour venir en Juillet Août. Tu m'étonnes, déjà là ça plombe alors je n'ose pas imaginer la fournaise au cœur de l'été.

Moab, c'est aussi la porte d'entrée des parcs nationaux Arches et Canyonlands. Moab, c'est sur la rivière Colorado, juste après sa confluence avec la rivière Green. C'est un peu un trou aussi Moab, par où que tu arrives tu descends et par où que tu en sortes, eh eh, tu remontes ! Seul le Colorado parvient à se faufiler et à prendre la fuite entre des falaises tellement rouge que ça me fatigue les yeux. J'ai visité Arches, j'ai visité Canyonlands. Je devais aller à Dead Horse Point, l'endroit qui domine de 600 m de falaises au moins une belle courbe du Colorado. Mais, bien sur, ce jour là, vent annoncé à 60 km/h. Ils y étaient. Je n'arrivais plus à tenir ma monture, alors quand est arrivée la piste que je devais prendre pour redescendre, j'ai capitulé, je ne suis pas allée jusqu'à Dead Horse, honte à moi, il ne m'a manqué que 6 miles (10 km, enfin 20 car il fallait ensuite revenir, mais vent dans le dos). Et là, je me suis dit : « Ma fille, tu es fatiguée, va falloir calmer un peu le jeu ». Je suis redescendue à Moab, ai logé chez un autre Warm Shower, au centre, enfin... dans le hangar de son voisin et proprio, au frais, dans le noir et le silence, sur un lit de camp géant. C'était nickel ! Je ne vais pas vous faire un descriptif de Arches et Canyonlands, les photos sur internet sont plus belles que les miennes !

Et puis j'ai repris la route, et même la grosse autoroute Interstate. Je l'appréhendais. Ce fut du bonheur ! Pour la rejoindre, j'avais une route avec des accotements de misère et une circulation dense, rapide, avec des poids-lourds. Sur l'autoroute, c'était très très calme et j'avais trois mètres pour moi. On a le droit de rouler sur les autoroutes aux US, de toutes façons, là, il n'y avait rien d'autre. Village de Green River, pas envie de m'arrêter à 14 h 30, je fais les pleins d'eau et continue après avoir vérifié sur Google Maps que je trouverai dans moins de 35 bornes un endroit avec des arbres pour l'ombre, l'abri du vent... Google Maps, formidable outil.

Il y a des chauffeurs routiers qui me klaxonnent et me font des grands signes, même depuis l'autre côté de l'autoroute une fois. Certaine que c'est parce qu'ils m'ont déjà vue. Peut-être était-ce celui qui m'avait attendue sur un parking en haut d'une bosse pour me dire son admiration et m'offrir un Pepsi, ou encore celui qui laissait refroidir son camion et qui lui aussi m'avait offert de la limonade fraîche ! Ou d'autres qui m'ont déjà croisée, doublée, et recroisée ! Un type dans une bagnole pourrave a roulé un moment à ma hauteur, vitre ouverte, complètement euphorique, pour me dire qu'il visite son pays et que ça fait trois fois en un mois qu'il me voit à des endroits tellement distants les uns des autres. Je crois que j'étais son héroïne !

Souvent quand je pédale, je me dis que j'ai une chance inouïe d'avoir tout ce qu'il faut (temps, mental, physique...) pour venir faire du vélo dans des décors pareils parce que quand même, c'est quelque chose, mais c'est pas donné à tout le monde. Et puis la seconde d'après je me dis que c'est encore une fois un truc de fou, que ces distances ne sont pas faites pour être parcourues à vélo, que c'est trop grand. Il ne faut pas venir faire du vélo dans le désert la fleur au fusil, il faut être vigilant tout le temps, savoir où on trouvera à manger et surtout de l'eau. Bref, je ne quitte jamais un village sans savoir ce que sera la suite et trimballe souvent 6 litres d'eau pendant quelques heures avant de les utiliser. Oui c'est lourd, mais c'est indispensable. Je n'aime pas planter ma tente dans les villages dès qu'ils dépassent la centaine d'habitants, il y a toujours des lampadaires, des chiens qui gueulent, des bagnoles qui passent, des arrosages automatiques dans les parcs... des trucs qui tuent ton sommeil qui se doit d'être réparateur. Je préfère porter, m'éloigner et dormir dans la nature. Les ciels nocturnes sont épatants, la Voie Lactée toutes les nuits...

Allez, Capitol Reef National Park. Eh bien j'ai préféré la route d'approche depuis Hanksville, ce n'est pas au pied du mur qu'on voit le mieux le mur ! Pourtant j'en ai bavé sur cette route et depuis Moab : 3 jours de vent de face à 50 km/h, ça use, et une mauvaise contracture au mollet gauche qui ne veut pas passer malgré les massages. Mais le paysage récompense, heureusement. Somptueux. Grands espaces colorés, pas plats du tout, et le ruban d'asphalte noir qui se faufile entre les reliefs comme on n'a pas chez nous. Voilà. Des bivouacs calmes au milieu de ces immensités... Puis de nouveau de la vraie montagne dans le secteur Escalante, je repasse à 3000 m. Une journée complète de réel repos à Boulder où Scott m'emmène voir les merveilles locales en auto. Ici, l'étagement de la végétation se fait sur une distance très courte. On passe du désert à la forêt de conifères en quelques kilomètres, le matin dans la neige (pas tout à fait encore la saison mais il gèle toutes les nuits) et l'après-midi dans le désert. Scott me prête un appareil électrique chauffant pour mes soucis musculaires qui me fera le plus grand bien. Cela faisait 24 jours que je n'avais pas pris de repos, me disant sans arrêt que j'aurais bien le temps de me reposer plus tard. Toujours plus tard... Mais là, c'est juste l'idéal. Chez Chris et Scott, hôtes warm shower, j'ai un petit studio pour moi, je peux réellement me reposer, aucun bruit, de la verdure, entre montagne et désert, juste à la limite qui est franche, il fait bon et les tomates du jardin que l'on m'encourage à consommer sans modération sont succulentes... quand on sait à quel point j'aime les bonnes tomates ! Presque autant que la cancoillotte ! Tiens, ça faisait longtemps que je n'avais pas pensé cancoillotte, saucisse de Morteau et Macvin !

La route entre Boulder et Bryce est encore un enchantement pour les yeux, moins pour les jambes. C'est là que j'ai cassé patte de dérailleur et rayon. Bon, j'ai les pièces qu'il faut mais pas de fouet pour démonter la cassette. Comme par hasard un groupe de cyclos avec voiture d'assistance vient de me doubler, le premier en quatre mois. J'envoie quelqu'un prévenir et le mécano m'attendra, viendra même à ma rencontre et remettra mon rayon en deux temps trois mouvements. Du coup, contrôle du jeu dans le moyeu, la cassette et tout. Nickel.

Le lendemain je visite Bryce Canyon. Je l'attendais celui-là, depuis le temps qu'on m'en vantait les mérites ! Allait-il être à la hauteur ? J'ai laissé mon vélo dans un hôtel luxueux de Bryce et ai pris la navette gratuite jusqu'à Bryce Point. Quand le bus m'a débarquée j'ai cru que j'allais verser une larme. Je ne savais plus où regarder. Au moins aussi beau que le panorama sur les Alpes depuis les sommets du Jura par un limpide jour de bise ! Sauf que ce ne sont pas du tout les mêmes couleurs, ni les mêmes reliefs. Là on va du blanc au rouge en passant par toutes les nuances de rose et un peu de vert qui tente de se montrer par ci par là. Non sans dec', c'est le plus beau des parcs que j'aie vu jusque là dans ce pays. Je n'ai pas pu résister à descendre, suivre ce sentier qui s'enfile dans les failles entre ces tours (une partie du sentier se nomme Wall Street), passe sous des arches naturelles, et me fait progresser tantôt dans le rouge, le rose ou le jaune, voire le blanc. Par le relief, ça m'a fait penser aux grands Tsingis de Bemahara à Madagascar. Après avoir bien crapahuté, j'ai fait du stop pour aller voir les différents points de vue qui jalonnent la route qui s'enfonce de 25 km dans le parc. J'en ai pris plein les yeux toute la journée. Et les gens qui me trimballent me disent tous que Zion est plus impressionnant mais que le plus beau de tous, c'est Grand Canyon du Colorado. Ben ça tombe bien, tout cela est au programme des prochains jours.

Après une journée de transition par monts et par vaux et une nuit dans un ranch chez Gordon, me voici à l'entrée de Zion. Certes la vue sur le canyon depuis le bout du sentier est impressionnante, certes la descente des lacets après le tunnel (où j'ai du charger mon vélo sur un pick-up car interdit aux cyclistes) est un vrai régal, mais quand même ça ne vaut pas Bryce. Voilà. Mais si je n'y étais pas allée, j'aurais des regrets, ça vaut le coup d'oeil. Avec les navettes gratuites j'ai pu là aussi aller au fond du parc, là où le canyon se réduit jusqu'à ne plus laisser passer que la rivière entre les hautes falaises. Je préfère les voir d'en haut que d'en bas ces canyons.

De là, il m'a fallu descendre la vallée de la Virgin, passer dans le trou à Hurricane avant de faire volte face et remonter jusqu'à Kanab par une route sans rien autour. Tout ça pour me retrouver à moins de trente bornes d'il y a 2 jours et demi. Ma douleur musculaire est très atténuée maintenant, je fais attention quand même et essaie de boire toujours plus. J'ai beaucoup bivouaqué ces derniers temps. Après quelques nuits où la température est descendue autour des -5°C et des départs matinaux avec gants, collant, buff et polaire, j'ai retrouvé quelque chose d'à peine plus confortable : 29 °C la journée, 10°C la nuit. L'idéal ! Je viens d'arriver à Page et de visiter Antelope Canyon mais ce sera pour la prochaine fois. 47 nouvelles photos dans la galerie.

 

Les Amériques à vélo couché : De Page à Baker (pied de la Vallée de la Mort)

 

 

En partant de Kanab, ma foi le paysage n'était pas plus appétissant que ça, par contre j'ai dégoté un super coin de bivouac avec vue sur les Vermillon Cliffs qui portent bien leur nom. Mais en approchant de Page, je me suis de nouveau trouvée dans des endroits qui font que tu te demandes si c'est toi qui est complètement euphorique même si t'as rien fumé. Très beau. Très minéral, très grand. Et puis l'arrivée sur Page avec la vue sur le lac Powell, que pour bien faire, il faudrait aller visiter en bateau (Glen Canyon), je ne peux pas TOUT faire ni voir. À Page, il y a aussi Antelope Canyon. Il est minuscule, il ne se voit pas à moins d'être dedans. Au sol, une minuscule fissure à laquelle on ne prêterait même pas attention, qu'on enjamberait sans même allonger le pas. Mais dessous, wouah ! Il y a Upper et Lower canyon, j'ai visité Lower, parce que c'était moins cher, plus long, que ce n'est pas un aller-retour et que les groupes sont sensés être plus petits. Oui parce que c'est obligatoirement guidé. C'est une vraie usine, 100 000 visiteurs par an pour la seule compagnie que j'ai prise. Lower canyon appartient à un type et sa sœur. Ils ont chacun leur entreprise. Le terrain appartenait à leur grand-mère quand la faille a été découverte. Ils ont la concession et nous sommes dans la réserve indienne Navajo à nouveau, qui est immense et compte 360 000 habitants (native people). Donc Lower Canyon, je n'ai jamais fait un 400 mètres aussi lentement je crois et jamais autant de photos en si peu de distance. C'est à voir, à chaque virage, c'est à dire tous les deux mètres, tu t'émerveilles. Un peu plus loin à la sortie de Page, il y a Horseshoe Bend. C'est un virage en forme de fer à cheval que forme la rivière Colorado d'un bleu profond. Très photogénique, un chouillas trop grand pour mon grand angle mais bon, ça va. Je ne sais quelle hauteur font les falaises mais il ne fallait pas tomber.

Puis j'ai définitivement tourné la page (oui je sais c'était facile, je sors) et contre un vent désagréable ai monté la colline au sud, direction Cameron et le grand Canyon du Colorado. La cerise sur le gâteau, enfin... on verra.

En passant en Arizona, j'ai encore changé d'heure mais pas d'habitudes. Il fait désormais jour à 6 h, alors j'émerge à 6 h 15, naturellement. S'il n'y a pas de rosée et rien à faire sécher, comme c'est toujours le cas depuis un certain temps, une heure et quart après être sortie de mon duvet, je suis sur mon vélo. Pendant que l'eau du petit-déjeuner chauffe je démonte et range la tente et la bâche, je ne perds pas de temps. Il fait bon rouler dans la fraîcheur relative et le calme du matin. Il y a souvent moins de circulation, et pas de vent. Et puis rien que l'idée d'avoir une belle et pleine journée devant moi me plaît. Mais le soir je m'arrête tôt, vers 18 h déjà la pénombre fait tomber la température d'un cran et le vent aussi. Une demie-heure plus tard il fait quasi nuit. Je m'arrête minimum 1 h 30, plutôt 2 heures avant la nuit. J'aime avoir le temps de regarder correctement ce qui entoure le lieu choisi pour le bivouac, souvent j'y passe une bonne vingtaine de minutes, à pied, et puis aussi avoir le temps de monter la maison et de manger, de me brosser les dents et de me laver avant la nuit noire. S'il y a des petits travaux de couture ou de menues réparations à faire, des choses à entretenir, c'est aussi à ce moment là. Si je n'ai pas eu le temps avant (pendant que les pâtes cuisent), je prends mes notes et stabylote l'étape de la journée sur la carte dans la tente à la lueur de la frontale.

Bien. Donc Grand Canyon. Il a déjà fallu que je remonte de 1000 m avant de l'atteindre. Mais franchement, je n'ai jamais eu l'ombre d'un regret parce que le Grand Canyon, c'est le Grand Canyon. Et c'est juste immense. Énorme. Le Grand Canyon, en tout, mesure 446 km de longueur, mais surtout un mile de profondeur, c'est à dire 1600 m. On a l 'impression que ce ruban bleu au fond est tout petit : il fait 100 mètres de large. Bref le Grand Canyon c'est un truc de dingue. J'ai fait une partie de la route qui le longe un après-midi, visitant tous les points de vue, même à l'écart. Ce n'est jamais la même chose et la lumière change suivant l'orientation et l'heure. J'ai visité le reste le lendemain, à vélo toujours. Plus de 70 km dans le parc où j'ai donc passé une nuit, je n'ai pas le droit de faire du camping sauvage ici mais guère le choix non plus. Et puis c'est tellement facile de sortir de la route et de s'enfoncer sous la pinède... Hop, disparition soudaine de la cycliste, elle n'est plus sur la route. Évaporée dans la nature.

Ok, je m'éloigne un peu de la route, appuie mon vélo contre un arbre et comme à mon habitude, pars à pied voir les alentours. Au bout de 250 m environ, je me dis que là, c'est pas une bonne idée, je fais demi-tour mais trop tard. Incapable de retrouver mon vélo. J'ai fouillé un moment mais tout se ressemble. Je ne peux pourtant pas être très loin. Je retourne à la route, retrouve l'endroit exact où je l'ai quittée et marche dans le cheminement le plus facile, le plus logique, mais ne vois pas mon vélo. La lumière baisse, je dérange un blaireau et des cerfs me font sursauter. Je reviens encore à la route, et décide de faire une battue, tous les cinquante mètres. Je me vois déjà en train de passer la nuit à 2300 m en short et en tee-shirt, à chercher ma bécane à la faveur de la pleine lune. Sous les pins aux troncs noircis, léchés par les flammes d'un ancien incendie, il y a ceux qui ont cramé, des souches carbonisées aux formes identiques à celles qu'on voit dans les thrillers quand tout se plonge dans la pénombre et qu'il va y avoir un crime. Des troncs calcinés, des bouts tordus, vrillés. Entre temps, le soleil a disparu ce qui fait changer les points de repère que je pourrais éventuellement avoir. J'ai fini par retrouver mon vélo, je crois que j'étais contente et soulagée, je lui ai promis de ne plus jamais le laisser seul dans les bois. Je n'étais quand même pas très fière sur ce coup là, petite frayeur ! À vue de pif comme ça, je pense que j'ai tourné une heure ! C'est parfois long une heure.

À Williams, je suis accueillie par Ann et Greg, ce qui permet une demie-journée de récupération complète, une vraie douche une lessive et autre chose que des pâtes au menu du soir ! Comme je pourrais être à Las Vegas en trois ou quatre jours mais que j'en ai encore une dizaine devant moi, je décide d'aller voir Death Valley, prends préalablement le soin de trouver des hébergeurs Warm Shower dans la grande ville pour les 2 nuits des 15 et 16 octobre, pour deux personnes. Une seule réponse positive, c'est suffisant. Ça, c'est fait. Nous serons attendus. Nous ? Ah... !

Williams, c'est de là que part le train qui va au Grand Canyon, tous les jours. C'est là aussi que je déboule sur la fameuse route 66. Qu'a t-elle donc de spécial cette route ? C'est juste l'une des premières à avoir été construite après la seconde guerre mondiale et qui traverse les US de Santa Monica sur la côte Ouest jusqu'à Chicago. Aujourd'hui, seuls quelques tronçons n'ont pas été gommés par une autoroute Interstate. Dans les villages traversés, tout est 66, de la station d'essence à l'épicerie, et on trouve plus facilement des tee-shirts, des tasses et des casquettes que du pain ou des pâtes. Pléthore de restaurants et fast-food pour les bus entiers de Japonais bruyants, devantures et enseignes comme à l'époque, la route 66 n'existe plus que dans un but commercial, le macadam est mauvais et pire encore sur les accotements. Elle est longée par la voie ferrée. Un train d'un kilomètre de long qui avance à 40 km/h, toutes les vingt minutes, et dont le chauffeur actionne le clapet trois fois avant le passage à niveau sans barrière ni clignotant qui n'est éloigné que de trois cents mètres de mon bivouac, ça laisse combien de temps pour s'endormir ? Pas assez, même le sol vibrait. La 66, je l'ai suivie jusqu'à Kingman.

Après un autre col, j'ai de nouveau traversé le Colorado, à moins de 200 m d'altitude. Sous les 1200/1500 m, c'est la fournaise. Bullhead, Laughlin. Je suis dans le Nevada, des casinos partout. Je suis entrée dans l'un d'entre eux pour demander de l'eau, un autre monde assurément, même si les joueurs sont en tenue très décontractée. Puis ce fut la Californie. Nipton, 15 habitants et un établissement en rénovation après changement de propriétaire. Les nouveaux m'ont doublée sur la route, je suis attendue, on m'apporte immédiatement eau et bière fraîche « Fat tire » (qui me torpillera), on me propose la nuitée gratuite et la douche. L'ouverture officielle se fera le 1er novembre et ce sera le premier « Canabis resort » des US... Mais je dois avancer. Je stoppe cependant 14 bornes plus loin, séchée, et suis logée dans la seconde qui suit dans une dépendance, avec la clim... Je ne sais pas trop ce que c'est , il y a un cimetière de bagnoles, trois types très agréables que je ne verrai toutefois que peu, je fais ma vie. Le climat est tel que l'hospitalité à un cycliste va de soi. Le vent brûle, la gorge est sèche cent mètres après avoir bu, baume sur les lèvres toutes les deux heures. Changement de câble de dérailleur sous le cagnard sur la bande d'arrêt d'urgence de la 4 voies obligatoire. Boire, boire. L'eau est chaude mais c'est de l'eau quand même. Tout est chaud, l'air, l'eau, et tout ce que je consomme. Envie de frais bien sur.Végétation avec plein de piquants, quand végétation il y a. Sinon, c'est la lune, ça fout le vertige et c'est presque angoissant par moments. Contente d'être sur la route, une sécurité. La pente des cols n'est pas très importante mais ils sont interminables, … et ce foutu vent toujours. Bref, je mets l'organisme un peu à l'épreuve même si j'essaie au mieux de me ménager, les dénivelées sont significatives, les lignes droites un truc de fou. Je mise sur 8 km, il y en a le triple, et pourtant je suis avertie. Et je vais à Death Valley, quatre jours de nourriture dans les sacoches, c'est la bonne saison me dit-on. Au pire, il y aura des pick-up pour me ramasser si ça ne le fait pas.

Je suis à Baker, ici démarrent les choses très sérieuses. J'attends que le vent se calme pour m'engager dans cette vallée terrible. Météo annoncée ma foi plutôt conciliante sauf cet après-midi, trop fort vent de face, d'où la mise à jour du site en attendant qu'Eole se couche.

 

Les Amériques à vélo couché : De Death Valley à Las Vegas : deux extrêmes

 

Donc je pars de Baker, vent contraire et chargée comme une mule. Quatre jours de nourriture et 6 litres d'eau. Et pour le dessert ? Oui oui, c'est ça, pour le désert. Je ne m'affole pas, tout doux tout doux, je me ménage, essaie de faire tourner les jambes et de ne forcer en aucun cas. Difficile contre le vent, mais nécessaire si je ne veux pas me sécher. Un petit 13 à l'heure de moyenne en faux-plat descendant...

Premier après-midi, je voulais avancer d'au moins 25 km, j'en fais 42 et trouve un joli coin pour bivouaquer sous les seuls arbres que j'aie vu depuis Baker. Quatre Françaises en vacances se trouvent dans la première voiture à qui je fais signe. Une bouteille de deux litres et me voici de nouveau avec le plein pour le bivouac et de quoi aller à Shoshone à 50 km demain matin. La route est agréable, pas d'accotement mais peu de circulation. C'est paisible et c'est très, très grand. Sur le côté il y a des petites dunes et des montagnes. Décor minéral à outrance.

Shoshone, deux cols l'un derrière l'autre m'attendent avant de basculer sous le niveau de la mer dans Death Valley elle-même. Je passe la limite du parc national. Juste sous le panneau « Death Valley » il y a une dépouille de coyote éventré et nauséabond, pour planter le décor je pense. Non, je déconne, mais quand même au Visitor Center à Shoshone, sur l'affiche qui présente la faune du parc national, il y a, par ordre alphabétique : coyotes, crotales, scorpions et veuve-noires. Hum... va falloir faire attention où poser les pieds quand je sortirai de la route. Je monte mollo dans la chaleur au premier col à plus de 1000 m, plonge, puis atteins le second à 600 m et des brouettes et je plonge, je plonge, je plonge. La température, à l'inverse, monte, monte, monte. Et puis il y a eu le palier, net, franc, paf de frais le vent devient chaud, je suis passée sous une barre fatidique et à partir de ce moment là, je me dis que je passerai la nuit prochaine à transpirer sur mon matelas. Me voici au fond du trou. Vallée large et déserte, entourée de montagnes hautes. Que du rocher, gros, petit, minuscule, en grains. Non OK, quelques touffes éparpillées ici ou là. Comme j'ai toujours de la chance, arrivée l'heure de m'installer pour la nuit, quelques buissons me permettent de me camoufler. Un peu d'ombre, l'abri des regards, un peu à l'écart de la route où il ne passera de toute façon aucune voiture dans la nuit. Le silence. Une nuit de pur silence, même pas d'insectes pour frotter leurs élytres, même pas de souffle léger dans les arbres (pas de vent et pas d'arbres...), pas d'avion, pas de bagnole, pas de chiens, même pas un coyote qui hurle sa détresse dans la nuit. RIEN. Il paraît qu'il y a des gens que ça angoisse, moi ça me fait le plus grand bien.

Le lendemain je me lève un peu avant le jour pour partir tôt mais un pneu à plat retarde mon départ. Je suis toute seule sur la petite route, c'est calme, c'est immense, le soleil inonde les lacs de sels. Le fond est tapissé de blanc et fait un fort contraste avec les montagnes alentours. Je passe à Bad Water, le point le plus bas du continent, 86 m sous le niveau des océans. Ça fait bizarre de me dire que je suis dans une cuvette et que la surface de l'eau de tous les océans est 86 mètres au dessus de moi. J'espère que la cuvette est étanche ! J'ai fait le détour par Artist's Drive, qui m'a coûté une énergie folle. 400 m de positif. Mais ça valait vraiment le coup. Des roches jaunes, rouges, violettes, vertes... Très beau. Et puis une vue de haut sur la vallée, juste énorme. À Furnace Creek, comme prévu j'ai pris à droite pour sortir de la vallée et remonter par Zabriskie Point. J'ai alors 1000 m à remonter pour sortir de ce trou. L'après-midi ne suffit pas. Je ne serai passée que dans la partie sud de Death Valley, plus au Nord, il y a des dunes. Elle est très grande cette vallée, je l'ai remontée sur 100 km déjà. Les points d'intérêt sont dans la partie que j'ai vue et certes il fait chaud mais ce n'est pas pire que certains tronçons que j'ai fait il y a un mois. Par contre c'est marrant, on dirait que parce que tu es à Death Valley sur un vélo, les gens deviennent plus attentifs. Avec 10°C de plus dans un endroit sans nom, personne ne fait attention à toi.

Une perle maintenant. Un camping-car néerlandais arrêté à un col. Je m'approche pour demander de l'eau. Le type redémarre en me voyant débouler. Je fais signe, hésitation, il s'arrête. Ok, on discute cinq minutes, il me file une minuscule bouteille d'eau bien chaude alors qu'il a un frigo dans son camion et des réserves sûrement abondantes mais bon, il me file un peu d'eau. Il est trois heures de l'après-midi, (je rappelle qu'à 18 heures il fait quasi nuit) et là il me dit :

  • Ben ça va, vous êtes presque arrivée.
  • Arrivée où ?
  • Ben là où vous allez ce soir !
  • Euh, je ne sais même pas moi-même où je serai ce soir.
  • Ce n'est pas très loin !
  • Quoi qui n'est pas très loin ?
  • Je ne sais pas, le prochain camping. (À noter qu'il ressort de la vallée lui, et que je n'ai jamais dit que j'allais dans un camping vu que je n'y vais JAMAIS)
  • Le prochain camping est exactement à 107 km d'ici.
  • Oui, mais c'est facile.
  • Il y a encore un col à passer Monsieur.
  • Ah ben respect hein !

Oui, ben pas moi, dialogue de sourds, parce que dans le genre parler pour ne dire que des conneries, là il y avait quelque chose. Et respect oui, bien sur, je ne lui ai pas rappelé qu'au départ, il se barrait en me voyant arriver... il n'en avait pas beaucoup du respect ! Voilà, eh ben j'aime les Américains pour leur gentillesse, leur prévenance. Quand tu leur demandes s'ils ont un peu d'eau, ils te remplissent tes récipients, te proposent à manger et te filent un Pepsi frais sorti de leur glacière et te demandent encore s'ils peuvent faire quelque chose d'autre pour toi !

En arrivant dans la vallée de Pahrump, rendue opaque par les fumées des feux de forêt qui sévissent à l'Ouest, je suis bien contente de trouver un lit, une vraie douche, de pouvoir laver mes vêtements chez Donna et Roger. Pahrump, un lieu à se tirer une balle dans la tête... 12 miles de long, pas de centre, des maisonnettes de bric et de broc, une population de retraités et un endroit où la prostitution est légalisée. Rien à y faire, je repars dès le lendemain matin, décide d'en finir et de rejoindre Vegas au plus vite. J'y suis attendue et pourrai me reposer trois jours pleins, remettre mon vélo en état et lui offrir à lui aussi un vrai nettoyage. Je suis donc dans la banlieue de la ville des casinos par excellence, j'attends Nicolas, un cyclo français qui me rejoint ici, avec sa bicyclette, pour deux mois et demi, avec pour objectif d'être à Cancun, sud Mexique, le 28 décembre.

Donc Las Vegas. Yep ! Il n'est quand même pas possible d'être trois jours dans la banlieue sans descendre à un moment donné sur le « strip ». Autrement dit le boulevard où se trouvent tous les grands hôtels, les casinos, la Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe, Venise, New York, la Statue de la Liberté, l'Egypte etc. Bon, bien sur ça clignote, ça joue, ça flashe de partout et c'est bruyant. Tout est démesuré mais quelque part c'est bon enfant. Du jeu quoi ! Les gens, même les joueurs des casinos sont décontractes, tenue correcte non exigée. Limousines roses bonbon interminables, tours flamboyantes, spectacle de jets d'eau, petite télé entre le lavabo et le mur pour pas perdre une miette du match de football américain. Monde de consommation à outrance et débauche de watts par excellence. Par contre, le jeu était un peu faussé car une marche silencieuse était organisée pile-poil là à la mémoire des 58 victimes de la tragédie, il y a deux semaines exactement et il y avait donc une présence policière un peu exagérée. Alors ce genre d'endroit n'est pas forcément ma tasse de thé mais quand même je suis super contente d'y avoir passé une journée et une soirée. J'ai vu Vegas ! Yeah !

Nicolas est arrivé, son bagage une journée plus tard (petite frayeur). Nous prenons la route demain direction Twentynine Palms et Joshua Tree National Palms.

À plus

 

Les Amériques à vélo couché : Fin des US – Joshua Tree – Frontière Mexique

 

Las Vegas est derrière, au nord. C'était la plus grande pause dans mon voyage jusqu'à maintenant. J'y ai nettoyé mon vélo et tout vérifié. La machine tient bien le coup, avec près de 13000 kilomètres déjà au compteur, aucun jeu ne s'est installé nulle part, pas d'usure prématurée, tout est normal, seul mon pneu avant est lisse, usé plus d'un côté que de l'autre, j'en ai de rechange...

Donc nous voici partis, avec Nicolas, en direction de Joshua Tree National Park. Trois jours durant lesquels il ne s'agit que d'avancer, le paysage étant plutôt monotone. Et cela tombe bien, nous bénéficions d'un vent favorable. La température est assez élevée mais gérable, nous pouvons rouler toute la journée sans tomber comme des mouches.

La traversée du parc national de l'entrée ouest à la sortie sud nous occupe un moment et nous dormons une nuit dans le parc. Le relief est particulier, blocs de rochers éparpillés par centaines au milieu des « Joshua Tree ». Ces arbres, il y en a deux millions dans ce parc (voir les photos), mais nous voyons aussi d'autres espèces, et notamment des cactus aux épines particulièrement méchantes. Attention où nous posons les pneus et même les pieds ! Le parc est en altitude, il y fait bon, nous nous rendons à Keys View d'où l'on domine toute la vallée de Palm Springs, et le nuage de pollution permanent issu des industries et de l'activité humaine des grosses agglomérations de la Californie. Los Angeles est tout près.

Après le parc c'est une descente sans interruption jusqu'à Mecca où nous débarquons dans une verte vallée irriguée. Vignes, pamplemousses, poivrons, palmiers dattiers et autres cultures. Cela me fait un bien fou de voir du vert même si cela ne durera que quelques heures. Et à Mecca déjà une grosse partie de la population parle espagnol , mes mots s'embrouillent un peu mais ça viendra vite ! Une connexion rapide permet de voir que nous pouvons être logés le soir même à Brawley avant la frontière et le lendemain à Mexicali de l'autre côté du « mur ». Super, cela permet de fignoler certaines choses. Le lac Salton Sea est salé, comme son nom le laisse supposer, nous le longeons une bonne partie de la journée. Les rives sont absolument désertiques, quelques villages fantômes dorment sous des palmiers isolés.

En approchant de la frontière, nous sommes dans des zones agricoles intenses. Les milliers de vaches entassées sous les tôles d'une exploitation par 38°C à l'ombre nous regardent passer avec un regard éteint. Mais c'est la culture qui prédomine et les sillons sont bien droits, comme la route.

Alors c'était bien les US. Quand même, il faut le dire. J'ai bien rempli les 91 jours que j'y ai passés, en tout, j'ai vu du pays, je suis allée là où j'avais l'intention d'aller et même plus. Si je n'avais pas du être à Las Vegas le 15 octobre, je serais allée voir le Parc National de Séquoia en plus... J'y ai parcouru plus de 8000 km. J'ai été grandement surprise par l'accueil reçu. Je ne m'attendais pas vraiment à ça, j'étais arrivée avec dans la tête les clichés qu'on a tous plus ou moins, nous Européens. Bref, j'ai été agréablement surprise. Je n'y ai pas déboursé un seul cent pour me loger. Même si je n'adhère pas du tout à bon nombre de leurs idées et propos, je ne pourrai jamais dire que j'y ai été mal reçue ! Ils sont serviables. Et un seul conducteur s'est montré idiot avec moi, il y a longtemps, en me serrant trop tout en me faisant un gros fuck par sa fenêtre, sans aucune raison, juste parce qu'il n'aimait pas les cyclistes ou les étrangers. Ou les deux. Ou les femmes, mais non, ça il n'a même pas eu le temps de voir !

Devant les roues s'ouvre une nouvelle page du voyage. Terminé l'anglais facile, bonjour l'espagnol bredouillant. Et puis il va falloir être un peu plus vigilant, plus scrupuleux quant aux endroits où s'installer pour dormir. Bref, c'en est terminé de l'Amérique du Nord... Je n'ai guère idée de ce qui m'attend dans ce pays, je n'ai pas étudié la question, je verrai au fur et à mesure. Les photos des Etats-Unis sont dans la galerie.

Dernière photo : Nicolas Maechler

 

Les Amériques à vélo couché : Basse-Californie, Mexique

 

La frontière. Je la passe jour pour jour 5 mois après avoir quitté mon village jurassien. Elle arrive assez subitement et le changement est une grande claque. Elle est physique d'abord, les deux pays sont séparés par un mur métallique de 4 mètres de haut avec une espèce de no man's land de quelques mètres derrière. D'un côté les States avec des rangées de maisons bien proprettes sur des terrains tondus et arrosés, de l'autre le Mexique avec des empilements de tôles, parpaings et cartons, des ruelles défoncées et étroites jonchées de détritus. La vue satellite de la zone par Google Maps est impressionnante. Changement radical de monde comme ça l'avait été entre le Kirgizistan et la Chine à Ishkachim, et par cette journée où le thermomètre flirte avec les 100°F (38° C), tout m'explose à la tête. La circulation, la vie dans les rues, la chaleur, les trous dans le macadam qui secoue. Me voici de nouveau dans un pays où on trouve des gargotes à tous les coins de rue, des ateliers en tous genres ouverts sur la rue et juste recouverts d'une tôle, des vieilles bagnoles menaçant ruine, des vendeurs ambulants, des mendiants, des jus de fruits frais et des plats trop épicés. Ici, on mange pour deux euros dans la rue, mais le choix est restreint : tacos, tacos ou tacos. Je m'étais habituée aux US et c'est en en sortant que je me rends compte à quel point tout y était aseptisé, réglementé, presque mort. Oui, c'était très confortable, tout était très facile, les rues étaient bien identifiées, larges, aérées. Ici, tout est un peu plus aléatoire et surtout plus serré tout d'un coup. Je me sens à l'étroit. Ça ne durera pas, les prochains jours me verront de nouveau dans des espaces très ouverts. Les gens ont l'air plus actifs ici, c'est à dire qu'il faut se débrouiller pour gagner sa croûte, des petits boulots à profusion, et puis des estropiés.

À la douane, j'ai acquitté le prix du visa qui me permettra de rester jusqu'à six mois sur le territoire. Puis les choses habituelles quand on arrive dans un nouveau pays, faire du change, s'orienter, ouvrir grands les yeux et les oreilles, prendre quelques repères, regarder les prix, croiser les regards des gens. Ici, il y a des gens qui se déplacent sur un vélo, autrement qu'en cuissard et maillot fluo.

À Mexicali, nous logeons dans une clinique privée, deux nuits. Roberto, le warm shower qui nous accueille en est le propriétaire. Tout son personnel nous bichonne et les petit-déjeuners offerts dans une gargote un peu plus loin sont copieux et très appréciés ! Une courte discussion avec Roberto et voici mon conducteur de train de coéquipier qui se fait aiguiller par l'acupuncteur vers la Basse Californie plutôt que vers « l'intérieur » du Mexique où nous avions prévu d'aller... Soit disant que c'est beaucoup plus joli. Soit. Les changements de plans font partie du voyage, nous reviendrons dans les montagnes par la suite.

La Basse Californie, cette étroite bande de terre longue d'environ 1700 km attire l'oeil sur les cartes. Je ne savais pas du tout quoi y trouver. J'y ai découvert une variété de paysages et d'écosystèmes impressionnante. C'est vrai que 1700 km, ce n'est pas une paille. Alors j'y ai eu du désert, du vrai, avec pas un arbre et même des petites dunes avec des montagnes nues en toile de fond. Des lignes droites à perte de vue. Plus loin j'ai vu à gauche le golfe de Californie qui se dessinait, désert de sel. À partir de San Felipe et surtout de Puertecitos, la route longe plus ou moins les eaux d'un bleu profond du Golfe. Elle est quasi déserte et vallonnée. Puis elle s'arrête nette et une piste en très mauvais état la remplace, 40 km, dont une partie à pousser les montures dans la caillasse et le sable.

Après une jolie bagarre avec le terrain nous atteignons Coco's Corner, maison isolée au bord de la piste où tous les chauffeurs et motards s'arrêtent, le temps d'une bière ou d'un soda. Quand j'arrive on m'offre d'emblée bière et eau fraîche. Coco, le proprio, a les deux jambes coupées au niveau des genoux, c'est un personnage, tout le monde le connaît et le plafond de sa masure est orné de dizaines de petites culottes féminines avec date et prénom. Toute femme passant par là est obligée d'en laisser une, je me défile en disant que ce n'est pas possible, que je n'ai que celle que je porte...

Plus loin encore, la Basse Californie nous a offert une forêt de cactus. Il y en a de toutes sortes, des grands de 5 à 6 m, épais et imposants, des plus malingres qui ressemblent à un bouquet d'écouvillons, des râblés et costauds, des qui forment des arabesques mais dont les grands piquants serrés ne donnent pas envie d'aller s'y frotter. Paysage... dépaysant. Cette route 1 n'est pas large mais c'est l'unique de la péninsule, on se demande comment les poids lourds arrivent à se croiser. Pas d'accotement, mais elle est si étroite que les chauffeurs sont vigilants et nous ne nous faisons pas serrer. Depuis Mexicali, nous devons acheter de l'eau en bouteille, par bidons d'un galon, de 5 ou 6 litres tant nous consommons. Pas ou peu de villages, nous devons nous charger. En approchant de Rosalito, nous devinons le Pacifique... sous les nuages. Le taux d'humidité est soudain beaucoup plus élevé, les affaires laissées dehors le temps du dîner se sont imbibées d'eau et les tentes sont mouillées. Il fait aussi plus frais... ça faisait si longtemps !

30 Octobre, journée monotone à crever, mon compteur passe les 14 000 km et nous arrivons le soir à Guerrero Negro. Ville poussiéreuse, rues en sable, chiens SDF, petits commerces, et rien à voir. La lagune et les salines n'ont pas d'attrait. Plus loin, au bout d'une longue piste infecte, peut-être pourrait-on voir des baleines, c'est la saison. Nous logeons en warm shower, sous nos tentes dans l'arrière-cour d'une famille de cinq enfants. Douche froide, lessive à la main et seulement deux chambres pour tous les occupants, l'un des garçons dort sur le canapé.

Guerrero Negro est à la limite de Baja California Sur, séparée de celle du nord par le 28 ème parallèle. Nous avons déjà eu trois contrôles militaires sur la route, ils ne nous demandent rien, nous font parfois la causette trente secondes, sont tout sourire et nous laissent passer.

Traversée du désert de Vizcaïno, qui est aussi une réserve de biosphère. Au début, du désert, ligne droite monotone, puis plus loin, des cactus à nouveau et des reliefs au loin de chaque côté. Des paysages verts. J'ai déjà dormi dans la forêt tropicale, dans la forêt boréale, dans la forêt d'épicéas, de feuillus, sur le sable, les cailloux, le sel, la neige et la glace, que sais-je encore. Mais jamais je n'avais planté ma tente comme ça au milieu des cactus. Rien qu'autour de moi, j'en compte 6 espèces différentes. C'est on ne peut plus exotique. Les cônes des volcans recouverts de végétation se découpent en silhouette. L'arrivée par la zone industrielle de Santa Rosalia est glauque, le « centre-ville » est un peu plus avenant mais toujours pas de quoi s'attarder. C'est à partir d'ici qu'avec Nicolas, nous ferons route à part, je ne veux pas passer le temps qu'il me reste à vivre (quelques décennies j'espère) avec des gens qui me pourrissent la vie, même au Mexique.

Je rejoins par hasard deux Français, père et fils, et reste avec eux deux nuits. Bivouacs idylliques sur les grandes plages dont certaines sont désertes, baignade... Nous traînons et profitons. C'est à partir de là que je me suis dit que la Basse Californie méritait quand même bien un détour. Après ces bons moments passés avec Laurent et Christian, je reste sur le macadam tandis qu'eux s'en vont sur les pistes.

Le littoral casse les jambes, le taux d'humidité et la température sont bientôt dignes d'un hammam, mais ce tronçon entre Mulegé et jusque après Loreto est vraiment très beau. Loreto, enfin une jolie bourgade. Coincé entre la mer et les montagnes, le petit centre-ville historique est avenant, d'architecture coloniale. J' y passe une partie de l'après-midi. Les gens y sont très sympathiques. J'y fais mes courses et les pleins d'eau (7,5 litres) pour mon bivouac et la journée du lendemain. Et je trouve encore une plage à l'écart de la route mais dans la soirée un pick-up amène une famille de dix personnes. Ils dormiront emballés dans des couvertures sur la plage. De Loreto, ils viennent simplement passer le week-end ici, à se baigner et pêcher. Belle soirée en leur compagnie.

Puis il a fallu repasser des montagnes taillées à la hache et densément boisées qui semblent impénétrables pour retourner à proximité de la côte Pacifique, où je trouve contre toute attente un air beaucoup plus sec cette fois-ci. Ciudad Insurgentes n'offre rien à voir, sa voisine plus importante, Ciudad Constitucion, lui fait de l'ombre. Il semblerait que plus je vais au sud, plus les villes sont jolies... et riches. Je suis de nouveau sur du terrain plat dans de longues lignes droites, des cultures irriguées bordent parfois la route, parfois quelques vaches broutent l'herbe maigre entre les cactus.

Qu'il soit clair, entre Ciudad Insurgentes et La Paz, il n'y a rien à voir, juste des kilomètres à avaler. Les lignes droites sont monotones et écrasées de chaleur, je dois couper mes journées en deux. Je ne peux pas rouler pendant les heures chaudes, c'est à tomber. Le vent trop chaud me brûle littéralement. Je me liquéfie jour et soir (la nuit la température tombe quand même), j'ingurgite des litres de liquide pour compenser et n'y parviens qu'avec difficulté. Je trimballe jusqu'à 7,5 litres sur mon vélo pour assurer le bivouac, ma consommation nocturne et ne pas repartir le lendemain à sec. Ce ne sont pas des endroits où traîner. Mes bivouacs sont jolis, surtout ceux dans les cactus. J'y apprendrai deux choses. La première c'est que même les grands échalas tout raides et tout droits de 6 mètres de haut ne fournissent pas d'ombre et la seconde, c'est que quand tu installes ton bivouac dans les cactus, l'important est ne pas se faire piquer, ni le vélo ni rien d'autre. Je sais c'est facile, je sors. Les couchers de soleil rivalisent de soir en soir, les ciels nocturnes sont impressionnants.

Le 7 novembre, j'arrive à La Paz, ville déjà importante. J'y suis logée en warm shower dans une maison où quatre autres voyageurs font escale dont Caroline Moireaux, la Jurassienne que je connais et qui est en voyage depuis de longues années. Réparation de mon matelas au diluant et silicone, couture sur les sacoches, préparation de la suite... Mon jour de repos sera bien occupé. Cette maison c'est comme une auberge mais en mieux, c'est grand confort, calme, disponibilité de Tuly, bref, une étape qui requinque et qui permet de tout remettre en ordre.

Je vais laisser des affaires ici (doudoune, veste et pantalon de pluie, polaire...) et partir faire le « tour des caps », tout au sud. Puis je repasserai ici en tentant de ne pas y prendre racine avant de prendre le bateau pour traverser le golfe de Californie.

48 nouvelles photos dans la galerie Mexique.

 

Les Amériques à vélo couché : Tropique du Cancer

 

Brève mise à jour pour la fin de la Californie. Je suis donc partie de La Paz pour faire le « tour des Caps » à l'extrême sud de cette péninsule décidément bien montagneuse. Bon, jusqu'à Todos Santos cependant, c'était plat. J'ai bien aimé cette petite bourgade charmante abritée sous les palmiers à quelques encablures du Pacifique. J'y croise déjà quelques Américains, glaces à la main mais l'ambiance est quand même bien mexicaine, vendeurs ambulants de jus de fruits, petites échoppes et écoliers en uniforme impeccable. Plus loin je croise le tropique du Cancer. Et je me rends compte que ma définition du tropique n'est pas vraiment claire dans ma tête. Ce sont les parallèles (23,26 degrés nord ou sud) entre lesquels le soleil passe au zénith au moins une fois dans l'année. Voila. Et là, en l'occurrence, il cogne bien assez fort. Plus loin encore je traverse le village de El Pescadero, adossé aux collines verdoyantes. Les palmiers ont décidément remplacé les cactus pour un temps. C'est peut-être ça aussi le tropique...

Je longe ensuite le littoral qui est sauvage. Il me fait penser à nos côtes atlantiques dans les Landes, plages sans fin et gros rouleaux qui se fracassent sur la grève dans un vacarme assourdissant. Et plus je vais vers le sud plus les énormes maisons d'Américains retraités sont nombreuses. L'endroit est prisé. Je monte ma tente dans une de ces propriétés. Pas antipathique du tout mais dans un autre monde, le couple sirotera des cocktails avec ses amis au bord de la piscine sur des chaises longues tandis qu'à quelques mètres seulement je fais cuire mes pâtes sur mon réchaud, assise sur une de mes sacoches. Ils me mettront toutefois une douche et des toilettes à dispo.

Le lendemain commencent les montagnes russes avec de belles échappées sur l'océan. Puis je débarque à Cabo San Luca et me crois soudainement presque revenue à Las Vegas. Touristique à mort et surpeuplée car demain arrivent ici 200 bateaux qui ont participé à la Baja ah ah. Ils sont partis de San Diego, ce n'est pas une course, juste un rassemblement, ils naviguent toute la Californie. Cabo San Luca est la fin. De plus un Iron man aura lieu dimanche, je croise quelques cyclistes très profilés et d'autres m'enrhument en me doublant.

De Cabo San Luca à San José Cabo, c'est une suite d'hôtels démesurés qui occupe la côte. Les plages sont belles mais pas très accessibles. Je trouve cependant à planter ma tente sur l'une d'elle, gardée, dans un quartier résidentiel TRES haut de gamme. Le gardien qui m'autorise à rester là (ouf, merci à lui) passe toutes les demies heures, toute la nuit. Je ne m'attarde pas à San José Cabo, je file, traverse toute la ville, huppée en bas, populaire voir défavorisée en haut. Je ne prends pas la piste sableuse de tôle ondulée qui passe par Cabo Pulmo. Los Barilles, même topo, gros hôtels et jet set. Par contre, les petits villages qui jalonnent la route de montagne pour revenir à San Pedro sont magnifiques, authentiques et très agréables. Le paysage est beau, montagnes boisées de palmiers... Je repasse le tropique du cancer. Dans la même heure précédent mon bivouac, j'explose littéralement le yaourt d'un kilo dans mon sac à dos, hum, c'est con pour le yaourt, et je vois deux serpents à sonnette écrasés sur la route. Je peux vous dire que j'ai fait très attention où je posais les pieds quand je me suis écartée de la route pour dormir. Je traverse le petit village de El Triumfo à l'heure de la sortie de la messe, les habitants sont sur leur trente et un.

J'arrive à la casa à La Paz, chez Tuly, bienheureuse, et y reste deux jours. La maison est toujours pleine de cyclistes et il sera difficile de s'arracher d'ici.

J'ai vu un peu de la Californie, demain mercredi je partirai par le bateau pour rejoindre Los Mochis et de là pédalerai jusqu'à El Fuerte pour prendre le fameux train « El Chepe » jusqu'à Creel. Du joli à venir !

Autre nouvelle : un petit tour sur Cuba sera au programme, j'ai bloqué un aller retour Cancun-La Havane pour le 17 janvier - 8 février...

 

Les Amériques à vélo couché : De Baja California à Zacatecas par El Chepe et la Sierra Madre Occidentale

 

Tuly, l'hôte Warm Shower de La Paz est absolument incroyable. Elle ne dit non à aucun cycliste. La dernière nuit des 5 que j'y aurai passé en tout, nous n'étions pas moins de 11. Des matelas partout, des vélos en tous genres, des conversations à tout rompre, des échanges, des bons plans... Tuly n'est jamais très loin mais elle vit sa vie, elle est cependant d'une disponibilité sans faille. Pour certains elle va jusqu'à faire taxi, couturière, office du tourisme que sais-je encore, réceptionniste de colis. J'ai eu la chance d'être dans une chambre à chaque fois, seule ou partagée. Ces 2 jours complets de repos ont permis de clarifier pas mal de choses dans ma tête sur la suite du voyage. Il faut des endroits comme ça de temps en temps pour se poser, pour remettre en état vélo et matériel, pour se connecter et préparer la suite, pour faire une lessive, pour cuisiner un peu, bref, pour faire tout ce qu'on ne peut pas faire quand les nuits de bivouacs s'enchaînent. Parce qu'on n'a pas des vies faciles quand même !

Voila, donc plus que je ne suis partie, je me suis arrachée de chez Tuly et Genesis, une de ses 4 filles. J'ai quitté Laurent et Christian les Français, Christina la Canadienne, Hilda la Belge, Manu le Suisse, Caroline la Jurassienne et les autres, Japonais, Hollandais... Je suis sortie de La Paz, 22 km pour aller au port. Embarquement direction Topolobampo, de l'autre côté du golfe de Californie. De Topolobampo, village construit en escaliers adossé aux collines verdoyantes, on ne sait pas si ce qu'on voit sont des îles ou si c'est la côte découpée, avec des baies et des caps. L'endroit est joli et d'autant plus surprenant que dès qu'on quitte le bord du golfe, derrière ces collines, c'est absolument plat jusqu'aux contreforts de la Sierra Madre, à une bonne centaine de kilomètres. Je suis dans l'état de Sinaloa, le seul du Mexique où l'eau est potable au robinet, celui aussi qui est totalement dédié à l'agriculture. Topolobampo c'est aussi un des seuls endroits du pays d'où l'on peut sortir au choix par quatre moyens de transport en commun différents : l'avion, le bateau, le bus et le train. Dans ce village qui ressemble presque à ceux des Cinque Terre en Italie, j'ai été la première personne que recevait Amairani, toute nouvelle couch-surfeuse, étudiante en médecine. Et c'était bien. Le lendemain, j'ai rejoint Los Mochis à vélo et ai demandé à la gare ce qu'il en serait de mon vélo pour prendre le train jusqu'à Creel depuis El Fuerte. Je vous passe les détails mais je me retrouve à prendre le train depuis là et à dormir la nuit qui précède dans le hall fermé et gardé de la gare, avec le soutien du gardien. Et j'embarquerai avec mon vélo, je crois que j'ai négocié un prix raisonnable. Encore une nuit qui sera courte, je dois être sur le quai à 5 h du matin et finalement nous serons 6 à squatter la gare, dont un bébé qui a beaucoup hurlé.

Cette voie ferrée est une prouesse. C'est spectaculaire tout le long. Pour ceux qui veulent un peu de détails, vraiment c'est intéressant et court (une page) : http://www.mexique-voyage.com/elchepe.html . Le voyage commence par traverser les cultures du Sinaloa puis peu à peu se fraie un chemin entre des collines avant de rentrer dans les canyons de la Sierra Madre occidentale. Dans le train il y avait deux gardes armés jusqu'aux dents mais plutôt détendus. Il y a des arrêts à des endroits improbables, quelques personnes montent ou descendent chargés de cabas, et dans les gares plus importantes, des gens cherchent à vendre fruits et en-cas. Au seul arrêt d'un quart d'heure, tout le monde descend du train, c'est que nous sommes au bord du canyon du cuivre, et c'est juste magique, en plein cœur de la réserve indienne Tamahumaras. Ce n'est pas un train pour touristes, c'est un véritable cordon ombilical qui traverse le massif là où il est impossible de construire une route. Des Mexicains viennent cependant juste pour prendre El Chepe, tant il est réputé. Ravins, ponts enjambant canyons et rivières, tunnels en veux-tu en voilà, le train se tortille à 26 km/h de moyenne.

Partie du niveau de la mer, je descends du train à Creel à 2500 m d'altitude. Passer en deux jours de la Basse Californie brûlée par le soleil à la Sierra Madre où je dois me méfier du verglas à l'ombre, est un choc thermique conséquent. Des nuits passées à transpirer à poil sur mon matelas, je me retrouve à avoir froid aux pieds, sors buff, gants, collant et manches longues.

La Sierra Madre est un lieu tourmenté du Mexique. Narcotrafiquants, bandes rivales armées planquées dans la forêt, les pistes de montagne et les villages complètement paumés et quasi inaccessibles sont le siège régulier de règlements de compte sanglants, les assassinats n'y sont pas rares même s'ils ne sont pas non plus quotidiens. Il ne faut pas vouloir voir ce que les trafiquants ne veulent pas qu'on voie. C'est tout. En restant sur les routes goudronnées, normalement ça va. La drogue transite de la Colombie aux US, les pauvres gens sont utilisés et les clans ne se font pas de pitié. La Sierra Madre est taillée à la hâche, le relief y est tellement rude que seulement deux routes la coupent par le travers, une plus au nord que j'aurais du prendre si le préposé derrière son guichet n'avait pas été conciliant, et qui m'aurait ajouté 750 km et 10 000 mètres de dénivelée positive, et une autre beaucoup plus au sud. Le massif coupe le pays en deux, dans le sens de la hauteur. C'est une véritable muraille de canyons, de forêts inextricables, de labyrinthes.

Une première étape depuis Creel et je plante mon bivouac, bien planquée dans la réserve indienne Tamahumaras (https://www.mexique-voyages.com/population/les-tarahumaras.php). Le jour suivant, avant Guachochi, la police municipale me double, et s'arrête, intriguée par mon engin. Nous faisons causette, je leur demande si je peux dormir au poste et c'est oui. Mais quand j'arrive sur place, ils jugent indécent de loger une femme à bicyclette qui vient de se cogner Creel-Guachochi en 2 jours (157 km, 2700 m de deniv pos) autrement qu'à l'hôtel (et pas des plus pourraves!), aux frais de la municipalité. En attendant la réponse du maire, les policiers ont lancé le concours quant au poids de mes bagages. Pour savoir qui est vainqueur, nous avons tout mis sur la grosse balance, il y avait 35 kilos. Vu l'eau et la nourriture que j'ai des fois en plus, j'en conclus que je trimballe parfois 40 kg + 16 kg de vélo + mes 60 kg à moi dans les pentes à plus de 10% à la seule force de les quadriceps ! Quand même !

Tout le long entre Creel et Parral, c'est très beau, très sauvage, les villages sont très espacés, il faut une fois de plus prévoir eau et nourriture. Les pins chauffés par le soleil dégagent cette bonne odeur de Sud. La nuit ça gèle, la journée c'est short et tee-shirt... Jolies vues sur les tourments de cette région. Si les Indiens sont froids et peu enclins à sourire ou à répondre à mes salutations, les Mexicains, eux, sont toujours aussi agréables et serviables. Les signes des automobilistes sont nombreux, et ils passent complètement à gauche pour me doubler, ne roulent pas très vite sur ces routes tortueuses. C'est bonheur. En arrivant sur les hauteurs de Balleza, le paysage change complètement, devient très ouvert. Les couleurs automnales des pâtures et des cultures parsemées de pins qui restent verts, avec un autre faisceau minéral de la Sierra Madre en arrière-plan, sont de toute beauté. J'adore ces couleurs et ces reliefs, je me fais vraiment plaisir à être là. Avant le village, la même auto me double trois fois et s'arrête pour que les gamins me prennent en photo. La troisième fois je m'arrête, je cause un peu avec ces gens, le courant passe bien, je leur dis que je cherche un endroit pour dormir en sécurité et au calme.

- Eh ben viens chez nous !

Je suis dans l'arrière-cour à côté des toilettes et du poulailler dans une pièce débarras avec un lit et un fauteuil. Je vais pouvoir une fois de plus dormir sur mes deux oreilles.

Je récupère nuit après nuit des fortes chaleurs californiennes et d'un état de fatigue générale accumulé sur plusieurs mois, et je suis en train de me dire jour après jour qu'il y a des choses beaucoup plus faciles quand on voyage en tant que femme seule, qu'à deux, en couple... Aurions-nous été logés à Creel, aurions-nous été logés à Guachochi, aurions-nous été logés ici à Balleza ? Les gens sont en confiance d'emblée, et sont protecteurs. Il y a vraiment des avantages à voyager seule. Bien sur, il faut de la vigilance, ça s'apprend, il ne faut jamais aller contre son feeling, mais une fois passée la peur primitive de ce qu'on ne connaît pas et donc de l'autre, c'est bonheur. Une femme seule en voyage sur un vélo (qui plus est vélo couché) avec ses bagages, force le respect et l'admiration, c'est ce que je ressens en tout cas pour le moment de la part des Mexicains. Pour preuve tous les signes amicaux et d'encouragement sur la route et le nombre de fois où mon vélo est pris en photo (euh oui, c'est pas moi qui les intéresse hein, je ne me méprends pas).

Hidalgo del Parral, je fais halte quelques heures dans la ville où Pancho Villa, hors-la-loi mexicain devenu chef de la División del Norte et général de l'armée fédérale au cours de la révolution mexicaine, a été assassiné . Son imposante statue gagnerait à être mise en valeur. Sans les conseils des habitants, jamais je ne l'aurais vue, mais ils en sont si fiers qu'ils m'y envoient tous. Pour l'internet, je demande à un hôtel son mot de passe et je passe plus d'une heure sur le confortable divan du hall d'entrée. Je ne suis pourtant pas cliente. En sortant de la ville, je croise un cycliste qui fait demi-tour pour m'accompagner un bout. Le soir du même jour, à Villa Matamoros, je demande où planter ma tente en sécurité si possible dans une propriété privée.

  • Tu veux venir à ma maison ?
  • Ben oui !

Je suis derrière la maisonnette, la femme s'est absentée mais en revenant, on m'a offert chocolat chaud et bon pain fait maison, je suis invitée pour le petit-déjeuner (œufs pochés avec tortillas, piment vert fourré au fromage et revenu à l'huile, smoothie, céréales et lait). Pendant que je monte ma tente, les gosses du quartier viennent discrètement jeter un œil et faire un petit coucou. Visages épanouis. Ils dansent dans la rue. La porte reste ouverte si j'ai besoin des toilettes, on me propose une douche et même un lit mais je suis déjà installée. La maison fait 25 m² à tout casser, il y a là une femme et ses deux filles, une case en béton brut, mais on m'aurait fait une place et tout ça me va droit au cœur. Il n'y a pas de chaises pour tout le monde, on improvise avec des caisses. Je suis dans une région orange, juste avant le rouge sur la carte du site « diplomatie.gouv.fr »...

Le lendemain je pars tard car le petit déjeuner s'est éternisé et j'ai profité d'être bien installée pour réparer encore une crevaison. Tous les matins depuis une semaine, je regonfle mon pneu avant et ça tient la journée, mais depuis deux matins c'est vraiment à plat. La journée est assez morne, le paysage a perdu de son attrait. Je campe dans la nature. Après Villa Matamoros, il n'y a que quelques villages un peu à l'écart de la route qui est très peu fréquentée, sur 400 bornes. Je ne m'attendais pas à ça pour une route rouge sur la carte. Avant et après Rodéo, le paysage offre de nouveaux quelque attrait mais la route qui me mène à Zacatecas par Rio Grande depuis Pedricena est une ligne droite chargée en poids-lourds, que je trouve bien longue et monotone. Je bivouaque dans des pâtures, dans des cultures, franchissant les clôtures à la va-vite. Une fois le paysan viendra et tout ce qu'il trouve à me dire alors que je suis sur son terrain est de me demander si j'ai à manger et à boire, pourquoi je voyage à vélo, et me préciser qu'il m'a vue passer à Paso Nacional... Une autre fois, j'ai la visite insistante d'un coyote alors que je prépare mon repas du soir.

Toutes les nuits il gèle, assez fort, puisque même dans la tente je passe en négatif. Mais la journée ça va même si le vent est frais. Je passe mon temps aux environs de 1500-2000 mètres dans des paysages très très grands où les distances sont trompeuses. Mais pour atteindre Zacatecas, il faut monter plus haut. La ville se situe à plus de 2200 m. J'y suis logée en Warm Shower. À suivre...

Nouvelles photos dans la galerie Mexique.

 

Les Amériques à vélo couché : Programme urbain

Zacatecas, Aguascalientes, Leon, Guanajuato, San Miguel de Allende

 

De Zacatecas que dire ? Après une journée complète passée à arpenter ses rues et venelles me restent dans la tête ces quelques images. Celle d'une ville perchée, toute en collines et cuvettes, traversée par un boulevard principal, axe surchargé nuit et jour qui sinue comme un serpent dans son creux avec des échangeurs très pentus. Celle de ruelles empierrées parfois juste assez larges pour laisser passage à un homme à pied sur lesquelles donnent des portes en bois, derrière lesquelles se cachent des logements minuscules ou qui s'étagent sur deux ou trois niveaux. Des façades colorées. La pierre de la région est rose, belle, mais souvent elle a été recouverte d'enduit et de peinture. On y voit donc des murs de toutes les couleurs, pétantes ou pastel, qui forment un patchwork d'un style que j'adore. Contre ces murs parfois, éclatants comme un feux d'artifice, des arbres fleuris, et devant, des bagnoles déglinguées. Beaucoup de vieilles Coccinelle VW d'époque, des Chevrolet à bout de souffle, des Ford... Ville coloniale dont le centre offre quelques jolis monuments : cathédrale, églises, musées, aqueduc... Au marché couvert, des échoppes colorées de jolies pyramides de fruits et légumes, des lieux où se restaurer pour une paire d'euros, des femmes et des hommes petits et dodus. Ils portent quasi tous une paire de bottes en cuir à bouts pointus, un Jean's, une chemise épaisse à col pointu avec une veste en Jean's par dessus, et le chapeau, l'indispensable chapeau... Des boutiques de chapeaux évidemment mais plus encore, des dizaines de boutiques de chaussures. Zapateria ceci, zapateria cela, zapateria à toutes les sauces. Et il me semble qu'ils fabriquent de très bonnes chaussures en cuir, solides et durables. J'ai vu des semelles en pneu sur certaines... Des vendeurs ambulants, fruits, légumes, « feuilles » de cactus débarrassées de leurs piquants et coupées en dés qu'il faut cuire avant de consommer, ballons de baudruche, babioles kitsch à souhait, jus de fruits frais, burritos... Le téléphérique ne fonctionne pas mais je monterai quand même sur une éminence, de nuit, histoire de voir toutes les lumières de la ville juste après le coucher du soleil quand l'horizon est encore en feu. Zacatecas est touristique, d'architecture coloniale et culturelle, peu d'industrie. La nuit, sous l'éclairage dispensé par de jolis lampadaires en fer forgé, les façades sont homogènes.

J'étais en ville à 9 heures, rien ne bouge encore, toutes les portes sont fermées, il faut attendre 10 voire 11 heures avant que l'activité ne gagne les rues, que les portes s'ouvrent une à une sur les minuscules échoppes. J'ai profité de ces heures calmes pour tester mon matelas dans une fontaine, pour y trouver la cause de son essoufflement nocturne quotidien. Cela a fait sourire les quelques passants matinaux. À Zacatecas, les marchands de vélo m'ont offert deux chambres à air neuves, des rustines, de la colle et un adaptateur Presta/Schrader. À Zacatecas, j'étais logée en warm shower chez Gerardo et Luce Helena et c'était bien encore. À Zacatecas, j'ai bien aimé le centre névralgique autant qu'historique. Gerardo m'accompagne à vélo jusqu'à la sortie de la ville...

Étape rapide jusqu'à Aguascalientes à laquelle je consacre également une journée. Dans un village alors que je m'apprête à doubler une voiture à grande vitesse (30 km/h) et par la droite, celle-ci vire... à droite et m'enferme contre le trottoir, je bloque les freins mais dérape sur le macadam un peu sablé et me retrouve... hum, c'est pas la faute à Voltaire. Aucun mal pour moi ni pour ma monture, le chauffeur est confus, moi aussi, c'est de ma faute autant que de la sienne, il se moque de la trace de ma pédale sur sa carrosserie... Ouf !

Aguascalientes, ville plate, mexicaine, industrielle. Oui, il y a de l'eau chaude qui sourd de terre, et des thermes. D'ailleurs la ville doit son existence à ses sources chaudes. L'endroit est joli. De chaque côté d'un couloir/patio coloré et décoré de plantes vertes, les cabines plus ou moins grandes permettent de barboter une heure trente dans l'eau à 38°C. Ici, comme à Zacatecas, il y a des Coccinelle VW, mais moins de marchands de chaussures. Les quartiers El Encino, La Estation, San Marcos et Guadalupe sont les plus « authentiques » et j'ai aimé me perdre là aussi dans les ruelles et traverser les jardins publics serrés comme une jungle. L'appareil photo a encore chauffé. Et puis il y a le marché, immense, une ville dans la ville, de quoi vraiment s'y paumer et tourner des heures. Orgie de couleurs et d'odeurs, mouvement perpétuel des hommes qui tirent ou poussent des diables chargés à mort, qui trimballent ou retapent des cagettes, qui portent, bref qui s'activent. Une véritable fourmilière. Les magasins, les restaurants, les particuliers, tout le monde vient faire ses emplettes de fruits et légumes ici. Les halles de Paris en quelques sortes. Des camions d'ananas, d'oeufs, d'oranges, de piments... Des millions de pesos mexicains qui chaque jour passent de mains en mains, tout en cash. Tout le monde a le sourire. Je prends quelques photos, tout le monde veut se faire prendre, trop facile ! Je me régale. Un des plus grands marchés que j'aie jamais vu. On y mange aussi, pour pas cher et bon. Luis, mon hôte et guide, m'accompagne.

Une étape de plus, un peu collineuse et me voici à Leon, encore plus grande que les deux précédentes. Encore plus de chaussures qu'à Zacatecas. C'est ici qu'elles sont fabriquées, c'est d'ici qu'elles sont acheminées vers les autres villes. Pour accéder à la Plaza Fundadores, la plus grande de la ville, je suis obligée de pousser ma monture entre les voitures dans les rues totalement congestionnées. La place est belle, bordée de bâtiments imposants et arborée en son centre. Il y a trop de monde, je passe au pied de la cathédrale et vais chercher la clef de la maison de mon hôte au restaurant où il travaille. En fait, Paulo en est le patron, j'arrive juste à l'ouverture et j'aurai droit à la totale. Ce n'est pas encore aujourd'hui que je mourrai de faim ! Puis nous traversons encore un bout de ville pour aller chez lui, de nuit. Le vélo de Paulo est prêt, bagages compris, pour partir pour une durée indéterminée en Amérique du sud. Il m'accompagne un bout le lendemain sur ma route pour Guanajuato.

Guanajuato donc. La perle. Dans une cuvette au centre de collines abruptes, la couleur te saute dessus dès que tu arrives, par des tunnels obscurs et étroits... Ce sont des « Wouhaou » et des « Roohhh » où que le regard se pose. C'est une ville hors du temps. D'ailleurs ce n'est pas une ville, c'est l'imagination débridée, ou une peinture peut-être. Celle d'un artiste fou qui a tout mélangé et pourtant, on ne sait par quel tour de magie, le tout est très harmonieux. Guanajuato fait incontestablement partie des cinq plus belles villes que j'aie vues, les plus envoûtantes, les plus riches, les plus curieuses : dans le désordre Prague, Paris, Valparaiso, et donc Guanajuato. Des maisons en escaliers, des toits plats qui servent de terrasse ou de garage, des escaliers à n'en plus finir qui débouchent sur la « route panoramique », le balcon de la ville, 14 km, le périph en quelque sorte ! Dans le centre, les voitures n'accèdent que par tunnels et comme si le labyrinthe n'était déjà pas assez compliqué comme ça, il y a des rues souterraines... À vélo, c'est un casse-tête, heureusement, j'avais une adresse et pour une fois (qui n'est pas coutume), je vais payer pour dormir. Je n'ai pas eu à tourner, juste à gravir les 352 marches de pierre avec mon vélo chargé et avec l'aide des habitants du callejon (ruelle). Et le hasard fait que je suis juste à côté du point de vue qui surplombe la ville : le Pipila. Le centre est surpeuplé, les rues sont bondées, des groupes de musiciens, des clowns font l'animation. Des centaines d'échoppes, des ruelles aux issues hasardeuses ou improbables dont la largeur laisse tout juste passer un homme, des arbres en fleurs, quelques jardins... Guanajuato vaut le coup de grimper.

Encore quelques dizaines de kilomètres supplémentaires et me voici à San Miguel de Allende, elle aussi classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Des couleurs encore, beaucoup d'églises, un peu plus d'espace qu'à Guanajuato. San Miguel est construite à flanc de coteau, pas dans une cuvette, ce qui la rend peut-être moins oppressante. Et puis nous sommes mardi, j'étais à Guanajuato un dimanche. Je n'ai pas dormi à San Miguel, j'ai campé dix bornes avant, ai visité la ville toute la journée en laissant mon vélo à l'office du tourisme, et en suis sortie avant la fin de journée pour aller camper ailleurs. San Miguel est plus petite et ça fait du bien, le centre est un mouchoir de poche. Beaucoup de boutiques et restaurants de luxe. San Miguel est touristique, est aussi envahie par des retraités américains qui y possèdent des propriétés et se déplacent en quad dans les ruelles pentues et pavées.

Une fois sortie de San Miguel, j'ai pris les petites routes et les chemins dans les collines, traversant des villages sans macadam où les gens se déplacent à cheval, je me suis extirpée pour la nuit du nuage de pollution qui enveloppe San Miguel. Je dors encore à plus de 2000 m.

Le programme urbain est terminé pour un temps, mon itinéraire est fait de minuscules routes qui ne figurent pas sur ma carte et qu'il faut aller chercher sur Google maps ou équivalent. Après cet intermède où j'ai passé bien assez de temps sur des gros axes chargés, pollués et bruyants (mais qui m'ont permis d'avancer vite), je retourne dans des endroits plus calmes qui, à coup sur, me feront mal aux jambes mais me réjouiront les yeux. J'aspire à un peu de tranquillité et de jolis bivouacs dans la nature. Je contourne Mexico par l'Ouest et les montagnes, je n'irai pas me perdre dans cette mégapole hyper polluée de 22 millions d'habitants.

Plein de nouvelles photos très colorées dans la galerie. Yep !

 

Les Amériques à vélo couché : San Miguel de Allende-Oaxaca de Juarez sans passer par Mexico Ciudad

 

 

Bon, c'est bien, j'ai voulu contourner Mexico par les petites routes tranquilles, me faire des bivouacs tout aussi tranquilles... Il faut que j'avoue que je me suis retrouvée à pousser le vélo sur des chemins empierrés dans des côtes au pourcentage élevé, avouer que j'ai cru m'installer dans des endroits calmes pour découvrir une fois la nuit tombée qu'il y a des maisons un peu partout dans les environs et donc que les chiens peuvent me faire profiter longtemps de leurs palabres et autres hurlements. Il faut aussi dire que dans certains villages, religion oblige, ils mettent le feu à des charges qui font autant de bruit qu'un feu d'artifice sans pour autant en avoir la couleur, à toute heure de la nuit et que finalement ça n'arrête guère. Mais quand même j'ai dormi sur mes deux oreilles.

À noter aussi que j'avais mis la réserve de biosphère du papillon monarque et le parc national du volcan Toluca sur mon itinéraire mais que les fortes dénivelées et le vent de face ont eu raison de ma motivation et que je suis venue directement à Toluca pour me reposer une journée. Ben oui, un coup de mou, tiens, quand sont annoncés 2000 m de positif en 65 km. J'ai tout de même évité les grands axes, pris les petites routes bordées de pâtures ou de champs où parfois les gens s'activent à faire des tas d'espèce de paille, à la main. J'ai vu beaucoup d'étangs. J'ai campé derrière des maisons où l'on m'invite toujours à venir prendre quelque chose de chaud... Ça tombe bien parce que je suis toujours en altitude, suis passée plusieurs fois à plus de 3000 m, les nuits ne sont pas fraîches mais froides, les températures bien négatives. J'ai rencontré des gens qui m'ont dit que la suite était profil descendant pour me retrouver 20 bornes plus loin 200 mètres plus haut après une succession de montagnes russes épuisantes, à attendre en vain la grande descente. Dans mes rêves. Bref, je suis venue direct à Toluca où j'avais la promesse d'un lit, une douche chaude, de quoi me requinquer... Merci Janelle, Guillermo et les enfants pour les deux nuits que j'ai passé chez vous, les repas partagés, et le reste.

J'ai profité d'être bien installée pour réviser mon vélo, nettoyer la transmission et le reste après passage dans des travaux très boueux, vérifier les jeux et le serrage des vis et écrous, résoudre mes problèmes de chambres à air et faire quelques réglages. Et bien j'aurais mieux fait de rester couchée au lieu de fignoler les réglages. J'ai touché la butée sup du dérailleur arrière d'un quart de tour parce que la chaîne avait du mal à monter sur le gros pignon. J'ai essayé sans moi sur le vélo, tout bien, essayé avec moi sur le vélo dans la rue à plat, tout bien. Sauf que le lendemain, au km 6 exactement, première vraie mise en tension, crac, la chaîne est partie dans les rayons. Et allez, on connaît la musique, je suis sur la quatre voies qui sort de Toluca direction Mexico toute proche (autant dire que le trafic est juste très dense), et le dérailleur est dans les rayons, la patte cassée, la gaine du câble foutue, donc le câble à changer aussi, le tendeur sur le dérailleur pété. Miam miam. Deux heures de boulot sur mon bout de terre-plein... Heureusement, (parce que la chance ne m'a pas quittée, … enfin...), un type qui promène son chien vient voir. Il habite juste à côté, me fournit une pince coupante, de la super colle cyanure avec bicarbonate de soude pour souder le plastique de mon galet de renvoi de chaîne qui a aussi cassé dans l'histoire, des colliers pour refixer mes gaines de chaîne qui ont volé, désosse son vélo pour me fournir la pièce qui fait le lien entre l'embout de gaine et le dérailleur. Bref, il passe deux heures avec moi sur le bout de trottoir. Mais moi je vous le dis, les Mexicains sont définitivement des gens dangereux ! Dans la même journée je me suis tapé des traversées de villages encombrés de marchés du dimanche, dans des rues bondées agrémentées d'un ralentisseur tous les cent mètres, (euh, leurs ralentisseurs sont des boudins de macadam à la limite du pointu que je suis obligée de prendre au pas. Ils provoquent une file d'attente de bagnoles à chaque fois, bref bonheur) puis des montagnes russes dans les collines urbanisées. Et vint enfin la route des « Lagunas de Zempoala », qui font l'objet d'un parc national. Une bonne côte où je dépasse allègrement les 3000 m encore, une descente sur du macadam complètement pourri et dangereux et me voici aux lagunes. Des étangs lovés dans une forêt dense où la route sinue dans des dévers impressionnants. Ah, voilà un joli petit endroit pour camper, hum, mais les employés du parc sont là, mouahaha, c'est leur QG. Qu'à cela ne tienne, me voici hébergée dans leur carré de béton sans électricité (ils branchent une petite ampoule avec une rallonge sur la batterie de la voiture), dans une « chambre » particulière et borgne mais garnie d'un bon matelas posé sur un lit en planches de bois brut. Un bout de polystyrène fait office de vitre mais j'ai un porte-manteau et un banc comme table de chevet. Parfait. Le feu de cheminée dans la « pièce à vivre » fait autant de bien que la petite discussion que j'aurai avec eux. Au petit matin, il fait – 8°C, je suis entre 2800 et 2900 m. Merci Jesus et Marcos.

Le lendemain je suis descendue, descendue, descendue, passant de 2800 à je ne sais pas, quelque chose comme 1100 m. Dans la descente, j'ai vu le cône parfait du Popocatepelt, le volcan qui fait de l'ombre à Mexico Ciudad, du haut de ses 5426 m et des brouettes. Pas de neige à son sommet mais il fume toujours plus ou moins, actif, pas bouché, pas dangereux. Il veille sur son petit frère, juste à côté, qui dort. Le volcan de Toluca, lui, est éteint. Il n'est pas le point culminant du pays, qui est le volcan Pico de Orizaba avec 5675 m et dont je verrai le cône enneigé, de loin... En perdant de l'altitude, j'ai perdu aussi la limpidité de l'air, on me dit que ce n'est pas de la pollution mais de la poussière, mais quand je m'éloigne de toutes ces villes qui entourent Mexico, il me semble quand même que l'atmosphère est beaucoup plus claire.

Quant aux détonations, le paroxysme sera atteint le 12 décembre, jour férié religieux, c'est la fête partout et c'est bien la Vierge qu'on honore. Je les entends à des kilomètres et trouver des bivouacs silencieux tient du miracle. Soit la route, soit les chiens, soit les détonations, soit un mélange de tout ça. J'ai appris à dormir sur mes deux oreilles (avec des boules Quies) à partir du moment où je me sens en sécurité.

Cuautla, Izucar de Matamoros, Acatlan, Heroica Ciudad Huajuapan de Leon, la route est rouge sur ma carte mais c'est tout juste une départementale. Étroite et sinueuse, elle traverse des paysages ouverts, boisés d'arbustes piquants, ou de cultures et de pâtures. L'horizon est parfois loin et le regard ne voit qu'une succession de collines rebondies qui laissent présager de belles bagarres encore. La route est posée sur le terrain, monte sur toutes les buttes et descend dans tous les creux. Elle fait bien mal aux jambes, les dénivelées positives sont importantes tous les jours, les étapes raccourcissent en conséquence.

Les Mexicains sont toujours aussi cools, il est facile de voyager dans ce pays à vélo. Les signes de sympathie et d'encouragement sont toujours aussi nombreux, ils sont polis, curieux sans être intrusifs, du plus jeune au plus vieux. Le Mexicain est de type jovial, il aime chanter (dans les champs ou en rentrant du travail sur sa bicyclette déglinguée) et faire la fête, il est bosseur aussi, tôt le matin sur la terre poussiéreuse. Il n'est pas arnaqueur, il n'est pas voleur et il aide très facilement son voisin, quel qu'il soit. Il n'est pas excité au volant, il attend patiemment s'il n'a pas la visibilité et fait un petit coucou au passage. Bref, pour l'instant je les aime bien ces gens d'ici et cela fait bientôt deux mois que je suis dans ce vaste pays qui mériterait qu'on y consacre six mois plutôt que trois.

Un jour, après une superbe route en crête et une descente qui tenait presque de la chute, j'ai débarqué à Oaxaca. Le centre est classé par l'Unesco, je retrouve des couleurs sur les maisons et , ville coloniale oblige, des tas de bâtiments en pierres taillées, avec des balcons en fer forgé, des arcades autour des places, et des églises imposantes à tous les coins de rue. Être à Oaxaca en week-end juste avant les fêtes c'est un peu comme visiter Strasbourg pendant le marché de Noël, il faut se frayer un chemin dans la foule et s'armer de patience, aller tranquille pour ne pas trop transpirer et ne pas oublier de s'abreuver abondamment. Cela tombe bien, une des nombreuses spécialités de la ville est le Mezcal, 38°C, bagatelle ! À Oaxaca, qu'est ce qu'on mange bien, et des choses que je n'avais pas encore vues ailleurs. Que ce soit au marché du 20 novembre ou dans les rues, partout on mange et on boit. Pas que du Mezcal, mais aussi des jus de fruits frais, du lait de riz à la cannelle, ou boisson à base de maïs et chocolat, spécialité aussi. Les cireurs de chaussures s'activent comme partout, la petite fille se fait prendre en photo sur le bourricot, les orchestres de cuivre jouent fort pour la sortie du mariage de la cathédrale, les vendeurs sous leur grappe de ballons gonflés à l'hélium tentent de refourguer leur camelote, mais il fait bon sous les frondaisons des arbres multiséculaires. Tout s'achète et tout se vend, des pâtisseries, des tubes à faire des bulles en soufflant ou en tournant la manivelle, des centaines de babioles inutiles en plastique. Le cirage d'une paire de grolles dure quasi une demie-heure, un vrai métier. À Oaxaca, j'y reste un jour, et suis certaine d'y avoir repris deux kilos en une seule et même journée, j'ai goûté à tant de choses, me suis goinfrée de ces spécialités dont les noms ne restent pas dans ma mémoire. J'ai aussi vu un vrai magasin de vélos, j'ai fait une livraison de roses rouges à une femme pour mon hôte warm shower d'Aguascalientes, bref, j'ai rejoint ma piaule borgne et bruyante complètement claquée. Finalement les jours de vélo et les nuits en bivouac me permettent de bien récupérer.

L'état de Oaxaca constitue à peu près ce qui était le centre d'un état Zatopèque, civilisation précolombienne et matriarcale vieille de 2500 ans. Saint Alban tout près de Oaxaca en était la capitale et d'autres sites sont visibles, notamment Yagul et Mitla un peu plus loin sur la route de l'isthme. Pour ma part je continue sur la route du mezcal, ignore Hierve de Agua, je ne peux pas aller tout voir et ai hâte de voir les cités d'Or d'Esteban et Zia, plus importantes. Je me dirige vers l'isthme, là où le Mexique ne fait plus que 200 km entre Pacifique et Atlantique.

J'approche les 18 000 km et les 7 mois de voyage, je viens de renouveler mon assurance voyage pour six mois supplémentaires...

 

Les Amériques à vélo couché : Oacaxa – Chiapas - Palenque

 

Je n'y comprends plus rien. Je n'ai pas donné un coup de pompe en six jours de route, j'ai posé mon vélo en arrivant dans cet hôtel et quand je le reprends mon pneu avant est à plat. Un casse-tête. Je regonfle mais deux heures plus tard, je change tout, pneu et chambre. Je n'ai plus de chambre de secours pour ma petite roue à l'avant...

Je suis sur la route du mezcal, il y a des distilleries partout, mezcal par ci, mezcal par là, dans de jolies bouteilles de toutes les tailles, du flacon à la bonbonne en verre. Et des plantations. Le Mezcal est fait à partir de l'agave et c'est une distillation. Les cultures tirées au cordeau font une jolie couleur dans le paysage, des carrés vert-de-gris qui tranchent avec la friche autour.

El Camaron, je me rends au « mini super » pour faire quelques courses et des gens dans une benne de pick-up me récrient avec insistance. Aurais-je perdu quelque chose ? Un autre type de l'autre côté de la rue me fait signe aussi et me montre du doigt quelque ch..., ah, ah, mais, nan, mais si ! Mais c'est Caroline ! Je savais que son chemin croiserait ma route mais elle ne pensait arriver ici que demain matin. Donc nous avions laissé tomber la possibilité de nous voir, et nous arrivons en même temps ! Caroline Moireaux que j'avais déjà vue à la Paz tout à fait par hasard. Elle a vu le vélo couché passer, elle a crié, je n'ai rien entendu, elle a dit au pick-up de m'arrêter. Nous passons trois trop courtes heures ensemble, moments magiques, et poursuivons chacune notre voyage, elle à pied, moi à vélo.

Encore quelques cols sur cette route magnifique et une belle descente qui me met au niveau de l'océan. Je suis tout près du Pacifique. Il fait chaud, trop pour moi, humide, trop pour moi, et les moustiques minuscules s'acharnent à me sucer le sang. Je suis à l'endroit qui est pour moi la « frontière géographique » entre Amérique du Nord et Centrale. Je suis à l'endroit le plus étroit entre Pacifique et Atlantique (au nord bien sur). Et à l'isthme, le vent venant de l'Atlantique s'engouffre très fort. Un corridor, une soufflerie. Sur une cinquantaine de kilomètres, il n'y a rien pour barrer, je pourrais aller à l'Atlantique sans bien des reliefs à passer. En route, je fais vulcaniser ma chambre à air et j'espère que ça va tenir, suis optimiste. Le petit Mexicain pas bien volubile a fait un travail soigneux. Ne plus avoir de chambre à air de rechange m'accaparait l'esprit (comme pour mon matelas, la réparation sera efficace). Je dors dans le parc éolien gigantesque de « La ventosa », rien ne s'invente, dans de grandes friches à 150 m de la route, mais cachée. Je n'ai pas osé utiliser mon réchaud de peur de foutre le feu au Mexique.

Et puis il y a eu cet hôte Warm Shower à Zanatepec. Sur le profil, c'était super, dans la réalité, un peu moins confortable que prévu. À la Mexicaine, à la campagne. La « maison » s'articule en petites dépendances autour d'un grand « jardin » où il y a les poules, les chiens, les chats, les eaux usées, des arbres et de la friche, le linge qui sèche, l'eau, le bac à lessive et vaisselle. Les petites dépendances sont les toilettes, la cuisine (pas fermée, juste couverte), une chambre à coucher. Il y a un lit matrimonial dans le jardin et on me propose de mettre un ventilo à côté. Pendant qu'on discute, les poules montent sur la table de cuisine... Euh, je vais monter ma tente et je mettrai le ventilo juste en face, abside ouverte comme d'habitude hein... parce que ces satanés minuscules moustiques qu'on ne voit même pas sont un peu trop méchants à mon goût, très voraces, et puis ma tente c'est un peu ma maison, je sais que je n'y attraperai pas de saloperie genre puces ou punaises de lit. C'est exactement le genre de situation où je me dis que je serais mieux en bivouac, j'aurais moins de pétards, moins de chiens, moins de lumière, moins de télé, moins de coqs, et plus d'intimité. Mais ils sont gentils et puis c'est comme ça ici, je veux voir la vie mexicaine, ben je la vois ! Alors je me pose la question cinq minutes savoir si je reste où si je recharge le vélo, et puis je reste. Il fait 35°C à l'ombre, très humide, le jardin n'est pas aéré... La gazinière tombe en panne, je dois cuisiner sur mon réchaud, mais le guacamol offert était une tuerie !

Le lendemain, je suis remontée un peu dans les montagnes et je suis entrée dans l'état de Chiapas. Et c'était très beau. Je me suis élevée gentiment, et la température faisait l'inverse et le fort vent de face parvenait même à me rafraîchir. Comme j'ai un peu de temps, je me dis que je me fais un bivouac royal, loin de la route. Je m'en écarte de 2 bornes, je me mets dans une pâture avec l'autorisation des proprios (qui me proposeront une douche et m'apporteront une boisson chaude). Nickel. Sauf qu'au bord de la route à 2 km, il y a une boite de nuit ou je ne sais quoi, et que les décibels m'atteignent bien. Je crois qu'à ce moment là, j'ai désespéré de pouvoir faire une seule nuit vraiment au calme... Boules Quies encore. Il ne fait « que » 22°C sous la tente, je ne dégouline pas...

Au matin, surprise ! J'avais oublié que ça pouvait exister : du brouillard. Je pars un peu plus tard mais arrive sans souci à Tuxtla Guttierez, capitale du Chiapas, en milieu d'après-midi. Mon porte bagage a cassé et je n'ai plus qu'un joint de galet de renvoi de chaîne. J'en retrouve le soir même ainsi qu'un soudeur avec lequel rendez-vous est pris pour le lendemain. Profitant d'une journée de repos et de deux nuits confortables chez Roberto, je visite le canyon de Sumidero qui fait l'objet d'un parc national, à la porte de la ville. Euh, au niveau de la rivière, il y a des crocodiles... On peut visiter en lancha (bateau) ou par les belvédères en auto. Pour moi c'est plus simple par en haut.

Voila, j'ai remonté ma chambre à air vulcanisée et mon pneu fin, j'ai résolu les soucis d'alignement de chaîne, remis un joint, fait souder mon porte-bagage et acheté un nouveau short pour pédaler, je peux partir affronter la dernière grosse partie montagneuse de mon itinéraire mexicain. Monter à San Cristobal de las casas (St Christophe des maisons) n'est pas de tout repos, sur 55 km, je prends 2500 m en positif et bivouac à 2150 m oblige, je sors la doudoune ! C'est 24 décembre, les Indiens du Chiapas ont revêtu les tenues traditionnelles très colorées et ça pète partout comme un 14 juillet chez nous. Et dans la forêt, la nuit, il y a des petites lampes qui se baladent : des lucioles ! À 2150 m ! Les collines ont les flancs très pentus, la route coupe le coteau, les cultures, les forêts denses et enchevêtrées et les villages sont littéralement accrochés dans les pentes. Trouver un endroit pour camper est un pari fou, mais j'ai toujours de la chance...

Le Chiapas est une entité à part dans cet immense Mexique. Déjà par le relief, et puis par les groupuscules Zapatistes, par les barrages sur les routes où les conducteurs doivent laisser un peu de monnaie pour passer (mais ils laissent passer sans payer les cyclistes à vélo couché), tous les prétextes sont bons : un ordinateur pour l'école, quelques fruits frais à refourguer, que sais-je encore. Les Indiens du Chiapas fonctionnent en communauté, une grande famille, et les femmes portent des robes finement brodées. J'ai la chance de voir quelques ateliers de couture sur ma route, où des adolescentes manient la Singer avec grande dextérité et ai aussi celle de dormir une nuit dans une communauté indienne avant Palenque. Il y aurait tant à dire !

Arrivée à San Cristobal le jour de Noël, je pensais avoir fait le plus dur, mais la route qui me mène à Palenque demande encore beaucoup d'énergie. Je descends par paliers mais les côtes sont très raides, le macadam défoncé, tout est moite, les jambes en coton, la sueur coule dans les yeux et fait un goutte-à-goutte à l'os du coude. Je fais tout de même le détour par les chutes d'Agua Azul, parc national, où quelqu'un paie mon entrée avant que je n'aie le temps de dire ouf, comme ça. La végétation change. Des piquants je suis passée aux arbres à très grandes feuilles et aux bananiers, l'air devient humide, les éboulements pas réparés depuis la dernière saison des pluies ont parfois embarqué la route. Les sommets du Chiapas retiennent les brumes et les nuages qui parfois s'épanchent en pluies tropicales assez violentes (j'ai une fuite dans mon abside). La forêt est très dense, des lianes pendent au dessus de la route, je suis en zone tropicale. Tout est vert. Très vert. Après les ours, les coyotes, les serpents à sonnette, je vais devoir me méfier des... crocodiles !

Palenque, site archéologique majeur classé par l'Unesco, ma couch-surfeuse me fait faux-bond, des gens de Mexico ciudad me filent contre mon gré 150 pesos pour mon voyage, je m'héberge deux nuits chez les pompiers et visite la cité préhispanique Maya. J'ai cherché Esteban et Zia toute la journée pour finalement me demander si c'était pas des Aztèques. Sans rire, c'est hyper touristique, le Macchu Picchu des Mayas mais ça vaut le coup d'oeil. Le parc est magnifique, et la sylve alentour m'impressionne. C'est la jungle. Les ruines m'occupent un moment. Le site est en hauteur et de certains endroits, la vue sur la « plaine » me laisse rêveuse, intensément verte. Ciel couvert, éclaircies, averses, température idéale.

J'en ai terminé avec les montagnes du Mexique. Il aurait été dommage de ne pas faire le crochet par le Chiapas. Si pour aller à Cancun je cumule 500 m de dénivelée positive en 1150 km c'est que je me suis trompée de route. Direction Villahermosa où j'irai par les petites routes qui bordent la réserve de biospère du Pentanal. Je suis attendue pour le Nouvel An dans une famille, puis Campèche par la côte... atlantique.

7 mois de voyage déjà. 18 450 km au compteur, 138 835 m de déniv positive (oui, pareil en descente, je sais...) et une certitude : la Terre n'est pas plate !

Une nouvelle ballée de photos dans la galerie "Les Amériques à vélo couché", "Mexique"

 

Les Amériques à vélo couché : Péninsule du Yucatan

 

J'ai rapidement quitté le Chiapas, mais pour aller à Villahermosa, je n'ai pu m'empêcher de faire un détour de 60 km pour longer, à défaut d'y entrer, la réserve de biosphère du Pantanal de Centla. Un pantanal, c'est une immense plaine alluviale qui se transforme pour une très grande partie de l'année en marais d'eau douce. Le pantanal appartient au biome des prairies et savanes inondables. J'avais vu par Google maps satellite, tout vert, des pâtures, des jolis endroits tout plein pour poser ma tente. Ah, désillusion, au pied de l'herbe il y a au moins 40 cm d'eau. Les jolis terrains de golf en apparence sont un chouillas spongieux ! Les vaches ont de l'eau jusqu'au dessus des genoux et des aigrettes sur le dos. Des crapauds énormes font un raffut d'enfer toute la nuit et les iguanes se courent après. La petite route (piste par endroits), que j'ai prise est une digue, sur plusieurs dizaines de kilomètres. De chaque côté : de l'eau cachée, mais de l'eau, à perte de vue. Et les crocos, y'en a là ? J'ai dû demander dans un hameau pour savoir où poser ma tente. Les maisons sont sur pilotis, dessous, il y a le marigot pas très salubre et les ordures, les eaux usées... Et les maisons consistent en une seule pièce en béton brut avec une tôle par dessus, ouverte à tous les moustiques. On m'installe sur une terrasse à 5 m de la route (deux voitures dans la nuit), on vient me faire la causette dans la soirée et à l'heure de l'attaque massive des suceurs de sang, il ne me restait plus qu'à vider ma vessie : une épreuve !

J'arrive à Villahermosa après une journée encore dans le pantanal et sous un ciel conciliant. Quand je débarque à l'adresse où je suis attendue, le type m'accompagne direct à vélo chez un ami car ils ne peuvent plus me recevoir. Je passerai le réveillon à potasser Cuba sur l'ordi tandis que mon hôte, Melvin, bosse dans une autre pièce. Le 1er janvier, avec une amie à lui, nous faisons 3 heures de bagnole aller-retour pour qu'ils se trempent 30 min dans une rivière dans le Chiapas. Les paysages sont une fois de plus impressionnants et me dire que j'ai emprunté de telles routes à vélo me laisse dubitative. Le lendemain, Melvin et un de ses amis cyclistes m'accompagnent pour une quinzaine de kilomètres. Cette étape laissera un souvenir de pénibilité, rinçage, semblant de séchage, re-rinçage, les voitures qui éclaboussent en passant dans des flaques d'eau de 10 cm de profond sur cette route non drainée. J'arrive trempée et un peu refroidie à Frontera où la protection civile n'a qu'un banc en pierre à l'extérieur à me proposer pour la nuit. À force de patience et après avoir été envoyée d'un lieu à l'autre, j'atterris dans un local fermé et vide. Les roues des bagnoles passent à 5 mètres de mes tympans et non, je ne râle pas car je suis bien contente d'être là, au sec, à l'abri des moustiques (j'ai colmaté les 4 cm de jour sous la porte avec des sacs plastique), avec la musique (j'ai l'électricité et la lumière), mes affaires qui sèchent tendues sur mon fil en travers la pièce plutôt que dans la mangrove sous ma tente et la pluie.

Une journée sèche mais nuageuse (comme ça je n'ai pas trop chaud) et me voici à Ciudad del Carmen. La ville est sur une île. En effet, il y a une grande lagune et un peu comme à Venise, plusieurs îles pour la séparer vraiment du golfe du Mexique. Deux îles que la route traverse dans la longueur et reliées entre elles et au continent par des grands ponts au raz de l'eau interdits aux super-lourds. Là, pas de protection civile, pas vraiment de solution, il est assez tôt, je me remets en route. En passant devant la police fédérale, je tente le coup et bingo, je suis accueillie, et bien ! Deux nuits, car le lendemain, la pluie tombe drue toute la journée. J'ai le wifi et l'air conditionné dans ma chambre qui est la salle des archives et ils vont jusqu'à me nourrir malgré mes protestations.

La route longe le golfe du Mexique, l'eau est de la couleur qui fait rêver sur les cartes postales ou les publicités des agences de voyage, de l'autre côté il y a du marais, ou de la mangrove, ou... de l'eau. Je me demande bien où je vais installer mon bivouac. À 16 h une occasion se présente, la mer est séparée de la route par 80 mètres de forêt. Je pose ma tente à la lisière côté mer. J'ai bien regardé car je flippe, le sol de la forêt est sec, pas de traces... les crocos ne vivent pas en eau salée ni sur terre. Toute la journée les couleurs ont été en demi-tons, pastels, à cause du ciel couvert, mais c'était très bien comme ça. Une journée et une nuit de « fraîcheur », c'est toujours ça de pris.

J'arrive sous le ciel bleu à Campeche après une étape encore le long du golfe. Le centre historique est classé par l'Unesco, le Malecon (boulevard du front de mer) fait 10 km de long. Les rues tirées au cordeau sont ceinturées par une muraille, les fortifications. Et des maisons colorées toujours, des églises, des coccinelles, et des rues pavées. On fait vite le tour du centre-ville, grand comme un mouchoir de poche. Le marché à l'extérieur est presque aussi grand. Je loge chez Arélis et sa fille, toutes deux adorables, dans la banlieue, dans un « andador », une ruelle sans auto, donc calme. Comme souvent en ville, toutes les maisons sont mitoyennes, collées les unes aux autres, chacune différente, pas toujours bien alignées, de couleur et de forme toujours autre que la voisine, très étroites. C'est toujours la surprise de découvrir derrière ces façades désuètes et parfois peu engageantes des intérieurs douillets, propres et spacieux, tout en profondeur, comme chez Arélis. Dernière vraie pause avant Cancun...

Je quitte le bord de mer ici pour traverser la péninsule. Première visite : Uxmal. On m'avait conseillé d'une part d'éviter les week-ends (C'est gratuit pour les Mexicains), et d'autre part de venir tôt le matin. J'ai campé à 15 km et je suis sur le site à l'ouverture. Nous sommes 10. Uxmal est classé par l'Unesco. C'est très bien restauré, presque trop. Il y a beaucoup de frises, de détails, de sculptures. C'est édifiant. Et puis la taille des bâtiments est imposante. C'était une ville importante. La pyramide, première chose qu'on voit après s'être acquitté du droit d'entrée prohibitif donne le ton. Et puis il y a des iguanes énormes, des gros mâles avec leur crête et leur œil plutôt glauque, je n'aimerais pas en croiser un au coin d'une rue sombre. Le pire est qu'ils se fondent tellement bien dans le décor qu'ils me font sursauter à chaque fois. Certains spécimens font plus d'un mètre de long.

Deux jolis bivouacs assez frais et une bonne journée sur les petites routes à travers le Yucatan et les petits villages vivants et authentiques où les gens parlent Maya et me voici juste avant Chichen Itza. Les gens se déplacent autant en triporteur, motorisé ou non, qu'en auto, les routes secondaires sont très calmes, bordées de forêt plus ou moins haute, pendant des dizaines de kilomètres. Et je commence à voir des « cénotes » indiqués ici ou là. Donc Chichen Itza, reconnue comme étant une des merveilles du monde. Comme à Uxmal, j'y suis à l'ouverture mais il y a déjà quelques bus. C'est TRES touristique. Et si les vendeurs de babioles ramasse-poussière ne sont pas autorisés à l'intérieur du site d'Uxmal, ici c'est Disneyland. Heureusement, j'aurai terminé ma visite avant que le gros de la foule ne débarque... C'était le dernier site Maya que j'avais mis sur ma route avant Cancun mais il y en a des dizaines sur la péninsule du Yucatan. En bonne touriste, j'ai vu ceux qui sont classés par l'Unesco. Et puis vers Valladolid, voyant que j'ai un jour d'avance, je visite deux cénotes où contrairement à toute attente je suis quasi seule !. J'en profite pour repérer 5 petits trous sur mon matelas, que je réparerai mais qui continuera à fuir. J'ai bien peur qu'il ne soit mort, et c'est trop tard pour en faire venir un par Michel ! Les cénotes sont des trous, des gouffres, des dolines d'effondrement en milieu karstique, totalement ou partiellement remplis d'une couche superficielle d'eau douce et parfois d'une couche inférieure d'eau de mer s'ils communiquent avec l'océan par des failles ou autres conduits. Certains sont ouverts au public, d'autres sont plus confidentiels. Ce sont les seuls points d'eau douce de cette partie de la péninsule car ici, ni rivière ni lac ni rien, que du calcaire tout troué, pas de cultures pour la même raison, pas bien de l'humus sur le caillou. Les cénotes se comptent par centaines, sur la seule commune d'X Cam, pas moins de 70, certains sont spectaculaires, l'ouverture dans la dalle qui formait le plafond étant plus ou moins grande, ils sont soit totalement éclairés soit juste mis en valeur par un faisceau de lumière (naturelle). Plus ou moins profonds, certains se prolongent en plusieurs salles souterraines, d'autres ont des lianes, des stalagtites pendues sous le plafond, des colonnes et des draperies, calcaire oblige... J'en visite 4 dont 2 « par hasard ».

Il ne me restait alors plus qu'à rejoindre Cancun, à moins de deux cents kilomètres. Dernier bivouac, cela fait une heure que je cherche à me poser mais rien, rien qui ne convienne, même sans être difficile. L'heure tourne. Finalement à l'entrée d'un eijido (communauté maya), je demande où va ce chemin que je vois et si je peux planter ma tente au bout. Felipe me répond qu'il a une « casita » où je peux dormir. Me voici logée dans un carré de béton carrelé et crépi propre et bien fermé (moustiques) derrière leur case ouverte à tout, et invitée à manger... Cancun est à 55 km.

Cancun, je m'arrête chez le vélociste que l'on m'a conseillé pour faire voir mon vélo. Celui-ci me dit que ma chaîne est sèche, pas entretenue et que du coup elle est morte. Je dois changer toute la transmission (cassette, pédalier, chaîne). Je m'y attendais bien sûr. Je récupère un carton pour emballer pour l'avion et avant de sortir, lui demande combien de kilomètres il pense que la chaîne peut avoir (pas entretenue soit disant...). Il me répond 2000-2500 km. Je ne suis pas certaine qu'il m'ait crue quand je lui ai dit qu'elle en a 20 000 ! Rendez-vous est pris pour le 8 février (retour de Cuba) pour changer tout ça et entamer la traversée de l'Amérique centrale avec du matériel en état.

Bref Cancun, je suis chez Max, un couch surfeur très sympathique qui vit en coloc avec deux autres hommes plus que discrets. Il partage carrément sa chambre. Imprimer mes documents de voyage, me renseigner et faire le nécessaire pour me rendre à l'aéroport avec mon carton énorme, faire un tour à la laverie, trier les affaires que je laisse ici le temps de Cuba, démonter le vélo et l'emballer. Plus d'une journée de boulot ! Suite à un mail envoyé directement chez Exped aux US (marque de mon matelas), pour en demander un neuf, la réaction est quasi instantanée et après un bref échange, un nouveau part aujourd'hui même que j'aurai à mon retour. Max le réceptionnera à son travail dans quelques jours... Cool !

Et aujourd'hui, à part la mise à jour de ce site et l'ajout de photos dans la galerie, je visite un chouillas la ville qui ne ressemble en rien aux autres villes mexicaines, qui est triste. Je peaufinerai le paquetage. Demain matin, 5 heures, Max m'aidera à transporter le tout jusqu'à la station de bus voisine direction l'aéroport. Les Mexicains auront été décidément adorables d'un bout à l'autre du pays et je garderai un souvenir ému et plein de gratitude pour cette population.

Ceci dit ce n'est pas terminé, après Cuba, il y aura de nouveau un passage au Mexique !

 

Les Amériques à vélo couché : Cuba ou vivre le film

Cuba, l'abnégation

Cuba un autre monde

 

À l'heure où il faut partir à la station de bus avec mon carton de vélo et mes sacoches, des trombes d'eau s'abattent sur Cancun. Max appelle un taxi dans lequel on n' a jamais pu rentrer le carton, l'heure tourne, la pluie se calme, on part à pied. 700 mètres, il n'en fallait pas plus, la pluie reprend de plus belle mais je suis dans le bus.

Quelques heures plus tard je débarque à la Havane. La récupération des bagages spéciaux est tout un poème. Passent en premier ceux qui paient en douce, le manège n'est pas discret. Puis une heure passe. Et enfin les employés mettent sur le tapis les bagages de ceux qui ne veulent pas de cette corruption. Sortie de l'aéroport, les taxis sont solidaires, impossible de marchander le prix qui représente deux nuits d'hôtel. Ils savent que nous n'avons pas le choix. Je trouve deux autres touristes et nous partageons pour nous rendre au centre. Michel m'attend. Je remonte mon vélo, on fait du change. À Cuba, deux monnaies circulent : le CUC et le CUP. Le CUC est équivalent au dollar US, il est convertible. Le CUP est la monnaie nationale, il y en a 25 dans un CUC. Il nous faut des deux si on veut pouvoir acheter des denrées dans la rue, des jus de fruits frais, du pain, et même manger dans les gargotes au bord de la route.

Cuba. Tout s'est arrêté en 1958, il y a 60 ans, la révolution puis peu après, l'embargo. Avant, Cuba était « le bordel des États-Unis », casinos et voitures de luxe. De cette période il reste toutes ces bagnoles, des Chevrolet, des Triumph, Pontiac, Ford, Buick, Plymouth, Dodge énormes, avec des ailerons de ouf et qui fument autant qu'une centrale à charbon chinoise. Certaines ressemblent à des chars d'assaut, lourdes mais solides, rouillées, mais d'autres ont l'air flambant neuves, entretenues avec soin, superbes. L'exportation en a été interdite par Castro, patrimoine national. Alors elles circulent entre les façades rénovées et colorées des fastueux bâtiments coloniaux et les autres qui s'écroulent. Elles circulent sur le Malecon où viennent s'abattre les vagues les jours de vent. Elles circulent sur les boulevards troués. Par centaines. À côté de ça circulent les charrettes tirées par des chevaux, des vélo-taxis, des moto-taxis, des side-cars, des Ladas et des camions Kamaz. Quelques voitures plus récentes, il faut avouer. La Havane et des vélos par centaines, tous plus déglingués et désaxés les uns que les autres, comme ce sera le cas dans tout le pays. Cuba, le pays du vélo et du cheval. À La Havane (et dans d'autres villes) , l'eau courante (pas forcément potable) n'est délivrée qu'à certaines heures du soir. Les plus prévoyants ont des citernes sous les maisons afin d'être autonomes et laissent le robinet d'arrivée ouvert en permanence, le débit est si faible...

On a pris un bus de nuit pour Santiago de Cuba à l'autre bout de l'île, à l'Est. Trois heures de retard au départ, quatre à l'arrivée, pas un arrêt pour manger, 17 heures de trajet avec la climatisation à fond qui nous frigorifie. Dehors il pleut, la campagne est imbibée d'eau. Les chars à bœufs, les habitations sommaires, les chemins transformés en bourbier, les gens, tout est d'une tristesse effroyable. Visions d'un autre temps sous la flotte. Des moments où je me demande ce que je suis venue faire là, de plus avec un vélo pour moyen de locomotion.

Santiago, la pluie a cessé, le bus nous lâche en banlieue, nous rejoignons le centre-ville, cherchons des magasins. Il n'y en a pas. Années 50. Pas de self-service et des produits au compte-goutte. Comme une pénurie en temps de guerre. Des files d'attente partout. Et un service de sécurité et de contrôle. Pour sortir de ces endroits où par miracle j'ai pu acheter du café, des pâtes et de la sauce, je dois montrer la note et ouvrir mon sac. L'épicerie faisait 9 m². Mais on trouve du pain facilement. Essence pour le réchaud : la camion est en train de livrer, il faut attendre une heure et demie pour un demi-litre de gazoline, puis payer la moitié au guichet (pour 30 cl), aller se servir et repayer le solde. L'autre station-service est en rupture de stock...

Enfin parés de tout le nécessaire, la journée est bien entamée et nous n'avons qu'une envie : fuir, aller à la campagne. La visite du centre est vite faite. Nous partons par la côte sud, vers l'Ouest, demandons de l'eau en chemin, et nous posons un peu plus loin. Le camping sauvage n'est soi disant pas toléré à Cuba et les habitants n'ont pas le droit de nous loger. Discrétion indispensable. Premier bivouac, orage, nous cuisinons recroquevillés sous l'abside, nous étouffons, les moustiques sont assoiffés. À la nuit tombée, nous nous rendons compte que nous sommes juste sous une maison et le lendemain matin, deux femmes nous demanderons pourquoi nous n'y sommes pas allés au lieu de dormir sous la pluie dans la tente... ce qui nous met en confiance pour la suite.

La côte sud entre Santiago et Pilon est belle. Très belle. Sauvage et ponctuée de petits villages. Les voitures sont rarissimes, la route se transforme parfois en piste voire en chemin de cailloux, coincée entre les montagnes recouvertes de forêts aux milles nuances de vert qui culminent à 1974 m, et l'océan. Les vagues qui viennent la lécher en permanence y ont taillé de grandes brèches et le récent hurricane a fignolé le travail de sape. Nous sommes tranquilles. Second bivouac sans souci sauf que dans la nuit les fourmis minuscules mais extrêmement agressives ont élu domicile dans notre garde-manger, par milliers... Il fait chaud et l'humidité est à 100%, tout s'imbibe, un hammam. Michel souffre mais nous avançons. Pilon, Mazanillo. Cocotiers et canne à sucre. Nous quittons le littoral, les champs sont inondés. Nous trouvons à nous poser dans un endroit un chouillas en hauteur et dégagé. À l'heure de l'arrivée massive des moustiques nous sommes sous la tente et heureusement car ce sont des centaines qui se retrouvent coincés entre les deux toiles... Les conditions ne sont décidément pas faciles. Heureusement nous avons de bons contacts avec la population et le fait de baragouiner un peu en espagnol me facilite considérablement la vie. Nous passons à Las Tunas, avons pris l'habitude de trouver de quoi nous ravitailler, soit en mangeant dans des petits restos pour « Cubanos » qu'on nous indique, soit en achetant des vivres dans les magasins d'état. Pas de souci pour trouver du pain et de l'eau. Si celle du réseau, en ville, a parfois un léger goût désagréable, elle est potable, et dans les campagnes, ils ont l'eau de source ou de je ne sais où mais qu'ils boivent, qui n'a aucun mauvais goût et qui ne nous pose aucun problème, enfin...

La campagne cubaine est belle. Très verte. La route principale qui traverse le pays est par endroits en triste état, secoue les vélos (et nous), la circulation automobile y est faible et heureusement car nous disparaissons dans un nuage noir quand les véhicules mettent les gaz pour nous dépasser. Les travaux dans les champs sont effectués quasi tout à la main ou à la force animale, peu de mécanisation. Le sol des habitations des plus pauvres est en terre battue, en béton pour les autres, la porte un vulgaire panneau en planches, quatre murs, un toit en palmes, ou en tôle. Pour les deux nuits suivantes, nous avons planté notre tente vers une maison, et vers une ferme. Des gens d'une grande gentillesse. Ils n'ont vraiment pas grand chose, ils survivent. La cabane au fond du jardin, d'où il faut parfois chasser la truie suitée avant de se soulager, n'a pas de porte. Dans les locaux délabrés, trois « foyers ». Deux s'occupent des vaches qui appartiennent à l'État. Paysans fonctionnaires. La propagande pro Castro est partout, comme les portraits du Che et de Camillo Cienfuegos. La solidarité et l'entraide semblent bien présentes. Nous pouvons sans souci demander à poser notre tente chez les gens et alors les conversations vont bon train.

Las Tunas, Camagüey. Une demie-journée de repos pour visiter la ville des églises, classée par l'Unesco. Nous n'avons pu éviter le rabatteur pour trouver une « casa », chambre chez l'habitant, n'avons pas vraiment lutté contre. Lessive à la main, séchage de toutes nos affaires imbibées. Notre hôte aime plus l'argent que son métier ou les touristes, rapport strictement commercial, et âpre. Les « casa » sont très confortables, salle de bain privative, TV, air clim... Internet à Cuba, tout un poème encore. Il faut acheter une carte à l'agence (pas à tous les coins de rue), une heure pour 1 CUC sur présentation du passeport, 3 cartes maxi par personne. Comme je n'ai pas mon passeport sur moi, Michel passe à un premier guichet pour en cacheter trois puis à un second guichet pour une autre... Avec ces cartes, sur les places principales des villes cubaines, on peut espérer avoir du Wifi. Ils ont tous des smartphones, anachronisme délirant quand ils le manipulent sur la carriole tirée par le cheval. Une chose cependant qui choque presque tant c'est rare dans les pays si pauvres : pas une ordure qui traîne. Ni au bord de la route, ni dans les villes. Rien. Bon, pas de sac en plastique non plus dans les magasins mais on pourrait trouver tout le reste... Rien, c'est PROPRE, PARTOUT.

Nous avons eu assez vite fait de nous adapter au fonctionnement de ce pays unique et profitons donc pleinement des paysages et de la population. Michel peine avec la chaleur, son cuissard a provoqué des plaies dont il faut s'occuper avec soin car sous ces climats, la cicatrisation n'est pas forcément facile. Notre itinéraire passe par Sancti Spiritus, ville à laquelle nous consacrons quelques heures, en partie sous les averses. Nous faisons l'impasse sur Santa Clara où l'intérêt majeur aurait été de voir la tombe du Che. Nous passons à Trinidad, qui possède un charme particulier. Nous mettons nos vélos chez des habitants et visitons à pied. La ville aux ruelles pavées est légèrement en pente, les maisons sont colorées. Jusque là, pas grand chose de plus que ses consoeurs, mais il y a un « je ne sais quoi » qui fait que Trinidad est différente et charme les visiteurs. Nous en ressortons avant la nuit pour aller camper un peu plus loin. Cienfuegos, nous poussons jusqu'au bout de Punta Gorda et consacrons là aussi quelques heures à la visite du centre. Beaucoup de maisons à colonnes sur le boulevard central et de beaux restes coloniaux autour de la place principale. Il fait très lourd. Nous quittons la ville pour aller camper.

Les gens sont d'une grande gentillesse et nous aident volontiers, nous accompagnent parfois, pour trouver la boulangerie ou la minuscule épicerie où se battent en duel sur une étagère une boite de tomates concassées avec une bouteille d'huile. C'est la queue partout. Devant les épiceries à 9 heures (ouverture) il y a foule et dès que la porte s'ouvre, c'est la ruée sur le congélateur (quand il y en a). Tout ça pour quoi ? Des saucisses type « hot-dog » dégueulasses. Nos sacs plastique sont une richesse et nous les traitons avec soin.

Et puis nous avons longé la baie des Cochons, de Playa Giron à Playa Larga, les endroits où les mercenaires Cubains envoyés et appuyés par les Américains se sont faits repousser par les hommes de Fidel Castro et compagnie il y a 58 ans. D'ailleurs à propos de la Révolution et du communisme, nous avons eu droit à quelques confidences. Hector, 71 ans, avait donc dans les 12 ans. Il nous dit que depuis cela, Cuba, c'est la merde. Qu'il n'y a rien, qu'il a eu faim toute sa vie, qu'il a travaillé et qu'il travaille toujours trop dur pour rien, me demande comment peut vivre un peuple qui est payé en pesos cubains quand ce même peuple doit acheter les choses en monnaie convertible qui vaut 25 fois plus, me demande si je suis communiste... L'agriculture ? Il n'y a pas d'agriculture, il y a des pauvres bougres qui passent la charrue à la main, il y a des gens qui s'échinent et se courbent, en haillons, pour l'État qui les exploite littéralement. Ceux qui sont propriétaires doivent vendre leur récolte à l'État, à un prix dérisoire. Son fils est en prison pour une histoire avec une vache : 4 ans. Il lui en reste 3 à purger. Comment peut-on imaginer, me dit-il, qu'un pays dirigé par la même personne (Castro Fidel et son frère Raul) depuis 55 ans ne soit pas une dictature ? Je ne sais que lui répondre et lui dit. Lui dit aussi que même si le voyage à vélo permet de mieux sentir la réalité sur le terrain car nous sommes facilement en contact avec un tas de gens, à la campagne comme en ville, nous restons des touristes, nous ne faisons que passer et pour pouvoir émettre un avis, il faudrait vivre ici. La discussion est bouleversante et nous nous sentons juste « couillons », nous que ce pays attire justement parce que rien n'a bougé depuis 60 ans. Où commence le voyeurisme ? Hector nous offre des tomates. Que pense la majorité des Cubains ? Sont-ils à la solde de l'État ? Se taisent-ils, dociles ? Combien de dissidents au régime remplissent les geôles ? Qu'en est-il réellement de la liberté d'expression ? Combien sont fonctionnaires et n'auraient plus de travail (de misère) si tout était remis en cause ? Cuba suscite des questions, beaucoup. Il faudra que je lise en rentrant le livre de mon collègue Claude Marthaler, cyclo voyageur et auteur de: « Confidences cubaines ». Une dame qui triait son riz sur le long comptoir de son minuscule commerce dans un hameau me dit qu'ils n'ont rien, mais qu'ils sont heureux. Elle avait vécu quatre ans à Varna en Bulgarie. Une autre encore, chez qui nous plantons notre tente, nous dit que pour elle, Cuba est bien, qu'ils sont pauvres mais que quand quelqu'un est malade ou blessé, il va à l'hôpital et est soigné, gratuitement, et puis l'éducation... Qu'elle ne voudrait pas vivre comme les Américains individualistes, qu'ici, ils ne font qu'un, qu'il n'y a ni délinquance ni insécurité, que le pays est propre. Certains arborent le drapeau américain sous différentes formes (tee-shirts, revers de pantacourts...)

Baie des Cochons donc, l'eau est turquoise au dessus des fonds sableux mais d'un bleu profond vers les plages de corail noir. Baignade magique et bivouac superbe au bord de l'eau. Nous passons jeter un œil à un cénote, comme au Yucatan, trou d'eau de 70 m de profond relié à l'océan. Après avoir traversé les zones de fermes d'élevages de crocodiles (la péninsule de Zapata en est infestée), nous avons rejoint Cardenas sur la côte nord où nous bénéficions de températures beaucoup plus fraîches. Là, je trouve le plus grand magasin d'alimentation que j'aie vu jusqu'alors dans ce pays. Il y a même le choix dans les parfums de confiture et des céréales sur les rayons, quelques légumes en conserve, et autre chose que des vermicelles comme pâtes ! Je trouve aussi du fromage dans cette ville : deux livres madame s'il vous plaît. Elle me regarde zarbi, c'est un gros morceau, mais je suis tranquille jusqu'à la fin de notre séjour. Au Mexique, aux States, au Canada, je faisais mes courses tous les deux ou trois jours, ici, je fais quatre magasins par jour pour rassembler le peu qu'il nous faut pour le soir et le matin. En journée nous stoppons dans les gargotes : sandwiches à l'omelette, riz, poulet, haricots noirs, jus de fruits frais succulents notamment la mangue ou la goyave, le tout pour des sommes absolument dérisoires, en monnaie nationale.

Cardenas, nous voici sur la côte nord pour un moment. Varadero, une péninsule de 17 km de long, une langue de terre très étroite totalement urbanisée, une suite d'hôtels-clubs tous plus moches les uns que les autres. Une plage de sable blanc et de l'eau turquoise à délirer sur 17 km. THE PLACE. C'est là que sont les gens branchés, les Européens notamment. Le jour où nous y sommes, tout est balayé par un vent violent et les rouleaux d'écume blanche s'écrasent sur le sable. C'est beau. Sans rire. Nous poursuivons vers Matanzas par l'ancienne route, déserte, qui longe l'océan. Matanzas est lovée au fond d'une baie où la violence du vent nous cloue sur place.Mais nous en ressortons par la route côtière encore, qui s'annonçait belle et attirante sur la carte. C'est la zone industrielle. Industrie lourde. Centrale thermique, hautes cheminées et fumées noires, décibels, puis derricks et odeurs de pétrole (Cuba est autonome à 50% environ). Mais un peu plus loin, nous trouvons enfin de quoi nous poser, entre la route et l'océan. La côte est ici rocheuse, très abrasive, déchiquetée, personne ne pourrait y marcher pieds nus. De la dentelle. Les cyclones et ouragans qui balaient la côte en d'autres saisons ont amoncelé des tonnes de coquillages, de galets et de débris de coraux jusqu'à une centaine de mètres à l'intérieur des terres. C'est sauvage et ça me plaît. Encore d'autres paysages. Cuba offre des visages très variés et tous très beaux. L'île entière est une explosion de couleurs vives, saturées. Cuba est hyper photogénique.

Le lendemain, nous traversons La Havane et passons donc à l'ouest de la capitale. Mariel, grosse industrie encore, port industriel bien moche, pollution. Le temps est à la pluie, ce qui n'arrange rien. Nous campons toujours sans aucune difficulté et quand c'est sur des propriétés privées (chez les gens) une douche nous est offerte (au broc souvent) et nous pouvons facilement faire un peu de lessive. Nous dormons une nuit dans un camp de charbonniers, 30 ouvriers, fonctionnaires là aussi. À l'Ouest de La Havane, le paysage change, des collines, des virages, une route vallonnée et en très mauvais état, des petits villages très jolis. Plus de nature, des grands palmiers éparpillés dans des pâtures où broute des vaches bien dodues et cornues. De temps à autres on voit le bleu de l'océan au loin. Superbe. Cette région semble plus riche... ou moins pauvre. Les maisons sont en dur, il y a des arbres en fleurs devant, c'est propret, les sols sont carrelés... La circulation automobile est anecdotique, les chevaux sont d'excellents trotteurs et la chaussée est parfois lustrée à cause du martellement répété de leurs fers sur le macadam.

Chemin faisant sur la route qui se transforme parfois en piste cahoteuse, nous atteignons la vallée de Vinales par des chemins détournés. Le triangle du tabac. C'est ici que poussent et sèchent les feuilles de celui qui donnera les fameux « Havane ». Il est fort et très parfumé. La vallée de Vinales est également réputée pour ses mogotes, formations géologiques étonnantes, grosses mottes calcaires sous lesquels coulent des rivières et sur lesquels pousse une végétation abondante malgré la quasi verticalité de leurs flancs. Nous aurions pu rejoindre Pinar del Rio directement mais il nous reste un peu de temps : 2 jours. Alors, nous sommes allés à Puerto Esperanza, à Santa Lucia et à Cayo Jutias, une île de plages de sable blanc reliée à Cuba par une route de7 km construite sur la mer. Pour revenir à Vinales, nous nous sommes cassé les jambes dans les montagnes russes où il faut parfois mettre pied à terre, mais les paysages sont superbes et cette partie ouest de l'île est vraiment une région à part, montagneuse, luxuriante et très authentique. Les marchands à vélo tentent de vendre leurs tresses d'ails et d'oignons. Encore quelques dizaines de kilomètres par monts et par vaux et nous voici à Pinar del Rio, fin de notre balade à vélo sur Cuba. 1610 km à la force des cuisses sur cette île hors du temps. Nous logeons dans une casa, une chambre avec tout le confort dans une ancienne maison coloniale qui, derrière sa façade à colonnes décrépie, cache un patio immense, véritable jardin tropical avec plein d'essences d'arbres, des plafonds hauts et multiples « dépendances » autour du patio. De là, nous prenons un bus pour La Havane où nous passons encore une journée. Nous nous gavons de ces voitures de collection qu'on ne peut voir nulle part ailleurs au monde. La boucle est bouclée. Démontage et emballage des vélos pour l'avion.

Les conditions météo, la difficulté à (ne pas) manger ce qu'on aurait aimé, la chaleur, les moustiques minuscules et voraces qu'on ne voit pas et qui passent à travers la moustiquaire de la tente, l'humidité, ont sollicité les organismes. L'autre solution, plus confortable, consiste à aller de casa en casa, c'est un choix. Pour nous celui de la liberté, qui est à Cuba plus gourmand en énergie. C'est aussi grâce à ce « mode de vie » que nous avons eu tant de contacts avec une population très rurale qui une fois de plus imagine un tas de choses à propos des Européens. Ainsi cette femme qui nous accueille sur son terrain sans aucune hésitation, qui ne pensait pas qu'en France il puisse y avoir des paysans qui élèvent des vaches. Elle pensait que tous les Européens travaillent devant un ordinateur et que la campagne n'existe presque plus. Nous étions les premiers étrangers avec qui elle avait un contact réel, elle ne pensait pas que c'était possible. Dans cette ferme, c'est nous qui avons offert une partie de notre petit déjeuner. Boire un café au lait avec des Français, chez elle, était pour elle un jour magique, un événement qu'elle n'est pas prête d'oublier. Combien de gens « flattés » que nous nous arrêtions chez eux et que nous nous intéressions un peu à leur vie nous ont remerciés ? La plupart des voyageurs à vélo sur Cuba (ils sont nombreux) ne campent pas, ne font que passer dans les villages pour aller dormir en ville. Je ne parle pas des autres visiteurs conventionnels, bus casa resto en CUC, bus casa resto en CUC, comme deux mondes parallèles qui se voient et se côtoient mais ne se rencontrent pas. Des choix... Nous avons campé partout où nous avons voulu, dans les Finca (exploitations agricoles), chez les particuliers, chez les charbonniers, dans les fermes étatiques, etc... sans aucune difficulté, vus ou pas vus, au bord de l'océan aussi.

À mener cette vie au plus proche du terrain et des gens, j'ai fini par choper une giardiase dans les derniers jours, mais heureusement, ayant déjà subi ce fléau bénin mais dévastateur du à l'eau (que eux boivent) en Birmanie, j'avais ce qu'il fallait dans la pharmacie et ai pu me soigner rapidement.

Nous n'avons guère goûté aux Mojitos ni à la vie nocturne (quasi inexistante), les Cubains se couchent tôt et travaillent du lever au coucher du soleil, j'imagine qu'ils dorment bien. Nous n'avons eu aucun souci sur la route, ne nous sommes jamais fait serrer par des chauffeurs indélicats. Nous avons du tapisser nos poumons comme l'auraient fait dix ans de tabagisme assidu... heureusement la circulation est faible.

Voila, c'était Cuba. Effectivement un autre monde, à part, un endroit unique. Je suis contente d'y avoir fait ce saut et d'avoir parcouru l'île à vélo. Si comme d'habitude il y a toujours moyen d'explorer plus en profondeur un pays, nous en avons vu l'essentiel. Avec quatre jours de plus nous aurions pu démarrer de Baracoa et passer par la pointe Est de l'île et Guantanamo. Michel, pour qui c'était le début du voyage a du en plus s'acclimater, il termine ces trois semaines aussi noir qu'un descendant d'esclave.

Je dois remercier ici Laurent Simon (voir le site « La petite rose des vents ») rencontré en Basse Californie et qui a passé décembre sur Cuba pour tous les renseignements extrêmement fiables et précieux qu'il m'a transmis à son retour. Nous avons ainsi pu traverser l'île avec vent favorable très largement majoritaire et nous adapter beaucoup plus vite à la vie et au mode de fonctionnement cubains.

Atterrissage à Cancun, remontage des vélos, passage chez le vélociste qui ne juge pas nécessaire de changer ma transmission, la chaîne présente un début d'usure mais le reste est bon, il me dit que ça peut faire encore des milliers de kilomètres. Il change la roue libre qui a du jeu. Le voyage peut continuer...

139 photos de Cuba dans la galerie

 

Les Amériques à vélo couché : Mexique côte caraïbe – Bélize

 

J'ai oublié de préciser dans la dernière mise à jour que le chien renifleur à l'aéroport de Cancun a gratté mon carton de vélo avec insistance et que cela m'a valu un contrôle méticuleux de tous mes bagages. Les douaniers sont allés jusqu'à vérifier l'intérieur de mes pneus de vélo. Pour rien sauf me faire perdre une heure...

Hum, des avocats, du yaourt, du fromage, de la confiture, des légumes, des pâtisseries, du lait, des steaks et de la purée. Hum, on a tout dévalisé et on y est retournés trois fois. Il faut dire qu'on a élu domicile à Cancun juste derrière le supermarché, dans une auberge où l'on peut cuisiner ! Nous sommes en dortoir, mais seuls, cool !

Lessive, mise en ordre des vélos et des affaires, couture, courses, nous voici fin prêts pour continuer le voyage. Sortie de Cancun par la zone hôtelière, une bande de terre étroite entre l'océan et la lagune infestée de crocodiles, urbanisée à un tel point qu'on ne voit absolument jamais l'océan. Détour superflu et dangereux (absence d'accotement). Autoroute jusqu'à Tulum. Ruban d'asphalte, tranchée dans la forêt, mur végétal de chaque côté et serpents écrasés sur la route. Miam miam. Voyant que nous pourrons être à Tulum le soir-même, je téléphone en dernière minute à un warm shower et nous serons logés (et douchés). Nous arrivons 15 minutes trop tard pour la visite des ruines mayas. Ce n'est que partie remise et contre toute attente le lendemain matin, la météo est favorable et les éclairages pas dégueu sur les vieilles pierres qui dominent la mer caraïbe d'une couleur de ouf. Pour parfaire cette journée, nous allons faire trempette dans un cénote à 4 km à l'écart, en partie sous-terrain, avec des tortues. Voila, le Gran cénote est ma foi bien joli, totalement différent encore des quatre que j'avais déjà vus. Dans l'après-midi, nous avançons de 93 km et plantons le bivouac dans la forêt.

Le lendemain, pas une photo. Rien qu'une ligne droite entre les arbres, sans jamais aucune échappée sur rien. Un seul village où nous faisons quelques courses et quelques gargotes au bord de la route ici ou là. Nous tuons 125 km et bivouaquons encore, le Belize n'est plus qu'à une cinquantaine de kilomètres. Pour le jour suivant ?

Eh bien non. Petit arrêt à Bacalar mais nous ne voyons pas les sept nuances de bleu du lac car le ciel est gris. Nous poussons jusqu'à Chetumal pour faire des courses et changer nos pesos mexicains en dollars Belize. Nous longeons le boulevard Malecon, l'eau est turquoise, le ciel s'est dégagé mais la ville est morte. À la sortie, nous demandons à loger à la police fédérale, qui nous boule, puis dans un couvent de bonnes sœurs qui nous laissent nous installer à l'extérieur, mais viendront un peu plus tard avec le proprio du terrain pour nous faire déménager alors que nous sommes déjà installés et en train de manger. Nous trouvons à planter nos tentes au bout d'un chemin bordé de friches, à 150 m de la nationale, on a eu mieux. On nous a dit de faire attention aux serpents à sonnettes. Miam miam.

Fin du Mexique, le lendemain tôt dans la matinée nous passons sans encombre la frontière (bien que le douanier mexicain ait essayé de nous soutirer une taxe de sortie que nous ne devons pas) et nous voici donc au Belize, ancien Honduras britannique qui fait toujours partie du Commonwealth. Un îlot de langue anglaise perdu dans un océan latino-américain hispanophone. La population est noire, on se croit en Afrique, c'est que les habitants sont les descendants des esclaves importés de la Jamaïque et de Saint-Vincent. À Belize city le mélange est frappant, mélange de traditions british et de coutumes caraïbes. La route qui traverse le pays du nord au sud, la seule asphaltée, est bordée de zones humides, de mangroves, de champs imbibés d'eau, de verdure. Difficile de trouver à poser les tentes dans ces conditions, présence de crocodiles par endroits... Nous logeons une première nuit dans un ranch sous un couvert, une seconde nuit dans les dépendances d'une église, une troisième sous abri encore dans une communauté, une quatrième dans une maison et une dernière dans une guesthouse. Les gens sont ma foi fort aimables. J'ai du repasser à l'anglais même si la majeure partie de la population parle aussi espagnol. Du coup j'ai tendance à baragouiner espaglais, à moins que ce ne soit de l'angnol... Bref, ça se mélange bien assez. Belize city, rien à voir, la plus importante ville du pays est étriquée, coupée en deux par un fleuve et quelque peu étouffante à mon goût. Nous cherchons le swing bridge et le bord d'océan, la couleur de l'eau est celle de la terre, nous filons plus loin...

Belmopan, la plus petite capitale du monde (17 000 hab) nous voit passer en milieu de journée. À partir de là, le paysage change radicalement, nous sommes dans des collines recouvertes d'une jungle épaisse. La route tourne beaucoup, monte et descend, nous oblige même à mettre deux fois pied à terre. Sous les arbres hauts, il y a d'autres arbres moins hauts puis d'autres encore plus petits. Couvert végétal impénétrable, sol imbibé toujours... Nous trouvons à nous mettre pour la nuit dans une propriété privée sous abri, nickel, et c'est presque plaisant d'entendre le martèlement de la pluie sur la tôle alors que nous déjeunons le lendemain matin. Après les averses, nous prenons la route et bifurquons sur la péninsule étroite de 200 m et longue de trente kilomètres qui mène à Placencia, blindée d'Américains. Nous logeons à l'extérieur de la bourgade touristique avec un autre cyclo français, Marc, avec qui nous prenons le bateau le lendemain pour revenir sur le continent. Nous sommes dans une zone du Bélize très différente du nord. Nous sommes en pleine culture Garifuna, les Noirs Caraïbes. Leur origine remonte au XVI eme S, quand les navires espagnols chargés d'esclaves africains faisaient naufrage dans les Caraïbes. Ils se sont mélangés aux Indiens Arawaks et de ce métissage sont nés les Garinagu qui plus tard se sont dispersés du Honduras au Belize. Les bateaux espagnols échouaient car le Belize est bordé par la seconde plus grande barrière de corail au monde, une multitude de minuscules îlots aussi, paradis pour la plongée sous-marine. Ambiance différente où l'on voit souvent les couleurs de la Jamaïque et beaucoup de rastas à l'accent délicieux, prêts à nous rendre service toujours. Nous attirons l'oeil à débarquer sur cette péninsule à vélo...

L'étape suivante entre Placencia et Punta Gorda, bout de la route, cul de sac bélizéen au bord de l'océan, nous fait traverser des communautés indiennes Mayas. Changement encore, et superbes maisons recouvertes de toits en chaume, terrains tondus et magnifiquement entretenus dans les villages. Salutations amicales tout au long du chemin et circulation quasi inexistante. Plus un seul blanc dans les parages à part Marc avec qui nous faisons route encore. Quant à Michel, il se fond dans la population.

Punta Gorda est un petit village de pêcheurs perdu à l'extrême sud du Belize, entre jungle et mer des Caraïbes, un peu hors des sentiers battus. Quelques rues, les gens dehors, nous trouvons à nous loger facilement, ambiance de bout du monde. Nous y arrivons un dimanche et tout est fermé sauf les établissements tenus par des... Chinois. Un « city parc » minuscule où une connexion wifi est disponible à raison d'une heure par jour et par appareil. Nous sommes tout de suite repérés et prévenants, les habitants nous demandent si tout va bien pour nous, si nous avons ce qu'il nous faut, nous bichonnent. Le « port », d'où nous embarquerons tout à l'heure si tout se passe comme prévu dans une « lancha » (grosse barque à moteur couverte d'une bâche), est un ponton tout simple au bout du bureau de l'immigration. Nous quitterons le Belize par voie maritime après avoir acquitté une taxe de sortie de 20 USD chacun. Au choix, des bateaux pour Livingstone ou Puerto Barrios au Guatemala. Pour nous ce sera Livingstone.

Le Belize fut donc bien vite traversé, minuscule pays dans lequel nous serons restés cinq bonnes journées avant de repasser à l'espagnol. La religion y est omniprésente et on peut réviser les dix commandements tout en roulant puisqu'ils sont régulièrement affichés sur le bord des routes (et autre propagande). Des dizaines d' « églises » différentes sont représentées, certaines dont le nom nous était parfaitement inconnu... C'est un pays cher, beaucoup plus que ses voisins, plus que la France pour la nourriture, où l'on paie indifféremment en dollars Belize ou américains (1 USD = 2 BD). Le climat y est très capricieux, le ciel est bleu et dix minutes plus tard il est gris, il est alors temps de se mettre aux abris pour laisser passer l'averse, souvent intense mais heureusement courte. Nous nous sommes faufilés entre les gouttes avec beaucoup de chance, ne nous sommes jamais faits rincés. Nous sommes en hiver et en saison sèche, il ne fait que 30°C à l'ombre et le degré d'humidité flirte avec les 85%... Les moustiques nous ont à peu près laissés tranquilles à condition de se couvrir quand on ne pédale pas. Dans ce pays qui se veut définitivement tourné vers l'écotourisme et la protection de la nature, nous avons trouvé que les bords de route étaient toutefois de vrais dépotoirs, qui dénotaient complètement avec les abords spacieux des maisonnettes, toujours très proprement tondus et entretenus, joliment fleuris...

À bientôt depuis le Guatemala.

 

Les Amériques à vélo couché : De la côte caraïbe aux Hautes Terres du Guatemala

 

Une heure de traversée sur une barque à moteur chargée à bloc qui rebondit comme elle peut sur une mer dure et nous voici débarquant à Livingstone, Guatemala. D'abord l'immigration, en haut du village. Ok. Après quelques déboires pour obtenir des Quetzals (monnaie locale, du nom de l'oiseau mythique emblème du pays) avec nos dollars et cartes bancaires, nous achetons des billets de bateau pour quitter Livingstone. Oui parce que Livingstone n'est accessible que par voie d'eau. Village sans voiture tout entier tourné vers la mer et le grand fleuve qui s'y jette à cet endroit superbe. Pontons de pêche, maisons sur pilotis, gens extrêmement sympathiques malgré un grand nombre de touristes, Livingstone a tout pour plaire. De la musique locale qui sort d'ici ou de là. Une ambiance exquise. Nous dégottons une chambre sommaire dans l'hôtel le moins cher de la bourgade, à côté du lavoir alimenté par une source d'eau claire où les habitants (et nous aussi) viennent remplir leurs récipients.

Le lendemain, grande chance encore avec la météo, juste quelques nuages blancs éparpillés dans un ciel nickel pour notre voyage en barque vers Rio Dulce. Il y avait longtemps que je n'avais traversé un paysage aussi paisible et magnifique, ce trajet mi fluvial-mi lacustre m'a rappelé avec force ceux que nous avions faits au Cambodge sur le Tonlé Sap ou sur le lac Inlé en Birmanie. Vie au bord du fleuve, rires des enfants dans les cours d'école sur la rive, les frêles embarcations en bois des pécheurs glissent en silence sur la surface sans une ride, méandres entre les falaises ou la jungle, puis grand plan d'eau avec des montagnes pour fermer l'horizon, égrettes aussi élégantes qu'élancées, vol de canards, mangroves. Milieu extrêmement riche. Nous nous félicitons d'avoir choisi ce parcours même si les traversées en bateau avec les vélos sont toujours source de stress et si nous y avons laissé quelques dollars. Tout se passe bien et nous débarquons à Rio Dulce sous le pont routier et sous un soleil de plomb. La bourgade est traversée par la route à forte circulation de poids-lourds que nous suivrons jusqu'à Flores. Nous faisons des courses, nous mettons en tenue pour pédaler et partons vers le nord et le Peten. Objectif Tikal, une des plus belles et grandes cités mayas tout au nord du pays.

Dans ma tête, le Peten était une région de forêt tropicale, de jungle, plate. Tout faux ! Le paysage est relativement ouvert et bien vallonné, les villages se succèdent au bord de la route, regorgeant de petits commerces en tous genres et de vie délicieuse, simple mais gaie et colorée, et je comprends vite que j'aurai à traverser le pays le bras en l'air. Ma monture provoque toutes sortes de réactions qui vont de l'étonnement à la curiosité, en passant par l'euphorie, la frénésie, voire carrément des ovations collectives dignes d'un but du Guatemala contre l'Argentine. J'ai ressorti mon espagnol basique et ai décidé de potasser la méthode que Michel a amené pour étudier un peu la conjugaison car c'est cela maintenant qui me limite pour m'exprimer correctement.

Flores. Nous nous dirigeons direct chez le seul vélociste de la bourgade (Santa Elena), je change ma chaîne mais le souci subsiste, mon dérailleur est mort. Corrodé, il résiste trop et le ressort de rappel est trop faible. Je mets un neuf. À Flores, nous sommes hébergés en Warm Shower dans un endroit délicieux encore, accès en lancha et baignade dans le grand lac à moins de dix mètres de notre chambre. Merci Tree. D'autres cyclos peuplent la maison, bonne ambiance. Lever avant les aurores pour nous le lendemain, traversée en lancha à 5 h 30, 20 minutes de marche pour le terminal de bus et nous embarquons peu après pour Tikal où nous passons une bonne partie de la journée. Je ne vais pas faire une description du site, d'autres l'ont fait mieux que moi bien avant ! Mais ça vaut le coup d'oeil. Et là, nous sommes dans la jungle, mais ce n'est pas plat pour autant.

Nous savons alors que les « vacances » sont terminées, nous allons dans les montagnes, dans le pays « Quiché », du nom de l'ethnie indienne dont c'est le territoire. La première journée est cool encore mais ensuite, les routes montent droit dans la pente, même si ça doit faire dans les 17%, je pousse souvent tandis que Michel parvient tant bien que mal à rester sur sa monture. Des rampes infernales dans des coteaux parfois plantés de caféiers, suivies de descentes tout aussi raides où nous ne pouvons nous laisser aller malgré le revêtement nickel (pour l'instant). Nous bivouaquons sur les terrains privés de particuliers auxquels nous demandons l'autorisation, ce qui nous permet aussi d'avoir de l'eau et parfois même une douche (au broc dans la cabane au fond du jardin) et de pouvoir rincer nos maillots régulièrement. Jamais un refus, nous nous sentons très bien dans ce pays. Nous bivouaquons aussi vers les églises en plein centre des communautés et assistons ainsi un soir à un office. À se demander si c'était un bal ou une messe ! Musique rapide, battements de mains, chants enjoués. Que nos messes sont tristes à côté de ces célébrations ! On nous propose parfois le lendemain matin de prendre un café, on nous amène une fois des tortillas et des omelettes. Et je comprends enfin pourquoi tant de linge sèche toujours devant toutes les maisons : il n'y a pas d'armoire, l'air est humide et il ne doit y avoir que dehors qu'il ne moisit pas. L'accueil est très bon et plus nous nous enfonçons dans les montagnes Quiché plus les gens sont enjoués sur notre passage. Coban, Uspantan, Sacapulas, 114 km, 3300 de positif, et bien des kilomètres à pousser le vélo dans le trop raide. Les paysages sont superbes, montagnes cultivées ou boisées, les pins sentent bons sous les ardeurs des rayons du soleil. Les femmes portent des tenues colorées finement brodées et des coiffes différentes dans chaque village. Les marchés dans les bourgades sont une explosion de couleurs et je me crois dans les Andes. Nous passons des cols et plongeons dans des précipices, passons un pont et recommençons. Heureusement, nous bénéficions d'une météo parfaite. Il fait certes bien assez chaud la journée mais l'air dans les montagnes est sec et les nuits sont fraîches. Ces journées difficiles nous enchantent cependant et les automobilistes sont très compréhensifs quand nous prenons les virages à gauche, à l'extérieur pour éviter la corde trop raide. Nous nous régalons malgré les courbatures et les nombreuses heures d'effort pour peu de kilomètres parcourus. Nous sommes contents quand nous passons les 50 kilomètres... en 6 ou 7 heures compteur.

De Sacapulas nous prenons vers Santa Cruz del Quiché et laissons encore de la sueur sur le macadam, passons à plus de 2050 m. J'enfile directement les baskets le matin pour éviter de niquer mes cales de chaussures vélo. L'air est maintenant carrément sec, je ressors le baume à lèvres. À Santa Cruz del Quiché, le marché est immense, bloquant les rues d'une bonne partie de la ville. Tout s'y vend, tout s'y achète. Le supermarché est noyé en plein milieu et est...désert. Les femmes des villages alentours viennent chaque jour vendre leurs produits, fruits et légumes mais aussi étoffes, services de couturière, poulets vivants ou morts, cuisinés ou non. Pas l'ombre d'un Européen. Les gens sont extrêmement prévenants et aidants avec nous, nous donnent moult détails sur ce qui nous attend quand nous demandons une direction : état de la route, bifurcations éventuelles... Après Santa Cruz nous campons vers une source qui alimente un immense lavoir où les femmes des villages alentours viennent faire la lessive, à la main, tandis que les hommes lavent leur bagnole. Pendant ce temps les gosses se baignent et jouent dans l'eau. Un lieu de vie sociale. Nous plantons les tentes à cent mètres et certains viendront nous souhaiter la bienvenue et taper la causette un brin, d'autres nous prennent en photo (avec eux), bref, j'ai l'impression que le Guatemala est au moins aussi dangereux que le Mexique... Nous n'avons fait que 50 km dans la journée, les jambes sont mortes.

Encore une étape de montagne et nous sommes vraiment sur les Hautes Terres, passons à plus de 2850 m. La nature n'est plus aussi verte, les arbres sont des résineux et la terre est sèche en cette saison. La route se fraie un chemin dans le relief tourmenté tandis qu'au loin se profilent parfois les cônes parfaits des volcans que nous irons bientôt voir. Nous plongeons sur Totonicapan à 2300 m. Toutes les collines alentours sont habitées, les coteaux sont envahis de maisonnettes. Les villages sont des villes et les villes trop grandes. Quetzaltenango, seconde ville du pays est à un saut de puce, à 2300 m d'altitude mais nous n'irons pas. Nous passons une paire d'heures à Totonicapan avant de rejoindre la maison de notre hôte à San Cristobal, célèbre pour son église, soit disant la plus belle du pays.

Jour de repos ou presque (il y a toujours tant à faire) avant la suite qui s'annonce au moins aussi belle, vers le lac Atitlan, les volcans et Antigua.

 

Les Amériques à vélo couché : Hautes Terres guatémaltèques, El Salvador, Honduras

 

Jour de repos à San Cristobal Totonicapan. Nous décidons de monter à San Fransisco el Alto voir le marché, réputé. Nous prenons le bus coloré qui s'élève sur la colline en crachant bien noir, et nous lâche au centre du village. Pas bien de l'effervescence. Ah ben non, le marché c'est tous les jours de semaine mais pas le samedi. Il n'y a rien. Nous redescendons tranquillement à pied, à travers les cultures par les sentiers ancestraux.

Le lendemain après une belle étape de montagne, nous plongeons vers le lac Atitlan, entouré de volcans, actifs ou non mais à la forme parfaite. Les gens nous mettent en garde, il y a des agresseurs dans le coin, qui en intimidant les touristes avec leur impressionnante machette (leur outil de travail), les dépouillent de leur argent, appareil photo, ordinateur, smartphone... Nous arrivons à San Marcos sains et saufs et y retrouvons Caroline Moireaux, la marcheuse au long cours, jurassienne. C'est la troisième fois que nos itinéraires se croisent... Un peu refroidis par ces histoires d'agressions à répétition mais très localisées, nous ne prenons pas de risques et le lendemain, sautons dans une lancha (bateau-taxi) pour traverser le lac et reprendre la route à partir de Panajachel. Il faut sortir de la cuvette, la montée est rude mais les vues sont belles. Après un jour et demi de montagne où nous faisons difficilement 60 km/jour, et après une gelée nocturne impressionnante qui nous oblige à brosser le givre des tentes avant de les remballer, nous débarquons, non sans contentement, à Antigua Guatemala.

Les rues de l'ancienne capitale sont entièrement pavées, assez inégalement, et nous allons à pied. Nous filons à l'hébergement prévu, une auberge où une nuit est offerte aux cyclistes. Cool. Puis nous passons la journée à sillonner les rues et les avenues tirées au cordeau et toutes flanquées d'églises et de couvents, plus ou moins bien conservés, parfois totalement rénovés mais parfois en ruines. Le mélange a ma foi bien du charme. Les façades des maisons, toutes mitoyennes, sont colorées, le marché est à déconseiller aux claustrophobes.

Nous avions cru à la fin des étapes difficiles à Antigua mais il n'en est rien, nous passons encore des reliefs conséquents. Il est à noter que l'ambiance est un peu différente dans cette partie du pays, nous nous sentons moins en confiance, sans savoir expliquer toutefois pourquoi car les gens continuent à être fort sympathiques. Peut-être à cause du trafic important, de la densité, de la proximité de la capitale que nous évitons par le sud, que sais-je... Nous passons notre dernière nuit au Guatemala derrière une station-service et un restaurant gardés toute la nuit par des gens en armes, au bord d'une route très passante à Los Esclavos. Ce ne sera pas la meilleure, nous aurons le trafic de poids-lourds comme bruit de fond. La vie de voyageurs à vélo est faite ainsi, il y a des nuits calmes certes, mais plus souvent des nuits bruyantes, les coqs, les chiens, les routes, le vent, la pluie, les piafs et les insectes...

8 mars, nous sortons du pays après y avoir passé 16 jours pleins et denses. Nous avons vu différentes facettes de ce pays, des régions très différentes, autant au niveau des paysages que des gens qui les peuplent. Je ne connaissais pas du tout tous ces pays d'Amérique centrale avant de partir et ne m'attendais pas du tout à cette richesse culturelle, ni à cette diversité naturelle. Côte caraïbe, jungle, pâturages, montagnes (points culminants autour des 4000 m d'altitude), volcans en veux-tu en voilà, des actifs, des « en veille », des endormis, lacs magnifiques et population fort sympathique, authenticité, ce petit territoire a vraiment beaucoup à offrir et nous n'avons vu qu'un échantillon bien sûr. Nous y avons laissé de la sueur sur un peu plus de 1000 km, c'est assez peu en 16 jours, mais avons gravi plus de 15 000 m de dénivelée positive dans des pentes au pourcentage souvent déraisonnable. Je n'ai jamais autant poussé mon vélo.

 

El Salvador. Pfffttt ! Je fais moyen de crever de la roue avant entre les deux douanes, dans le no man's land écrasé de chaleur juste avant la rivière qui forme frontière. La chambre à air est morte, c'est celle qui avait été vulcanisée au Mexique, elle a fait son temps, je m'allège. Passage de douane sans souci, pas de tampon sur les passeports car nous sommes toujours dans l'union des 4, à savoir Guatemala, El Salvador, Honduras et Nicaragua. Rien à payer non plus, cool !

À Ahuachapan, nous logeons à la police municipale et le cuisto de la cafétéria (200 flics pour cette petite ville) nous offre nos repas du soir. La ville est jolie. Nous en ressortons par la route des fleurs, qui même si elle peut être plus jolie à la bonne saison, nous offre de jolies vues sur les plantations de café et les volcans, plus ou moins nets dans la brume. L'activité dans les caféiers nous régale. Sonsonate, ville étouffante, nous avons gagné autant de degrés que nous avons perdu d'altitude et nous sommes quasi au niveau de l'océan, c'est dire... La côte est belle, très vallonnée, nous la suivons jusqu'à La Libertad avant qu'elle ne rentre à l'intérieur des terres. Toujours il y a un volcan ou deux qui nous dominent et sur le bord de la route quelques arbres absolument monumentaux nous font de l'ombre, très appréciée. Un soir, après une nuit sur un terrain privé dans un hameau et une autre chez les pompiers à Zacatecoluca, nous arrivons chez le Warm Shower José, qui a vécu 20 ans à Montréal avant de revenir au pays, à vélo. Il parle français avec un fort accent québecois exquis. Il nous raconte son pays avec passion, la guerre civile puis qui tourne a une espèce de guerre froide, les uns étant armés par les US, les autres par les Russes. Il nous parle des gangs de rues, les maras (formés de gens condamnés à perpétuité convertible en 30 ans aux US, à qui on propose à la place l'expulsion vers leur pays d'origine... le choix est vite fait). Dans le secteur où nous sommes ce soir, ces gangs ont été littéralement « liquidés » par des civils avec l'aide de la police, il nous parle des industries sucrières, minières, pas très « propres », il nous parle de la corruption, comment on peut acheter ses examens, scolaires ou permis de conduire..., il nous explique aussi comment le dollar américain est devenu monnaie nationale en l'espace d'une nuit en 2003 alors qu'il faut normalement un an pour faire passer une loi. Mais son pays il l'aime et nous l'écouterions sans fin, il est intarissable. Avec nous chez lui, il y a une famille de Français avec trois enfants, en voyage à vélo depuis 7 mois. Avant de gagner la frontière du Honduras, nous faisons le détour par La Union mais le golfe de Fonseca est noyé dans la brume.

El Salvador est vert à l'Ouest, très sec à l'Est. Si les températures sont supportables d'abord, elles augmentent au fil des jours et de nos kilomètres vers le Honduras pour devenir accablantes. 25°C la nuit mais 40°C à l'ombre la journée. El Salvador aujourd'hui n'est pas un pays dangereux pour les touristes comme on l'entend trop souvent. Les gens y sont chaleureux et il ne faut juste pas traîner dans certains coins la nuit... Et chez nous ? À cause des températures, nous avons décidé de ne pas trop traîner en route. 4 jours et demi pour traverser le pays et atteindre la frontière du Honduras, pays que nous traverserons quasi au plus court.

La frontière se passe rapidement, quelques vallonnements dans le paysage sec, presque de la steppe africaine. Herbe jaune, atmosphère un peu poussiéreuse, pas limpide, et plombée de chaleur. Sous ces latitudes très faibles, le soleil monte en flèche, passe sa journée au zénith et plonge le soir. La température fait de même le matin, elle passe de 30 à 40 en très peu de temps, mais ne redescend à 30 que tard dans la nuit. Nous arrivons à Choluteca en début d'après-midi après 92 bornes, chez les pompiers qui nous laissent leur terrain pour passer la nuit. Pas de pelouse cette fois-ci mais nous sommes en sécurité, avons accès aux douches et à une fontaine d'eau fraîche. Michel est marqué malgré nos précautions. Le lendemain, alors qu'une grosse dénivelée positive nous attend, il n'a pas les jambes, dès le matin. Levés à 5 heures pour partir « à la fraîche », hum... presque, il prend un bus à la sortie de la ville jusqu'à la frontière où il m'attend. La montée est belle, longue mais l'air devient un peu plus frais au fur et à mesure. Je le rejoins. Nous sortons du Honduras sans souci mais à l'entrée au Nicaragua... surprise !

Une loi en application depuis novembre oblige les voyageurs à avoir une autorisation délivrée par l'état pour pouvoir entrer sur le territoire. Pas au courant, nous nous demandons d'abord si c'est une sorte d'arnaque histoire de nous extorquer quelques dollars mais non... Maints renseignements nous sont demandés puis la demande part. Des Américains qui sortent nous disent qu'à l'entrée ils ont attendu l'aval 20 heures. Nous nous apprêtons donc à patienter un moment. Les cyclos que je connais sont passés par une autre route où apparemment ils n'appliquent pas trop la loi à la lettre... Après une heure et demie, on nous appelle, c'est tout bon. Les passeports sont tamponnés et nous sommes au Nicaragua. Yeap !

 

Les Amériques à vélo couché : Nicaragua-Salmonella-Costa Rica

 

Nicaragua. Ce nom seul évoque pour moi une chanson de Lavilliers, la guerre. C'est de l'histoire très récente mais je n'ai pas vu trace de ce passé tourmenté (n'ai pas cherché non plus). La plus grande partie du territoire de ce pays est relativement inaccessible, ce sont les basses terres de la côte caraïbe. Plus à l'Ouest, il y a une barrière montagneuse importante, puis on plonge vers les basses terres de la côte Pacifique, garnies de volcans comme un alignement de piqûres de puces. Beaucoup fument ou crachent. Et toujours dans les basses terres côté Pacifique, il y a deux grands lacs. Celui nommé Nicaragua a pour particularité d'avoir une île composé de deux volcans dont l'un au cône parfait. L'île d'Ometepe.

Nous sommes arrivés par les montagnes, bien contents de laisser derrière nous ce Honduras dont on ne sait quoi penser mais qui semble quand même ne pas faire partie des pays les plus sains sur cette planète. Nous sommes contents de trouver un peu de fraîcheur même si nous sommes loin encore de sortir les duvets... Mais au moins les tentes ne se transforment pas en cabine de sauna quand nous nous y réfugions pour la nuit. Somoto, Esteli, plus nous avançons plus le trafic est important et nous serons contents de quitter la route principale pour obliquer vers Leon. Un vrai bivouac, camping sauvage au milieu du rien nous fait un bien fou, sans chien, sans coq, sans bagnole, sans insecte qui frottent leurs élytres jusqu'à point d'heure. La journée qui suit, le vent qui nous pousse nous permet d'arriver tôt à Leon pour visiter. Cette ville importante est classée à l'Unesco et a joué un rôle important dans la récente histoire du pays, par ses étudiants notamment.

À partir de Leon et jusqu'à la frontière avec le Costa Rica, nous essuierons un fort vent de face et subirons des températures encore bien assez élevées pour nous. Il faut dire que dans un mois maintenant la saison des pluies débutera, nous sommes donc aux périodes les plus chaudes... Le long du lac Managua, quelques trouées dans les arbres laissent voir le panache de fumée du parfait Momotombo. Nous ne nous arrêtons pas à Managua (sauf pour y dormir une nuit sur la pelouse des pompiers) et filons à Masaya. Ce n'est pas la ville qui nous intéresse mais le volcan. Il est très peu élevé, juste une taupinière, mais il est très actif, et très accessible. Une marmite, un chaudron géant, un énorme trou dont on ne sonde pas le fond (la cheminée), et des bruits terrifiants qui sortent de cette bouche de l'enfer ! Non non, je n'exagère pas. Les borborygmes de notre planète donne des sueurs froides, enfin... presque. De temps en temps un peu plus de fumée. Je voudrais bien voir ce qui se passe là-dedans. Des coulées de lave solidifiées garnissent les flancs de la colline. Remontés sur nos vélos, nous allons jusqu'à Granada, autre ville classée par l'Unesco et trouvons une auberge. Nous resterons deux nuits car avons un besoin impérieux de récupérer, alors autant le faire ici.

Granada, au bord du grand lac, est une petite ville avec un petit centre coquet, une belle place, une cathédrale jaune et photogénique qui fait sa renommée, son « malecon » sur le rivage du grand lac et un grand marché. Ah, le marché ! C'est là que tout a commencé, nous étions logés à deux pas. Michel y a acheté des œufs, entre autres... 6 pour être exacte. Il y en a un qui m'a regardé d'un mauvais œil quand je l'ai sorti du sac et il m'a presque craché dessus quand je l'ai mis à frire. N'empêche que je l'ai mangé un peu à reculons celui-ci. Deux heures plus tard je commençais à avoir mal au ventre en m'interrogeant sur la cause. Je résume, mal de bide qui empire au fil des heures. La journée de repos passe et rien ne s'arrange, la nuit passe, à me tordre. Je n'ai rien ingurgité d'autre et rien d'autre ne se passe. Nous repartons à vélo mais je ne suis capable de faire que 75 km contre le vent. Sans rien dans le bide depuis plusieurs dizaines d'heures, c'était à prévoir. Nous faisons néanmoins un superbe bivouac sur la rive du lac juste en face d'Ometepe, vers un village peuplé de gens forts sympathiques encore. Dans la nuit le vent redouble, mes douleurs aussi. J'entame un traitement antibio pour giardiase, dysenterie et consorts, bref infections intestinales. Au matin, je me sens super faible mais nous ne sommes qu'à 30 km de la frontière et si mon affaire doit mal tourner, il vaudra mieux être au Costa Rica qu'au Nicaragua, donc on monte sur les vélos. Je dois m'arrêter récupérer plusieurs fois même si la route est facile et arrive au poste de douane totalement accablée, avec peine à me tenir debout. Premier bureau, allez ma fille, fais bonne prestance, souris, tiens toi droite... Tampon. Bien sur il faut remonter sur les vélos, faire 100 mètres, s'arrêter à nouveau montrer le tampon, remonter sur les vélos, plein cagnard, faire un kilomètre, montrer les passeports, remonter sur les vélos, 50 mètres. Entrer dans le hall climatisé. CLIMATISE ! Oh que c'est bon tout d'un coup, mais quand même je ne fais pas la maligne. Pas de question, 4 dollars à lâcher (pour deux), je ne récupère même pas mon passeport, Michel est là et le fera pour moi, je vais m'asseoir contre un mur sur le carrelage presque froid. Mais il va falloir sortir de là à un moment... Hum, pas simple. Allez, les changeurs de monnaie nous attendent comme un essaim à l'extérieur. Première bourgade à 20 km. Je ne pourrai pas, je ne suis PAS capable de couvrir cette distance, pas plus que la moitié d'ailleurs. Je m'allonge à l'ombre, nous attendons un bus et filons à La Cruz, y trouvons une chambre climatisée dans un hôtel avec vue de ouf sur l'océan. Je me demande vraiment ce que j'ai car les signes ne sont pas comme « d'habitude », je fouille sur internet et soupçonne une salmonellose. L'oeuf qui m'a regardé de biais. Salaud ! Si c'est ça, ça passera tout seul au bout de cinq jours, donc après-demain. Je mange un peu, avec difficulté, et continue à me vider. Le lendemain ça va mieux, nous décidons d'avancer et de prendre un bus dans l'après-midi pour un petit trajet. Nous ne voulons pas raccourcir notre itinéraire au Costa Rica mais sommes conscients de ne pas avoir énormément de temps à « gâcher » d'où le tronçon motorisé, qui nous fait aussi du bien au moral car ce piétinement me tue. J'ai toujours besoin de faire quelque chose.

Les paysages sont superbes, la végétation de ouf, plein d'arbres à très grandes feuilles que si t'en prends une sur la tête à l'automne, elle t'assomme. Ambiance impersonnelle dans le bus, chauffeur très intéressé et content d'embarquer deux vélos (à prix fort)... La première impression laissée par les Costa-Ricains (oui, exprès !) sont qu'ils sont gentils, aimables, souriants mais que certains ont aussi le sens du commerce comme d'autres ont la bosse des maths. Arrivés à destination vers 18 h, nuit noire, nous trouvons une « cabina » à prix modique sur la rue passante mais pourvue de la clim.

Le lendemain matin il faut donc partir à vélo, je me sens beaucoup mieux mais il y a des résidus quand même et notamment un manque d'énergie notoire. Ça tombe bien car nous attaquons direct par 15 km de bosse sur une route empierrée, c'est à dire impraticable avec nos montures. 4 heures plus tard, après avoir lâché des litres de sueur et des centaines de kilocalories, nous basculons sur le lac d'Arenal, superbe au milieu de son écrin de verdure. Et de la verdure, il y en a sur trois ou quatre étages, de la vraie forêt tropicale humide. C'est magnifique. Ça fait mal aux jambes et nous n'avançons pas vite mais sommes contents de nous être donné tant de mal pour être ici. Au détour d'un virage, le volcan Arenal nous dévoile son cône parfait. Joli bivouac sur la pelouse rase derrière un bureau d'information touristique. Pour la première fois depuis Granada, je fais un repas quasi normal. 5 jours... Je continue mon traitement tout en diminuant les doses car du coup, je pense qu'il ne sert à rien.

Dans la nuit il se met à pleuvoir, fort, et nous devons retarder notre départ de quelques heures le lendemain. Une volonté de ne pas rester sur l'axe principal et de passer par les villages nous met les jambes en compote dans le relief. C'est certes très beau, mais par ce jour pluvieux, nous aspirons à être efficaces. Le soir, nous plantons les tentes sous un grand toit en tôle dans une propriété privée. C'est l'ado qui nous a donné l'autorisation de lui-même, ses parents n'étant pas là. Quand sa mère rentre, son premier geste fut de venir à nous avec des biscuits et du thé glacé.

Le réseau routier n'est pas du tout adapté au nombre et au gabarit des véhicules qui y circulent. Aucun accotement, routes étroites et sinueuses, fort trafic même sur les routes secondaires, poids-lourds... et à chaque entrée de village en lieu et place d'un panneau de bienvenue il y a celui qui indique que la carte American Express est acceptée... Sans rire ! Et depuis longtemps nous n'avions vu des indications de distance et quelques panneaux publicitaires !

La nuit a chassé les nuages, nous partons sereins pour une première journée très difficile de montagne. Et en effet, sur 50 bornes, je pense que j'en fais plus de 10 à pousser ma monture dans le trop pentu. Sur le macadam propre mais mouillé (le crachin et la pluie sont revenus en cours de journée), les petites berlines patinent dans les cordes des virages... Nous nous élevons lentement mais sûrement. Les paysages nous réjouissent et comme ce versant reçoit beaucoup de précipitations, même en saison sèche, la végétation est magique, les cascades impressionnantes. Nous tuons 50 km seulement en plus de 6 heures d'efforts mais 1900 m de positif. San José la capitale n'est pas loin. Dans le brouillard et le crachin, nous trouvons refuge sous un abri spacieux autour d'une église, disposons même de tables et chaises. Nous sommes à plus de 1700 m d'altitude, nous sommes trempés, il ne fait pas si chaud, je me change, me mets au sec et enfile la doudoune pour manger.

Et là, je me dis que l'organisme est quand même bien foutu parce qu'avec ce que je lui ai fait subir ces derniers jours, passer par la chaleur intense, par les efforts contre le vent ou dans les bosses, dans les cailloux, à pousser un chargement de 50 kg au total, par une salmonellose, de la pluie diluvienne hier, du froid aujourd'hui et des bivouacs,... il ne bronche pas tant que ça ! Michel a récupéré lui aussi et avance bien en ce moment.

Nous ne faisons que passer à San José, en milieu de journée et quittons bien vite la cuvette, par l'autoroute et Cartago. Et là, nous savons que de nouveau nous attendent 3000 m de positif sur un tronçon de 70 km environ... Sur la route taillée dans le coteau et chargée de poids-lourds, nous trouvons refuge pour la nuit sur le terrain d'un particulier qui nous offrira des biscuits, du Canada Dry et l'utilisation de sa salle de bain. La nuit suivante nous campons à plus de 3100 m d'altitude dans la forêt dense, et de manière illicite dans le parc national « los Quetzales », mais nous ne verrons pas l'oiseau. Quelques colibris tout de même. La route s'élève encore le lendemain, et après un court passage à 3400 sur la « Montagne de la morte », nous plongeons littéralement sur San Isidro. 45 km de descente ininterrompue, pente et macadam parfaits. Un arrêt au milieu s'impose pour laisser refroidir les jantes, à cause du frottement des patins de freins. En effet il y a deux jours, j'ai ainsi explosé une chambre à air qui n'avait pas une seule rustine.

À San Isidro de El General, petit tour chez le vélociste, qui change les billes de mon moyeu arrière, gaine et câble de frein arrière, règle mon voile. Nous repartons dans la bosse, bivouaquons un peu plus haut et plongeons le lendemain sur la côte pacifique écrasée de chaleur. Encore du très beau. Ce petit pays offre vraiment de multiples facettes, et j'imagine que la côte caraïbe est encore un autre monde. Côté contacts, les gens sont d'une désinvolture assez exquise. Tu veux poser ta tente là ? Ben oui poses là ici. Très aimables et bien cools. Nous avons beaucoup de signes sur la route et jusque là, ne nous sommes pas faits vraiment serrer malgré la densité du trafic. Ce pays est beaucoup plus "riche" que les précédents, c'est un peu la Suisse ou les US de l'Amérique centrale. Maintenant c'est la semaine sainte, tout est férié, ils sont tous en vacances. Donc nous aussi nous prenons un jour de repos. Nous sommes en Warm Shower, logés dans une coloc au bord d'une petite mangrove où nagent des crocodiles. L'océan est à 300 mètres, il y a une plage pour faire trempette. C'est une cabane, ouverte à tous les vents, une grande cabane branlante, avec des voiles de tissu sous les tôles du toit et contre les planches des « murs » pour faire joli. Pas de fenêtre, nous vivons dehors, jour et nuit, dormons avec le ventilo qui rafraîchit un peu et chasse les moustiques qui assez bizarrement, ne sont pas si nombreux.

Après ce jour de repos, nous reprendrons la route demain, non pas pour filer direct au Panama, ce serait trop facile. Il y a une route secondaire qui passe par la montagne... et il paraît que c'est joli alors on va aller voir, si toutefois les orages annoncés ne sont pas trop violents.

 

Les Amériques à vélo couché : Jusqu'au canal de Panama !

 

Alors voilà, ç'eut été trop simple de prendre la route la plus facile, la plus courte aussi. Pourtant elle allait bien cette panaméricaine et en cette semaine sainte, était vide de poids-lourds. Mais c'est comme ça, on ne peut pas s'en empêcher, s'il y a moyen d'aller se mettre au frais dans les montagnes, nous y filons direct. La route s'élève gentiment dans une belle et large vallée, le long de la rivière. On se régale. Mais les rampes sont arrivées en même temps que les heures chaudes. Après un arrêt pique-nique de deux heures, le ciel est tellement noir que nous n'avons plus qu'à trouver un abri, et vite ! Un ancien qui vend des bananes au bord de la route confirme nos craintes et nous envoie un kilomètre plus loin dans un resto désaffecté mais qui nous offrira la lumière, la douche, l'eau courante, tables et chaises et même un frigo, le tout sous un grand toit, sans mur, d'où nous regardons les éclairages et les trombes d'eau s'abattre sur les montagnes environnantes.

Le lendemain nous voit monter encore plus, passer San Vito tout près de la frontière et monter encore pour aller cette fois-ci planter nos tentes sur le terrain privé de Andres et son frère. Douche encore, petite lessive, wifi hyper performant et conversation intéressante en ce jour d'élection présidentielle. C'est le second tour, deux partis en lice, les opinions de chacun sont clairement affichées par des drapeaux aux maisons, aux autos, partout. Des stands le long de la route, des deux partis, pour donner des informations à qui voudrait (donc à nous!).

 

Puis vint le jour du passage de la frontière. Nous plongeons tout ce que nous avons monté et arrivons à la douane en bien meilleur état que la fois précédente. Nous nous attendions à ce que l'on nous demande nos preuves de sortie de territoire, nos deux photocopies de passeport mais non, rien, que dalle, paf, cent mètres, et re paf ! Cool. Pour une frontière réputée difficile... c'est pas mal.

Le Costa Rica est de loin le pays le plus propre de toute la zone, les bords de routes sont exempts de déchets et c'est ma foi fort agréable. Nous n'avons rien visité de spécifique dans ce pays où regorgent les parcs nationaux mais avons tracé un itinéraire qui nous permette de voir les différentes facettes du pays. Nous préférons voir les communautés indigènes en passant que dans des zoos, et ce que nous offrent les bords de route est déjà énorme. Contrairement à la première impression qui était moyenne, nous avons trouvé des gens ici encore très serviables. On peut camper absolument partout dans ce pays, c'est facile !

Donc Panama, dernier pays de cette Amérique centrale méconnue. Ah, nous croyions en avoir terminé avec les dénivelées positives, nous redoutions le vent et la chaleur. Mais le Panama est un pays de montagnes. Les deux côtes, Atlantique et Pacifique, sont séparées par une haute barrière qui culmine à 3400 m. Entre les deux, aucun axe routier. La seule route qui traverse le pays dans le sens de la longueur est côté Pacifique, mais n'est pas plate pour autant. La première partie nous voit faire plus de 1000 m de positif pour 80 ou même 65 km. C'est une 4 voies avec de larges accotements et pas bien des véhicules. Une première nuit dans une ferme sous un couvert, une seconde nuit sur le terrain privé de particuliers qui nous offrent une douche, un café et un agréable moment. Une troisième nuit chez Erika et Heinz, Warm Shower missionnaires installés ici depuis 28 ans et d'origine suisse. Les signes sur la route sont toujours très nombreux et un automobiliste fait même demi-tour pour aller nous chercher chacun un délicieux litre d'eau fraîche alors que nous suons eau et sel dans une montée sous le cagnard (sans que nous ne lui ayons rien demandé). Les détours sont peu possibles, nous sommes contraints de rester sur cet axe principal. Sinon, des allers retours mais nous avons horreur de ça. Donc nous filons vers la capitale. Au fil des jours, la chaleur nous use, nous roulons le matin, tôt, mettons le réveil pour aller faire du vélo et finissons nos journées vers 13 heures. Une nuit chez les pompiers à Nata, puis une nuit sur une plage magnifique. Enfin... sur le terrain de particuliers sur la plage. Lui est panaméen, elle est russe, du Kamchatka, vit la moitié de l'année ici, l'autre moitié à Moscou avec leurs deux enfants. Le courant est bien passé, l'après-midi passé entre discussions et baignade dans l'océan fut un régal.

Dernier jour de vélo pour atteindre la grande ville, nous arrivons plus vite que prévu au pied du Pont des Amériques, celui qui enjambe le canal de Panama. Il est haut au dessus de l'eau pour pouvoir laisser passer les cargos et bateaux de croisière énormes. Nous prenons le temps de quelques photos puis définissons une stratégie pour tenter de passer sans nous faire shooter. Pas d'accotement, belle montée donc un peu de temps, gros trafic énervé. Le problème est résolu quand se pointe un pick-up de la police. Traverser le pont à vélo est interdit. « Ok, et puisque vous avez un pick-up, pouvons-nous y mettre nos vélos et traverser avec vous s'il vous plaît ? » Et voilà. Bien sûr j'aurais aimé le franchir à vélo, mais de toute façon il y a des grillages partout et il eut été impossible de s'arrêter prendre la moindre photo.

Puis-je considérer que l'Amérique du Sud commence ici ? Puis je considérer que ce canal qui fait suite à un grand lac côté atlantique forme frontière entre les deux, centrale et sud ? Plus loin, il y a de nouveau des montagnes donc j'aurais tendance à dire que géographiquement c'est le cas. Ça n'engage que moi. En ce 7 avril 2018 à 13 h 30, après 25 371 km parcourus, je franchis le canal.

Panama. La route continue environ 300 km, s'enfonçant dans la jungle du Darien vers la frontière colombienne. Mais elle ne la traverse pas, c'est un cul de sac. Ensuite il y a des pistes et des sentes probablement, celles empruntées par les narcotrafiquants, la région est mondialement réputée. Passer en Colombie contraint à prendre un avion ou un bateau. Le corridor du Darien reste un endroit à part sur cette planète du XXI eme S. Bien sûr nous sommes frustrés de ne pas aller au bout de la route, bien sûr nous sommes frustrés de nous arrêter là pour sauter dans un zinc mais c'est comme ça et au moins aurons-nous la satisfaction de redémarrer vraiment du nord de la Colombie, sur l'océan. Il y a une paire de décennies maintenant, un couple de cyclotouristes français avait traversé le Darien, taillant à la machette leur chemin devant eux. Certains jours, ils n'avançaient que de cent mètres. Marion et Virgile Charlot, les « pignons voyageurs », ont cherché par tous les moyens à passer également, ils ont finalement pris une « lancha » sur l'océan et l'aventure a failli mal tourner, ils se sont fait peur.

Quatre jours et demi à Panama ciudad. La première demie-journée est occupée à trouver des cartons pour emballer les vélos. Métrobus dans la grande ville, buildings qui grimpent haut et chatouillent les nuages, nous visitons deux vélocistes avant de trouver celui qui fera notre bonheur. Retour à l'auberge (vers le pont des Amériques) avec nos gros cartons dans le bus. Les habitants nous sont d'un secours précieux pour nous diriger, nous renseigner, et passer leur carte magnétique à la machine pour nous. Nous leur payons l'équivalent en monnaie sonnante, certains ne veulent rien. Ils se battent presque pour nous rendre service, cela fait chaud au cœur.

Le lendemain dimanche, nous partons à vélo voir quelques trucs pas très loin de notre hébergement et découvrons que tous les dimanches matin, les boulevards de tout le front de mer sont en partie réservés aux cyclistes, rollers... Changement de programme, nous en profitons et faisons 30 km dans la capitale avec des pistes cyclables larges de 25 m rien que pour nous (et les autres..). Nous nous baladons entre les gratte-ciels le nez au vent, empruntons le pont qui ceinture Casco viejo (la vieille ville coloniale) autrement interdit aux vélos. Nous nous régalons. L'après-midi, nous montons à pied depuis nos dortoirs jusqu'au sommet du Cerro Ancon, d'où la vue sur les tours de la ville, éclairée par le soleil sous les nuages noirs menaçants, offre des contrastes saisissants.

 

La journée suivante est consacrée aux écluses de Miraflores sur le canal, toutes proches de Panama ciudad. Entre l'Atlantique et le Pacifique (77 km au total), il s'est formé un lac (33 km), artificiel, par création d'un barrage en terre sur la rivière Chagres, puis d'un second pour augmenter la capacité du réservoir, puisque le lac sert aussi à remplir les écluses. Des cours d'eau alimentent ce lac qui est situé 27 m au dessus du niveau des océans. Les bateaux en tous genres qui traversent le canal ont donc à monter ces 27 m puis à les redescendre. Entre les deux, ils naviguent sur le lac et le canal. Côté Pacifique : Miraflores + Pedro Miguel. Côté atlantique : Gatun. Suite au projet de canal au Nicaragua, l'élargissement de celui de Panama a été vite approuvé y compris par la population et est effectif et fonctionnel depuis 2016. Miraflores et Pedro Miguel sont doublées par Cocoli, et Gatun par Agua Clara. Les bateaux les plus gros peuvent faire jusqu'à 49 m de large et 386 m de long, le coût de la traversée va de 1200 USD pour un minuscule voilier à quasi 1 million de dollars pour les « néo-panamax ». Si tout cela vous intéresse, vous trouverez plein d'infos sur Wikipédia, c'est énorme. Des locomotives électriques guident et tirent par câbles les gros gabarits, les « mules ». Bref, visite du musée, petite séance de ciné pour le documentaire sur l'histoire et la réalisation des gigantesques travaux, et attente des premiers bateaux. En effet, ceux qui passent de Pacifique vers Atlantique finissent de passer à Miraflores à 9 h 30, et ceux qui vont en sens inverse commencent à 14 h 50. C'est bien foutu, avec des balcons qui dominent la situation pour bien voir et un commentaire en live sur les bateaux qui passent, chargement, équipage, coût, fonctionnement spécifique de ces écluses pour « transporter un minimum d'eau » (chacun des 14 000 bateaux qui passe par an nécessite 202 000 m3 d'eau)... À Miraflores, trois chambres et deux étapes permettent de monter ou descendre 16,5 m. Bref c'était intéressant. D'un côté nous voyions le Pont des Amériques, de l'autre celui du Centenaire. Un troisième est en construction côté Atlantique.

Le canal est bordé de parcs nationaux et zones protégées afin de maintenir un corridor écologique permettant aux nombreuses espèces animales de passer d'un océan à l'autre.

Et justement, nous sommes allés nous promener dans le premier de ces grands parcs. C'était calme et tranquille mais ça ne restera pas un moment inoubliable. On a vu des agoutis, des coatis, un paresseux et quelques oiseaux colorés. Les nuages sont vite arrivés, quelques gouttes sont tombées et les gens sont en liesse, ils attendent la saison des pluies avec impatience, d'un jour à l'autre. Nous avons démonté et emballé les vélos, lavé du linge, réparé des sacoches, mangé beaucoup...

Il nous reste Casco Viejo à visiter. Tôt le matin le dernier jour, nous descendons voir cette partie ancienne et coloniale de la ville, qui jouxte l'océan mais aussi le quartier populaire de Chorillo. Beaucoup de couleurs, de vie, de graffitis, de linge aux balcons. Un régal. De retour à l'auberge, nous peaufinons les choses pour prendre l'avion et préparer notre arrivée en Colombie.

Panama ciudad est pleine de contrastes. En quatre jours nous avons vu des choses extrêmement variées et si nous avions eu plus de temps, nous serions allés dans le Darien. Le pays lui-même offre pas mal à voir et j'ignorais totalement que puissent vivre autant de communautés indigènes dans le nord de ce territoire. Nous avons trouvé les gens très très serviables en toutes occasions, les ruraux comme les citadins, les commerçants comme les chauffeurs de bus.

Nous quittons donc l'Amérique centrale. Je n'avais pas d'attrait particulier pour ces pays où j'imaginais juste souffrir sous l'ardeur des rayons du soleil, transpirer eau et sel sous un climat tropical chaud et humide, sans grand chose à voir. J'imaginais des serpents, des dangers, peu d'intérêts. Mais ils étaient sur ma route. Je me suis bien fourré le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Tous ces pays ont une identité et des spécificités bien propres à chacun. Les paysages et la végétation, les différents écosystèmes sont d'une grande richesse. Jungle, montagne, forêts, océans, volcans, lacs, villes coloniales... Les populations elles-mêmes offrent une grande diversité. Les différences entre les niveaux de vie d'un pays à l'autre ont fait que c'était plus ou moins facile et confortable pour nous, et cela nous a fait du bien d'être dans des pays un peu plus « confortables » avant la Colombie où nous allons replonger dans une ambiance plus « roots ». Nous n'avons plus qu'à vider le frigo et attendre le taxi pour l'aéroport de Tocumen...

De nouvelles photos bien sûr dans les galeries correspondantes : voyage à vélo couché dans les Amériques 2017-2018, puis pays par pays...

 

Les Amériques à vélo couché : Colombie, mais où sont les montagnes ?

 

Le taxi est en avance, nous traversons Panama tout illuminé tranquillement, le trafic est fluide et la musique dans le vieux pick-up de Victor est agréable. Tocumen, aéroport. Nous pesons nos bagages pas encore définitivement fermés, procédons à quelques ajustements et laissons passer les heures. À l'arrivée à Santa Marta, tous nos bagages sont livrés dans un état tel qu'on voudrait les voir arriver chaque fois, nickels.

Nous voici donc en Colombie, bien au nord mais pas au point extrême du continent sud-américain,. Nous remontons nos vélos avec le clapotis de l'Atlantique dans les oreilles et sous l'oeil bienveillant de tous les policiers et chauffeurs de taxi de l'aéroport. Deux heures plus tard nous sommes sur la route. La circulation est plus que fluide, les signes nombreux, le macadam nickel et l'accotement très large. Nous arrivons à Cienaga et après avoir fait des courses alimentaires, trouvons à nous loger dans la très grande salle d'un collège où de petits groupes d'élèves viendront nous voir. Certains ont cours de 6 à 12 h, d'autres de 12 à 18 h, et d'autres encore de 18 à 22 h. Utilisation optimale des locaux...

 

Entre Cienaga et Barranquilla la route est une digue construite entre l'océan et un lac d'eau saumâtre puisqu'ils communiquent en quelques points. Pêcheurs, cueilleurs de sel, les paysages sont très beaux mais le bord de route, par endroits, est pire qu'un dépotoir. Le vent, les vagues ramènent tout sur la côte et de plus, les gens jettent tout là où ils sont. Nous sortons trop tôt de l'autoroute à Barranquilla et nous retrouvons sur une route à l'intérieur des terres au lieu de longer le littoral, rattrapons le coup comme nous pouvons à travers les jolies collines et arrivons à Santa Veronica un peu claqués après une grosse journée. Mais nous sommes bien accueillis par Aurélie et José, expatriés. Ils mettent à notre disposition un kiosque sur la plage avec douche et toilettes et après la baignade dans les vagues nous passons la soirée avec eux.

Le lendemain, suivant toujours le littoral, nous arrivons à Cartagène des Indes. Cartagène des Indes. Oui, des Indes. Il s'était trompé le gars je crois ! Mais du coup l'anecdote est délicieuse, le nom est resté. Grande ville dont le centre est inscrit au patrimoine culturel de l'Unesco, nous nous posons pour un, deux, trois jours... Nous ne savons pas. J'ai fait venir des pièces pour mon vélo ici et ne sais pas quand elles arriveront, si elles arrivent...

Le premier jour est consacré à la visite du centre historique, ses ruelles très fleuries, ses façades superbes et colorées, ses églises, ses remparts, ses graffitis. Un régal. Le second jour, nos pas nous mènent un chouillas plus loin. Nous avons pris la décision de partir le lendemain quoi qu'il en soit puisque le colis est bloqué à la douane de Miami... Le destinataire fera suivre !

De là, nous filons à Monpos, ou Santa Cruz de Mompos, ou Mompox, c'est tout la même chose. Une nuit dans la campagne, orage. Le chemin terreux était sec en arrivant, le lendemain matin c'est un véritable bourbier. Le piège. Le nettoyage des vélos prend 30 mn et encore heureux que nous ayons de l'eau à dispo. La nuit suivante nous voit sur un terrain privé avec de l'eau au jet à volonté pour nettoyer tout le reste. Mompos, cette petite ville sur le fleuve Magdalena qui coupe le pays en deux dans le sens nord-sud est bucolique à souhait, classée elle aussi au patrimoine de l'Unesco pour ses restes coloniaux. Les gens y sont très sympathiques, la ville est encore assez peu touristique mais le deviendra très vite. L'ambiance qui y règne est authentique. Sur les berges, les gamins grimpent aux grands arbres pour plonger dans le fleuve. Un peu plus loin on nous vend des patates fourrées d'un gros œuf et le marché est sans étale. Tout est posé à même la rue et les stands remontés et démontés chaque jour. Quelques églises et un cimetière remarquables, mais l'ambiance, surtout l'ambiance... Et puis les patios, véritables jardins, voire petites forêts intérieures. Arrivés tôt dans la matinée nous y passons la journée.

Jusque là nous sommes dans la plaine et nous souffrons de la chaleur, très humide. Je me liquéfie du soir au matin et du matin au soir. C'est assez pénible pour finir, je ne peux même plus prendre mes notes certains soirs, mon drap-sac et certains de mes vêtements (les plus légers) ne sèchent plus. Je baigne dans mon jus moins de cinq minutes après la douche froide... J'ai pu étudier avec soin tous les mécanismes de sudation de mon organisme dans les moindres détails. Cependant nous continuons à avancer. La route après Mompos est un enchantement encore, construite sur une digue entre le fleuve et les terrains inondés où toute une vie se déroule dans le silence. Clapotis de pêcheurs, battements d'ailes, coassements de grenouilles, zébus placides à demi dans l'eau... Nos étapes sont longues puisque c'est plat et que nous partons aux aurores. Nous arrivons ainsi très vite dans les premiers contreforts. Aguachica.

A partir d'Aguachica les cols se succèdent et les paysages changent. Nous sommes dans des reliefs recouverts d'une épaisse végétation, l'eau coule et dégringole parfois, nous nous baignons dans les petites rivières. Par monts et par vaux, tantôt sur de larges accotements mais parfois directement mêlés à la grosse densité de poids lourds, nous arrivons aux environs de Bucaramanga. Les descriptions que nous en avons eu ne sont pas engageantes, nous évitons la ville en passant par Giron où les murs chaulés apportent une touche de fraîcheur, avant de rejoindre Floridablanca où nous sommes logés chez Gerardo.

La diversité de ces 12 jours est donc énorme, vous l'aurez bien compris, il est frustrant de ne pouvoir faire qu'un rapide résumé de ce qu'est notre voyage. Sur la route, cela se passe bien, les signes d'encouragement et de sympathie sont extrêmement nombreux. Nous avons eu des routes quasi désertes et des axes surchargés. L'effervescence dans les villes et villages bat son plein aux alentours des marchés, colorés. Côté météo, nous avons enfin laissé les grosses chaleurs derrière nous, nous sommes montés un chouillas, assez pour nous faire perdre deux ou trois degrés qui font une différence énorme. Quelques orages ont éclaté, surtout la nuit, et quand c'était la journée, nous étions en train d'acheter de l'eau, donc à l'abri ! Coup de bol car celui là fut assez violent.

Nous avons dormi dans un collège, chez des warm-showers, chez les pompiers, sur les terrains de foot dans les villages, sur des propriétés privées, dans des dortoirs d'auberges, au bord d'un ruisseau. Partout nous avons été bien reçus. Plusieurs fois sur la route, on nous a offert à boire, soit en nous tendant directement une bouteille fraîche par la fenêtre, soit dans des gargotes, soit en nous arrêtant pour remplir nos récipients. En moyenne quasi une fois par jour. Ce n'est pas rien car nous devions jusque là acheter notre eau de consommation, par sac de 6 litres à température ambiante qui devient très chaude trop vite. Ce qu'on ingurgite de frais nous fait tellement de bien...

Voilà, Floridablanca. Le programme très montagneux va commencer, les affaires sérieuses vont commencer. La petite saison des pluies pour l'instant ne nous a pas gênés, la couverture nuageuse certains jours étaient même salvatrice. Je suis presque prête à parier que dans le prochain post je me plaindrai de la pluie, peut-être du froid...

Dans quatre jours, Michel prendra l'avion pour rentrer en France. Le voyage est terminé pour lui. Cuba-Colombie. Nous allons encore pédaler deux jours ensemble puis il sautera dans un bus pour rejoindre Bogota d'où il décollera. Je vais reprendre mes habitudes solitaires...

 

Les Amériques à vélo couché : Colombie, montagnes, hors des sentiers battus

 

De Floridablanca où nous sommes très bien reçus par le warm shower Gerardo, nous restons sur l'axe qui va vers Bogota. Mais quelle route ! Sinueuse dans les trois dimensions. Ca monte et ça descend, ça tourne, et on recommence. Le point le plus bas est à 525 m, 22 kilomètres plus loin, nous sommes à 1700 m. Nous sommes descendus et avons remonté de l'autre côté du canyon Chicamota où le paysage surprend par son aridité. Nous nous posons à 15 heures, à chaque jour suffit sa peine, derrière un restaurant d'où la vue sur le canyon me rappelle celui du Colorado, si si ! Le lendemain nous pensions encore avoir bien de la bosse à faire pour rejoindre San Gil mais nous y sommes en une heure et demie. Nous posons les vélos chez les pompiers, achetons le billet de bus pour Bogota de Michel (bus de nuit le soir-même) et filons en bus visiter le village de Barichara à 22 bornes. Que dire à part que nous avons trouvé l'endroit très charmant, très calme, dans un décor somptueux. Bref, ça vaut le coup d'oeil. De retour à San Gil, j'apprends que les pompiers veulent bien me garder pour la nuit, cool. Après avoir mangé et réorganisé ses sacoches, Michel file au terminal de bus, dans la nuit et entre deux orages carabinés. D'ailleurs ça dégringole dru une bonne partie de la nuit et c'est bonheur d'être à l'abri.

Après m'être longuement renseignée, il s'avère que la seule route pour Duitama où je suis certaine de ne pas m'embourber est la plus longue et la plus chargée en trafic, la seule en fait qui soit une vraie route, avec du macadam. Vu les dénivelées qui m'attendent et le fait qu'il pleut tous les jours dans les montagnes à cette saison, je préfère ne pas m'engager sur des dizaines de kilomètres de piste. Les paysages à travers les bancs de brume sont superbes mais le ciel se charge peu à peu, puis gronde, puis éclate. Heureusement, je suis juste à l'entrée d'une bourgade. Pas de pompiers pour me loger, je demande à la police, qui m'envoie dans un endroit certes couvert mais à la vue et à la portée de tout le village. J'attends la fin de l'orage et repars. Bien me prend car 4 kilomètres de montée plus loin, je trouve à m'installer dans une grosse propriété. Si l'ancien est au début un peu froid, il finit même par me proposer une chambre, avec sdb, et l'accès à la cuisine...Un hôtel en mieux. Lui et ce qui reste de ses frères et sœurs sont propriétaires de plus de 500 hectares, qu'ils font cultiver en canne à sucre, en pâtures pour les vaches, en forêts. Le gros resto en bord de route cent mètres plus haut leur appartient aussi ! Les trombes d'eau reprennent dans la soirée.

Le lendemain, toujours à travers de paysages verdoyants et très collineux, je monte à plus de 2500 m, essuie deux orages, me met à l'abri comme je peux sous des avants toits de gens qui m'apporteront une boisson chaude. Et repars plus tard sous un ciel très chargé. Encore une fin d'étape sans pompier. Le froid s'est invité, les averses se succèdent. La police me loge au marché, ouvert, froid, et pas assez en sécurité à mon goût... Ils ne se rendent pas compte, ils sont bargeots de m'envoyer dormir dans des endroits pareils ! Je quitte le lieu et ne trouve rien d'autre qu'un hôtel où pour une somme modique le proprio me loge sous le toit dans une petite chambre bien plus calme que celles qui sont plus chères ! Je suis alors à plus de 2500 m, toujours sur la route de Bogota. Les grosses dénivelées et la météo capricieuse limitent la distance, l'important est de me ménager et de rester dans des conditions de « confort » acceptables. Je ne suis pas aux pièces.

Le lendemain je pars sous la flotte, me surprenant moi-même par ma motivation. C'est que l'idée de passer toute une journée ici à rien faire me déprime d'avance. 80 km sous un crachin pas bien chaud. Je pousse jusqu'à Sogamoto où le warm shower répond positivement pour me loger. La pluie s'arrête au moment où je mets les pieds dans cette ville, bien sur...

Je suis ensuite montée à Mongui, à près de 3000 m, dans le but d'aller visiter le paramo de Oceta. Toute petite journée de vélo mais la route penchait bien. Je m'installe dans une « hospedaje » et pars à la recherche de renseignements pour le paramo. Après avoir vu plusieurs agences j'arrête mon choix sur une femme originaire d'ici, qui m'emmènera seule pour une somme relativement modique. Départ 7 h 30 le lendemain. Elle vérifie mes chaussures et me dit ce qu'il faut que je mette dans mon sac. Je passe le reste de la journée dans le village et découvre que toutes les portes ouvertes donnent sur des ateliers de fabrication de ballons. Type ballons de foot, de sport quoi. Je vois tout le processus, c'est assez étonnant. Les ballons Mongui.

Luz Marina, ma guide, est à l'heure. Le ciel est à peu près correct. Nous partons pour une journée complète de marche, entre 3000 et 4050 m d'altitude sur ses terres, ancestrales. En effet, ici, les montagnes sont quasi toutes sur du terrain privé. Quelques gros propriétaires se partagent ainsi le paramo de Oceta. Chaque proprio veille fusil à la main que personne ne vienne mettre les pieds sur son domaine. J'exagère mais peut-être pas tant que ça car plus haut, nous marcherons le long d'une clôture alors qu'il y a comme une sente de l'autre côté. Mais de l'autre côté, nous serions chez le voisin ! À 4000 m... Donc les guides du paramo sont les propriétaires des terres. Ceux qui ne le sont pas ne peuvent exercer que sur la partie communale, très congrue. Dans tout ça, même si dans le fond ça ne me plaît pas bien, j'ai la chance d'avoir engagé sans le savoir la guide dont les terres sont les plus hautes du paramo, celles où il y a le plus d'espèces endémiques, au dessus de 3600 m. Luz Marina est très fortement impliquée dans la défense de la culture indigène, l'utilisation des plantes médicinales et culinaires, aussi bien pour les humains que pour le bétail. Elle a aussi fait des études assez poussées de physio. Elle n'arrête pas, quand elle n'accompagne pas, et que le travail de bureau est terminé, ou qu'elle ne trait pas ses quelques vaches, elle apprend l'anglais. Son mari itou. Bref, nous avons arpenté son jardin, les terres où elle a grandit, gardant chèvres et moutons, toute la journée, découvrant cet écosystème étonnant. Le paramo, c'est ce qu'il y a entre la limite de la forêt et les neiges éternelles, mais à des latitudes très faibles (donc en milieu tropical) et à une altitude très élevée. Il y pleut souvent et toute l'année, les terrains sont donc bien gorgés d'eau, des plantes étonnantes y prennent leur pied. Non, je ne ferai pas un cours de bota, pour en savoir plus, il suffit d'aller sur wikipédia, entre autres. Les paramos colombiens ont été très occupés par les FARC jusqu'à il y a seulement 5/6 ans, y compris celui de Oceta. D'ailleurs si Mongui est un village paisible peuplé de gens forts sympathiques, Mongua, à quelques kilomètres, abrite encore des guérilleros et est plutôt déconseillé. Bref, j'ai passé une excellente journée. Nous rentrons au village en fin d'après-midi, j'en ai plein les cannes. Luz Marina me propose de dormir à l'étage, au dessus de leur bureau. Eux habitent à l'écart du village. Comme ils font aussi cyber café, j'ai le wifi, et ils me régalent d'un repas le soir et encore d'un petit-déjeuner le lendemain malgré mes protestations.

Le jour suivant, je redescend à Sogamoso, y fait quelques courses et monte voir le lac Tota, le plus grand du pays, à 3100 m d'altitude. Ça tire dans les jambes, je prends quelques averses, mais globalement, la météo est encore avec moi et heureusement car je fais des kilomètres de piste qui sont plus agréables sèches que transformées en bourbier. Les petits villages de montagne sont jolis et sympathiques, je n'y vois bien sur pas un touriste, je suis vraiment hors des sentiers battus et me régale même si physiquement c'est assez dur. Je dors sur un terrain privé, sous abri, à côté des champs d'oignons, en pleine période de récolte.

Les montagnes n'en finissent pas, au moins il fait super bon pour rouler et je me régale sur ces petites routes ou pistes où tout le monde me salue, voire m'invite à boire un truc chaud. Je suis remontée sur le paramo, à 3600 m, avec mon petit vélo cette fois-ci et ai fini par arriver, un peu claquée, dans la ville de Tunja où un WS me loge. Le lendemain il m'accompagne jusqu'à Villa de Leiva, un des villages incontournables de la Colombie. J'ai les trois quarts de la journée pour visiter cet endroit paisible et me reposer encore chez un WS.

Le jour suivant je termine ma boucle, repasse à Barbosa et file rejoindre le fleuve Magdalena. Je dors au col à 2600 m, une nuit au frais c'est toujours ça de pris, sous abri avec table et chaises. Puis la descente infernale, qui n'en finit pas mais prend du temps quand même car certains tronçons ne sont pas asphaltés et les orages et pluies ont par endroits transformé la route en bourbier immonde. Je nettoie le vélo deux fois mais dans la soirée alors que j'ai rejoint l'autoroute, tout coince. Je ne peux plus rouler, je prends un orage de deux minutes sur la tronche mais qui me trempe (pas grave vu la chaleur qu'il fait). Je marche une borne et comme par miracle s'offre à moi un chemin qui n'est pas barré par des chaines et cadenas. Je m'engage et vais jusqu'à l'hacienda où le proprio, qui par hasard est là (ce n'est pas souvent le cas) me dit que je n'aurai pas à monter ma tente ce soir. J'ai une chambre avec ventilo et salle de bain, il ordonne à la cuisinière de me préparer un repas. Je remangerai plus tard avec lui et son épouse. L'hacienda en question : 2000 vaches de viande qui broutent sans fertilisants, 4000 hectares, 50 employés. Piscine à ma dispo si je veux. Je nettoie mon vélo en profondeur, la chaîne maillon par maillon, change une gaine, et tout repart bien. Un galet de dérailleur était bloqué !

La route est dans la vallée de la Magdalena mais je ne la vois jamais. Je vois des dericks qui remontent l'huile des entrailles et qui sucent le sang de la Terre. Je vois des champs inondés, beaucoup de végétation, des gens qui me font signe tout le long. Et j'arrive à Puerto Boyaca, j'y suis toujours. Il n'y a rien à voir ici, c'est une petite ville au bord du fleuve et qui lui doit son existence. Je me repose une journée chez des WS encore qui sont bien sympathiques.

Depuis le départ de Michel, je n'ai guère avancé sur la carte mais j'ai vu beaucoup de choses, ai « tourné en rond ». C'était sympa d'aller faire un tour dans les montagnes. La saison des pluies bat son plein, je parviens avec beaucoup de chances à passer un peu entre les gouttes. Mes étapes sont parfois entrecoupées de longues pauses pour laisser passer les orages. Je ne passerai pas à Bogota. Je me dirige maintenant vers Medellin avant de tirer au sud (regardez une carte !). Ce pays étonne par sa diversité.C'est qu'on passe de la haute altitude à rien en quelques heures, même à vélo. Déjà plus de trois semaines que je suis en Colombie, c'est passé comme un jour et pourtant ce fut très riche. J'ai repris mes habitudes solo. Je ne campe jamais sauvage. De toutes façons les terrains sont complètement imbibés partout à cette saison où il ne fait jamais 24 heures sans pleuvoir, donc je trouve des abris, en général sur des terrains privés où je demande l'autorisation de planter ma tente. Un peu de WS aussi, et puis en ville, les pompiers.

La route se poursuit, sinueuse. Je pense rester encore environ trois semaines dans ce pays, je n'ai pas de date, je vais devant en me ménageant, et je recroiserai normalement la Magdalena plus au sud...

 

Les Amériques à vélo couché : De la Magdalena au pays du café

Aux environs de Puerto Boyaca, le fleuve large de plus d'un kilomètre charrie nombre de débris végétaux, plus ou moins gros. C'est que tous les jours ( enfin... surtout la nuit), il tombe des trombes d'eau, souvent sous forme d'orages et le fleuve a la couleur de la terre. Mais il est beau quand même et c'est la troisième fois que je le traverse. Juste après les reliefs ont commencé. Désirant passer par Guatapé et El Penol et détestant faire des allers et retours, j'ai fait un large détour dans les montagnes. J'ai traversé des villages où les gens m'ont regardé arriver avec des yeux aussi ronds que leur bouche. J'ai emprunté des routes secondaires et des pistes où pas un véhicule motorisé ne m'a doublée ou croisée sans que j'aie un signe, un pouce en l'air, un encouragement, une salutation. J'ai vu des paysages absolument superbes et improbables, des cultures dans des pentes incroyables, un damier superbe, une mosaïque de verts. Malheureusement, le ciel souvent gris n'a pas permis de belles photos. J'ai vu des maisons cossues en dur et des cabanes où les tôles tiennent sur une maigre charpente grâce aux pierres posées dessus, des sols en terre battue et des gens qui vivent là, quasi en autarcie bien sûr, autant dire dehors 24/24 h.

J'ai eu des descentes, trop courtes, et de très rudes et longues montées. Entre San Carlos et San Rafael, 45 km de vraie forêt tropicale humide avec toujours cette quantité monstrueuse d'espèces d'arbres qui me fascine, et tous les bruits qui sont dedans. J'ai posé ma tente tous les soirs sous des avants-toits, dans des cabanes de jardin, sur du dur et sec chez des particuliers. J'ai donc eu parfois de vraies douches et toujours de bons contacts. Tous les terrains sont complètement gorgés d'eau. Je suis passée entre les gouttes tout le temps, ne me suis jamais fait tremper sur le vélo ! Bref, j'ai vraiment eu quelques jours sans trafic, en immersion complète dans ce pays, avec ces gens chaleureux.

Puis je suis arrivée à Guatapé. Et là c'est une claque, l'immersion soudaine dans le flot de touristes, je suis déboussolée, n'ai pas envie de ça. Je reste deux heures dans le village coloré, où toutes les maisons sont décorées de bas-reliefs et fresques souvent naïves. C'est joli peut-être, mais ça me semble surfait. Le lac est une retenue, artificielle. Tout près il y a le monolithe de granite El Penol. Il faut en gravir les 700 et quelques marches (à prix fort encore, et pour transpirer) pour avoir toute la vue sur les multiples îlots, contours, péninsules et presqu'îles qui baignent dans l'eau turquoise à 2000 m d'altitude.

Le lendemain, j'ai plongé sur Medellin, littéralement plongé car les 17 derniers kilomètres me font passer de 2350 à 1600 m. Medellin est dans le trou avec ses 4 millions d'habitants et s'allonge sur les bords de la rivière. Mais elle monte aussi à l'assaut des montagnes, des deux côtés, les quartiers défavorisés sont en hauteur. Je n'ai que le temps de poser mes sacoches dans une auberge avant de partir visiter Comuna 13 avec une agence que j'avais contacté depuis Puerto Boyaca. C'est qu'il y a une semaine, il y a eu quelques coups de feu et les médias sont venus et ont apparemment amplifié la chose. Parce que des coups de feu il y en a eu aussi dans d'autres quartiers qu'on dit « sensibles ». Mais Comuna 13 c'est un endroit particulier. Il y a quelques années l'endroit était considéré comme le plus dangereux quartier de la ville la plus dangereuse d'Amérique latine. État de non-droit par excellence, quartier de tous les trafics de drogue et d'armes, quartier de violence extrême. Rien d'officiel. Opérations militaires sanglantes... Aujourd'hui le quartier abrite tant bien que mal 140 000 personnes dont un millier (estimé) de guérilleros. Il est devenu un quartier touristique, celui du « street art », des graffitis, du hip-hop. Des escalators de ouf ont remplacé par endroits les vieilles marches en pierre, très raides. Escalators controversés. Tous les habitants n'ont pas l'électricité et les escalators tournent en permanence qu'il y ait du monde dessus ou non de 6 à 22 h. Les ouvriers empoignent le boulot à 6 h, ils ne peuvent pas les utiliser, et pour les construire, il a fallut détruire des maisons dont les habitants n'ont pas été relogés. Les escalators ont crée une fracture sociale dans le quartier, ceux qui sont le long ont ouvert boutique et font leurs affaires avec les touristes, les autres restent dans leur misère. Tatan, le guide, enfant du quartier, nous explique toute l'histoire avec force détails, les heurts entre les guérilleros et les militaires, les alliances entre groupes tous plus mafieux les uns que les autres, le désarroi de la population civile qui comme toujours, subit. Il nous parle aussi de la signification de certains graff. Il fait partie d'une association : Casa Kolacho, pour donner des cours d'anglais aux mômes, entre autres. Une partie de l'argent de la visite va à cette association (partenariat avec l'agence Tika travel) dont nous découvrons les locaux en fin d'après-midi. Je mets ma main au feu que dans moins de deux ans, il y aura des guesthouses, des hostels et autres dans ce quartier et que les touristes y logeront. Je suis contente de l'avoir vu avant. Je suis passée par une agence parce que les échos que j'en avais il y a une semaine n'étaient pas bons, insécurité. L'agence contactée avait interrompue ses visites. Le calme est revenu et on peut se promener seul dans une bonne partie du quartier, pas partout. La visite était en tout cas très décontractée et les habitants très gentils. Absolument aucun soupçon de tension. Les gamins jouent et les ados talentueux font du hip-hop. 250 graffs dont certains très beaux ou forts de sens. Il FAUT aller visiter Comuna 13, c'est un moment fort, un incontournable de Medellin.

Pour le reste Medellin n'offre pas de bâtiments ou monuments extraordinaires. C'est une très grande ville, avec des parcs, des musées, un métro aérien qui est le seul du pays et fait la fierté des Colombiens, quelques églises mais surtout, surtout, c'est une ville où la vie s'exprime dans tous ses états. Ça bouge beaucoup, l'occupation de la rue est maximum, on y trouve de tout à chaque rue (pas mal de policiers et de militaires aussi, il faut avouer, la sécurité est à ce prix disent-ils, et pas mal de gens qui dorment sous les ponts). J'ai déambulé dans le centre toute une journée, appareil photo autour du cou. Medellin a changé, vite et beaucoup, aujourd'hui le centre de Medellin est sûr et détendu. On trouve des fruits succulents épluchés et coupés, prêts à être consommés, mais aussi des assiettes de riz-poulet-haricots (en grains)-bouillon-tomates-betteraves rouges, copieuses pour 1,7 euros, et encore avec une boisson maison. On y voit des filles de joie décrépites attendant le client. On y voit de tout vous dis-je. Medellin n'est pas pour autant pas oppressante. Le quartier « administratif » m'a cependant fait penser à l'ex URSS par son architecture, ses formes harmonieuses enfin... presque. À Medellin il y aussi le métrocable, qui survole la cuvette, la forêt, les parcs et les favelas. Il est réellement un moyen de transport qui permet d'éviter la congestion permanente des rues. Il y a plusieurs lignes. Mon séjour fut certes bref mais je suis contente d'y être passée. Medellin se prononce «mets des jeans ». J'ai aussi été faire un tour au jardin botanique, havre de calme et de fraîcheur.

Dans la banlieue sud de la ville, je récupère le premier envoi de pattes de dérailleurs, qui sont allées se promener à Cartagène (où nous devions les récupérer il y a un mois...). Antoine, de l'agence Aventure Colombia a été d'une aide fort précieuse en faisant suivre à Medellin. Encore un gros col passé, la route longe sur une crête où il y a juste la place du ruban d'asphalte et une rangée de maisons de chaque côté qui me font penser à des dahuts (deux pattes plus longues pour ne pas partir dans le ravin). De chaque côté, ça coupe le souffle. De temps en temps, un village accroché et coloré, des gens gais qui toujours me saluent et me récrient. En deux jours je suis au pays du café. On m'avait dit que ce serait plat. Du plat ? J'en ai eu 200 mètres... peut-être. À Chinchina je récupère le second envoi de pattes de dérailleur qu'Aventure Colombia, une fois de plus, a bien voulu faire suivre depuis Cartagène. Me voici tranquille. Ici, il y a parfois des odeurs agréables qui traînent autour des usines de torréfaction et autres. Les collines abruptes sont recouvertes de ces arbustes au feuillage vert foncé presque noir. La richesse de la région, à 1500 m d'altitude.

Une étape de plus, avec encore une dénivelée de folie, et j'arrive à Salento. Journée mouvementée, orages violents. Je passe deux heures à attendre sous le grand toit du péage (dont la structure est en bambou). Beaucoup de tronçons de route sont payants (pas pour les deux roues), ce sont des concessions à des privés, qui empochent et n'entretiennent pas toujours en contrepartie. Moi je trouve que l'état des routes principales est bon, voire très bon. Donc j'arrive dans le village touristique par excellence de Salento avec mes sacoches trempées et mon super imperméable/sac poubelle sur le dos. Les pompiers ne veulent pas de moi. Je vais voir à l'Aldea de Artisano, adresse que m'a donné Wilson, mon coloc vénézuélien de Chinchina. Et bingo. J'arrive dans ce lieu un chouillas à l'écart du village, groupe de 4 bâtiments accueillant plus d'une vingtaine de familles d'artisans en tous genres mais plutôt artistes qu'artisans. C'est Alejo qui m'héberge. Deux nuits. En effet j'avais un contact avec une agence de trek : Paramotrek, pour me joindre à un groupe pour aller dans le parc national de los Nevados, faire des photos et écrire un article pour eux mais aucun groupe ne part avant quatre jours, donc ça tombe à l'eau. J'irai tout de même prendre une vieille Jeep Willis de la seconde guerre mondiale pour aller marcher une journée dans la vallée de Cocora, célèbre pour ces palmiers à cire, ces grands échalas très sveltes qui font jusqu'à 60 mètres de haut, qui sont l'arbre emblème du pays et dont le tronc est recouvert de cire. Il a failli être décimé totalement,du monde entier ne subsiste quasi qu'en cette vallée. De retour au village, je flâne un moment et retourne dormir chez Alejo et la volontaire vénézuélienne qui est sa « stagiaire » en ce moment et qui me prête un bout de sa chambre.

Demain je reprends la route, un énorme col à passer me fera basculer de nouveau vers la vallée de la Magdalena. Je vais dans le désert de la Tatacoa.

Ce pays est un enchantement, je le dis à chaque post, et encore, je suis dans la mauvaise saison, ce qui limite mes excursions et randonnées. Les gens y sont souriants et détendus. C'est « tranquillo » comme ils disent. Et c'est toujours extrêmement varié. La nature est extraordinaire et les conducteurs ne me serrent pas. Mon vélo a eu droit a une petite révision, changement des billes et graissage des moyeux de roues, contrôle des jeux (chaîne, cassette, pédalier, pédales), quelques réglages légers.

Voila, à la prochaine !

 

Les Amériques à vélo couché : Au delà de la source de la Magdalena

 

J'ai passé le fameux col « La Linea » dans la file continue de poids-lourds qui crachent noir. Heureusement et jouant de chance encore, il faisait sec ce jour là ! Quand même, plus de 2000 m de positif (idem dans l'autre sens) en 70 bornes, ça commence à faire. Petit passage à 3200 m dans les nuages, j'ai terminé la montée en poussant ma monture pendant six bornes. Jamais un camion ne m'a serrée et pourtant, route en épingles et très forte pente (22 km pour 1865 m de positif). Arrivée à Cajamarca, je trouve le seul WS de la bourgade et me voici hébergée chez cette famille adorable. Quand je m'en vais le lendemain à midi seulement pour cause de pluie, la grand-mère me demande quand est-ce que je reviens et la mère essuie une larme en me souhaitant le meilleur.

Le soir même, je pose ma tente sous un toit sur du carrelage chez des particuliers à San Luis. J'ai une douche, des toilettes et de l'eau potable, suis à l'abri et en sécurité. L'essentiel est là. Je suis bien descendue en altitude et retrouve avec bonheur (ou presque) les sancudos, ces minuscules suceurs de sang, voraces et invisibles. J'ai retrouvé aussi la chaleur.

Le lendemain est une journée sèche et relativement facile, j'abats des kilomètres. Sur la route je double des gens qui marchent, en tirant une petite valise, avec un thermos à la main et un sac bricolé sur le dos. Ce ne sont pas des Colombiens, ce sont les voisins. Vénézuéliens. Ils fuient leur pays, par centaines, par milliers. Certains le font à vélo et jonglent aux carrefours pendant que le feu est rouge pour gagner trois sous, de quoi manger, et pouvoir se payer un jour un sac de couchage et une tente pour continuer le voyage (comme mon coloc à Chinchina), d'autres font du volontariat (comme ma coloc à Salento), et d'autres marchent. Savent-ils où ils vont ? Je leur souhaite bonne journée mais leur visage est triste, fermé. La réélection frauduleuse de Madero dimanche dernier ne risque pas de leur faire rebrousser chemin.

J'arrive alors dans le désert de la Tatacoa. Grand comme un mouchoir de poche, il est néanmoins étonnant. Un microclimat, une zone aride, un îlot de cactus au milieu de la forêt tropicale, tout près des champs inondés, tout près de la Magdalena. Ah oui, d'ailleurs je l'ai traversé encore une fois le fleuve. Il n'est ici qu'une rivière. Pour aller au bord et trouver la barque, j'ai du faire 1,5 km de single trail dans les pâtures à vaches. Donc voila, désert de la Tatacoa, grosse chance encore puisque le soleil est au rendez-vous le soir. Même si je suis claquée après ces 130 km, je me fais violence pour aller prendre quelques photos. J'ai bien fait car le lendemain le temps est à la pluie, le ciel bas et triste.

Prochain objectif : le site archéologique de San Agustin. Une première nuit dans le fournil de Campoalegre où l'on me bichonne. Puis cette étape qui me mène à Garzon. Toute la journée on m'a offert des trucs. Ça a commencé au petit déjeuner, pain frais, café, omelette au fromage. Ensuite il y a eu l'almuerzo, le repas de mi-journée, offert dans une gargote en arrivant à Garzon : soupe avec des vrais gros et bons morceaux de légumes, poulet, haricots, riz, salade, tomate, jus de fruits frais maison. Puis il y a eu ce type qui m'a offert un café au même endroit. J'ai campé chez les pompiers à Garzon, suis passée entre les gouttes. Les paysages sont superbes mais le ciel toujours couvert, les éclaircies trop rares. Je suis contente quand il ne tombe rien.

Le relief me fait mal aux jambes, mes muscles ne récupèrent plus d'une journée à l'autre, la fatigue s'accumule, j'essaie de faire des journées courtes mais quoi qu'il en soit elles me mettent les jambes en vrac. Un jour plus tard alors que je pensais de manière ambitieuse rejoindre San Agustin, je m'arrête à Pitalito (74 km et 1200 de positif quand même) chez les bomberos encore. Il n'est que 14 h 30 mais mes jambes n'iront pas plus loin aujourd'hui, la journée est faite, la dénivelée aussi ! Il n'y a rien à voir à Pitalito, et c'est même plutôt glauque. J'ai pris une bonne averse le matin, ai séché par la suite et le ciel se dégage sur le coup des 16 heures... mais les collines alentours restent dans les nuages. J'ai encore longé la Magdalena, boueuse à souhait, et tumultueuse. Le fil conducteur de ma traversée colombienne. J'ai toujours autant de signes d'encouragement et de sympathie sur la route.

À partir de Pitalito, je commence à m'enfoncer, à monter dans le massif de Puracé, où 5 des plus grands fleuves du pays prennent leur source. La Magdalena est un torrent épais qui rebondit et palpite. Puis San Agustin, site archéologique majeur de Colombie, classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Des centaines de sculptures, dans le parc lui-même mais aussi dans les alentours. L'origine des sculpteurs reste en partie mystérieuse, aucune trace d'écriture. Magnifiquement conservées depuis des siècles dans la terre d'où elles ont été excavées, elles représentent souvent des personnages ou des animaux. Le musée attenant est assez bien foutu. On me donne un passeport à l'entrée, qui me permettra de visiter les sites autour pour le même prix mais les averses se succédant et un gros coup de flegme me feront rester à l'auberge à regarder tomber la pluie. Repos. Le soir, à la terrasse de l'auberge sur la table, c'est une véritable « droguerie » : LSD, amphétamines, de l'herbe, et de la cocaïne, alcool fort. Je suis quelque peu étonnée de la manière dont certains jeunes back-packers voyagent, et c'est chaque fois pareil dès que je mets les pieds dans une auberge. Des joints, des bières, des gens qui ont tendance parfois à avoir tout vu tout fait à 25 ans. Je me contente d'écouter leurs exploits et merveilleuses expériences sans intervenir. Il va de soi que je préfère transpirer et me faire mal aux jambes, traverser les paysages à 10 km/h et vivre autant que je le peux au contact des gens au lieu de juste les apercevoir à travers la vitre sale d'un bus pour aller me torpiller le cerveau de ville en ville.

Bref, il a fallu ensuite passer le massif du Puracé pour rejoindre Popayan, remonter à 3200 m par une mauvaise piste, sous la flotte et dans le froid. Rien, absolument aucune opportunité pour planter la tente en cours de route, j'arrive frigorifiée et trempée, à moitié en hypoglycémie (j'ai à manger en quantité mais tout sortir sous la flotte... je préfère avancer sans m'arrêter) après 9 heures d'efforts intenses à la première maison où je dors dans le vestibule sous ma tente. Que j'aime ces gens extrêmement simples et besogneux pour qui c'est une évidence que je dorme là. En ce jour de premier tour d'élections présidentielles, ils ont voté Petro, à gauche. Ils me disent que si Duque (droite, candidat inconnu il y a six mois, ça rappelle quelque chose...) passe, les guérilleros décrocheront et dépoussiéreront leurs fusils. De l'autre côté, les gens qui ont voté Duque me disent que si Petro passe, la Colombie sera à l'image du voisin vénézuélien en peu de temps. Je double toujours des Vénézuéliens sur la route et il paraît que la file d'attente à la frontière peut atteindre 11 heures... Je verrai dans quelques jours. J'ai l'impression d'avoir traversé et visité ce pays juste au bon moment. Il y a seulement 5 ans, nombre de routes que j'ai empruntées ou de zones que j'ai visitées étaient sous contrôle des FARC. Je ne suis pas mécontente de sortir avant le second tour des élections dans deux grosses semaines.

Le lendemain je passe quelques heures dans le centre de Popayan, la ville blanche, et étudiante par excellence. Malheureusement le ciel est gris et n'offre aucun contraste avec la couleur des bâtiments. Tout est pâlot. Les pompiers ne veulent pas de moi, je refais 15 km pour aller chez un WS. Bien me prend car ces quinze kilomètres me permettront de découper au mieux mes étapes suivantes, jusqu'à Pasto. 5100 m de positif en trois jours, voilà le programme. Des hauts et des bas, des passages à 600 m et d'autres à 2500 m, dans des paysages superbes de gorges profondes où la route est taillée dans les falaises, surplombant des centaines de mètres d'à-pic. Peu de maisons, peu de circulation, je suis pourtant sur la panaméricaine. Paysages toujours très verts. Je n'ai jamais vu autant de cyclos, un Allemand, un couple de Turcs. À noter qu'en traversant le Puracé j'ai croisé un couple de Français, et qu'aucun camion ne m'a éclaboussée ou serrée, très attentifs et sympathiques. En arrivant à Pasto, je loge chez la même WS qu'une Écossaise, seule et à vélo également. Nous reprendrons peut-être la route ensemble puisqu'elle va au sud aussi. Jour de repos à Pasto.

Ce pays ne lasse pas de surprendre, décidément, du nord au sud. D'ailleurs au nord, les pluies torrentielles menacent de faire céder un barrage, des milliers de gens sont concernés. J'ai eu la chance d'avoir trois jours sans pluie entre Popayan et Pasto, bien ensoleillés même. Je n'ai jusque là pas subi de conditions météo désastreuses, pas de coulée de boue, pas de glissement de terrain majeur. La saison des pluies toucherait-elle à sa fin dans le sud ? Ce serait une bonne nouvelle. Au programme du jour de repos : trouver un câble de dérailleur pour remplacer celui que j'ai mis sur mon vélo hier, couture, visite de la ville. La lessive est faite et là, je vais manger car comme d'habitude, j'ai faim en permanence. Je suis montée sur une balance à Popayan, je n'ai jamais été si affûtée. La population est toujours aussi serviable, aimable, gentille et vraiment ce pays aura été une belle surprise.

Il reste 85 km pour rallier la frontière équatorienne, un jour ne sera pas suffisant, 2600 m de positif... Je ne pense pas passer avant le 4 juin. Les photos de la Colombie dans la galerie.

 

 

Les Amériques à vélo couché : Le milieu du monde

 

Finalement, rejoindre la ville frontalière d'Ipiales dans la journée était facilement faisable, même avec crevaison et problèmes mécaniques (pas trop graves mais nécessitant une aide extérieure). Je suis accueillie à la casa de ciclista par trois clowns en grandes pompes (c'est le cas de le dire) prêts à intervenir et qui s'engouffrent comme un coup de vent dans une 4L vert pomme. Je profite des quelques heures que j'ai devant moi pour me rendre en bus au belvédère du sanctuaire de Las Lajas, une église plantée à cheval sur une gorge profonde. Les paysages alentours sont superbes, patchwork de verts sur les collines. C'est ma dernière nuit en Colombie (j'espère), je change mes derniers pesos contre la monnaie équatorienne qui n'est autre que le dollar américain.

Quatre kilomètres de descente le lendemain et me voici au poste de douane colombien. Je commence par me mettre sagement dans la file des Vénézuéliens, qui s'allonge sur plus de deux cents mètres de rangs serrés. La plupart ont quitté leur pays il y a déjà plusieurs mois, sont restés en Colombie un moment et maintenant se dirigent vers le Pérou ou l'Argentine. Ont-ils attendu de voir ce que donneraient les élections présidentielles récentes avant de poursuivre ? Ne pas trop s'éloigner dans l'espoir de pouvoir faire demi-tour ? Mais Maduro est de nouveau au pouvoir. L'ambiance à la frontière est très détendue, les autorités ont le sourire, ne font pas de zèle et les gens sont traités comme des humains, pas de spectacle minable. La pluie s'invitant bien assez méchamment, je me rends à l'entrée du bâtiment au début de la file pour demander au policier où pourrais-je poser mon vélo à l'abri. Il me répond « là, et vous passez direct ». Je passe direct ? Oui. Alors j'ai hésité parce que doubler tous ces gens qui ont peut-être passé la nuit ici, en partie sous la pluie, qui attendent depuis des heures, qui ont tout laissé, sous le seul prétexte que je suis « blanche et touriste », ne me laisse pas indifférente tout de même, ça me fait même un peu mal au ventre. Comme j'hésite et reste sur place, le policier me répète « Passez ». Alors j'ai avancé. Idem côté équatorien où l'on me dirige direct à l'intérieur, file prioritaire.

Je n'irai pour autant pas bien loin ce jour là puisque je n'ai aucune visibilité, le ciel est très bas, les averses de crachin bien pesé se succèdent. Je ne suis pas dans ce pays pour ne rien voir. Je m'arrête à Julio Andrade chez un WS. Les deux jours suivants, j'avance comme si j'étais pressée, enchaînant les cols sans trop les sentir, et dors chez le patron d'une petite usine de confection de chemises, tee shirt, etc... Il me fait faire le tour de ses ateliers et me présente à sa quinzaine « d'esclaves » qui sont hilares, qui font des pantalons, des jupes et des jupons et des bonnets de coton ahahahaha... La météo est mitigée mais je ne me fais pas mouiller. Les gens sont beaucoup plus réservés que côté colombien. Ici, ils ne viennent pas spontanément discuter, il faut aller vers eux, ils sourient plus difficilement mais ne sont pas antipathiques ou pas serviables pour autant. Dans mon empressement à rejoindre la casa de ciclista de Tumbaco dans la banlieue de Quito, j'ai failli ne pas voir la ligne qui fait qu'à un moment donné, j'ai une roue en hiver et l'autre en été, les pieds dans l'hémisphère sud tandis que ma tête est encore dans l'hémisphère nord. Et Coriolis ça donne quoi juste sur l'Équateur ? Hein ? Bon, petite photo et je repars sans faire plus de façons. Quelques heures plus tard, lessivée, je me présente chez Santiago.

Avancer vite m'a fait du bien, dans la tête. Ma motivation a été un peu mise à mal ces derniers temps notamment par cette météo maussade qui ne rend pas les paysages très alléchants. Ceci dit, quand je lis ce que les autres cyclos qui me devancent ont subi, je ne me plains pas ! Et sans l'aide de la population, cela aurait été bien pire ! En faisant mon itinéraire colombien à Panama, j'avais écrit sortir du pays vers le 5 juin. J'ai fait tout ce que j'avais envie de faire et suis sortie le 3.

Quito. Je consacre une journée à la visite de la ville, pas plus, m'y rendant en bus depuis Tumbaco, ce qui m'évitera d'avoir à y entrer à vélo. La seconde journée est du repos et la finalisation de l'itinéraire équatorien : le programme est réjouissant mais ça va encore faire mal aux jambes ! Il va falloir monter encore plus haut, passer les 4000 m. L'été semble être cette fois-ci installé pour de vrai. Quitter la casa de ciclista de Tumbaco et l'accueil formidable de Santiago n'est pas si facile mais les grands volcans m'attendent.

Une journée de montée contre le vent bien assez fort et me voici à l'entrée sud du parc national du Cotopaxi, un des volcans actifs les plus hauts du pays avec ses 5897 m. Cône parfait. Je pose ma tente à l'entrée du parc derrière le bâtiment des rangers, j'ai de l'eau à volonté, des toilettes... Et pour une fois la nuit est calme, silencieuse, je ne sais depuis combien de temps je n'avais pas goûté à ça, et ça fait du bien. Malheureusement, une douleur soudaine apparue au genou droit après la fin de mon étape me tient sérieusement en souci, je ne peux plus plier le genou à plus de 90°, au delà, la douleur est très forte, l'impression que quelque chose est déplacé et entrave le mouvement.

Le lendemain matin ce n'est pas mieux et il pleut. Je prends le parti d'attendre, quitte à y passer la journée. Je n'ai pas trop à manger mais je ne mourrai pas de faim pour autant. Je gère... Vers 14 heures, en ayant marre de l'immobilité, je me fais enregistrer à l'entrée du parc et saute dans une auto pour monter. Bien me prend car en haut, entre les nuages, le cône est quasi dégagé et je peux admirer le volcan, faire le tour de la lagune à pied et fouler l'herbe rase au milieu des chevaux en liberté avec grand plaisir. Je ne monte pas jusqu'au refuge, cela ne présente aucun intérêt, ce n'est pas au pied du mur qu'on voit le mieux le mur, c'est tellement mieux avec un peu de recul. Je redescends en stop. Le soir, alors que l'orage tourne, je distingue les Illinizas et le Chimborazo se dégage, c'est toujours ça de pris même s'il n'est pas tout près. Tout serait pour le mieux si je n'avais pas ce souci de genou qui, je l'espère, ne m'obligera pas à écourter mon voyage.

Je démarre doucement le jour suivant et au fil des heures, ai de moins en moins mal. Je n'hésite cependant pas à mettre pied à terre deux fois et pousser ma monture dans la pente raide pour ne pas forcer outre mesure. Le ciel reste nuageux, les Illinizas que j'ai juste au dessus de la tête me narguent parfois entre deux nuages mais ne se découvriront jamais entièrement. J'ai décidé de faire le « Quilotoa loop », itinéraire difficile mais très beau et tranquille, loin de la Panaméricaine où je respirais trop de gaz. Patchwork de cultures accrochées au flanc des collines, habitat dispersé, gorges profondes, petite route sinueuse, chant des oiseaux, signes amicaux, curieux amusés et bien assez moqueurs quant à ma monture. Les gens portent le poncho de laine, le petit chapeau rond et noir, des dents en or. Ça fait du bien d'être en milieu rural, de faire signe à ce type qui emmène sa bouille de lait, à cette femme qui change sa vache de place, à ces gosses aux joues rouges et le teint halé qui s'amusent avec des jouets improvisés. Les chiens sont aussi pénibles qu'en Colombie mais pas pires et la volaille ne regarde jamais avant de traverser. Le soir, après un dernier 500 m de positif en 6,5 km, je suis logée par les pompiers de Sigchos, patelin perdu dans les montagnes. La caserne est vide entre 16 h et 8 h, je suis dans un dortoir dans un vrai lit TRES confortable, je bénéficie d'une vraie douche chaude, je suis seule et vis ma vie et ça fait depuis le 6 mai exactement que je n'avais pas été dans de telles conditions de confort, de silence, de tout... Et ça fait du bien. Dans la soirée, l'orage fait rage, il tombe des trombes d'eau et c'est juste bonheur d'être au sec sous une bonne couverture.

Courte étape le lendemain pour aller à Quilotoa. C'est le nom d'un village mais aussi d'un volcan, éteint, qui a la particularité d'accueillir dans son large cratère un lac aux eaux saphir. Google maps satellite m'avait promis une piste, comme l'édition 2011 du Lonely Planet et sur ma carte papier il n'y a carrément rien, mais des cyclos rencontrés à la casa de ciclista de Tumbaco m'avaient dit asphalte. Ok. Ce fut du velours tout le long, la route est neuve, ce qui ne l'empêche pas de monter très fort par endroits. Je pousse. Et pousser plus de 40 kg à plus de 3500 m d'altitude représente un certain effort... J'ai failli louper le village, je ne me croyais pas déjà arrivée. Rien ne laisse présager dans le paysage que l'on soit sur le bord du cratère. Ben si ! Il est 12 h 30 et m'y voici déjà (1300 m de positif dans la matinée tout de même). J'attache mon vélo à la barrière d'un resto et vais me balader sur le sentier qui fait le tour du cratère. Au fond, 400 m plus bas, le lac scintille. Il est très facile d'y descendre, le chemin est beau et large, mais il est plus difficile d'en remonter ! Je me contente de rester en haut. Les Illinizas sont dans les nuages mais je les ai vues ce matin. Je passe l'après-midi dans le secteur et plante ma tente à la sortie du village sur la crête mais pas au bord du précipice quand même. En fin d'après-midi, les brumes montent et enveloppent le paysage en entier. Un chien monte la garde à côté de ma tente. Mon souci de genou va plutôt en s'arrangeant, je le ménage toutefois. Je dors (mal) à 3900 m, ai l'impression de manquer d'air.

Aller jusqu'à Ambato n'était pas gagné le lendemain. Étape longue et montagneuse encore même s'il y a plus de descente que de montée. Canyon, cultures diverses et variées qui font toujours dans le paysage de jolies mosaïques, puis dégringolade jusqu'à la Panaméricaine. Vent fort de face, j'appuie sur les pédales pour aller jusqu'à la ville et me loger à la casa de ciclista. Celle-ci ne donne que moyennement envie d'y rester deux nuits donc dès le lendemain matin, sac plein de provisions, je me lance dans le tour du volcan Chimborazo, point culminant du pays à plus de 6200 m, qui me nargue dans le ciel bleu, dominant majestueusement la ville. Une journée complète de montée ne suffira pas pour atteindre les 4300 m, altitude à laquelle passe ma route. Et le long de cette route, dans les « communautés » indigènes, les femmes portent toutes l'habit traditionnel, des pieds à la tête, des chaussures au chapeau, en passant par le collant clair en laine épaisse, la robe noire ornée d'une ceinture colorée, et les colliers. Je me régale mais n'ose leur mettre mon appareil photo sous le nez pour leur tirer le portrait. C'est la pleine période de la récolte des carottes qui une fois arrachées et débarrassées de leur fanes, passent dans une machine à laver. Ensuite des petites mains au bout de petits bras les mettent en sac. En gros sacs. Ce soir là, je renoue avec le camping sauvage et plante ma tente au pied du Chimborazo à 4000 m. Ce n'est pas peu dire qu'il fait froid, mais au moins je suis récompensée car le sommet se découvre dans la soirée et quelques lamas broutent à cent mètres. À cette altitude, il ne reste que peu de parcelles cultivées, des jeunes bergers gardent des vaches ou/et des moutons. Après un réglage de cale de chaussure, il semblerait que mon genou aille mieux... Je reste deux nuits à cet endroit, ne pouvant bouger aujourd'hui pour cause d'intempéries, « Le comte de Monte Cristo » en prend un bon coup. Aurai-je la chance de contourner ce grand volcan avec une bonne visibilité ? Réponse dans le prochain post...

Et toujours plus de photos dans la galerie.

 

Les Amériques à vélo couché : Des géants à l'océan

Fin de l'Équateur

Alors on en était à cette journée passée sous la tente dans le crachin, le brouillard et le vent à 4000 m au pied du Chimborazo. Dans la nuit quand je me relève pour vider ma vessie, je constate que le ciel est tout étoilé, la Voix Lactée est bien visible et il n'y a plus qu'à croiser les doigts pour que ça dure une douzaine d'heures encore. Mon vœux est exaucé. Si des nuages et des brumes traînent de ci de là, ils sont plutôt plus bas que moi et la blancheur du Chimbo explose dans le ciel bleu. Je n'aurai pas attendu pour rien (même s'il n'était pas vraiment imaginable de prendre la route par ce temps), suis récompensée d'être montée jusque là. Je me mets en route avec les gants, le buff, thermique et polaire, pantalon + collant. La route s'élève mais la pente est plus que raisonnable et heureusement car le souffle est court et le vent violent. La route tourne autour du sommet, si bien qu'à un moment donné le vent me devient défavorable, me fait traverser la route sans prévenir, ce qui effraie les dizaines (pour ne pas dire centaines) de vigognes gracieuses qui vivent là. À 4300 m je suis au point culminant du parcours. Grands espaces désertiques et limpides, en altitude comme j'aime. Je me régale même si j'en bave terriblement. Le vent arrache des particules aux talus et tout ça me cingle le visage et me coupe la respiration. Me reviennent en mémoire, par analogie, les grands plateaux du Sichuan, le Tibet historique. Dans la descente, je plafonne à 15 km/h, et encore, en pédalant.

À San Juan, je devais m'arrêter chez un WS, mais je ne vois rien de ce qu'on m'a décrit le long de la route et quand je trouve quelqu'un pour demander, je suis déjà trop descendue. Hors de question que je remonte, je continue donc et ce sont les pompiers de Cajabamba qui m'accueillent pour la nuit. J'ai un lit dans une chambre et le wifi... Entre eux ils parlent Quechua et s'extasient pendant une demie-heure devant mon réchaud.

Le lendemain alors que l'étape est facile (900 m de positif seulement), j'en bave encore contre le vent et dans le crachin. Ces conditions me font prendre définitivement la décision de bifurquer au prochain carrefour pour descendre vers le Pacifique, pédaler à plat, aller voir un peu l'océan puis le désert... Je plonge alors vers Alausi où je me loge dans une dépendance de l'église car les pompiers n'ont rien pour accueillir. Je dispose en fait d'une salle de classe. Alausi est la porte d'entrée de « Nariz del Diablo », le « Nez du Diable ». À cet endroit, la voie ferrée qui va de Quito à Guayaquil doit franchir un précipice. La voie ferrée a été construite au prix de nombreuses vies. Le train avance et recule, avec chaque fois un aiguillage, pour perdre ou gagner de l'altitude. À Alausi, les superbes wagons passent carrément dans la ville, charmante, pendue dans un coteau raide au dessus d'une gorge. C'est là que je bifurque, quitte la route des montagnes pour longer d'abord cette fameuse « Nariz del Diablo » et plonger ensuite vers les basses terres.

Et là, plus je descends plus je me dis que c'est une erreur. Je gagne en chaleur, je gagne en humidité, ceci est normal, mais surtout je perds en visibilité. Je me retrouve dans des brumes chaudes et humides sur une route bordée de cacaoyers et de bananiers. À El Triunfo, les pompiers me permettent de poser ma tente entre deux camions dans le hangar séparé de la rue par une simple grille. Il faut savoir que l'Équatorien est le roi du bruit. Toutes les gargotes ont leurs enceintes et c'est à celles qui crachent plus fort que celles du voisin, une musique de merde évidemment. Enfin... plein de musiques de merde, exquise dissonance. Ajoutons à cela le concert habituel des chiens dont je dézinguerais volontiers quelques individus toutes les heures. Ajoutons encore le fait que même à passé 30 balais, il y a ici des individus qui sont toujours en pleine crise d'adolescence et passent et repassent sur leur moto qui pète les tympans... Faire des tours de ville... S'ils pouvaient trépasser ! Nan là, franchement j'aime moyen. Heureusement qu'il y a dans le lot un pompier qui dénote un peu, qui vient discuter, qui est gentil, moins bourrin et macho que les autres. Je ne suis pas fan plus que ça des Équatoriens dont beaucoup ont été opérés du sourire mais je préférais ceux des montagnes, les « Indiens ». Ceci dit, dès qu'on s'adresse directement à eux, ils sont aimables et serviables. Il m'est arrivé deux fois d'être arrêtée à un carrefour sans signalisation à ne pas savoir où aller et donc à faire signe aux bagnoles de s'arrêter, eh ben heureusement que la police passe régulièrement parce que pas un ne s'arrête. Pas un. Ce qui en dit long sur ce qui se passerait si j'avais un problème, quel qu'il soit.

Bref, je repars d'El Triunfo bien motivée. Toute la journée je n'aurai que des champs de bananiers, et un peu de cacao. Le trafic est dense et les accotements absents, et comme ce sont des bourrins, je n'ai pas trop intérêt à faire des écarts. Je tue un peu plus de cent bornes dans le crachin et sous un ciel triste à mourir. Des super journées, mais que ne suis-je pas restée dans les montagnes ? J'ai intitulé ce post « Des géants à l'océan », j'en suis tout près de l'océan, à peine 15 bornes. Des mangroves m'en séparent. J'avais dans l'idée de passer la frontière péruvienne et de longer cette côte pacifique puis de traverser le désert avant de repartir dans la cordillère, mais après cette étape désagréable au possible, je prends la décision de remonter..., de quitter cet axe surchargé. Je ne verrai pas l'océan. Les changements de plan font partie du voyage. Les bords de route sont cradingues, les villes aussi. Je préfère ce que je voyais plus haut, tant pis pour mes jambes. Car si je suis descendue, c'était pour me ménager, faire quelques centaines de kilomètres à plat et voir autre chose de ce pays... J'ai vu, et cela ne me plaît pas, j'avais pris soin de consulter la météo, je ne comprends pas.

Bon, comme dans une journée il y a quand même toujours du miel, je trouve pour la nuit une gentille dame qui me laisse m'installer dans un local, non non, rien de reluisant, mais un local spacieux et fermé, pas trop crade, carrelé, muni de l'électricité, de toilettes, d'une douche, d'eau potable (l'eau est potable au robinet dans tout le pays), de prises. J'y monte ma tente. Et le long de cette route où il n'y a pas bien des patelins ma foi je dois avouer que je suis bien mieux là que sous ma toile sur un terrain gorgé d'eau.

Avant de m'éloigner de la côte je dois toutefois encore rouler au moins une journée entière. Ah, il se trouve que durant cette journée, le trafic est devenu anecdotique et que la météo s'est nettement arrangée. Je m'arrête longuement à Santa Rosa, me connecte, prends la météo, pèse le pour et le contre et prends finalement la décision de longer la côte et de traverser ce petit désert. Dans la soirée, je suis hébergée à Arenillas par les pompiers, et le ciel se dégage. Il paraît que ce mauvais temps était du au changement de lune... Soit. Me voici donc à 24 km de la frontière avec dans la tête des images de vagues qui viennent lécher la route. Pour ne pas faillir à leur réputation, les bomberos lancent le vieux camion diesel dans le hangar, juste pour le faire tourner, et peut-être afin de m'asphyxier. Un peu plus tard alors que je déjeune et que ma casserole de lait est sur la table, ils balaient en levant bien la poussière. Le pire est qu'ils ne le font pas pour m'enquiquiner, ils ne se rendent pas compte parce que, eux, cela ne les dérangerait aucunement...

Bien allez je vais à la frontière. Je réussis à faire tamponner la sortie dans un petit coin, ça devient serré serré sur mon passeport. Durée accordée par le douanier péruvien : 90 jours. À Tumbes je tire de l'argent puis achète à manger, un peu plus loin je vois enfin l'océan et le ciel est tout à fait bleu. Yeh ! L'eau est belle, le littoral un peu moins (ordures) et le vent contraire bien assez fort. Les Péruviens sont de loin plus souriants que leurs voisins, les pouces en l'air sont redevenus très nombreux, c'est bon à prendre. Je fais les pleins d'eau dans un grand hôtel (pas d'eau potable, il faut l'acheter mais les grands hôtels peuvent bien me dépanner de quelques litres...) dans le but de faire du camping sauvage. Il se trouve que peu après j'avise le terrain de la police qui donne sur l'océan, obtiens l'autorisation. Mais le voisin d'en face rentrant de la plage me dit que je serais beaucoup mieux dans son jardin. En effet, il loue des bungalows mais je peux planter ma tente pour rien, j'ai accès à la cuisine, au frigo, aux sanitaires... Dans la soirée mon hôte vient discuter et carte étalée sur la table, m'aide à définir un itinéraire au nord du Pérou... il faut que je profite du plat, ça ne va pas durer !

Et voilà comment pour finir, je suis descendue des géants à l'océan ! Du Chimborazo à Acapulco (si si, c'est le nom du hameau où je dors), et comment je suis entrée au Pérou plus tôt que prévu !

 

Les Amériques à vélo couché : Vagues, désert et saute-montagnes

 

Des kilomètres de sable blond, voilà la côte pacifique de l'extrême nord du Pérou. Peu de vagues, peu de marées, cet océan porte bien son nom. Je le longe pendant deux jours. Les petits villages dénués de tout voudraient se laisser croire qu'ils ont des airs de station balnéaire. Seuls quelques « hôtels-clubs » aux piscines désertes des grandes chaînes peuvent parfois donner l'illusion. Des petites gargotes, des poissons frits, des gens souriants et détendus, des motos-taxis triporteurs, une circulation très tranquille. Et du vent de face ou de côté, forcément. Je loge une nuit chez un WS qui met en fait à dispo un bungalow sur la plage. Luxueux le bungalow, enfin... pour moi !

Le lendemain c'est le début de la traversée du désert de Sechura. Il n'est pas plat ce désert, il est plein de micro-reliefs et même de profondes gorges, et puis dans certaines parties, on y voit des troupeaux de... dericks, les poules picoti picota, lèvent la queue et... Ben non, sautent pas en bas, remontent et sucent le sang de la Terre. Picorent l'or noir. Je ne peux m'empêcher de penser à Bakou, à la Caspienne et toute cette histoire. Le soir je bivouaque sauvage dans le désert mais ne parviens pas encore à bénéficier d'un vrai silence, toujours il y a un vague bruit de fond. C'est bonheur quand même. Le fait d'être seule dans ce voyage fait que je ne bivouaque pas assez à mon goût et me retrouve trop souvent dans des environnements bruyants ou éclairés. Il faut que je remédie à ça et reprenne de bonnes habitudes...

Encore une journée (moins belle que la précédente) et me voici dans la grande ville de Piura, et après quelques courses alimentaires, je me rends direct chez mon hôte WS à 3,5 km. C'est un camping (désert), bar-restaurant. Une oasis. Une piscine, de la verdure sous les arbres, du calme, à part les chiens du voisinage qui gueulent, comme toujours. J' y resterai trois nuits. Première demie-journée occupée à m'installer, discuter, laver ma garde-robe à la main. Second jour dimanche, nettoyage de la transmission de mon vélo (et autres), et je me rends compte que ma roue arrière fait vraiment un sale bruit, il y a des choses pas normales qui se passent au niveau du moyeu. Je dois faire voir par un spécialiste, ce sera donc le lendemain. Il y a pire comme endroit pour attendre, j'entreprends alors de changer câble et gaine de dérailleur avant qui devient impossible à manoeuvrer depuis quelques jours. Le bitonio au bout du câble est carrément incrusté dans ma poignée, pince, dégrippant, rien n'y fera et heureusement dans l'atelier de Gonzalo je trouve une perceuse qui me sauve la vie, je désintègre le bitonio ! Je profite de la super connexion internet pour potasser la suite. Le lundi, Gonzalo m'emmène chez un vélociste, puis un second parce que le premier attaquait à démonter ma cassette à la clé à griffes, et là, pas vraiment de surprise, les cuvettes (ou cônes) sont foutues. Le mécano vénézuélien, professeur de mathématiques de son état est arrivé ici depuis deux mois avec son frère, démonte lesdites pièces sur un vélo neuf pour me dépanner car il n'en a pas en stock. Cool. Pièces et main-d'oeuvre : 10 euros. Et depuis j'avale les kilomètres sans les voir passer, la différence est juste énorme. Chez Gonzalo, il y a aussi un autre cyclo, Yohann, vénézuélien (oui encore il y en a partout, je sais). Nous repartons ensemble le lendemain pour de longues lignes droites dans le désert encore. Ce n'est pas monotone, c'est même beau ! Le désert est maintenant bordé à droite par les sommets de la cordillère de Guamani. Bivouac sur la berge d'une rivière... de sable.

Le lendemain en sortant du lieu de bivouac, Yohann crève, il me dit de prendre de l'avance mais à Olmos 50 km plus loin, personne. J'attends un moment mais il ne vient pas, je demande aux automobilistes, réponse négative. Je finis par faire mes courses et repartir, j'attaque un col qui culmine à 2137 m, donc il me rattrapera. C'est bon de prendre un peu de hauteur mais ce sera de courte durée (enfin... le temps de monter quand même, avec un bivouac au milieu). En effet de l'autre côté du col, c'est la grande descente d'abord le long du rio Chamaya. La vallée est superbe, les rizières en terrasses offrent une palette de verts chatoyants. Je campe sous les manguiers d'une petite exploitation familiale, avec des canaux d'irrigation pour me laver et faire une lessive.

Le jour suivant je continue à descendre légèrement, et ce jusqu'à couper le rio Maranon, qui est une des plus grandes rivières du Pérou. Il est de ceux qui forment après Iquitos le mythique Amazone. D'ailleurs en traversant le fleuve j'entre dans la province des Amazonas ! Et c'est alors une autre rivière que je commence à remonter, l'Utcubamba. C'est superbe, vallée alluviale garnie toujours de rizières, entourée de montagnes. J'ai bien sur retrouvé chaleur et humidité. Puis la route se faufile dans des gorges, je bivouaque une nuit sur une petite plage cachée en contrebas de la route, peux même profiter d'une baignade. L'eau est froide et c'est bien (je peux ainsi refroidir mes yaourts et mon eau de consommation!). Cette route est parsemée de hameaux plus que de villages, de temps en temps des maisons mitoyennes alignées au bord de la route qui n'est pas plate. Parfois pour éviter une falaise, il faut monter de deux ou trois cents mètres... et redescendre. La circulation est quasi nulle. De l'eau potable coule directement de la montagne.

Le jour de mon anniversaire (encore un ! ), j'arrive en milieu de journée au croisement qui mène à la cascade de Gocta, 771 m de haut. Comme l'accès se fait par une piste au pourcentage qui m'effraie, j'hésite, et finalement y vais, poussant courageusement mon vélo. Deux cents mètres plus loin une moto-taxi me double, je fais signe, nous chargeons le vélo et pour 4 soles (1 gros euro), je monte confortablement installée jusqu'au village communautaire à 5 bornes. Je laisse mon vélo à l'office et pars à pied, non pas jusqu'à la cascade mais jusqu'à la voir pas trop mal. Je croise beaucoup de gens juchés sur des chevaux, tous les guides font partie de l'association villageoise. Le soir j'installe ma tente à cinquante mètres du centre du village, tout le monde me connaît, je ne suis pas passée inaperçue. La cascade en question dégringole au fond du cirque rocheux, en deux fois, et à 5 km encore du patelin. Si toute l'année il y a de l'eau, le dernier jour de juin n'est pas le meilleur pour la voir cracher. L'ambiance du village est très sympathique, je discute avec les gens, me connecte en vitesse à l'office, profite de la fraîcheur relative due à l'altitude. Depuis Piura j'ai fait plus de 500 km. Ça file et les paysages très variés défilent.

Après la bifurcation pour Chachapoyas, la route devient plus étroite, en plus mauvais état aussi, mais ça va puisqu'il ne passe qu'une auto tous les quarts d'heure. J'arrive alors au pied du site archéologique majeur de Kuelap. Pour s'y rendre, il y a la solution piste, 37 km pour prendre 1300 m de deniv positive ou la télécabine, la seule du Pérou, précieuse et bichonnée comme un bijou, de marque Poma. Tout cela ne coûte pas grand chose et le survol vaut le coup, 40 minutes en l'air dans cette bulle de verre (ou de plexiglass!). Mécanisme impressionnant de silence, déplacement lent au dessus de sérieux précipices. Hop on nous lâche à 2900 m et restent 100 m à faire à pied pour atteindre la vieille forteresse bâtie sur un éperon rocheux. Alors le site en lui-même était un village fortifié, il est bien conservé et très vite visité, les explications sont vite lues puisque quasi inexistantes. Bref, voir la réaction des Péruviens qui prennent place dans les cabines, le coup d'oeil depuis là-haut et le survol valent presque autant le détour que le site lui-même. De retour au village, je tombe sur un cyclo américain qui vient camper vers moi. Le lendemain matin je fais connaissance avec un couple de Néo Zélandais cyclos aussi. Tous sont équipés de fatbike et d'équipement minimum qui leur permettent d'être rapides et de passer sur toutes les pistes, je serais presque jalouse... Il se trouve que ce couple me demande si j'étais en Chine en 2011. Oui. Ils nous ont croisé, Michel et moi, sur les hauts plateaux du Sichuan !!! Nan mais sans dec quoi ? Il a une photo de nous dans son blog ! Je fais route avec eux trois jusqu'à Leymebamba où ils décident de passer la nuit alors que je vais bivouaquer 900 m plus haut. Vu le programme montagneux, ils me rattraperont sûrement dans les prochains jours. Les habitants sont toujours aussi gentils et je me sens vraiment bien dans ce pays. Ça tombe bien car je risque d'y passer un peu de temps.

C'est alors le début d'une suite de grands cols. Il faut d'abord monter à 3600, pour plonger ensuite jusqu'à traverser de nouveau le Maranon, 2800 m plus bas. La route est juste un truc de ouf, taillée dans la roche, trois mètres de large au dessus de précipices, sans parapet ni glissière on s'en doute. C'est juste superbe. Trois heures pour descendre 58 km sans donner un coup de pédale mais plutôt des coups de freins et de guidon sur cette route tortueuse à souhait. Au col, gants, polaire et pantalon. Au fond de la gorge 40 °C. Et la route remonte aussi sec en face, me voici repartie pour 44 km de montée, passer à plus de 3000 m. À vol d'oiseau entre les deux cols je ne sais pas s'il y a quinze kilomètres, par la route plus de 100... Les cols du Pérou ont cela de bien qu'ils ne sont en général pas raides, la pente est régulière, autour des 5 à 6%. Cela fait de beaux lacets dans le paysage et évite de se tuer les jambes. Arrivée dans la bourgade de Celendin où je me pose pour la demie journée, je constate que je ne peux même pas stabyloter mon étape tant elle est courte... sur le papier !

Ces quinze premiers jours au Pérou furent donc à couper le souffle et d'une variété de dingue, je n'ai pas vu le temps passer. Les conditions pour rouler ont été très bonnes tant au niveau de la circulation, que de la météo, que , que... de tout. Juste à déplorer une suite de crevaisons, mais bon, c'est la vie de cyclo-touriste. Et les pompiers m'ont l'air d'être d'aucun secours pour les cyclotouristes dans ce pays.

À une prochaine, la suite me fera passer dans la cordillère blanche où sont les grands sommets englacés... là où j'avais déjà mis les pieds il y a … 23 ans. 44 nouvelles photos dans la galerie Pérou (page 2) du voyage "Les Amériques à vélo couché".

 

Les Amériques à vélo couché : Le Pérou sous toutes ses formes ou presque

 

L'étape qui me mène à Cajamarca est très belle encore, les gens travaillent courbés dans les champs où tout est fait à la main. Les femmes portent de larges chapeaux très hauts sur leurs tresses noires et les vêtements colorés propres à tout ce peuple andin, les ânes servent à porter les charges, quand elles ne sont pas directement sur le dos des femmes. Cajamarca, jour de repos, je loge tout près du marché et pas loin de la Plaza de Armas, nickel, j'ai tout sous la main.

Le redémarrage le jour suivant est rendu difficile par une diarrhée inexpliquée, et du vent de face dans le relief qui continue à mettre les jambes à contribution. Andy, un cyclo allemand, me rattrape, mon état s'améliore et nous allons ensemble jusqu'à San Marcos où arrivent derrière nous un couple d'Australiens. Tout ce monde décide de passer la nuit là mais il n'est que treize heures aussi je continue. De toute façon, dans quelques dizaines de kilomètres, ils prendront tous directement pour Huaraz par la piste alors que je descendrai vers le Pacifique et Trujillo. J'ai renoué avec le bivouac sauvage, ici rien n'est clôturé et c'est vraiment facile. Plus je monte, plus la route est en

 mauvais état, les relances sont incessantes, un coup après manque de macadam, un coup après série de nids de poule, un coup après ralentisseur (meurtriers), un coup après que sais-je, mais en gros dès qu'un rythme est pris, il faut de nouveau freiner, passer au pas, et relancer... Le marchand de glaces avec son engin-glacière motorisé suit la même route en cornant à chaque habitation pour prévenir de son passage. À l'entrée de Huamachuco, l'épicière me dit qu'après le village ça descend jusqu'à Trujillo... entre temps je suis montée à 4100 m et ai refait 1700 m de positif ! Pas moins ! Je l'aurais moulue ! En effet contre toute attente et dans un paysage où la montagne est complètement rongée par l'exploitation minière intensive, j'ai du me hisser tant bien que mal à 4100 m et ensuite faire le yoyo entre 3800 et 4000 m pendant de longs kilomètres. Mais là-haut, il y avait des lagunes dans de grands espaces à la végétation rase. Au loin j'aperçois la Cordillera Blanca enneigée dont les sommets les plus hauts sont un peu dans les nuages. Je campe sous le village de Shorey, totalement dévoué à la mine. Ce n'est pas joli joli et tout est mort, 

végétation et ruisseau. Ce dernier coule, rouge, couleur probablement due aux produits utilisés. La route qui me mène à Trujillo dégringole ensuite de la montagne en ne remontant que 2 fois (500 m de déniv tout de même) et me voici au niveau de l'océan.

Après avoir retrouvé d'abord les cultures d'ananas puis les champs de cannes à sucre, l'arrivée dans l'une des plus grandes villes du pays, capitale de la province de « La libertad » est glauque à souhait. Kilomètres de décharge de chaque côté de la route, poussière dans la brume et pas de bonnes ondes. Je ne traîne pas et file au centre. Le courant marin froid de Humbold qui remonte la côte provoque cette brume sur une quinzaine de kilomètres à l'intérieur des terres, voire plus. Dans l'après-midi cependant, le ciel est bien bleu. À Trujillo, je m'installe pour deux nuits à la Casa de Ciclista, au centre-ville, chez Lucho. Atelier de réparation, chambre, wifi, le tout à 6 cuadras de la Plaza de

 Armas. Par contre, pendant le temps que j'y resterai, pas d'eau à Trujillo hormis la nuit et je devrai me passer de douche. Le linge que je porte à la laverie me reviendra aussi sale que quand je l'ai porté. Ma motivation en descendant ici est de voir la cité Chan Chan. C'est un site archéologique de l'époque pré-colombienne, classé par l'Unesco, et une des plus grandes, sinon la plus grande cité en terre battue de l'Amérique du Sud. Les vestiges s'étendent sur des kilomètres carrés dans le désert entre Trujillo et l'océan et seule une infime partie est ouverte au public. Les restes sont protégés des pluies par des toits. Dans la foulée je file voir l'océan à Huanchaco, réputé pour ses bateaux fabriqués avec des espèces de joncs, les totoras. Effilés et relevés à l'avant, larges et plat à l'arrière, ils sont faits pour surfer sur les vagues océaniques. Huanchaco, cité balnéaire fréquentée par les surfeurs, adossée au désert.

De Trujillo, je repars avec Konnie, un cyclo équatorien, et nous ferons route ensemble pendant trois jours. Le premier jour, nous sommes sur l'accotement de la panaméricaine, dans la brume toute la matinée, dans le désert. En milieu de journée nous nous éloignons de la côte et avons du soleil. Le désert est superbe, dunes de sable, vent de côté, hum, on en mange ! Nous prenons ensuite une piste, c'est absolument infect pour rouler mais nous sommes vraiment dans le désert, c'est du 100% minéral, c'est coloré et superbe. Bivouac pur silence, ça fait du bien. Le lendemain, après avoir récupéré l'asphalte, nous commençons la remontée du canyon del Pato (canyon du canard). C'est spectaculaire tout le long, encaissé. La route est taillée dans la falaise 

et les kilomètres de tunnel sont nombreux. Il ne faut pas se trouver au milieu à l'heure du bivouac ! La vallée se poursuit et sans bifurquer, me mènerait droit à Huaraz. Mais je suis au pied de la Cordillera Blanca où se trouvent l'Alpamayo, le Huandoy, le Huascaran, le Nevado Copa (que nous avions gravi il y a 23 ans avec Michel), et j'ai un peu envie d'aller les voir de plus près. La météo annonce beau, je bifurque à Carhuaz et commence l'interminable montée qui me fera passer à 4800 m à Punte Olimpica. Un seul village, je suis vraiment dans le Pérou rural authentique. Arrivée à l'entrée du parc national, je refuse de payer les 30 soles demandées pour rester sur la route, la seule goudronnée qui traverse le massif, arguant que je paie assez avec mes jambes, le garde me laisse passer en dodelinant de la tête. Je lui dis que quoi qu'il en soit je serai hors-la-loi car je ne pourrai pas passer le col dans la journée et devrai bivouaquer dans le parc, son ticket n'est valable que pour un jour... La seconde partie de la montée est une suite impressionnante de lacets dans le coteau hyper raide et trouver à poser la tente sans être vue de la route est un défi. J'y parviendrai (ce devait être le seul endroit sur plus de 1000 m de  déniv). Sur une espèce de plate-forme à l'intérieur d'un lacet, je suis invisible, et pourtant la route passe à 5 m au dessus, et à 5 m en dessous. Mon vélo est planqué ailleurs car l'accès à mon

 endroit plat et spacieux juste en face du Huascaran est trop scabreux pour que j'y amène ma monture. Dans la soirée les sommets se dégagent enfin mais le soleil est déjà couché. Je dors à 4255 m. Bonne gelée mais l'air est tellement sec que la tente n'est même pas humide au matin.

Je poursuis la montée. L'eau qui ruisselle sur les rochers a formé une carapace de glace. Les sommets sont dans les nuages et j'ai peu d'espoir que ça se dégage. Du coup je regrette un peu mon détour, qui me coûte très cher en kilomètres, en dénivelée et donc en énergie, mais bon, c'est la vie.  La vallée de Huaraz est sous le ciel bleu et j'aurais probablement vu plus en y restant. Encore deux heures dont la moitié à pousser mon chargement et me voici au tunnel, point culminant à 4760 m. Autant dire que j'ai le souffle court depuis un moment. Le tunnel est un boyau noir d'encre de 1400 m de long, en pente descendante. Les fuites sont nombreuses et je prends quelques douches. La route est une patinoire et le plafond une constellation de stalactites de glace. De l'autre côté, c'est bouché bouché, je ne vois que le bas des grands glaciers dont la couleur se confond avec celle du ciel. Dommage, j'hésite à faire demi-tour puis finalement me dis que loin des circuits touristiques, je baignerai d'autant plus dans la culture andine. Descente en lacets encore.

À l'entrée du village de San Luis, le macadam s'arrête et l'état de la piste est tel qu'il n'est pas possible de rester sur le vélo. Pousser s'apparente à un défi, ma petite roue avant bute sur toutes les pierres, c'est infect. Renseignements pris, cela durera 65 km, avec un col à 4250 m à passer. Sur la carte c'est une route jaune, donc une piste, mais de là à imaginer un tel chemin muletier ! Pas de véhicule pour aller à Huari l'après-midi, les 65 km nécessitent quatre heures de bagnole... Comme je crois à ma bonne étoile, je complète mes vivres et pousse ma monture sur la piste. 10 minutes. Un pick-up se pointe, je fais signe, il s'arrête. Le type ne va pas à Huari mais monte un bon bout. On charge et me voici propulsée 600 m plus haut, gratuitement ! Dans la voiture, une vieille femme me sourit mais nous sommes incapables de communiquer, elle ne parle que le Quechua, comme beaucoup de gens âgés dans ces montagnes reculées et peu accessibles. Une fois posée au milieu de nulle part, je pousserai encore deux heures dans la caillasse avant de me poser, de nouveau à 4250 m. Un camionneur qui passe par là un peu plus tard me dit que juste plus loin il y a une maison, un refuge ouvert, que je pourrais y dormir, mais j'ai déjà monté ma tente, gonflé mon matelas et suis trop lessivée pour tout redéfaire et recharger au risque de me trouver dans un endroit sale que je ne pourrai pas chauffer (donc je suis peut-être mieux sous ma tente). Dans le début de nuit, il passera tout de même trois véhicules.

Au matin, le temps est maussade, il pleuvine. Je décide de tout remballer très vite et de monter petit-déjeuner à ce refuge. Je n'ai jamais eu le temps d'y arriver.

 Je n'hésite qu'une seconde quand un petit van de transport en commun se pointe, on charge tout sur le toit et me voici embarquée pour Huari. Et qu'est ce que j'ai bien fait car le col n'était pas là encore mais bien 5 bornes plus haut, à 4380 m, par contre j'étais juste sous un joli lac, et les 50 kilomètres restants étaient un désastre. Ils m'auraient pris au moins la journée même si ça descendait et auraient bien massacré mon vélo. Aucun regret ! Arrivée à Huari, je croise le temps de manger une cyclo basque espagnole qui va dans l'autre sens. Je lui confirme qu'il FAUT prendre un véhicule sur ce tronçon, à moins d'avoir un fatbike, et encore ! Nous échangeons des renseignements et me voici partie. La route : jamais plus de 200 m d'asphalte en continu, je passe mon temps à monter et descendre de mon bicycle à pédales, c'est très dur pour les jambes, j'ai l'impression de ne pas avancer, je suis à 2500 m, au pied d'un col à 4500 m. Je prends quelques petites averses, le ciel est un peu gris, je trouve le temps long. Je passe Chavin, c'est la fête patronale, fanfare et flonflons, ambiance bon-enfant. Je campe un peu plus loin, avant d'entrer dans des gorges profondes et étroites qui m'interdiraient tout bivouac. Je n'ai pas eu le courage d'aller visiter le site archéologique, claquée.

Le relief de cette région est un truc de dingue, tout est raide, partout. Faire 60 km dans la journée est un exploit. Quand ça monte ça monte et certains bouts se font à pied en poussant courageusement, et quand ça descend, il y a toujours quelque chose pour te mettre à 5 km/h tous les 200 m. Mes moyennes journalières sont toujours sous les 10km/h. Je ne parle pas de la poussière que j'avale et qui macule mes fringues, des coups de klaxon dont me gratifient à peu près tous les véhicules, certes souvent de manière amicale, mais la répétition me pète les tympans, des chiens qui me courent après tous crocs dehors par dizaines chaque jour en jappant tout ce qu'ils peuvent et m'obligent parfois à mettre pied à terre, des ralentisseurs pointus ou des creux pour que l'eau traverse la route à la saison des pluies, des travaux... le tout entre 2500 et 4800 m d'altitude. Tout est fait pour tuer les jambes.  À part ça, je réponds vingt fois par jour aux mêmes questions, et toujours avec le sourire, si si, la curiosité des écoliers en uniforme, des ouvriers de la voirie ou des commerçants et des autres fait plaisir à voir ! Tout va bien, je suis juste au Pérou hors des axes principaux, tout est normal. Ça me bouffe bien de l'énergie aussi mais c'est le jeu, et l'image que nous, cyclos, laissons en traversant les pays est importante. D'ailleurs quand des gamins, cartables sur le dos, m'accompagnent en courant, je ne manque pas de toujours leur taper un brin de causette et d e m'intéresser à eux. À la question récurrente autant de la part d'adultes que d'enfants : « Pourquoi tu ne prends pas une auto ? », je réponds inlassablement que si j'étais dans une auto je ne pourrais pas leur parler. S'ensuit souvent un petit moment de silence. Ah ben oui !

De Chavin, il a juste fallu repasser un col/tunnel à 4516 m, dans le grésil, le vent et la moitié du bas en piste où je pousse. Mais de l'autre côté, ah, de l'autre côté, je suis enfin récompensée. Déjà, plus de bleu dans le ciel avec des gros moutons blancs, une belle vallée glaciaire, un lac turquoise, des grands espaces, des pelouses rases, un terrain doux, des petits canaux d'irrigation encore utilisés, une descente de rêve sur un macadam nickel et des sommets blancs de la cordillère blanche qui dépassent. En face c'est la cordillère noire, les sommets moins hauts n'ont pas de neiges éternelles. Me voici revenue à 60 km d'où j'avais quitté cette vallée de Huaraz. Je continue vers Conococha à plus de 4000 m. Grands espaces encore, magnifiques, petite rivière qui méandre, quelques bêtes qui paissent paisiblement, vent qui m'aide, enfin... jusqu'à Conococha, car après j'ai tourné et les bourrasques latérales me bousculaient bien. Encore un col, 4380 m, et je plonge de nouveau dans ce relief très abrupt, puis commence à monter le col suivant (4720 m) que je passe le lendemain matin après avoir tiré Gwenn de sa tente, un cyclo français qui attendait une meilleure météo et que la neige de la nuit fonde un peu ! Oui oui, la neige ! Nous roulerons ensemble trois jours jusqu'à Huanuco. Entre temps, des hauts et des bas de 4500 à 1900 m, de 0 à 30 °C, une fête dans un hameau avec orchestre et groupe de danse, de la piste et du macadam, et des chiens toujours. Les chapeaux des femmes ont changé, ils sont maintenant foncés voire noirs, ornés de fleurs et sous les jupes pour aller aux champs il y a des jupons brodés et colorés. Huanuco donc, je suis logée chez Midori, jour de repos, lessive à la main, couture... il y a toujours à faire. Je suis toujours au nord de Lima avec plus de 2000 km dans les jambes dans ce pays, je serai dans les montagnes encore quelques temps avant de rejoindre la côte pacifique. Au niveau moral, c'est moins facile en ce moment, quelques soucis gastriques, une météo capricieuse qui m'a empêché de voir ce que j'aurais du voir en passant par cet itinéraire, et ces dénivelées de folie sur de courtes distances mettent à mal la motivation. Cette journée à glander va me faire le plus grand bien !

 

Les Amériques à vélo couché : Montagnes, océan, désert et lignes !

 

Huanuco, pas grand chose à voir, je trouve les rues étouffantes et il n'y a même pas d'église sur le pourtour de la Plaza de Armas. D'ailleurs pas de souci on est bien dans les Andes, les Christ sont écorchés vifs sur leur croix, bien ensanglantés... Je prends un grand plaisir à sillonner les allées aseptisées et climatisées du centre commercial, si si sans déconner, et goûte à la musique commerciale avec délectation. Je m'envoie la boite entière de 9 têtes de nègre en rien de temps, miam miam, il n'y a bien qu'en voyage (à vélo) que je peux me permettre ça... Mes hôtes sont très à l'aise financièrement : hôtels, vaches gérées par d'autres, atelier de boulangerie qui fournit la moitié de la ville, épicerie. La fille est avocate. Ils me gavent à tous les repas, je suis bien ; le genre d'endroit où il ne faut pas rester trop longtemps sous peine de prendre racine. Le père me tient des grands discours sur l'agriculture modèle de son pays, se vante de toutes les richesses du sous-sol, des quelques collèges du pays où sont envoyés les éléments les plus brillants dans le but d'en faire une élite (futurs grands corrompus...), certes, mais quand je lui demande alors pourquoi, avec tant de richesses, les infrastructures notamment routières et hospitalières, le système éducatif et de santé ne sont pas mieux que ça et pourquoi il y a tant de pauvres, gens qui triment toute la journée et qui vivent à 4000 m d'altitude sur de la terre battue avec quatre planches et une tôle pour maison ou gens des villes qui dorment sur les trottoirs, la discussion vire sur la corruption de folie, la déforestation massive, l'utilisation abusive des pesticides et l'exploitation minière illégale et absolument destructrice, les km de tapis roulants qui transportent le minerai ou l'uranium directement dans les bateaux chinois sans aucun contrôle, la répression. Entre autres. Alors finalement c'est pas le Pérou hein ! Parce qu'il y a quand même une bonne partie de la population, notamment rurale, qui me semble usée à 35 ans. J'ai vu des socs de charrues en bois, tirées par des hommes, travail de forçat ! Et après l'adolescence, il n'y a plus grand monde pour user les bancs des salles de classe. L'argent prévu pour asphalter les voies de communication engraisse les politicards corrompus... Et il vaut mieux être jeune et en bonne santé que vieux et malade.

Bon, j'ai repris la route avec un gros sac de pains dans mes sacoches. M'attendent 111 km de montée. Huanuco est à 1880 m, je dois aller à 4380 m, c'est la route la plus facile pour sortir de Huanuco, la nationale, asphaltée, qui va vers Lima, La Oroya, Huancayo, bref, l'axe principal. Un jour et demi me sera nécessaire pour atteindre là-haut quelques lagunes où des flamands rose font le pied de grue. Je me demande toujours comment leurs pattes ne gèlent pas. Et puis des alpagas, domestiques. Après avoir passé un village-mine et des montagnes rongées par les engins, je débouche dans une immense cuvette baignée d'un lac qui fait l'objet d'un parc national : Junin. Paysage limpide, distances trompeuses, faux-plats montants interminables contre le vent glacial. À 4150 m d'altitude, les degrés ne sont pas nombreux. Je pose ma tente dans une carrière abandonnée. Difficile de trouver un endroit à la fois à l'abri des regards, à l'abri du vent, au soleil couchant et au soleil levant. Il manque toujours au moins une de ces qualités, ou plus.

Le lendemain matin, faux-départ. Je remballe, sors mes sacoches, bricole mon vélo et me rends compte que le petit crachin qui tombe sous le ciel gris moche gèle en arrivant au sol. Je rentre mes sacoches, regonfle mon matelas, termine « Le superbe Orénoque » de Jules Verne avant de remettre le nez dehors et de partir pour de bon sous le soleil et tente sèche à 10 heures. À 14 h 15 en ce 27 juillet, jour de St Nathalie sur le calendrier, je fais le lien avec le voyage de 2012. À La Oroya, je rejoins l'itinéraire Lima-Santiago parcouru 6 ans plus tôt, lui-même rattaché à Santiago-Ushuaia il y a 2 ans. Je peux dire désormais que j'ai pédalé de Terre-Neuve à Ushuaia, je fais vite fait le compte de kilomètres dans ma tête : plus de 45 000 assurément  ! Rien que sur les Amériques. La ligne droite ? Le « Au plus court » ? Connais pas ! Mais la ligne est tracée ! Le souvenir de La Oroya est net et précis dans ma tête, ville minière absolument horrible avec sa grosse usine et le rio Mantaro qui coule, pas très clair, au fond de cette gorge encaissée entre des montagnes blanches. Des seaux de minerai qui passent par dessus la route pour aller de la mine, où le tas de matière excavée a probablement grossi, à l'usine et sa grande cheminée. Il y a six ans, nous avions fait halte et dormi à La Oroya, puis à Jauja, mais cette année, fidèle à mes habitudes, je vais plus loin et campe. L'itinéraire commun ne fera que 118 km, en effet, à partir de Huancayo, je prendrai une autre route. Ceci dit, le but, l'objectif de ce voyage est désormais atteint, tout ce qui adviendra à partir de maintenant n'est que bonus, je continue en tentant au maximum d'éviter de repasser aux mêmes endroits et je n'irai pas à Ushuaia de nouveau ! Au soir dans ma tente à 3700 m c'est un peu l'euphorie et je n'ai même pas une bière pour fêter ça !

Et puis je me souviens aussi de Huancayo, de ses ralentisseurs de m... qui obligent à passer au pas, tous les 300 m pendant plus de 10 bornes, sans exagération. Je file droit chez mon hôte, il est 14 heures. D'autres cyclos sont là, en route depuis deux ans et sans limite apparemment. Nous passons une bonne soirée mais vu le confort spartiate de la maison, je décide de ne pas prendre de jour de repos. Le lendemain, c'est la surprise. Google maps satellite montrait une belle bande d'asphalte tout le long, j'ai fait un détour de 100 km par Huancayo pour rester sur le macadam et je me retrouve sur de la piste encore pour passer à plus de 4300 m. Heureusement la pente n'est pas très raide et les pierres ne dépassent pas trop donc je suis le plus souvent sur le vélo. Bivouac à 4125 m au dessus du dernier village, dans un cadre absolument superbe. Bivouac quasi parfait bien qu'un peu frais, abri des regards et du vent, soleil levant et couchant, silence pas mal. Piste peu empruntée dans un décor de dingue, des montagnes à perte de vue, jaunes, vertes, noires, brunes et blanches tout au fond. Paysage ouvert. La vie tranquille, pauvre, habitat de misère pour cette altitude. Les gens sont rudes, résistants, certes habitués mais quand même. Cultures de céréales et pommes de terre. Suivant le terrain, l'altitude, la région, de la forêt amazonienne aux pieds des glaciers, il en existe plus de 3000 variétés différentes dans ce pays, de toutes les couleurs et consistances. Les surprises continuent le lendemain puisqu'au lieu d'avoir ce col à 4330 m à passer, je dois en fait me hisser deux fois à 4650 m avec une petite descente entre les deux puis ensuite, après de nouveau une descente, remonter cette fois-ci à 4750 m. Heureusement, les paysages sont juste à couper le souffle (hum, ouais) toute la journée. Lagunes, flamands roses, formes de roche inédites, regard qui porte loin, quelques traces de neige et des sommets englacés au loin, bref du vraiment grandiose.

Puis la descente le long du rio Canete que je suis jusqu'à l'océan, un truc de dingue, des gorges entre des parois verticales de je ne sais combien de centaines de mètres de haut, un canyon, la rivière d'une limpidité incroyable, bleue et blanche, très belle, la route très étroite et en mauvais état sinue à des endroits improbables, quelques villages dont on se demande ce qu'ils font là, et ça dure plus de cent kilomètres, vent de folie, de face, dans ce corridor comme j'en ai jamais vu je crois. Cette route devrait être dans les incontournables de ce pays, depuis Huancayo c'est du grand régal, et j'ai bien fait de prévoir trois jours de nourriture... Mon compteur me lâche, ne veut plus rien savoir... Alors que cela fait déjà 65 km que je descends, je plante mon bivouac à 2400 m au milieu des … cactus, là où il y a un petit élargissement de la vallée. Le lendemain, après réglage et remise en route de mon compteur et changement de câble de dérailleur arrière pour cause de casse, je continue à descendre, croise un cyclo polonais habitant à Lima, à vélo couché ! Le premier truc qui me vient à l'esprit en le voyant est : « Je ne voudrais pas refaire le chemin à l'envers... », même s'il a ce vent violent pour l'aider, puisque je l'ai de face. La vallée s'élargit enfin, devient urbanisée, cultivée, et je rentre dans les brumes côtières, ce qui rend tout bien glauque et bien morne. Bivouac au calme à 20 km de l'océan, avant les agglomérations et la Panaméricaine.

La brume pacifique n'est pas une légende mais l'hiver tirant à sa fin, j'ai du soleil, pas trop fort l'après-midi et la température est idéale pour rouler. Trois mètres d'accotement et un trafic raisonnable, ça va, je peux écarter les coudes ! Des kilomètres de désert, parfois la vue sur l'océan, parfois des zones cultivées, et de grands espaces couverts qui abritent des milliers et milliers de poules ou des fabriques de farines et huiles de poissons. Toutes des choses qui ne sentent pas la rose. C'est glauque quand c'est brumeux et tout de suite mieux quand le soleil perce, je campe dans une paillote qui ferme, avec la vue. Trouvée par hasard... Le jour suivant j'arrive tôt à Pisco, célèbre pour sa boisson excellente. La ville n'a pas grand chose d'autre à offrir, par contre un peu plus loin il y a Paracas, une oasis dans le désert au bord de l'océan. Entre les deux il y a des gros réservoirs de combustibles où viennent charger les poids-lourds que je vois partout sur les routes. Paracas, touristique à mort et pour causes, sa réserve et les îles Ballestas. Minuscules cailloux regorgeant d'arches et peuplés de milliers de sternes, de pingouins, de phoques, de lions de mer, de mouettes, de cormorans, de pélicans. Tout cela pue à des centaines de mètres à la ronde mais le spectacle vaut l'odeur. Une usine employant 25 personnes récolte le guano. Entre Paracas et les îles, il y a le premier géoglyphe que je vois de ma vie, ces dessins dans le désert dont l'origine est mystérieuse, celui-ci s'appelle le candélabre. Nettoyé par le vent il est toujours visible, c'est incroyable. À noter qu'en ce jour et comme j'ai toujours de la chance, la brume était dissipée avant dix heures et j'ai pu bénéficier d'une magnifique journée pour toutes ces visites. Je m'éloigne de la côte et vais camper dans le désert avec pour horizon le « gran tablazo d'Ica », ce massif minéral qui sépare la panaméricaine (qui fait trop de bruit à des kilomètres) de l'océan. Je ne sais de combien de kilomètres de la panaméricaine il faudrait s'éloigner la nuit pour ne plus l'entendre, mais c'est vrai, je suis sur une éminence pour la vue, mais pas bien pour le bruit ! Cette dernière est passée d'autoroute à route normale mais l'accotement, pour le moment, reste très confortable et sécurisant.

 

Cet autre Pérou me donne l'impression d'avoir changé de pays, j'ai aussi la sensation d'avoir plus de signes amicaux et enfin moins de « gringo » balancés sans savoir de quoi il retourne et qui étaient parfois passablement agaçants. Il y aurait un troisième Pérou à voir, celui de la forêt amazonienne. Ce pays est étonnant et riche de diversité.

Ica, déjà grande ville et pas grand chose à voir, passage en rase-motte, je laisse ensuite les agglomérations puis les vignes avant d'aller camper encore dans le désert. Deux heures avant de m'arrêter, le vent me scotche au plat à 10 km/h. Je profite de quelques arbrisseaux trop près de la route pour m'installer à l'abri de cette saloperie et des regards. Il n'y a rien à faire, j'aime vraiment camper dans la nature. L'accotement est pourri depuis Ica...

Le lendemain, le vent est levé avant moi, et donc avant le jour. Les premiers kilomètres sont d'enfer, 7 km/h, à ce train là, il va me falloir deux jours pour arriver à Nazca. Heureusement plus loin ça s'arrange un peu. Désert de gravillons, à l'infini. Le soleil perce à 11 heures alors que j'attaque des reliefs. Peu après, l'oasis de Rio Grande me laisse bouche bée, je m'attendais à tout sauf à ça en basculant derrière la montagne. Des orangers par centaines, par milliers, et des monstrueux tas d'oranges à vendre sur le bord de la route. À Llipata, il y a même un bâtiment « Marché aux oranges, 1948 ». La cuvette est verte et luxuriante, entourée de montagnes totalement minérales. Une iguane de bonne taille me coupe la route... Des lignes et géoglyphes commencent à être indiqués sur le bord de la route, je fais le déplacement pour quelques-uns mais ne suis pas subjuguée. Puis j'arrive aux lignes de Nazca elles-mêmes. Je sais qu'il n'est qu'une manière de les voir correctement : l'avion, mais je monte tout de même en haut de la tour de ferraille pour voir quelques figures, et puis les lignes. Bof. J'installe mon bivouac un peu plus loin, impossible d'échapper au bruit de la route et au vent. Les pâtes au sable ne sont pas de ce qu'il y a de plus exquis, je termine le repas dans la tente. Alors ? Avion ou pas ? Réponse au prochain épisode.

 

Les Amériques à vélo couché : Le festival continue

 

Je ne vois pas les jours passer, c'est terrible. Arrivée à Nazca après détour par un des nombreux et spectaculaires aqueducs ancestraux de la région, je rentre dans quelques agences dans le but de survoler les lignes de Nazca. Tout est complet ou presque pour la journée mais un type me conseille d'aller directement à l'aéroport. Étant seule, il y aura forcément un trou à boucher dans un avion... En effet, une heure trente plus tard j'accroche ma ceinture dans un zinc avec cinq autres touristes. Survol de tous les dessins et des lignes. Pour que tous les passagers profitent de la vue l'avion penche et fait une boucle à droite puis une boucle à gauche à chaque figure. Ne supportant pas du tout ce genre de traitement, je passe du vert au gris et inversement, me liquéfie littéralement, souffle comme une baleine et lutte au sens propre du terme contre l'évanouissement. Je parviens tout de même à voir ces mystérieuses lignes et prendre quelques photos. De retour sur terre, je ne peux descendre de l'avion, mes pieds et mains sont paralysés. Cependant quelques minutes plus tard je vais mieux et après récupération d'une heure je remonte sur mon vélo et pars dans le désert direction Aréquipa.

Je commence par deux jours de vent de folie, de face évidemment, ou latéral. Le soleil se montre quelques heures à partir de la mi journée. Le sable traverse la route, je bouffe de la poussière mais j'avance. Je campe où je peux en me mettant le plus possible à l'abri du vent. Un soir dans un village où ne vivent à l'année que quelques habitants, on me met à dispo un endroit bien abrité, une douche et je peux laver mon linge. Ce n'est pas de refus, la dernière vraie douche remontait à Huanuco, deux semaines. Entre temps lavage au gant de toilette, les cheveux au lavabo d'une station service... Les parties désertiques sont entrecoupées de vallées où coule un mince filet d'eau en cette saison mais qui permet la culture. Des oasis magnifiques et verdoyantes. Je croise ainsi la vallée des olives.

Les deux jours qui suivent, le soleil ne perce pas, je reste dans la brume. C'est nul pour les photos mais la visibilité est tout de même assez bonne pour que je profite du paysage. Ce littoral est magnifique, très sauvage, très varié, et toujours surprenant. La route continue à faire des hauts et des bas, j'accumule entre 1000 et 1500 m de positif selon les jours. Le 4ème jour, le vent ne se lève pas trop, quel bonheur ! La route est parfois taillée dans des montagnes de sable, d'autres fois elle sillonne entre des rochers, mais elle se déroule vraiment dans des décors de ouf. Dommage de ne pas avoir un brin de soleil. Les bourgades sont rares et petites, quelques épiceries me permettent alors de me ravitailler, et le marché pour mes avocats quotidiens et le pain. La cohabitation avec les poids-lourds ne se passe pas trop mal, ils s'écartent, préviennent, et sont comme toujours plus attentionnés que les gros 4x4. Le trafic est raisonnable, la route est de nouveau belle mais pas d'accotement. J'ai l'impression que c'est encore plus pauvre que dans les montagnes, il y a des gens qui vivent dans des paillotes de 9 m², avec ce vent et ce froid, totalement isolés, mais où se procurent-ils leur eau douce ? Une nuit je plante ma tente dans un bâtiment désaffecté, glauque au possible, borgne, mais j'y suis à l'abri de la tourmente qui fait rage à l'extérieur, une autre nuit dans les cultures d'oignons vers Ocuna sur la parcelle de Keni, qui viendra m'offrir un « cafecito » et aurait aimé que je lui donne un souvenir de France. Je retourne toutes mes affaires dans lesquelles il n'y a absolument rien qui puisse convenir à sa demande. Je me lève tous les jours avant 5 h 30 pour partir tôt à cause du vent. Je me demande où je trouve cette énergie et la motivation mais il ne sert à rien de traîner dans des parties comme ça, il faut se voir avancer... De la patience et un peu de force mentale sont nécessaires, surtout ne pas se poser de question du type « Qu'est ce que je fais là ? Pourquoi je fais ça ? ». C'est mortel.

J'arrive enfin à Camana, endroit où je quitte le Pacifique. Je ne pense pas le revoir lors de ce voyage mais espère en voir un autre ! Et là, je commence à grimper. Trafic encore plus épars sur cette route vers Aréquipa, toujours du désert et le macadam qui coupe, par le travers dans le dévers, les montagnes de terre et de sable mêlés. Difficile de trouver où s'installer pour la nuit et à 5,5 km/h, je dois me méfier à ne pas laisser passer une bonne occasion même s'il n'est que 15 h 30. Vue l'heure à laquelle je me mets en route le matin, j'estime que j'ai le droit de m'arrêter tôt... La nuit tombe subitement à 18 heures. À 17 h 45, c'est grand jour, à 18 h 10 c'est nuit noire. J'aime avoir tout terminé avant la nuit, installation, toilette et repas, vaisselle, lavage des dents, tout. Ensuite, dans la tente, je stabylote mon étape sur la carte, fais un petit cercle là où je dors, mets la date. Puis je prends mes notes, allume parfois l'ordi pour préparer le site, puis me couche et lis. En général à 20 h je tombe de sommeil.

Ayant quitté la côte et pris tout de suite de l'altitude, soleil et chaleur ne se font pas attendre le lendemain matin. De plus le vent a tendance à m'aider, donc je me gave de ces paysages immenses. Au fond, derrière le sable, il y a les massifs du Coropuna, englacé et culminant à 6613 m et un peu à droite, le cône parfait de l'Ampato à 6310 m, blanc lui aussi et très actif puisque je vois des panaches de fumée qui en sortent à intervalles réguliers. Plus loin j'aperçois le Chachani et peut-être le Misti à 5822 m, qui fait de l'ombre à la ville d'Aréquipa. Ah ah, preuve que j'approche ! Je traverse une zone de vigne, puis une zone de production de lait et yaourts. Les contrastes sont saisissants, au fond j'aperçois dans la brume les cônes des volcans, 5000 m plus haut ! Pas d'eau douce potable dans le secteur, pas de puits, pas d'eau fossile, il faut acheter des bidons ou la bouillir. Les locaux la font bouillir. Le soir mes yeux sont fatigués de lumière, les nuits sont douces, ni chaudes ni froides.

Aréquipa me voilà. Je trouve facilement à me loger et pose mes sacoches pour plusieurs jours. Le premier c'est lessive, repos, internet, je trouve un magasin de vélos, il faudra que j'y vienne avec mon engin, et je réserve par une agence une rando de deux jours dans le canyon de Colca, un des plus profonds du monde. Je passe par une agence car j'ai envie d'être en groupe et de me laisser porter, le coût n'est pas très élevé. Paysages magnifiques et différents encore, je me régale pendant ces deux journées passées dans la bonne ambiance d'un groupe de jeunes et bons marcheurs cosmopolite. J'ai beaucoup apprécié que le guide nous parle de son pays et sa région sans cacher les aspects négatifs, comme la ségrégation homme/femme depuis la tendre enfance, la violence conjugale (d'ailleurs quand je suis arrivée à Aréquipa, il y avait une manifestation sur la place principale pour le droit des femmes, et pas d'hommes dans la manif...), les coups de ceinture des instituteurs sur les enfants comme si ça faisait rentrer les connaissances dans le cerveau, l'alcoolisme, l'exploitation minière légale ou non et la contamination qui en résulte, qu'il nous parle avec précisions des cultures en terrasses, du mode de vie des gens qui vivent encore aujourd'hui sans accès « routier », et qu'il nous montre quelques plantes médicinales ou la cochenille, dont le sang est utilisé en teinture, qu'il nous donne des faits et des chiffres sur l'élevage et le prix de la viande et la laine d'alpaga et autres, la quinoa, la cocaïne et les trafics de drogue ou encore de l'abandon des terres par manque d'eau depuis quelques années sur certains secteurs. Ses commentaires étaient intéressants. La randonnée est récompensée par un passage dans les eaux thermales chaudes de Chivay. J'ai trouvé les paysages aux alentours du canyon plus beaux que le canyon lui-même. C'est à dire que j'aime quand le regard porte loin et je suis toujours comme une gamine et excitée comme une puce devant ces immensités de ouf. Les volcans fument au dessus de la pampa, point culminant de la route à plus de 4900 m. Tout de même.

Le retour à Aréquipa est rendu difficile par la fête qui se prépare et commence. En effet, soir du 14 et 15 août toute la journée, des groupes de danseurs et autres viennent de tout le pays pour défiler et parader. L'événement attire une foule nombreuse et compacte. Se frayer un chemin, même à pied, est un défi, j'ai du mal à rejoindre mon auberge... Ma fermeture éclair de tente intérieure n'est pas arrivée d'Europe, je ne peux pas aller chez le vélociste et je ne sais donc pas quand je repartirai de la ville. Toutefois ce repos me fait du bien, mes courbatures sont terribles, je profite des festivités, je prends un bain de foule et discute avec tout le monde à l'auberge avant de retourner à ma solitude. Tout va bien. Au moment où je poste cette mise à jour, toujours pas de colis, je vais changer ma chaîne de vélo et tenter de me joindre cet après-midi au « Free walking tour » de la ville, petite lessive, bref, m'occuper en tentant de ne pas trop piaffer d'impatience de reprendre la route.

Beaucoup de nouvelles photos dans la galerie comme d'habitude.

À une prochaine, probablement depuis la Bolivie.

 

Les Amériques à vélo couché : D'un bord à l'autre de l'altiplano

 

Tout s'est précipité d'un coup à Aréquipa. Quand je rentre de chez le vélociste avec une chaîne neuve prête à monter, un mail de UPS (agende de messagerie rapide comme DHL) me demande quelle est l'adresse de livraison... Je réponds et demande des précisions, on me dit alors que la livraison est en cours. En effet, je récupère ma fermeture éclair dans la demie-heure qui suit. Je case les derniers préparatifs entre les discussions à l'auberge et le tour guidé de la ville et me voici prête à reprendre la route avec trois jours de nourriture dans les sacoches.

Pour aller à Juliaca, il faut monter, longtemps, sur un axe chargé de poids-lourds. La plupart descendent du minerai de Cusco, les autres montent du combustible. Si j'enlève ça, la circulation devient anecdotique. Et encore la journée ça va mais la nuit c'est une véritable procession, il me faut donc m'éloigner de la route le plus possible pour camper. Le premier soir, je m'arrête à Pampa de Arrieros, c'est une station ferroviaire, il reste 4 habitants permanents, tous des vieux, les autres maisonnettes sont cadenassées, les gens habitent Aréquipa et montent le week-end. Le papy me dit de poser ma tente là : c'est à dire dans un triangle que forment les voies. Je lui demande s'il passe des trains la nuit : un par heure ! Nan mais il va pas bien machin ! Je vais me planquer un peu plus loin. Au matin, me cherchant partout, le papy me débusque, me demande alors si ma bâche est chauffante, s'amuse de mon réchaud... tout l'étonne et on se marre tandis que je répare une crevaison par température négative en me demandant si la rustine va tenir... Plus haut, il y a des gens mauvais me dit-il... comme toujours, plus loin, pas ici ! Ça monte toujours, puis ça descend puis ça remonte, toujours dans des paysages très grands, très ouverts, très ventés. Je campe à l'abri du vent vers une « grange » inoccupée à cette saison et j'y paumerai mon précieux gant de toilette ! À plus d'un kilomètre de la route, les boules Quies restent indispensables. À 4465 m, il fait – 8°C dans la tente, ma flotte a gelé. Mais comme j'ai de la chance, c'est la seule et unique fois du voyage où je n'ai pas pu finir mes pâtes hier soir, et je n'ai donc qu'à réchauffer le reste pour me remplir l'estomac... La journée suivante, toujours vallonnée, se déroule entièrement entre 4000 et 4600 m. Des lacs d'un bleu profond se lovent dans les creux des montagnes dénudées. Des troupeaux de lamas et d'alpagas broutent l'herbe maigre, quand ce ne sont pas les gracieuses vigognes. Je pourrais alors aller à Juliaca mais je préfère me poser tôt et camper encore, 113 km à plus de 4000 m suffisent pour aujourd'hui, je me ménage...

C'est le soleil sur la tente qui me pousse hors du duvet le lendemain matin alors que je suis encore plongée dans un Jules Verne. Une petite heure de vélo et me voici à Juliaca où je croise ma route de 2012, et je loge à la casa de ciclista chez Geovanni. Douche chaude, lessive à la main, courses, mise au point pour la suite et le passage de la frontière bolivienne maintenant toute proche. J'arpente la ville mais impossible de mettre la main sur une carte papier du pays voisin... J'irai sans, les routes ne sont pas si nombreuses, je ne risque pas de me perdre. À Juliaca, ce qu'il y a de plus beau à voir, ce sont les gens qui vendent toutes sortes de pharmacopée miracle et autres choses pour les bons et mauvais sorts, fœtus de lamas entre autres. Ils sont installés sur la voie ferrée qui traverse la ville et quand le train arrive, à vitesse réduite, c'est un spectacle que de voir tous ces vendeurs s'écarter pour laisser passer le train, puis se remettre en place derrière. Après ces trois jours et demi d'immensités, les rues de Juliaca m'étouffent, le bruit m'agresse, la pollution m'asphyxie et j'ai juste envie de pédaler sur l'altiplano. Alti-plano. Du plat en altitude ? Du plat ? Oui, en comparaison avec le reste. À partir de Huancané, c'est du pur bonheur. Un véhicule toutes les dix minutes, joli macadam et surtout, surtout, le lac Titicaca dont les eaux d'un bleu d'une profondeur inouïe sont bordées de roselières ou de petites parcelles cultivées. En un clin d'oeil, tout est résumé de la vie des gens d'ici. En effet je les vois bêcher, les deux lamas broutent à peine plus loin et la barque est attachée à la limite des roseaux. De l'autre côté de la route il y a la maisonnette. Tous font signe sur mon passage et ils semblent encore plus cools ici qu'ailleurs. Je me paie le luxe d'un bivouac avec vue sur le lac. Le lendemain c'est passage de frontière, je quitte le Pérou par la petite porte. Au moment précis où je gare mon vélo devant le bureau de l'immigration à Tilali, le compteur affiche 34 000 km.

En effet, que ce soit dans les guides de voyage ou dans la majeure partie des sites internet, il n'y a soit disant que deux points de passage « internationaux » entre Pérou et Bolivie, mais en cherchant un peu, on en trouve un troisième, particulièrement usité des cyclistes, le seul au nord-est du lac, hors des sentiers battus et autres circuits touristiques. Pourtant, pour avoir pédalé l'autre berge en 2012, je peux dire aujourd'hui que ce bord ci est cent fois plus agréable et aussi plus photogénique. Bref frontière : mes trois paris réussis. À savoir que pour ménager de la place sur mon passeport, le douanier péruvien doit caser le petit tampon ailleurs que sur la page de celui d'entrée et un peu à cheval sur un autre, et que le douanier bolivien doit serrer le sien (plus gros) afin qu'il reste de la place à côté pour celui de la sortie. Défi supplémentaire : pour ne pas avoir un tampon bolivien de plus, il faut que le douanier m'accorde directement 60 jours alors que la durée normale est de 30 jours, prorogeable sans frais dans les grandes villes. Bingo ! Tout gagné ! Avec un peu de diplomatie, d'explications, et surtout la chance de tomber sur des gens qui sont un chouillas arrangeants, tout est possible. D'ailleurs au poste d'immigration bolivien, le préposé collectionne les photos des cyclos qui passent, elles sont affichées et j'en connais certains. Il me dit qu'il ne voit pratiquement QUE des cyclos. Le no man's land de 20 kilomètres de piste entre les deux patelins de part et d'autre de la frontière est un enchantement. Le chemin domine le lac de 250 m et c'est juste indécent.

Côté bolivien, la circulation est encore plus rare et bonne chose : ils ont l'air un peu moins excités du klaxon, ça va faire du bien ! Me voici donc en Bolivie pour la seconde fois et bien sûr, comme au Pérou, je ne compte pas refaire ce qui a déjà été fait. Je comptais éviter La Paz et sa banlieue, une fois suffit, mais l'absence chronique de distributeurs de billets (et quand il y en a ils ne prennent la plupart du temps que les cartes Visa) m'oblige à effleurer El Alto. Je n'ai pas à descendre dans la cuvette et c'est déjà ça ! L'Illimani domine toujours la ville, de toute sa blancheur. Au 3ème DAB, enfin j'obtiens des Bolivianos. Me voici soulagée ! Mon repas au resto m'en coûte 8, soit un euro, pour un morceau de vrai pain, deux verres de coca, une bonne soupe bien épaisse aux nouilles patates et viande, une assiette copieuse de riz avec petite salade et trois petites saucisses, et avant tout ça une espèce d'amuse-gueule... Pas de supermarché dans ce pays, mais l'épicerie de 20 m² a tout ce dont j'ai besoin et le sourire avec. Depuis deux jours, on m'a déjà donné deux sachets de lait au chocolat, un verre de coca, quatre litres d'eau du « bidon ». Les gens viennent spontanément taper un brin de causette et on n'a pas encore appris aux enfants à se méfier des étrangers (comme dans la plupart des pays traversés lors de mes différents voyages...). C'est beaucoup plus calme sur la route qu'au Pérou, bref, tout va bien. Nous étions arrivés par là en 2012, étions restés une journée je crois dans la cuvette à La Paz même et repartis par la même route qu'aujourd'hui qui était alors une autoroute en construction. Nous avions mangé beaucoup de poussière et la sortie de la ville avait été pénible. Aujourd'hui c'est allé comme sur des roulettes eh eh, trois mètres d'accotement velours pour moi, et les deux personnes qui rentrent aux maisons avec leurs quinze moutons et leurs trois vaches s'inquiètent de me savoir passer la nuit dans le froid. Une fillette me demande si je n'ai pas peur. De quoi ? Des démons ! Quel bonheur de pouvoir communiquer avec ces gens ! Sur cet altiplano cultivé, aucun abri du vent, à peine des murgers pour couper un peu. Je m'éloigne de la route mais il y a toujours quelqu'un qui passe, je préférerais n'être pas vue du tout quand je campe mais c'est impossible. Et encore une bonne gelée, -7°C dans la tente. Un peu plus loin je quitte définitivement la route de 2012. Interminables lignes droites, terrain légèrement vallonné, cultures, pâtures, villages fréquents, je file et vois sur ma droite le cône du volcan Sajama, pourtant éloigné. L'atmosphère est limpide.

Dimanche, marché à Caracollo. Des tas de peaux de moutons tout juste nettoyées et d'autres vivants, qui attendent les pattes liées, couchés sur le flanc et ne pouvant bouger d'un centimètre. Des bestiaux, des tissus, des fruits et des légumes, des babioles... Je pars vers Cochabamba, à 2500 m. Cependant quelle n'est pas ma surprise d'avoir à franchir des montagnes encore alors que je suis déjà à 3800 m. De plus le mauvais temps s'invite, tonnerre, éclairs, je prends un peu de neige et de vent fort. Fin d'après-midi ça s'arrange mais trouver un bivouac à l'abri du vent est un défi. J'y parviens, dans le lit qu'un torrent a creusé, j'ai l'eau courante à un mètre de la tente, je suis dans un trou un peu humide et vite à l'ombre mais à l'abri du vent et des regards. Pas d'autre bruit que le chuintement de l'eau. 4300 m, la nuit s'annonce très froide. Au matin, alors que je déjeune le soleil levant dans le dos, je vois soudain une ombre sur le sol, je me retourne brusquement, je suis sur le passage de 400 lamas avec leur bergère, qui elle aussi me plaint d'avoir eu à dormir dans le froid (je n'ai pas plus eu froid que les autres nuits et suis équipée correctement).

Alors que je crois que je vais enfin basculer, je ne fais qu'enchaîner une suite de cols à plus de 4000 m, avec à chaque fois des descentes de 2 à 300 m entre. J'oscille ainsi toute la journée entre 3800 et 4200 et 30 mn avant de me poser, suis encore à 4000 m. Mais, mais, voici enfin la grande descente vers Cochabamba, le paysage a changé subitement, je vois la route qui serpente à flanc de falaise. Je croise un couple de cyclos, qui comme les derniers que j'ai vus, ne s'arrêtent même pas, font juste un petit signe et basta. Mais c'est quoi cette mentalité, depuis quand on ne s'arrête plus ? Bien, je redémarre avec la sale même impression que quand tu tends la main à quelqu'un et que l'autre laisse les siennes dans ses poches. Flop. Je me pose un peu plus loin sur un terrain privé mais s'éloigner de la route est juste impossible dans ce relief, d'autre part superbe. À 3200 m, il fait carrément doux et ça change la vie par rapport aux dernières nuits. Cochabamba est à moins de 60 km, j'ai aperçu la ville au fond du trou...

Je l'atteins le lendemain dans la matinée après 25 km de banlieue à manger du gaz d'échappement. Cochabanba est agréable, aérée, avec des espaces verts et de jolies places. Je me pose dans une auberge confortable, couds ma fermeture de tente (4 heures de boulot), lave mon linge, et le lendemain visite un peu le centre, monte au Christ sur une colline surplombant la ville. Il est le plus grand, plus haut que celui de Rio, 34 m et des brouettes. Passage au marché qui occupe des hectares entiers. Repos.

Je reprends la route demain matin en direction de Santa Cruz de la Sierra. Je vais donc descendre à 200 m d'altitude dans le bassin amazonien et c'est bien ça qui m'intéresse même si je sais que je vais y crever de chaud et d'humidité et qu'il me faudra ressortir l'anti-moustique bourré de DEET. Mais j'ai envie de voir aussi ce côté là de la Bolivie, que je n'ai pas vu au Pérou (Iquitos, parc national Manu...).

À une prochaine.

 

Les Amériques à vélo couché : Une autre Bolivie

 

Bien. Départ de Cochabanba par 25 km d'agglomération encore en plat montant. Une fois à la campagne, ça a monté plus, jusqu'à 3600 m quand même pour passer le dernier « faisceau » de la « cordillera orientale ». De l'autre côté, soufflerie de face et gros nuages noirs. Je fais mes pleins d'eau tôt vers des gens adorables qui m'accompagnent sur la route et me font des grands signes en me souhaitant bon voyage. 10 km plus loin, les premières gouttes tombent. Je prends vite un chemin et deux cents mètres plus loin découvre une maisonnette avec un grand abri couvert. D'ailleurs elle est en partie ouverte, mais je suis mieux dehors sous l'abri avec vue sur le lac entouré de montagnes. Le lendemain au réveil le ciel est bleu, je pars avec les gants, la polaire et le pantalon. De 3300 m, je plonge littéralement, jusqu'à 500 m d'altitude. Entre temps j'ai laissé tomber les vêtements chauds, ai traversé les étages de végétation, ai croisé les arbres à grandes feuilles, mais au fond, en bas, il y a moins de précipitations que sur les flancs des montagnes et le terrain est sec, les arbres ont des petites feuilles et la végétation ressemble plus à une espèce de savane, toutefois verte. Alors cette descente est « décevante » dans le sens où le revêtement est mauvais, que le trafic de poids-lourds est dense, que parfois la route n'est plus asphaltée mais empierrée, bref : moyenne : 25 km/h. Je constate que le président est en photo tous les 5 km environ, sur de grands panneaux. « Je t'ai promis une 2 x 2 voies de La Paz à Santa Cruz, elle est en train de se faire, je t'ai promis un centre médical ici, ça va venir, l'eau potable là et une école ici. Je revendique encore l'accès à la mer dont le Chili nous a privé en gagnant la guerre du Pacifique mais regarde, je vends le pays aux Chinois. » Les panneaux de circulation sur certains tronçons sont en double langue : chinois et espagnol. C'est qu'il y a tant d'ouvriers chinois dans le secteur pour construire et probablement exploiter les centrales hydroélectiques (sinohydro) et les routes qu'il faut bien qu'ils puissent respecter eux aussi les consignes routières. Et puis comme ça, les Boliviens peuvent commencer à s'habituer...

En bas comme attendu, il fait chaud et humide. Le vent de face, léger, me fait du bien. 3 stations-services pour parvenir à en trouver une qui ne soit pas en rupture de stock de gazoline... Et je roule, j'abats 150 km ce jour-là et plante ma tente au bout d'un chemin forestier à 1 km de la route, très contente de moi. Il fait 27 ° C dans la tente, je transpire comme une vache à ne pas bouger, pourtant à poil. Et voilà que...

À 22 heures, un raffut dans le bois me tire de mon sommeil et le faisceau d'une lampe torche passe rapidement sur la tente. Qu'est-ce- que quelqu'un peut bien venir faire ici à cette heure ? Comme je suis à poil, je saute sur mon tee shirt. Sans être intrusif et après avoir dit bonsoir, le type me demande ce que je fais là, j'ai du mal à le comprendre. Je lui explique qui je suis, ce que je fais, il me demande si le propriétaire sait que je suis là. Non, je n'ai vu personne. Il me dit qu'il va le prévenir. J'ai affaire à un type qui fait des rondes, un gardien. Il est vrai que je suis passée sous un barbelé. Il n'est pas agressif du tout, s'en va en me souhaitant bonne nuit. Une demie-heure plus tard, ils se pointent à trois. Le proprio est l'un d'eux. Je répète mon histoire, il me demande par où je suis arrivée, me pose un tas de questions, à quelle heure... me dit que je suis sur une propriété privée, je m'excuse platement, il est très calme, les autres et moi aussi. Je n'ai pas peur. Ils sont plutôt conviviaux. Je crois que c'est lui qui a quelque chose à cacher sur sa parcelle pour qu'il la fasse surveiller comme ça. Il me demande où est l'autre. Quel autre ? Me dit que nous sommes deux. Je lui dis non, lui dis « regarde, il n'y a qu'un vélo ». Il finit par comprendre que je suis touriste. Je sors de la tente. Il rigole, me dit que je peux rester là mais que je peux aussi descendre dormir à sa maison. Ils s'en vont après qu'il ait pris mon vélo et moi devant le campement en photo dans la nuit. Le tout a quand même duré 20 minutes. Le gardien repasse un peu plus tard et commence à me baragouiner je ne sais quoi, je finis par lui dire que je voudrais juste dormir. Il me souhaite bonne nuit et je ne le reverrai plus. Je n'ai toutefois pas dormi grand chose, entre la chaleur et ça... Au petit matin, évidemment je revois le proprio avec un autre, en moto. Ils sont venus m'inviter à prendre un petit-déjeuner à la maison, me demande si j'ai besoin de quoi que ce soit, et m'accompagne à la sortie de sa parcelle...

Toute la journée qui suit est nuageuse et menaçante. Certains tronçons de route sont trempés mais je ne me fais pas mouiller. Le paysage est monotone. Toujours cette espèce de savane verte et des rivières que je coupe et qui iront tôt ou tard grossir l'Amazone. Le vent de face m'oblige à forcer sur ce terrain plat et me fatigue bien assez. Lignes droites, rien d'intéressant. Je m'arrête pique-niquer dans une station-service en construction. Les futurs exploitants sont là et m'offrent un repas... Le soir, après moult discussions sur le bord de la route, je prends un chemin et vais me perdre loin de la route. Il y a là des pâtures et des vaches mais aussi des arbres fruitiers, ananas, papayes, mangues et autres. Je sors du chemin principal et découvre un reste d'abri en chaume avec grand avant-toit. Dessous il y a des plantations en pot. J'installe ma tente sous l'avant-toit, me disant que s'il n'y a personne à cette heure alors personne ne viendra. Loupé ! Sentant soudain une présence derrière moi, je fais volte-face et découvre une petite dame qui me regarde assez fixement. Il lui manque une main et l'autre tient une machette et quelques affaires. Je m'approche, la salue et la conversation s'engage. Je crois qu'elle a eu plus peur que moi. Pour finir, Marta me fait faire le tour de sa parcelle, me fait goûter des fruits que je n'ai jamais vus de ma vie, me dit qu'elle va travailler un peu et rentrera dans la nuit jusqu'à Villa German Bush où elle habite, à 5 km. Sa main amputée est passée dans le hachoir à viande. Me dit qu'elle n'a pas peur, qu'elle a une paire de bottes. Le plus grand danger ici est la présence éventuelle de serpents et d'araignées. Me dit de ne pas circuler la nuit, que c'est dangereux. À cause de quoi ? Des chiens ! Rien d'autre. Les sourires et l'accueil des gens (de l'épicier au routier, de l'enfant au vieillard), leur curiosité, les pouces en l'air depuis les maisons ou les vitres baissées des véhicules, les encouragements, le nombre de fois où je suis photographiée ou filmée et tout le reste compensent la monotonie de cette partie de route et me fait oublier la difficulté de cette journée.

Le lendemain est fait du même bois. Le vent est encore plus fort mais le ciel est moins triste, plus lumineux et pas menaçant. La température est très agréable et contrairement à ce que je craignais fort, l'air est plutôt sec et les moustiques me laissent tranquilles. Depuis Cochabamba je vois un nouveau type de taxi : les motos. Ce ne sont plus des triporteurs mais des simples motos et le client prend place sur le siège à l'arrière, les femmes en amazone tandis que les hommes chevauchent. Les conducteurs portent un boléro fluo qui permet de les repérer et sont scrupuleusement numérotés. Ils me font TOUS signe et ont l'air de conduire très prudemment. Les gens sont vraiment « lumineux » dans ce coin, un rien et ils ont la banane, alors moi aussi ! Au moment même où je termine mon étape, le compteur affiche 35 000 km.

Encore une étape et je suis à Santa Cruz, logée par Jorge et sa famille. J'ai cru ne jamais y arriver. Plus j'avançais, plus le vent forcissait et malgré les km que j'avalais, il m'en restait toujours pour deux heures... Ça use ! Dans la maison de Jorge il y a beaucoup de monde : sa mère, son frère et ses deux enfants, un autre frère seul et Jorge avec sa femme et les 4 enfants. C'est le bronx comme dans toutes les maisons. Pour être au contact avec les gens, pas de souci, je le suis ! Chaque foyer a une ou deux pièces, toutes au rez de chaussée et organisées autour de la cour intérieure qui sert de lieu de vie. Il y a deux douches et deux toilettes pour tout le monde. Jorge, sa femme et leurs quatre enfants ont deux pièces, pas très grandes, … et reçoivent des cyclistes de passage !

De là, je suis allée voir les deux premières églises des missions jésuites. La boucle totale fait 1000 km dans l'Est de la Bolivie et en compte 7, toutes classées au patrimoine mondial de l'Unesco. Les jésuites sont venus évangéliser et ont bâti ces communautés religieuses dans les années 1750. Il y en a aussi beaucoup en Argentine, au Paraguay et au Brésil mais celles que j'ai vues ont la particularité de n'être pas en ruines... Dans ces villages, on croise des fillettes en jupe plissée blanche avec le nœud derrière, chaussettes blanches, chemisier blanc nickel. Les garçons sont en pantalon noir et chemise blanche. C'est la tenue d'école. Ils sont restés fidèles à leur nouvelle religion. Dans ce secteur, la majorité est anti-Evo (Evo Morales, le président). Sur la route depuis le bus, j'ai vu un grand nombre de charrettes tirées par des chevaux et guidées par des gens très blonds : des Mennonites. Ils sont nombreux dans ce coin et ne passent pas inaperçus en ville, tous et toutes habillées de la même manière, très stricte pour les femmes d'ailleurs. Les hommes sont en salopette chapeau. Bien, le paysage était monotone vers Santa Cruz, cultures de sésame, blé, tournesol, soja. Après, il y a eu des collines et c'était déjà plus varié. Comme on peut le voir c'est vraiment une Bolivie différente, dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Quand les hommes achètent les feuilles de coca dans un sac plastique, ils commencent par bien faire sortir l'air puis tapent dessus avec un bon gros marteau. Devant les échoppes qui vendent les feuilles il y a un ou deux billots prévus à cet effet...

Santa Cruz. ville moderne, métissage important, loin des traditions multiséculaires. Pas d'architecture, pas d'âme, la place centrale constitue le point d'orgue de la cité, j'ai vite fait le tour. Mon hôte Jorge est réparateur vélo, j'en profite pour faire une petite révision de ma monture, graisser les roulements de moyeux, changer les billes, vérifier le jeu de la cassette, du pédalier et des pédales etc...

Je repars de Santa Cruz en direction de Sucre par Samaipata et m'élève donc à nouveau. Enfin... m'élève, descends, m'élève, descends. La nationale qui relie la plus grande ville du pays à la capitale s'apparente par endroits à un chemin de champ et n'est pas encore asphaltée partout... Par contre, les paysages sont superbes, vallée encaissée dans un relief coloré, puis reliefs abrupts et végétation de cactus et acacias pour border la vallée du rio Mizque, large et verte, cultivée. Quelques villages éparpillés où je peine à trouver du pain et dois parfois aller l'acheter dans les restaurants... Tranquille quoi, je n'avais pas trop imaginé rencontrer de tels paysages. Chaque jour apporte son lot d'efforts et de fatigues mais ma foi, vu le terrain, j'avance bien. Il fait chaud la journée mais le soir la fraîcheur vient dès que l'ombre gagne. La densité de population est très faible, et encore, les gros villages sont le long de la route. Il n'y a pas bien des pistes qui partent à droite ou à gauche et j'imagine que toutes ces montagnes que je vois sont quasi désertes. Énorme. Il faut dire que la Bolivie fait deux fois la France en superficie je crois et ne compte que 11 millions d'habitants. Alors si on enlève La Paz-El Alto, Cochabamba, Santa-Cruz, Sucre et Oruro, ça ne fait pas grand monde pour le reste du territoire. Sucre est 2300 m plus haute que Santa-Cruz mais je fais plus de 7500 m de déniv positive, jouant à saute-moutons par dessus les différentes cordillères ou sierras. L'arrivée à Sucre est éprouvante encore, je croise un couple de cyclos belges qui en repartent, échange de renseignements, je sais ainsi où aller me loger dans cette petite capitale. Visite de la ville demain, jour de repos avant de remonter sur Potosi et l'altiplano... Des photos dans la galerie...

 

Les Amériques à vélo couché : Un sucré-salé-chaud-froid...

 

Les murs blanchis à la chaux de Sucre, la petite capitale bolivienne d'architecture coloniale, la rendent éclatante sous le soleil franc sur fond de montagnes ternes. Le centre ville est agréable, aéré, agrémenté de placettes arborées. Les rues autres que les artères principales sont empierrées et ça tire derrière les mollets pour monter à La Recoleta d'où l'on peut compter les églises de la ville. En dehors du centre historique classé au patrimoine de l'Unesco, c'est le chaos et l'effervescence, comme d'habitude. Sucre et ses 300 000 habitants sont perchés sur une crête, et plus exactement dans un col, il faut monter pour y parvenir, d'où que l'on vienne, situation quelque peu étonnante...

Donc en repartant, et même si ma prochaine étape sera Potosi à plus de 4050 m d'altitude, je commence par descendre. Rivières asséchées dans un paysage aride, quelques arbres rabougris, pays de cocagne, acacias et cactus. Villages rares. Après une cinquantaine de kilomètres de « up and down » meurtriers pour les jambes, la montée a réellement commencé. Petit plateau gros pignon, des kilomètres et des kilomètres à moins de 5 km/h à tirer des bords en travers la route pour ne pas mettre pied à terre. C'est que j'ai lourd à traîner : sachant que je n'atteindrai pas le sommet le jour même, j'ai mes pleins d'eau et la nourriture jusqu'à Potosi que j'atteins au bout de deux jours contre un vent glacial et violent.

Potosi (4050 m) est mondialement connue pour sa mine mais il y en a partout dans le secteur, et toutes aussi « modernes ». La montagne qui domine la ville, le cerro rico (la montagne riche), porte bien son nom. C'est la plus grande mine d'argent du monde, mais on y trouve aussi du plomb et du zinc, entre autres. Cela fait près de 5 siècles que les hommes la percent dans tous les sens pour en extraire le précieux métal. J'ai visité cette mine. Germinal. Rien n'a changé. On rentre par des trous de souris, les boyaux sont étroits et la plupart du temps ne permettent pas de se tenir debout (les Boliviens sont plus petits). Tout ça tient par l'opération du Saint Esprit, c'est pire qu'un Emmental. 32 coopératives se partagent le fromage. Les hommes travaillent pour les coop, qui prélèvent une part du salaire pour leur assurer un semblant de couverture sociale, ils doivent acheter eux-mêmes leur tenue de travail ainsi que la dynamite... Leur espérance de vie est inférieure à 40 ans. Et ils percent, et ils creusent, au burin, à la dynamite, sans s'occuper vraiment de ce que fait la coop voisine, chacun décide, en suivant les veines et son expérience. Pas de plan, aucune supervision de l'ensemble... Un de ces jours la montagne s'effondrera sur elle-même, ce n'est pas possible autrement. Les mineurs extraient le minerai soit dans un sac à dos en grosse toile, soit à la brouette jusqu'à des cheminées où il est hissé depuis l'extérieur à la poulie, soit encore dans des chariots sur rails, tirés et poussés à la force musculaire. Pas de lumière dans la mine, juste les lampes sur les casques, pas d'extracteur de poussière, aucun renforcement des galeries à part à un endroit où il y a une voûte de l'époque coloniale, et la roche est très friable. Il faut parfois ramper et se contorsionner pour accéder à certaines galeries, escalader ou emprunter des échelles en bois branlantes. Les veines d'argent sont énormes, j'en ai vu de 7 cm de large, ça brille de partout, c'est incroyable. Les mineurs travaillent quatre jours par semaine. J'ai visité un samedi, seul un mineur était au fond, en train de mâcher des feuilles de coca. Ils ne se nourrissent que de ça dans la mine. Et puis il y a le Dieu de la mine, présent un peu partout sous différentes formes, des statues. Alors il faut faire les offrandes à chaque fois, lui donner de la coca, le faire fumer et lui verser un peu d'alcool à 96 degrés, pour protéger ceux qui rentrent dans la mine et surtout leur permettre d'en sortir autrement que les pieds devant. Notre guide n'a pas su dire le tonnage de métal précieux extrait chaque année ni nous parler du processus de « raffinage ». Il y a 25 ans, j'avais visité la mine monstrueuse de Kiruna en Suède, que tout sépare de celle de Potosi !

Une fois sortie de cette montagne tueuse d'hommes et qui en même temps fait vivre toute la ville, j'ai visité le centre. Rues en pente très étroites et congestionnées de bus qui crachent noir et asphyxient les piétons. Murs blanchis à la chaux, jolis restes coloniaux, des églises à tous les coins de rue, balcons ouvragés, colonnes travaillées, frontons sculptés, patios merveilleux. Le centre historique classé par l'Unesco a du charme.

Je me dirige ensuite vers Uyuni. Il y a 6 ans, nous avions traversé le salar mais n'étions pas du tout passés à Uyuni. Ce sont encore des montagnes russes à plus de 4000 m et avec un violent vent de face pendant deux jours et demi. Je n'avance pas vite, le souffle est un peu court. Les paysages sont somptueux, les vigognes, lamas et alpagas me regardent passer de leur air affreusement hautain et dédaigneux... La route est neuve, du velours, et il n'y a pas de trafic. Je dois avouer qu'il me faut un peu de mental pour cette partie, le vent m'use et me bouscule. Les rafales me déstabilisent régulièrement. Quand je le prends de face, je suis scotchée. Le sable, oui le sable, les débris, les sacs et les bouteilles plastiques, tout vole, traverse, roule. Quand la nuit tombe, le vent fait de même. Pas toujours simple dans ces paysages sans un arbre de trouver un endroit à la fois à l'abri du vent et des regards pour poser le camp. Le souci est que le sol est sableux et qui dit vent dit sable qui vole, ce qui n'arrange ni la transmission de mon vélo, ni les fermetures éclairs et qui fait crisser parfois les pâtes sous la dent. Beurk. Dès que le soleil disparaît la température tombe en négatif.

Bref, j'arrive à Uyuni par en haut et la vue sur le salar vaut le coup d'oeil. Impossible de rendre la réalité en photo. J'arrive en ville, que je croyais moins grande. La première station-service est en rupture de stock, heureusement pas la seconde. Je file ensuite voir le cimetière des trains, y trouve des centaines de touristes qui jouent les vagabonds du rail à grimper et sauter sur les carcasses en ruine, prends quelques photos et me sauve bien vite. Ravitaillement en nourriture et quelques enpanadas plus tard , je sors d'Uyuni. Et cette-fois ci le terrain est plat ou quasi et j'ai le vent dans le dos. Bonheur... Je fais mon plein d'eau à la pompe d'un village fantôme et profite des grands espaces encore. Des centaines de vigognes sur fond de dunes de sable à 3800 m, ce n'est pas tous les jours. Sols salins, couleurs, cônes parfaits de lointains volcans en arrière-plan. Et des reliefs qui flottent, comme les vigognes, comme tout ce qui dépasse, toujours un lac au fond, que je n'atteins jamais et pour cause... illusion d'optique, mirage. Cinq véhicules par heure, route neuve ici aussi... Je campe dans un silence parfait sous une voûte étoilée où nulle pollution lumineuse ne vient altérer la pureté. Et pas de vent, pourtant je suis à plus de 3800 m. Un petit scorpion s'invite sous l'abside, qui ne deviendra jamais grand...

Le lendemain, le festival des paysages somptueux continue, le terrain devient vallonné, je ne fais que 38 km pour parvenir à Atocha, ville minière encore, lovée au fond d'un trou dans un relief coloré et extravagant. On connaît Potosi mais les conditions de travail sont les mêmes dans toutes les mines de Bolivie : désastreuses. Je suis logée par « Chiki ». Enfant du village, il vend et répare des smartphones et rêve d'acheter un combi Volkswagen pour prendre le large. Ma piaule est au dessus du logement (plutôt de la tanière) de sa grand-mère Pas de chauffage bien sûr, mais pas non plus de toilette, donc sommaire, voire spartiate, porte en bois tout juste digne d'une remise à outils, une pièce borgne. Lourdes a 80 ans, ne peut plus bouger de son lit, la nuit la température dans les maisons est quasi la même que dehors, les fenêtres quand il y en a laissent passer le vent. Pour accéder à ce « logement » il faut grimper un sentier de caillasses et d'ordures. Mais c'est sûr, la vue sur la ville est magnifique. Cette vétusté et ces conditions de vie me laissent un peu abasourdie, dans quel monde vivons-nous ? Et ils aident les cyclos... Je prends encore une claque. Les centaines de chiens des rues se répondent pendant des heures. Et pourtant, bourgade paumée au milieu de ce désert tant humain que géographique, Atocha dégage un certain charme, la vie est animée et je m'y sens bien.

L'étape du lendemain me fait d'abord traverser la Cappadoce, puis entrer dans le far west bolivien. Journée difficile, grosse dénivelée à plus de 4000 m mais les paysages laissent baba une fois de plus, variés et colorés, tellement grands. Un seul village, petit. Craignant de ne pas l'atteindre, j'ai fait signe à trois véhicules pour avoir de l'eau alors que je poussais ma monture sur la piste trop raide. Les trois se sont arrêtés et m'ont donné de l'eau, avec un grand sourire en prime. Le soir, redescendue à 3300 m au milieu de formations rocheuses rouge et sculptées par le vent , les seuls arbres susceptibles de me tenir à l'ombre sont des énormes cactus... Je pense que c'était la dernière fois que je passais les 4000 m pour ce voyage. Je peux ranger les habits chauds, je pourrais me débarrasser de la moitié du poids de mes fringues enfin... je croyais !

Début de journée lent à cause des photos que je prends des environs de Tupiza. Le far-west vous dis-je. Et pour arriver à Tupiza il me faut passer des gués car la route est tombée dans la rivière. À Tupiza les agences proposent des balades à cheval dans les canyons, mais à chaque fois je suis déçue quand je visite les canyons en étant au fond, et puis ça fait deux jours que la route se faufile entre les roches... Je suis dans le paysage à vélo et profite un max comme ça. Je dois aller au centre pour acheter à manger et me renseigner sur la meilleure option pour aller à Tarija, le pays des vignes... Toutes les personnes à qui je demande m'envoient par la même route, c'est déjà ça, et ce n'est pas celle que j'aurais prise sans demander... Cependant, je dois tout de même me hisser encore une fois à 4262 m, le tout sur une piste, heureusement assez roulante mais je dois pousser parfois car la pente est trop raide. Les paysages compensent la difficulté, tellement différents de ceux du matin ou des jours précédents. Le seul point commun : l'immensité que j'aime tant. Arrivée en haut, je suis trop contente de me dire que c'était le dernier gros relief sauf que... plongeon à 2300 m et en arrivant à El puente où je me renseigne sur la tronche de ce qui m'attend on me dit que pour aller à Tarija, il y a encore une montagne, puis une descente... Ça n'en finira donc jamais !

Bien, allez, je me dis que je ne mettrai qu'un jour pour aller à Tarija. Je me lève tôt et constate... un pneu à plat. Ça commence donc par une crevaison à réparer. Et du gros relief encore dans des paysages toujours aussi grandioses sur cette route plus que tranquille. Montée à 3300, descente à 3000, remontée à 3600 m, pique nique, montée et... je ne vois plus la route plus haut dans la montagne. Ah... tunnel, et voilà je bascule sur la vallée de Tarija. Entouré de vallonnements glabres, le fond est vert et couvert de vignes. Je vois des panneaux « Route des vins ». Contraste sidérant ! Je suis vite en ville où je resterai au moins deux nuits avant de rejoindre Villamontes (300 m d'altitude mais 5600 m de positif pour m'y rendre en 238 km, ça va tirer dans les jambes...), dernière bourgade bolivienne avant d'entrer au Paraguay !

Je ne parle guère de mes contacts avec la population . Cependant, dans chaque hameau ou village traversé, j'ai des contacts, avec les automobilistes aussi car ils sont nombreux à s'arrêter ou ne serait-ce que ralentir à ma hauteur pour me poser quelques questions. Si toutes ces « rencontres » sont éphémères elles n'en sont pas moins importantes et motivantes. Rouler à vélo sur les routes boliviennes est un plaisir, ils sont respectueux et calmes, comme dans leur vie en général. Et c'est agréable...

80 nouvelles photos dans la galerie.

 

Les Amériques à vélo couché : La Transchaco. Bolivie-Paraguay

 

Donc Tarija, la région des vignes et … du vin. Alors à moins d'aller explorer la vallée, ce que je n'ai pas fait, on ne voit pas un cep. Le centre-ville quant à lui est très vite visité. Le marché est installé dans un bâtiment flambant neuf, on dirait un centre commercial. Mais quelle chance, quelle chance de ne pas être sur le vélo ce jour là, quelle chance d'avoir juste à passer des heures sur internet pour préparer la suite car il est tombé des trombes d'eau à partir de 14 heures. Le WS qui devait m'héberger passe me chercher et nous allons manger dans des gargotes quelques spécialités locales.

Dernier tronçon avant El Gran Chaco, auquel je pense depuis un moment. Un peu plus de deux jours dans les montagnes encore, même si je suis à plus basse altitude. Piste, randonnée pédestre et poussage de vélo sur la piste sable/pierres non compactée. Il commence à faire chaud, je descends peu à peu, et je renoue avec les saunas sous ma toile de tente. Ce n'est que le début. Je me débats avec les mouches qui se posent sur mes yeux ou mes lèvres, entrent dans mes oreilles, dans mon nez... Mais ce ne sont pour l'instant que des mouches !

Et puis au sortir d'une gorge dans laquelle la piste étroite est taillée dans la falaise, je débouche dans ce fameux El Chaco. Villamontes, porte d'entrée de ce quasi désert humain, est une petite bourgade animée le matin et en fin d'après-midi. Entre-temps, les heures sont trop chaudes. Ne rien faire suffit à être liquéfié.

El Gran Chaco se trouve à cheval sur l'Argentine, le Paraguay, le Brésil et la Bolivie. El Chaco fait peur aux gens. Ils espèrent le meilleur, mais sont préparés au pire. Les gens me disent que je vais souffrir et qu'il n’y a rien, mais rien du tout ! Lorsque j'ouvre les carnets de voyage pour vérifier, les mêmes mots apparaissent. «Ne partez pas seul» est écrit en lettres claires. Je trouve cependant une mine d'informations sur le site de deux cyclos que j'ai rencontrés au Pérou, beaucoup moins pessimistes et alarmistes. Je pars aussi bien préparée que possible sur mon vélo pour ce qui s'appelle «l'enfer vert». De Villamontes en Bolivie à Asuncion au Paraguay. La route la plus courte et la plus excitante, 940 km. Pumas, anacondas, tigres (le nom donné ici aux jaguars) crotales, moustiques et autres sympathiques bébêtes peuplent ce territoire surchauffé absolument plat. J'ai confiance car j'ai tous les éléments en main, mais bien sûr, j'ai peur. Peur de la chaleur, peur de manquer d'eau, peur des pumas et des jaguars, peur de ne pas être capable de faire les étapes prévues afin de dormir « en sécurité ». 940 km dont 366 au début sans village, le tout par 40°C à l'ombre... mais sans ombre !

Quand je quitte l'hôtel, la tête que fait la femme de ménage qui apprend où je pars donne juste envie de ne pas y aller... Cependant, on commence par m'offrir mon petit demi-litre d'essence à la station. Je sais que j'ai ensuite 23 km de piste « horrible » qu'il faudra faire à pied. Galets dans du sable profond... Miam miam. Les deux cyclos étaient catégoriques : prends un véhicule. Sauf qu'avant que ce soit autre chose qu'un camion citerne qui passe, j'ai déjà fait 5 km, et encore il faut que j'insiste un peu pour que ces gens au boulot m'emmènent 18 km plus loin avec leur voiture de service. Mais j'y gagne de l'eau fraîche et des explications. L'asphalte date d'il y a six ans, mais alors une affaire de corruption a éclaté avec le Président de la région, les travaux se sont arrêtés et l'entreprise a fait banqueroute... Ceci vient de se terminer et les 23 km manquants sur 126 seront bitumés en décembre de cette année.

Donc ils me posent à l'autre bout, sur le macadam. Un ruban gris qui part droit devant dans une immensité vert clair. Quand la route passe un peu en hauteur, je vois sur ma droite un large fleuve. Les oiseaux multicolores, les colibris, les pics, les vaches dans la forêt dense... tout me fait sursauter. J'ai ma bombe lacrymo dans mon short à portée de main (testée sur un chien qui s'approchait un peu) et mon antivol de vélo qui peut servir de matraque facilement accessible. À cause des pumas puisqu'il faut se défendre s'il attaque et ne surtout pas faire le mort. En fait les jaguars sont beaucoup plus dangereux, normalement le puma se sauve, mais le jaguar attaque. Bien, je change mes Bolivianos restants en Guaranis à Ibibobo. Mes 20 euros qui faisaient 173 Bolivianos deviennent 130 000 Guaranis. Je n'ai aucune idée de ce que je vais pouvoir faire avec cette somme mais il faudra que j'aille jusqu'à Filadelfia dans 380 km avant de pouvoir trouver un DAB. Un peu plus loin je profite d'un hameau en ruines et donc de l'ombre pour manger un morceau et... réparer une crevaison. Je colle une rustine à cheval sur une autre tout près de la valve... ne me fais pas trop d'illusions.

Au bureau d'immigration je commence par demander s'ils ont un endroit où je pourrais poser mon matelas. Là, dans un coin de la salle climatisée je peux m'installer, à côté il y a les douches et les toilettes et l'eau potable. Nous serons 6 à y dormir. Il n'est que 13 heures mais j'ai abattu mes 126 km et les 118 suivants sont déserts. Discussion tout l'après-midi avec le policier qui se souvient très bien des deux cyclos qui ont laissé un super bon souvenir de leur passage : merci ! Comme je connais tout le monde il ne m'est pas très difficile de faire tamponner mon passeport à cheval sur le pli central pour garder toujours deux pages libres pour le Brésil (?). Les types me confirment qu'un puma, s'il a faim, pourrait aussi attaquer un homme. Eux ne camperaient pas. En journée le puma ne chasse pas, seulement aux crépuscules, matin et soir. Et puis surtout il y a ce jaguar, qui s'en prend même aux vaches. Dans le hall de la douane se succèdent les familles de Ménnonites qui peuplent en grande partie El Chaco. Ils me regardent avec plus de curiosité que les Paraguayens. Mais qu'ils sont stricts. Le policier me dit toutefois que certaines communautés ont fini par adopter une automobile et des tenues plus décontractées. Ils ne se mélangent pas trop avec les Paraguayens sauf plus bas, à partir de Filadelfia, Lomo Plata, villes dont ils sont à l'origine et où il y a du métissage. Super première journée, je n'ai pas souffert du chaud et vais dormir au frais, suis douchée ! Luxe !

Jour 2. Le vent s'est levé pendant la nuit et il ne m'aidera pas en ce second jour de Chaco. Journée de lutte, journée infernale. Forte chaleur (40°C), vent du nord-ouest qui brûle les jambes, le visage, les mains, vent qui sèche les lèvres, la gorge. Les contacts au niveau du pied/pédale prennent feu et m'obligent à m'arrêter régulièrement. Vent qui me mine le moral, dans les 40 km/h bien tassés je pense, et plus pour les bourrasques. Il FAUT aller à La Patria, 116 km. En ce jour de rallye Transchaco, beaucoup de véhicules (enfin... c'est relatif), et du coup pour les trente derniers kilomètres où je plafonne à 12 km/h, j'aurai régulièrement des boissons bien fraîches et ce n'est pas de refus. Arrivée à La Patria vers 14 h 30, pas une chambre dispo, tout est plein à cause du rallye, la police n'est d'aucun secours, je dois planter ma casba. Je parviens à manger après avoir récupéré un peu. Je change de direction ici, espère que demain sera plus facile car je n'irai pas au bout comme ça. Je sais aussi que demain j'aurai 23 km de mauvaise piste sur 124... Pour l'instant, la traversée du Chaco tient sa réputation... Et 36°C dans la tente une fois la nuit tombée. L'air est relativement sec et c'est déjà ça. Contrairement à toute attente je dors comme un gros bébé dans mon jus.

Jour 3. Je pars à 6 heures, vent trois quarts dos. J'avance bien. Les parties mauvaises ne négocient sur le vélo même si ça secoue fort. Les spectateurs du rallye me doublent alors que le Chaco devait être désert sur cette partie... Je ne risque aucune mauvaise rencontre dans ces conditions, mais ça ôte un peu à l'aventure ! Certains s'arrêtent pour me donner de l'eau froide, d'autres montent à ma hauteur et me prennent en photo sans dégoiser un mot. Ces derniers ont un beau doigt d'honneur sur leur image ! Les autres un grand sourire. Je croise des vols de criquets. Ils volent mal et sont énormes, je frôle la collision plusieurs fois mais... j'ai mon casque ! Arrivée à Mariscal au terme de mon étape, c'est le même bazar qu'hier, tous les hospedajes sont pleins, il fait une chaleur à tomber, je vais voir à la police qui n'a que des locaux sommaires, vais voir au camp militaire où je poireaute deux heures (à discuter avec les gens) pour avoir une réponse négative alors que je sais qu'il y a de la place (parole de planton), et termine mes investigations à l'hôpital où je dors dans le cabinet climatisé de la pédiatre. J'y fais une chasse acharnée aux moustiques qui y vivent par centaines. El Chaco tient sa réputation... Les gens sont super sympas, j'apprends sur les Guaranis, les Mennonites, les Paragayens, les indigènes qui vivent au fond du territoire de manière autarcique. Entre eux les gens parlent Guarani, mais savent tous l'espagnol. Une grosse cause de mortalité du bétail est le crotale et autres rampants venimeux. Voila 366 km de faits en trois jours, j'avance bien et vois plus de signes de présence humaine que je ne m'y attendais. Pas une piqûre de moustique et deux nuits avec la clim. Jusque là... tout va bien. L'eau ici à Mariscal n'est pas potable car elle est salée, comme dans quasi toute la région.

Jour 4, il fait très chaud dès le petit matin et j'ai un peu les jambes en coton, alors je gère. Par une piste, je raccourcis la distance jusqu'à Filadelfia, capitale de ce Chaco immense. Je croise des blonds sur des tracteurs, des blondes sur des vélos, les noms sonnent allemand. À 10 heures je suis en ville. Alors que je cherche à me loger, je rencontre deux types en train de boire une bière, on discute, l'un me dit avoir un ami français ici, il l'appelle, et je suis logée dans une petite chambre avec clim, eau fraîche, douche à dispo, wifi, enfin tout et plus... Jean parle français mais ce sont ses parents qui sont venus ici en 1972. Ils ont laissé la France pour aller en Argentine mais la situation de ce pays s'est détériorée avant qu'ils n'y arrivent, donc ils sont restés au Brésil un peu, puis ont migré au nord de Conception au Paraguay (coin paumé s'il en est) mais tout a été emporté par une crue du Rio Paraguay et ils sont alors venus dans El Chaco. Agriculteur éleveur de veaux, pour la viande, aujourd'hui Jean a des milliers de vaches et plusieurs fermes. C'est énorme. Il se déplace d'une de ses estancias à l'autre en avion, il est pilote. Après autorisation, il défriche en partie les terrains qu'il acquiert (une partie doit rester boisée c'est la loi) puis met des bêtes et des bâtiments, quelques hommes et étend ainsi sans arrêt ses propriétés. Il a interdit la chasse sur ses terres. Il gère 20 personnes. Homme d'affaire, il regarde du côté de la Bolivie où les procédures administratives sont moins lourdes. Merci à lui et son amie pour leur accueil spontané.

Filadelfia est un peu blanche, un peu métisse, un peu Guarani, un peu tout mais les pionniers du Chaco, ce sont les Européens, les premiers à être venus s'installer sur ces terres reculées au climat difficile. Les Paraguayens y sont venus après. Les Mennonites parlent allemand, mais il semble qu'ils se mettent à l'espagnol... Les rayons du supermarché comme je n'en avais pas vu depuis longtemps sont blindés de produits d'importation à prix raisonnable. Ma première impression de ce pays qui est pour moi une grande découverte est vraiment bonne. Je m'y sens bien, les gens sont calmes, souriants, polis, gentils, c'est encore différent de la Bolivie, ils sont moins timides, plus curieux. Ce soir il fait de l'orage... et j'ai passé les 37 000 km juste à l'entrée de la bourgade.

Jour 5, la température a littéralement chuté, 13 degrés en moins. Le vent a tourné et vient maintenant du sud, de l'Antarctique. Une de ces deux choses m'arrange, l'autre non ! Journée monotone à en crever, le macadam secoue trop, est bien déchiré par endroits. Pause repas à Cruce de Los Pioneros. Les jambes pourraient tourner mieux, j'ai l'impression que ma transmission est encrassée. Dans le village d'après, les gens me disent que le bord de route est régulièrement habité, pas de souci pour trouver de l'eau. Et puis le site des deux cyclos dit aussi une ferme tous les 10 km. Je n'ai rien eu, mais rien eu du tout avant d'arriver à Rio Verde à passé 16 h 30, après 137 km...Si, j'ai eu des marais, des oiseaux par centaines avec des grandes pattes et des longs becs. J'ai vu des panneaux « Attention traversée de singes » et aussi d'autres « Attention traversée de crocodiles », et de fourmiliers aussi. La première maison de Rio Verde est l'école, il y a du monde. Je suis logée dans une salle de classe et y monte ma tente à cause des moustiques. Je termine juste de tout faire avant la nuit. Enrique l'instituteur a 24 élèves en tout et assure à lui seul 6 cours. Les petits viennent le matin de 7 à 11 h, et les plus grands de 13 à 17 h. Enrique vit sur place avec sa famille, il faut voir dans quelles conditions... Le puits est énorme et les vaches entretiennent le terrain de sport la nuit.

Jour 6 : Les grands signes des gamins m'accompagnent au départ. Journée nuageuse voire menaçante par moments. Toujours pareil pour le paysage. Deux fourmiliers, une vache et plusieurs renards morts au bord de la route. Le trafic s'intensifie au fil des kilomètres. Pause empanadas à Pozo Colorado où je passe le tropique du Capricorne, pause pique-nique 21 km plus loin, les employés de la station-service viennent me faire la causette les uns après les autres. Je laisse passer quelques gouttes et continue. Je file direct à l'école de Montelindo où je suis reçue à bras ouverts, au terme d'une étape de 118 km. Il est tôt, nettoyage de ma transmission puis présentation de mon voyage aux 50 élèves présents l'après-midi. L'équipe d'enseignants est super. La conversation se poursuit après les cours. Alessandro et sa femme Sonia gagnent chacun 2 fois le SMIC paraguayen, cela suffit à vivre correctement mais sans plus. Ils ont deux filles et là encore, le logement de fonction pourrait à la limite servir de garage ou de remise chez nous. Mais pour ici c'est luxe. Ils me filent des infos et conseils pour la suite et ce sont enfin les premiers à me dire qu'à part les serpents, El Chaco n'est pas si dangereux, surtout aux abords de la route, que les gens d'ici dorment à la belle à la campagne sans tente, bref, qu'on en fait peut-être un peu trop... Ceci dit, le terrain n'incite pas à camper, les panneaux en bordure de route non plus...

Jour 7 : Encore de grands signes à mon départ ce matin. Le vent est déjà debout, bien en face, et tant qu'il sera comme ça, il ne fera pas trop chaud. On ne peut pas tout avoir... Les kilomètres défilent, mon objectif est d'aller dormir au km 106 (de Asuncion). Les alentours de Rio Negro sont tellement infestés de moustiques que je ne m'arrête même pas pour boire ou prendre quelques photos. J'étais prévenue. Plus loin, quelques haltes brèves enrichissent mes connaissances de cette région, de ce pays. Je vois beaucoup d'oiseaux mais malheureusement, et évidemment, si je passe ils ne bougent pas, si je m'arrête pour tenter une photo, ils se barrent... Au km 106, il y a un petit magasin et un resto au bord d'un étang, je sais que je peux y poser ma tente et qu'il y a de l'eau et à priori aussi moyen de prendre une douche. Les proprios des lieux, qui ne sont pas les exploitants, sont supers. Myriam est d'ici, Marco est Franco-Suisse par ses grands parents. Son père est venu s'installer ici pour fuir la Seconde guerre mondiale qui faisait rage en Europe (et ailleurs). Marco a grandi ici, il ne parle pas français. Je passe l'après-midi à discuter avec eux, elle me fait une lessive machine (enfin... machine d'ici, cad sans rinçage ni essorage). L'école la plus proche est à 55 km, les gamins se tapent l'aller-retour tous les jours, les cours commencent à 7 h. Les heures passent, je veille toutefois à faire tout et rentrer dans ma tente avant l'arrivée des suceurs de sang. Voyant que je n'ai pas de viande au menu du soir, Myriam m'apporte un sandwich avec tomates, steack, salade. Les Paraguayens sont carnivores ! Et je suis donc à 106 km de la capitale... Cela fait trois jours qu'on me dit qu'une fois passé le pont du Rio Paraguay avant Asuncion, j'entrerai dans un Paraguay tout différent...

Jour 8 : 57 km de désert vert bordé de palmiers épars dans des champs spongieux avant d'arriver à El Cerrito. Changement radical. A partir de là, les agglomérations se suivent et la densité humaine s'intensifie. L'épicier me fait cadeau de mes tomates, les gens viennent toujours discuter avec moi et je pédale le bras en l'air. Le pont sur le rio Paraguay mesure 1400 m, je vois Asuncion dans la brume. Large fleuve boueux dans le vert partout alentour. Je prends l'avenue côtière pas encore terminée pour rejoindre plus facilement le centre où je me loge en auberge. Nous sommes deux dans l'établissement, c'est calme.

C'en est terminé de ce Chaco qui restera gravé. Je m'en sors très bien, n'ai finalement eu trop chaud que les 4 premiers jours. Le vent m'a fait mal aux jambes, je n'ai pas une piqûre de moustique et n'ai manqué de rien. Les gens sont d'une humilité et d'une gentillesse incroyables. Cette région riche d'histoire récente (implantation des gens et guerre du Chaco avec la Bolivie) est une surprise pour moi, ce pays relativement méconnu est pour le moment un enchantement au niveau des contacts avec la population si hétéroclite.

Un peu de repos à Asuncion, préparation de la suite... et les  photos sont dans la galerie.

 

Les Amériques à vélo couché : Paraguay – Argentine Missiones - Iguazu

 

Asuncion m'a fait penser par endroits à Cuba. Mélange de ruines, de murs éventrés, de colonnes coloniales, de balcons en fer forgé, de constructions modernes sans style ni âme, de murs taggés que les arbres poussent et menacent de faire choir, de graffitis. Macadam troué. Un mélange de La Havane et d'ex URSS. Un palais planté au milieu de pelouses bien vertes surprend par son faste avec la décrépitude en arrière-plan. La capitale paraguayenne est moche. Même le centre-ville historique, à part ses deux places arborées, ne ressemble à rien. Quelques peintures murales géantes égayent cet univers pour le moins déprimant, et sale. Mon séjour dans cette ville fut court, et glauque. J'étais seule cliente à la confortable auberge, le soleil ne s'est guère montré. La visite du centre et du quartier de l'Estrella ne m'a pris que quelques heures. C'est le festival de jazz, je n'avais je crois, jamais entendu un orchestre de la police jouer du jazz. Une vingtaine de musiciens... ça envoie ! Renseignements pris, c'est le « Jazz band » de la police municipale où travaillent pas moins de 5000 fonctionnaires.

Le lendemain, gros orage dès le matin, la rue en pente est un véritable torrent mais je suis motivée. Dès que la pluie cesse, j'enfourche mon engin et j'aurais mieux fait de rester couchée. À peine sortie du boulevard « Costanera » qui longe le rio Paraguay, la pluie reprend, ça flashe de partout, je cherche à me mettre à l'abri et ce n'est pas simple. Quartier résidentiel, grosses baraques sous surveillance vidéo, j'ai beau faire coucou devant les caméras... nan je déconne. J'atterris à la police après avoir pataugé un moment dans 20 cm de flotte et le commandant me propose le dortoir... qui ressemble à un entrepôt de lits. Encore une fois, pour eux c'est luxe : sol carrelé, lumière, ventilos. Je monte ma tente, seule protection efficace contre les moustiques, entre deux lits en ferraille. J'ai fait 15 km, ne suis même pas sortie de la ville, godasses et fringues trempées et qui ne sécheront pas d'ici un moment. Les policiers sont super gentils, ils font ce qu'ils peuvent pour m'aider. Il n' a pas arrêté de pleuvoir, ce qui condamne pour les jours suivants la moindre centaine de mètres hors macadam. Je revois ma copie... et regrette d'avoir quitté l'auberge, trop optimiste.

Au réveil le lendemain, la pluie battante martèle le toit, les rues sont sous l'eau, les bouches recrachent au milieu des avenues, mais ça se calme rapidement. La police me donne deux grands sacs poubelle pour emballer mes sacoches et je pars en ayant contacté un WS 95 km plus loin. Je fais le détour par le lac Ypacaraï. Long de 10 km, ses rives sont sauvages. Le plus grand lac du pays a son nid dans un écrin de verdure. Plus loin les vallonnements commencent et en s'élevant un peu, la vue permet de mesurer l'immensité verte, seule couleur visible au sol sur des centaines de kilomètres carrés. Des collines un peu plus hautes interrompent par endroits cette horizontalité végétale. Je fais le détour par la basilique de Caapucé, bof, et laisse passer les nuages noirs à Piribebuy pour arriver sans m'être faite mouiller chez mon hôte qui est d'ailleurs venu à ma rencontre. Et je suis bien... Il a plu beaucoup aujourd'hui ici, autrement dit, je suis passée entre les gouttes toute la journée.

 

Le jour suivant, je pourrais pédaler mais j'ai l'impression de tirer une charrue plus que de chevaucher un vélo depuis plusieurs jours, un nettoyage sérieux s'impose. La chaîne est encrassée, le galet de dérailleur a du jeu, ma cassette traîne une livre de sable, j'ai perdu une pièce de pédale dans le Chaco et dois la remplacer (en ai trouvé une à la capitale), même la direction est encrassée. Je démonte, nettoie, remonte... et espère que le pédalage sera plus facile. Et lave mon linge. Le contact passe super bien avec mes hôtes. Bien décidée à partir le lendemain, je reste cependant plantée, les orages et gros coups de vent se succèdent... Il va sans dire que j'ai abandonné toute idée de sillonner le pays par les pistes de terre, mon itinéraire et mes visites dans ce pays se réduisent comme peau de chagrin. Moi qui pensais souffrir de la chaleur, je subis un déluge que les habitants attribuent au changement climatique. Mes hôtes me gavent de bonnes choses, la maison est seule au milieu des arbres au sommet d'une colline (440 m d'altitude) d'où la vue s'étend loin et permet de voir arriver grains et tempêtes, à 10 km du plus proche village. Le seul véhicule de la maison est le vélo d'Hugo. Les discussions vont bon train, il y a pire comme endroit pour apprendre et me reposer...

Bien, 130 km plus loin au sud, je tente au centre de santé pour me loger et il se trouve que la toubib est mariée à un Français installé ici depuis 30 ans. Me voici donc à la maison. C'est un vétéran de la guerre d'Algérie, 80 ans, sa femme est adorable... Le paysage est toujours monotone, ce ne sont pas les pauses photos qui me retardent. Mon vélo roule beaucoup mieux depuis son nettoyage. L'accotement n'est pas toujours praticable et la route est étroite, pourtant il y a de la place autour... Comme d'habitude, seuls les conducteurs de poids-lourds sont irréprochables. La mentalité a un peu changé. Je trouve refuge le lendemain dans une pièce vide dans un poste de police après 100 km et juste avant un nouvel orage carabiné. Ouf, au sec, douche, tout bien. Je suis sur la route des missions jésuites, dans chaque village il y a une église et un petit musée en retraçant l'histoire. Les villages, même petits ont tous une épicerie bien achalandée.

Pour m'écarter de cette route passante, rouler le long du Rio Parana et voir San Cosme y Damian, je fais un grand détour. Mais entre le fleuve et la bande d'asphalte il y a une digue, on ne voit jamais le fleuve. À San Cosme y Damian, je suis logée chez les pompiers. Ça faisait longtemps... J'ai une pièce et un lit, douche et cuisine... J'en ai bavé pour venir là, ciel menaçant, bas et moche, quelques gouttes, très fort vent de face ou latéral, et fraîcheur humide. Petite journée de 78 km, mes jambes sont fatiguées. Aux ruines restaurées de la mission jésuite, la visite commence par l'histoire de l'astronomie de l'hémisphère sud, qui a commencé ici même. L'astrolabe est superbe et permet de comprendre en un clin d'oeil les ciels nocturnes d'après la latitude et l'époque de l'année où que ce soit sur la planète. Jolis gnomons et cadran solaire, planétarium, vidéos documentaires... Il y avait des bus entiers venus pour visiter, on m'a demandé si je comprenais l'espagnol. Comme d'habitude j'ai dit « oui, si tu parles lentement », et du coup j'ai eu un autre guide pour moi toute seule... Attentionnés ! Le billet comprend aussi la visite de Jesus et Trinidad à 120 km d'ici, c'était prévu que j'y aille... Les pompiers m'ont gavé et ce matin à la station-service, la bouteille pour mon réchaud a été remplie gratuitement. Du coup j'en perds mon latin parce que sur la route ce sont quand même des bons gros connards !

Après une journée encore trop grise et vent de face, j'arrive à Encarnacion sous la pluie (et donc affublée de mon sac poubelle qui me sert d'imperméable sans manches) et sans avoir fait le détour par Trinidad et Jesus. Encarnacion est au bord du large fleuve Parana qui descend du Brésil, chute au niveau d'Iguazu et va se jeter dans l'Atlantique entre Montevideo et Buenos Aires. Je trouve refuge chez les pompiers « bleus ». La visite des ruines des missions jésuites de Jesus et Trinidad se fait le jour suivant en bus, en stop (c'est un motard très prudent qui me prend pour 11 km), en taxi, bref comme je peux. Jour de repos pour les jambes qui en ont grand besoin. Ces ruines sont assez impressionnantes par leur taille, notamment Trinidad. À chaque fois, une guide m'accompagne au début pour les explications puis s'éclipse et me laisse flâner entre les vieilles pierres. Au retour je visite Encarnacion qui fait la fierté des Paraguayens. C'est sûr qu'à côté du reste, c'est propre, aéré, vert et la large avenue « Costanera » qui longe le fleuve dénote par rapport au reste du pays. Cependant il n'y a pas grand chose à voir. L'eau du rio Parana est bleue, celle de ses affluents est de la couleur de la terre d'ici, rouge.

Plus je suis descendue au sud dans ce pays moins j'ai trouvé les gens sympas et ici, je ne me sens carrément pas à l'aise. Les gens, les pompiers, la police, les commerçants... j'ai l'impression que tout le monde est dédaigneux, le sentiment de passer pour une demeurée, une débile... Ils rient grassement sur mon passage, c'est très moyen. À mon retour chez les pompiers, la seconde nuit ne passe pas, je déménage chez les autres, les « jaunes ». J' y plante ma tente sous un toit et les ampoules bien violentes à moins de 10 mètres du passage des véhicules. Deux fois je demande à éteindre cette lumière, deux fois ils rallument 5 minutes après. Je serais presque pressée de passer la frontière, mon sentiment est mitigé même si j'ai beaucoup aimé El Chaco.

Juste en face d'Encarnacion par delà le rio Parana se dressent les tours de Posadas en Argentine. Je vais changer de monde. D'un côté la pauvreté, le bazar permanent, et de l'autre côté un pays plus riche avec des infrastructures modernes. Une frontière. Cela fait depuis la frontière États-Unis / Mexique le 23 octobre 2017 que mes conditions de vie sont relativement sommaires, que je vis dans cet espèce de chaos qui est le quotidien de tant d'êtres humains. Quasi un an. En passant celle de l'Argentine, je vais revenir définitivement dans un monde qui ressemble plus à l'Europe... Retour progressif ?

 

Les Amériques à vélo couché : Argentine – Missiones

 

La frontière est vite passée d'un côté comme de l'autre du grand pont et 5 km après la frontière mon compteur affiche 38 000 km...

 

La route 12 qui monte vers Iguazu est relativement chargée, étroite, sans accotement par endroits et toute en montagnes russes violentes. Cependant, le beau temps me motive pour avancer. J'ai résolu la cause de mes douleurs à la jambe droite (réglage de cale de pédale), et le vent est faible. La route rebondit sur des collines verdoyantes, je suis dans la forêt, ou dans les plantations de maté (boisson nationale des Argentins mais aussi des Paraguayens, Brésiliens du sud). Du vert, du vert, du vert. J'ai bien fait de visiter les missions jésuites au Paraguay car ici, le prix de l'entrée pour une seule visite est deux fois celui de trois visites de l'autre côté du fleuve. Un pont enjambe parfois un large affluent du Parana, qui serpente dans la verdure. Sur la route c'est un peu délicat et les chauffeurs de bus sont les mêmes dans tous les pays, je dois défendre ma place mais ai du mal à faire le poids. Les camions sont de loin, et comme toujours, plus sympas. Le lendemain j'essuie des orages et le relief est toujours le même, les chutes d'Iguazu sont de moins en moins loin mais je ne les entends pas encore. Je dors à Montecarlo, au bord du Parana. Si la température n'est pas excessive, l'humidité me donne l'impression d'être dans un hammam nuit et jour...

Je ne suis pas dans la région la plus riche d'Argentine et les gens se disent assez proches des Paraguayens. D'ailleurs comme de l'autre côté du fleuve, la population est totalement cosmopolite et je vois des communautés indigènes. Je dors une nuit chez des hôtes dont les ancêtres, si on remonte à deux générations, viennent de six pays différents : Allemagne, Espagne, Italie, Japon, Danemark, Suède. Métissage extrême. Au niveau de la langue, l'Espagnol est plus proche par l'accent de celui du Paraguay que des autres provinces d'Argentine. La route est jalonnée de quelques villages , à gauche les « puerto » quelque chose, sur le fleuve, à droite les autres. Après Montecarlo, je dors à Wanda, fondée et habitée majoritairement par des Polonais. Les habitations sont modestes mais ils ont tous frigo, machine à laver le linge, eau potable au robinet à l'intérieur et gazinière (ce n'était pas forcément le cas dans les pays que je traverse depuis un an). La crise économique qui secoue l'Argentine une nouvelle fois ne fait pas rire les gens. Eduardo a perdu son emploi d'ingénieur électricien, sa femme a un mi-temps comme institutrice, ils ont deux enfants étudiants. Du coup le jardinage va bon train ( dans le but de vendre les légumes et les confitures) et le fonctionnement coopératif aussi. J'ai l'impression, à voir ce qui me double sur la route, que les disparités sociales sont énormes, à moins que les Hillux et autres monstrueux 4 x 4 n'appartiennent en fait aux banques... J'ai vu une R11, en super état !

 

Bien, après quelques montagnes russes encore et une crevaison dès le petit matin, me voici aux chutes d'Iguazu, coté argentin. En effet, trois pays se touchent ici : l'Argentine, le Paraguay et le Brésil. Le fleuve Parana (7ème plus grand fleuve du monde) sur un axe nord-sud fait frontière entre le Paraguay et les deux autres tandis que la rivière Iguazu (est-ouest) sépare le Brésil et l'Argentine. On peut voir les chutes depuis l'Argentine ou le Brésil. Alors avant de les voir je les ai entendues... Je pose mon véhicule à l'entrée en espérant que les coatis ne viendront pas me déniaper mon sac de nourriture et pars voir les cataractes. C'est large (2,7 km), le débit est énorme, c'est haut (80 m), c'est assourdissant, l'eau est rouge comme la terre, c'est impressionnant. L'eau sort de partout entre les arbres et se lance dans le vide, formant des centaines de cascades (275). Des kilomètres de passerelles permettent de passer sur l'immense fleuve pour approcher aux plus près des chutes qui se situent au milieu de son cours, par en haut, ou par en bas. À la gorge du diable, qui ferme le cirque, les embruns me trempent en deux temps. Je n'ai malheureusement pas bénéficié d'un ciel bleu mais au moins il n'a pas plu ! Étant obligée de quitter le parc national pour dormir, je me tâte pour passer la frontière brésilienne dans la foulée mais me pose finalement dans une auberge côté argentin. La suite de la visite des chutes et le Brésil au prochain épisode...

Photos dans les galeries correspondantes et désolée que les photos de cet article ne correspondent pas bien au texte ( au début) mais je n'ai pas les photos du Paraguay sur moi... Tout est dans les galeries.

 

Les Amériques à vélo couché : Brazil

J'en étais à la frontière brésilienne, que je passe sans encombre. On ne me demande rien, à moi qui avais tout préparé ! Et tout d'un coup, je ne comprends plus rien à ce que les gens me disent. J'étais habituée avec l'espagnol, voilà qu'il faut maintenant parler portugais... Je pose mes affaires à la casa de ciclista de Foz de Iguazu et file en bus voir les cataractes qui offrent d'autres perspectives de ce côté. Le ciel est bleu, je pourrais entrer gratuitement demain avec un groupe de cyclos mais ce ciel bleu si rare, je ne veux pas prendre le risque de le manquer. Le débit est toujours aussi énorme, les vues plus panoramiques et tout aussi belles.

Le lendemain je me rends à vélo jusqu'au barrage d'Itaipu, 6,9 km de long, 200 m de hauteur, à cheval sur la frontière paraguayenne et sur le fleuve Parana. C'est la plus grosse usine hydroélectrique du monde, les chiffres en sont impressionnants. Il remplace la combustion de 536 000 barils de pétrole par jour, le rythme de construction équivalait à l'édification d'un bâtiment de 20 étages toutes les 55 minutes, le volume d'excavation représente 8,5 fois le tunnel sous la manche, le volume de métal utilisé ferait 380 tours Eiffel, la hauteur max du barrage équivaut un building de 65 étages et le débit moyen est 40 fois celui des chutes d'Iguazu. Il peut produire 14 000 mégawatts. Vous aurez compris, c'est ENORME. Alors la visite panoramique (la moins chère) se fait en bus avec des arrêts à des points de vue. On passe dessous, on passe dessus, on passe au Paraguay et on revient au Brésil. La retenue est une petite mer intérieure... Alors évidemment, la guide ne parle guère du désastre écologique dans cette zone de parc national ni du déplacement forcé des populations indigènes et de la faune. Tout semble rose... La construction a commencé dans les années 70 par le creusement d'un canal de dérivation du fleuve à grands coups d'explosion de tonnes de dynamite. La rançon est toujours lourde, mais j'apprécie l'eau chaude de ma douche, la lumière, et le serveur qui me permet de vous communiquer ces infos...

À la casa de ciclista il y a des Argentins, des Colombiens, un Brésilien. Avec moi, le dortoir est plein. L'ambiance est bonne, chacun voyage différemment mais tous sont heureux. Pour les Argentins, ce n'est plus un voyage mais un mode de vie, 4 ans, ils fabriquent de petits objets qu'ils vendent pour pouvoir manger et vivre, s'arrêtent parfois plusieurs semaines pour travailler puis partir plus loin. Je fais office de formule 1 à côté d'eux.

Me voici donc lancée sur les routes de cet immense pays et je réalise combien il est inconfortable de ne pouvoir communiquer avec la population mais aussi combien j'ai appris à me débrouiller en espagnol pendant ce voyage... Je me sens juste comme une grosse gourde et ai bien peur d'avoir à vivre les plus ou moins 2 semaines de séjour au Brésil avec un gros sentiment de solitude. La route dotée d'un accotement royal monte et descend sans arrêt sur des collines très vertes de cultures entrecoupées de haies et de bosquets. Petits plans de maïs, petits plans d'autres choses, aucune grande pousse à cette saison semble t-il et du coup cela fait comme un gazon à perte de vue et permet de voir loin. C'est immense et la densité humaine me paraît relativement faible même si tous les petits villages marqués sur ma carte sont en fait des bourgades de plusieurs milliers d'habitants. Je suis dans la province du Parana, et me dirige quasi au plus court vers le sud et l'Uruguay, où je prendrai un peu plus le temps.

Au terme du second jour (sec, quelle chance!), je trouve refuge dans une salle paroissiale, répare les deux crevaisons de la journée à l'aise. L'étape a été pénible à cause du gros trafic de poids-lourds sur une route étroite et en travaux ! Douche chaude, cuisine à dispo, on me fournit même la vaisselle (avec décor au nom de la paroisse, Macron va être jaloux), une serviette de toilette, un matelas, un drap et un oreiller. Le journaliste de la radio locale vient m'interviewer mais comme il ne parle pas un mot d'espagnol, nous avons bien du mal. Dans la soirée, les trombes d'eau me font encore plus apprécier cet accueil chaleureux à Nova Prata do Iguazu.

Le jour suivant je me fait renverser par une bagnole, je suis allée m'étaler dans la grande herbe mouillée à côté de mon véhicule. Le choc rétro/haut du bras a fait voler le premier mais ma carcasse a tenu bon. J'étais à ma place, très au bord et bien signalée, c'est incompréhensible. Soit il dormait, soit il téléphonait, ou encore c'est volontaire. Il ne s'est pas arrêté, ses feux de freins ne se sont pas allumés non plus... et ce sont les occupants de la voiture suivante qui ont pris soin de moi. Je m'en sors sans rien d'autre qu'un bleu à l'âme. Je termine mon étape trempée comme une soupe chez mes hôtes WS. Bière, cachaças, rock français années 70, bonne soirée avec Joao et Maria. Sur le porche à l'entrée d'un cimetière le long de la route il était écrit « Ici, nous sommes tous égaux ». Sans les trombes d'eau j'aurais sorti l'appareil photo. Toujours motivée, je monte sur le vélo le lendemain en espérant que cette fois-ci la météo dise vrai. Pouah ! Deux heures plus tard, ça commence par du crachin, puis de la pluie fine qui mouille bien, puis la route dégouline autant que moi et trempe tout. Je m'arrête et trouve refuge chez les pompiers de Campo Ere où je suis super bien logée et accueillie. On m'avait dit que les pompiers brésiliens n'accueillaient pas, étant militaires... En fait ici, dans la même caserne, il y a des pompiers militaires, un pompier municipal et des pompiers volontaires. J'ai un lit douillet dans une chambre nickel, douche chaude, cuisine, salon et wifi, séchoir à linge aussi. Quand je demande le supermarché, le planton ouvre le frigo en cherchant ce qu'il pourrait bien me donner et le soir on me demande si j'ai mangé. Bref on prend un peu soin de moi et ça fait du bien après ce que je ramasse sur la route comme pluie et comme attitudes inhumaines. Le lendemain, pluie annoncée toute la journée, couture sur sacoche, préparation, discussion en portugais par l'intermédiaire de Google traduction, On m'invite à manger et le cuisto est loin d'être mauvais. L'après-midi il ne pleut pas tant que ça et j'aurais presque pu rouler mais on m'incite à rester, arguant qu'il va repleuvoir dans la nuit. Alerte orange annoncée, il ne fera finalement rien !

Dans ce pays j'ai retrouvé plein de choses que j'avais oubliées : par exemple que les femmes peuvent avoir les cheveux coupés courts sans que ça choque, qu'elles peuvent conduire, que les hommes peuvent cuisiner à la maison et faire le ménage, que dans les stations-services on trouve du PQ, de l'eau potable fraîche et du wifi, qu'on peut dire avoir vécu longtemps avec un homme sans avoir eu d'enfant, par choix. Des magasins Carrefour aussi. Dimanche : premier tour des élections présidentielles. Le socialiste Lula, ancien chef d'état efficace et apprécié est en prison pour corruption et blanchiment d'argent. L'extrême droite a beaucoup de chance de passer, ici encore. Les gens croient que ce parti est le seul à pouvoir lutter contre la corruption qui ronge le pays mais le pompier m'explique que le peuple va se saborder lui-même en votant extrême-droite et capitalisme. Ah ben oui, forcément...

J'avance bien. Le paysage ne change guère mais ce n'est pas moche ni trop monotone. Les moissons à fond entre les champs de maïs. Je suis sur la « route des gauchos ». Si je suis toutefois plus dans les cultures que chez des éleveurs, pas de souci, je dois bien être sur la route du gaucho, usines Bayer... Jusqu'à quand la Terre pourra-t-elle produire dans de telles conditions ? C'est de l'intensif à outrance, probablement une catastrophe écologique encore. C'est certes assez joli esthétiquement parlant avec le soleil mais je ne profite guère, concentrée à fond sur ce qu'il y a devant mes roues et derrière moi ! Les conducteurs sont toujours aussi intolérants. Non mais il leur manque des neurones ! Je n'ai jamais vu ça dans aucun autre pays au monde ! Je pensais trouver dans ce pays un réseau routier digne de ce nom mais les routes ont été construites il y a longtemps, étroites, et n'ont pas été entretenues ni élargies malgré la croissance exponentielle du nombre de véhicules, elles sont parfois dans un état catastrophique.Le réseau secondaire est quasi toujours en piste de terre et pierres dans les états que je traverse, voire encore des routes empierrées, ahah, autrement dit, c'est la dèche où que je sois. Ça coupe court à l'envie d'aller faire des détours. Je fonce du matin au soir, accumule les heures de vélo, il faut que je me voie avancer sinon je vais devenir folle. Le trafic n'est pas si dense et ça pourrait se passer très bien mais c'est leur manière de conduire... Dès que je ne suis plus sur la route je trouve des gens sympathiques, n'ai aucune difficulté pour mes bivouacs...

Après les pompiers de Campo Ere, j'ai dormi une nuit en camping sauvage, puis une nuit en camping à la ferme, c'est à dire que j'ai demandé à planter ma tente vers une exploitation agricole. Des enfants blonds. En fait le grand-père vient me dire le lendemain matin qu'il s'appelle Schneider et est d'origine allemande. Les machines dans les champs sont énormes et ils traient des Holstein. La nuit suivante je suis en ville à Santa Maria et les pompiers auxquels je demande l'hospitalité m'emmènent à la « maison de passage » de la ville, présentée comme une auberge mais qui est en fait un centre social. Je suis donc en compagnie de 40 personnes esquintées par la vie d'une manière ou d'une autre. Des pauvres gens. Les trois repas par jour sont distribués au guichet, on va chercher notre assiette et on mange debout. Les femmes (6) sont servies d'abord dès que la cloche sonne, les hommes font la queue. C'est vite envoyé. Midi et soir : riz, haricots noirs, poulet. Le matin : une tasse de café noir sucré et deux tranches de pain de mie avec possibilité d'y étaler du beurre. Pas de couteau, pas de fourchette, assiettes et tasses en plastique. Les chats du quartier savent eux aussi répondre à l'appel de la cloche et débarquent par dizaines par dessus le mur. Discipline relativement stricte. Je partage une petite chambre avec 3 autres femmes dont deux sont en piteux état mais gentilles. Elles passent leur journée entre leur lit et les clopes tous les quarts d'heure, il n'y a rien à faire. La troisième est plus jeune (45...), belle, et probablement rebelle. Elle s'absente toute la journée, peut-être travaille t-elle. Tristesse effroyable. Alors à tous ceux (pour rester correcte et polie) qui partagent sur FB des trucs du genre qu'on est mieux enfermés et tous frais payés ( à « profiter » du système social patati patata), que dehors avec une dignité et la liberté, je dis que deux nuits et une journée m'ont amplement suffit. Et c'est pareil en France que ce soit dans les foyers d'accueil ou en prison. Il y a longtemps que le le sais mais visiblement la réalité échappe à certains qui ne voient que le côté pécuniaire des choses. Jamais je ne serais venue ici si les pompiers ne m'y avaient amenée, je ne prends certes la place de personne car l'établissement n'est pas plein mais je n'ai pas à profiter du système social brésilien. Je n'ai pas osé dire aux pompiers après le mal qu'ils se sont donnés (plusieurs coups de fil), que finalement je pouvais aller en auberge... En partant j'ai proposé de payer ma part, ils ont refusé. Quant à la ville de Santa Maria, elle est européenne ou quasi, centres commerciaux et galeries marchandes, quelques bâtiments coloniaux décrépis, macadam déchiré, toiles de fils électriques.

Quand je suis partie de cet établissement le lendemain matin, certains pensionnaires sont venus me serrer la main et me souhaiter bon voyage car bien sur la nouvelle a fait le tour de l'établissement en deux temps trois mouvements. À moi, ça m'a serré un peu le cœur de trouver plus d'humanité dans cet endroit que chez bien des gens qui ont tout et que la vie a moins ou pas abîmé. Je n'ai pas cherché à savoir pourquoi ils étaient là, je n'ai aucun jugement à porter. J'ai eu des sourires, souvent édentés, des questions, bref, ce fut une expérience humaine. Pas vraiment surprise, ça me tient néanmoins à cœur de témoigner.

Et puis sur la route les conditions sont redevenues normales, c'est à dire avec des bagnoles qui passent au large et ça m'a fait du bien aussi. Pas un village entre Santa Maria et Rosario do Sul, 140 km, je m'arrête camper un peu avant. Partie sous les nuages après la dernière averse de la nuit, je termine sous un ciel bleu uniforme. Moins de cultures dans le paysage, plus de pâtures et de la sylviculture en veux-tu en voilà. Toute la même espèce sur des milliers d'hectares. Impossible d'y entrer, tout est clôturé et cadenassé. À chaque exploitation agricole il y a un petit étang, souvent artificiel. Et des gauchos enfin, qui se déplacent à cheval et portent souvent la tenue traditionnelle (bottes avec éperons, pantalon très large à plis jusque sous le genou puis serré au niveau du mollet pour que ça entre bien dans les bottes, chemise, chapeau en laine) Je vois aussi trop d'animaux écrasés sur la route mais le pire ce sont les tortues, d'une quarantaine de centimètres de diamètre et dont la carapace ne résiste pas aux bagnoles. C'est pas beau.

J'arrive à Sant'Ana do Livramento sous le soleil, ville coupée en deux par la frontière avec l'Uruguay, zone franche. D'un côté de la rue ça parle espagnol, de l'autre portugais, sur un trottoir on paie en reals, sur celui d'en face en pesos ou en dollars US, d'un côté les casinos, pas de l'autre. J'y suis reçue chez Teka, dans la famille d'amis voyageurs rencontrés au Panama en avril dernier, côté Brésil, mais le soir l'anniversaire que l'on va souhaiter se tient en Uruguay. Asado... orgie de viande. Dans toutes ces régions ils sont bien carnivores. Voila comment je passe d'un centre social à une maison bourgeoise avec piscine. Quand je vous dis qu'il faut une certaine adaptabilité pour voyager ! Le lendemain Teka m'emmène à la campagne, à l'hacienda familiale, endroit paradisiaque s'il en est, loin du macadam et de la ville, dans la zone protégée d'Ibirapuita. Je suis bichonnée, lavée, lessivée, nourrie..., passe encore une journée à Santana à me reposer avant de passer la frontière invisible. Au supermarché avant de partir, je retrouve encore un peu plus d'Europe. Il faut poser les légumes sur la balance, appuyer sur le bouton correspondant, ça pèse et ça sort l'étiquette, si si, qu'on colle sur le sac avant de passer en caisse. J'avais oublié que ça existait. Le retour va être dur...

La minuscule partie traversée de cet immense pays n'était pas la plus intéressante, il faudra revenir avec un autre vélo pour sortir du macadam, aller sur les pistes, voir le pentanal, la partie amazonienne, les plages... en sachant un peu plus de portugais car quand même, la population est bien sympathique. Et maintenant s'ouvre la porte de l'Uruguay. Photos dans la galerie.

 

Les Amériques à vélo couché : L'Uruguay par l'intérieur

 

5 novembre 2018. 25 ème frontière depuis le 23 mai 2017. Mon passeport orné de deux nouveaux tampons, me voici libre de circuler en Uruguay, 20 ème pays de ce voyage sans compter la France. Petit pays coincé entre l'Argentine et le Brésil sur la façade atlantique, il n'en tire pas moins son épingle du jeu et passe même pour être la « Suisse de l'Amérique du sud ». Ce n'est sûrement pas pour ses montagnes, peut-être pour ses verts pâturages et son fromage (le meilleur depuis longtemps), peut-être pour le côté patriote et le drapeau national qui flotte régulièrement au vent, ou surtout parce que c'est un des pays au niveau de vie le plus élevé de ce continent. Bien évidemment et comme à mon habitude (sauf au Brésil), je n'irai pas au plus court. Rejoindre Montevideo juste en face de Buenos Aires ne me prendrait que quelques jours mais me ferait passer à côté des plus beaux attraits.

Ma motivation à moins d'un mois de mon retour en France est intacte, par contre mes jambes ne le sont pas. Après deux jours de repos complet le redémarrage est très douloureux, la moindre petite inclinaison me fait mal aux cuisses, ça ne veut pas tourner et le relief n'aide pas : les montagnes russes continuent et même si elles ne sont pas très accentuées, je passe sans arrêt du petit au grand plateau. 500 m de montée, 500 m de descente, répétition, parfois un peu plus long, parfois un peu moins. J'ai du temps et la météo annoncée est bonne, je ne force pas et écoute mon organisme. Côté paysage, collines recouvertes de pâtures ou de plantations de conifères, type pins. Et à un endroit, des cônes tronqués par l'érosion, comme des petits volcans qui auraient été tronçonnés à mi hauteur, échelonnés, alignés comme des piqûres de puce. Les premiers contacts avec les gens sont encourageants et j'ai retrouvé le bonheur de pouvoir communiquer facilement. Rencontre avec un cyclo brésilien qui voyage en mode sacoches + remorque (la maison de la chienne qui l'accompagne). Au bivouac en forêt un bruit attire mon attention : à 150 m passent un nandou et sa nombreuse progéniture ! Ça alors ! Au matin une espèce de petit chevreuil me regarde déjeuner tandis que les jeunes vaches matent le démontage de ma tente avec attention.

À partir de Tacuarembo j'ai le vent de face qui vient directement de l'océan avec rien pour l'arrêter dans sa course folle, lignes droites interminables, faux plats montants ou descendants, bien exposés, très peu de villages, le désert vert, des pâtures. À Ansina, les pompiers refusent que je plante ma tente sur leur vaste terrain, la police de même et la municipalité me dit qu'ils n'ont rien... Eh ben super, bienvenue en Uruguay. Je tente le centre de vacances de la police, il y a des hectares de pelouse tondue, des tables et bancs sous-abri. Je trouve le président et expose ma requête (planter ma tente sur le terrain), cet homme est bon et décroche une clé du tableau pour m'ouvrir une « cabana ». Tout le confort, six lits, douche chaude, frigo, évier, ventilo et clim (pas nécessaire), gazinière, vaisselle, TV (je l'ai balancée par la fenêtre mais y'avait des grilles et les moustiquaires, pas aimé ! ), et fuck la police, les pompiers et la municipalité ! Les Uruguayens roulent tranquille et s'écartent vraiment bien, tous, même les bus et beaucoup ont un petit signe de sympathie et ça fait du bien de renouer avec ce type de comportement, pédaler le cœur léger et l'esprit libre. Les jours sont maintenant de plus en plus longs, de 5 h 30 le matin à 19 h 30 le soir, c'est confortable et ça laisse de bonnes nuits. Températures agréables jour comme nuit, short et tee-shirt en permanence, pas plus de moustiques que chez nous...

Plus j'approche de l'océan, plus le vent est fort. Moi qui m'étais fixée de petites étapes (pas plus de 80 km) pour me ménager voire me reposer, c'est loupé. Car si je ne fais effectivement pas plus, cela m'occupe entre 6 et 7 heures de pédalage, la moyenne est faible pour des étapes quasi plates, le vent me mine et transforme ce qui pourrait être débonnaire en épreuve. Et puis je vois une toute nouvelle méthode de rafistolage des trous sur la route déjà bien moche : la voirie balance depuis le petit camion-benne des pelletées de macadam un peu n'importe comment et laisse comme ça, c'est le passage des bagnoles qui écrase les mottes. Je ne vous fais pas un dessin de ce que ça peut donner comme secousses sur des tronçons où l'opération est forcément souvent renouvelée. C'est infect. Sur cet axe que je pensais « principal » il passe un véhicule toutes les 10 minutes. Le paysage ne change pas, des pâtures, des vaches, des marais, des étangs. Peu d'arbres. Ce soir là au bivouac dans une pâture, deux renards viennent surveiller la cuisson de mes pâtes et des oiseaux d'un rouge vif virevoltent sur les arbustes voisins. Une fois la nuit tombée, les lumières des centaines de lucioles font une continuité terrestre à la voûte étoilée. Certaines s'inviteront jusque dans mon abside.

Le lendemain après 60 km où il faut arracher chaque hectomètre contre ce satané vent, j'arrive à Melo. Comme souvent quand les WS disent « appelles moi quand tu arrives », ça ne répond pas. J'envoie message et mail, j'attends deux heures, je fais des courses, discute, mais pas de réponse. Entre temps j'apprends que je peux être logée à Treinta y Tres dans 110 km donc demain, chez un ami de Hugo où j'étais restée trois nuits après Asuncion. J'appelle, ça répond, je suis attendue demain soir du coup je mets les voiles et avance un peu. J'ai changé de direction, le vent devient coopérant. Et au bivouac encore dans une pâture, des nandous passent au pas de course. Le relief est un peu plus marqué, toujours un désert vert et des vaches, une école de campagne tous les 10 km, population extrêmement dispersée, tous des éleveurs. Le contact est sympa avec les habitants, c'est cool, tranquille, et ils me rendent service avec plaisir et sourire (téléphone, directions, renseignements...). Le proprio de la pâture où j'ai élu domicile, un vrai gaucho, passe le matin, à cheval et vient vers moi :

  • Tu vas bien, besoin de rien ? (Poignée de mains)
  • Tout va bien, j'ai dormi ici.
  • C'est tranquille tu as bien fait. Il y a des motos qui passent car il y a un rassemblement à Melo. Et tu aimes dormir dehors, à la campagne, pas peur des vaches ?
  • Oui j'aime bien camper, je suis de la campagne et les vaches, j'ai l'impression qu'elles sont comme les gens de ce pays, calmes et sympathiques.
  • Et tu vas où après ?
  • Treinta y Tres, Chuy et toute la côte jusqu'à Colonia
  • Que Dieu te garde pour la suite de ton voyage ! (Repoignée de mains)
  • Merci !

Et il est parti, très beau sur son cheval suivi de ses deux chiens.

Ah oui, c'est bon.

À 33, la ville, je me pose deux heures devant le supermarché pour le wifi mais j'ai bien du mal à faire quoi que ce soit car les gens viennent me parler sans arrêt, me demander si je n'ai besoin de rien en plus des questions habituelles, se prennent en selfie avec moi... Je me rends ensuite chez les gens avec lesquels Hugo au Paraguay m'a mise en contact. Super installée, lessive machine, douche chaude, resto, super soirée, et en plus ils me filent une carte du pays, certes vieille mais les villes et villages n'ont pas bougé de place. J'apprends beaucoup sur ce pays quatre fois plus petit que la France et en gros 20 fois moins peuplé. Sur les 3,5 millions d'habitants, plus d'un tiers sont dans la capitale, le reste est un quasi désert humain. Élevage très très extensif. Aucune population indigène, tous les Uruguayens sont des immigrés d'Europe et un peu d'ailleurs... Taux de chômage : 1,8%, électricité, énergie, eau, communications, tout est public. Bon système d'éducation, de santé, de retraite. Les gens sont contents de vivre ici, je n'entends aucune histoire de corruption. Cette démocratie récente (1986) a l'air propre. Il y a pourtant eu une dictature militaire, de 1972 à 1986. Bref, s'il y a un endroit au monde où se barrer pour vivre en paix, je crois bien que c'est ici ! La terre y est riche et fertile, à l'ouest on y fabrique du fromage qui a du goût (ça faisait très longtemps) qui passerait presque pour du Gruyère. C'est que les immigrés ont amené beaucoup de savoir-faire. Les Uruguayens sont fiers de l'être.

Je rejoins ensuite la côte au niveau de la frontière brésilienne à Chuy, tout au nord sur la façade atlantique, par des routes où ne passent que quelques véhicules à l'heure, qui font tous signe, où il faut passer une rivière avec la barge, bref, des trous du cul du monde. Le réseau fonctionne, je suis logée par la municipalité à Enrique Martinez. Après avoir traversé le fleuve Cebollati sur une barge, je suis dans les rizières puis dans les palmeraies. Et toujours des vaches, de l'eau jusqu'au dessus des genoux. Terrain plat, vent faible, enfin, enfin avancer est facile. À Chuy mon compteur se décide à afficher un 40 000 tout rond. La ville est ici aussi coupée en deux, sur 6 km de long. À ma gauche le Brésil, à ma droite l'Uruguay, et des « free shop ». Je n'ai pas franchement aimé cette ville, ambiance bizarre. Mes hôtes, toujours dans le réseau de Carlos de 33, m'emmènent à leurs cabanas au bord de l'océan, au... Brésil, puis voir le dernier phare brésilien. Le dernier phare ? Oui, le plus au sud en fait. Pizza et biscuit chocolat maison (les 2) complètent la soirée.

Me voici donc sur le littoral que je n'ai plus qu'à suivre jusqu'à Colonia del Sacramento en face de Buenos Aires. J'ai envie de le voir dans de bonnes conditions aussi dès le premier jour, je ne fais qu'une minuscule étape avant de me poser à Punto del Diablo car le ciel est trop gris. La forteresse espagnole Santa Teresa est fermée, le parc national du même nom n'est en fait qu'une petite forêt sur le littoral qui m'a permis de quitter la route principale très calme un moment, et le « Laguna Negro » est aussi triste que le reste par ce temps. Je suis installée dans un bungalow vers la plage par le WS propriétaire. En basse saison, il met ses cabanes à dispo des cyclos qui passent, gratuitement. J'y ai tout le confort nécessaire. Punto del Diablo ne compte que quelques centaines d'habitants permanents mais dans un mois le village en verra plus de 25 000 débarquer, pour la plupart d'Argentine. Bien heureuse de passer avant le début des vacances d'été, c'est ensuite la folie jusqu'à fin mars... Amoncellement de « cabanas », le village est chaotique mais coloré. Le ciel gris fait pourtant ce qu'il peut pour tout rendre moche. L'océan, bleu par temps calme, écrase ses rouleaux gris sur les plages et les rochers du cap où le petit phare éclaire la nuit. Plus les heures tournent plus le vent se renforce. Je vois pas moins de trois camping-cars immatriculés en France dans ce bled et je sais que je viens d'entrer définitivement dans la partie touristique du pays avec tout ce que ça implique.

Dans tous les magasins d'alimentation du pays, du plus grand au plus petit, je trouve des produits laitiers Conaprole. On m'en a vanté la marque depuis le Brésil. Conaprole est une immense coopérative uruguayenne qui emploie 20 000 personnes, direct ou indirectement. L'agriculture est bien valorisée et les éleveurs ou cultivateurs ne se suicident pas...

Je suis bien dans mon bungalow et aujourd'hui 13 novembre, la pluie qui dégringole m'oblige à y rester ce qui, je l'avoue, n'est pas pour me déplaire ! Les jours qui viennent s'annoncent secs et ensoleillés mais tempétueux (50-60 km/h), de face ou latéral. Je n'ai donc pas terminé d'en baver !

Un nouvel album dédié à ce pays a vu le jour dans la galerie.

À une prochaine

 

Les Amériques à vélo couché : Côte atlantique uruguayenne

 

J'en étais donc à Puerto del Diablo où je suis restée 48 heures à regarder les couleurs du ciel et de l'eau changer suivant la nébulosité. Endroit charmant s'il en est. Je reprends la route contre un vent démoniaque qui tourne en même temps que moi afin de toujours me regarder en face. Droit dans les yeux. Sans déconner, depuis Filadelfia dans El Chaco au Paraguay, je peux compter les jours où il a été favorable... J'en ai marre. Pas de pédaler non, juste du vent contraire, de toujours avoir à forcer pour faire avancer la machine.

La côte est belle. La façade atlantique de l'Uruguay est une plage de sable fin interrompue seulement par quelques caps rocheux sur lesquels se vautrent parfois phoques, otaries et lions de mer ! C'est calme et paisible, les permanents rénovent et nettoient les « cabanas », s'activent pinceaux ou marteau à la main à l'approche de la saison touristique. Quelques occidentaux flânent de village en village. Je fais les détours, vais voir l'océan à chaque fois qu'une route y mène et marche même 12 km aller-retour dans le sable pour aller à Cabo Polonio. C'est un parc national, les seules grandes dunes de sable de l'Uruguay. Un phare est planté au bout du cap recouvert d'herbe rase. Les individus d'une colonie de mammifères marins jouent, s'engueulent ou dorment sur les rochers et des petites maisons en bois peintes de couleurs vives sont disposées sur le terrain comme si elles y avaient été jetées... de manière totalement anarchique. Et c'est joli, pas de barrière, pas de clôture, pas de limite de parcelle. Je divague un moment dans cette espèce de bout du monde loin du bruit hormis celui des vagues et du vent. Pour s'y rendre il faut garer son véhicule sur un parking payant à 6 km et prendre place dans un camion panoramique à prix fort. J'ai posé et attaché mon vélo en dehors du parking, j'ai marché au lieu de prendre le camion et quand un ayant-droit est passé, je suis montée à l'arrière du pick-up.

Remontée sur le vélo, luttant toujours contre ce vent qui démonte la mer autant que mon mental, je finis par rattraper un Italien en roller avec un sac sur le dos, parti il y a deux mois et demi... Tous les moyens sont bons. Sur asphalte correcte il avance aussi vite qu'un cycliste. Mes deux hôtes WS de Castillos et La Pedrera me font presque regretter de ne pas camper, les derniers exigent trois heures de boulot contre une nuit dans une cabane. Cela pourrait être sympa mais quand je suis arrivée claquée de ma journée (80 km contre le vent + 3,5 heures de marche dans le sable), ils m'ont collé un pinceau dans les mains, le pot de peinture à côté de la balustrade à repeindre et se sont barrés. Quand ils sont rentrés je me couchais, j'étais allée en courses, voir la plage, m'étais douchée, avais mangé et accessoirement avais repeint un bout de la balustrade histoire de dire que... sans me fouler. Ce n'est pas la mentalité WS, aucun partage de rien, désintéressement total, comme la veille. Je dis ça mais cela ne m'affecte guère, c'est juste un constat.

Le jour suivant, profitant encore d'un beau soleil, je vais jusqu'au Cabo José Ignacio. C'est un village un peu particulier. Au lieu d'y trouver de simples cabanes en bois de toutes les couleurs, on y voit des énormes maisons sous surveillance vidéo avec de grandes baies vitrées, sur des parcelles bien délimitées et scrupuleusement fermées. On m'avait prévenue : il ne faut rien acheter à José Ignacio, c'est très cher, c'est la jet-set, c'est THE endroit, le Saint-Trop de l'Uruguay. Ahah, j'y ai planté ma tente sur le terrain privé non clôturé d'une propriété inoccupée coincée entre la police, l'église et l'école. Avec la bénédiction de la police... c'est chez eux que je vais chercher de l'eau, ils m'ont dit « Ouaich, le proprio ne devrait pas venir, tu peux te mettre là ». Oui, parce que dans ce lieu hautement touristique, il n'y a rien pour les campeurs à part de jolis panneaux d'interdiction, et je ne campe pas sur les plages, pas assez discrètes à mon goût, et de plus le bruit des vagues m'empêche d'entendre arriver un éventuel danger. Le phare du cap José Ignacio est beau, les rouleaux s'écrasent avec fracas sur les rochers et précisément parce que la côte est rocheuse, la couleur de l'eau est belle.

J'arrive dans les environs de Punta del Este alors que deux jours pluvieux et ventés sont annoncés. J'ai du temps et peux me permettre de ne rouler que les jours de météo favorable, je me pose chez Patricia, une WS qui a sillonné l'Amérique du sud en petite reine. L'endroit est paisible et je me repose en regardant tomber la pluie (un peu) et en me disant une fois de plus que j'ai bien de la chance d'être au sec. Le lendemain le ciel est bleu mais le vent m'envoie le sable jusque derrière les cuisses lors de ma sortie matinale pour aller au supermarché à 8 km aller retour. Je l'aurais de face, je me repose encore... Ce repos j'en ai bien besoin. J'ai beaucoup roulé en un an et demi et j'arrive au bout un peu fatiguée musculairement. Ces derniers jours j'ai même des douleurs de tendinite dans un genou. Je n'en ai pas marre du tout mais ai besoin de vacances... si si !

Après ces quasi deux jours à ne rien faire je me sens bien. Je passe le pont en forme de vague, bien ondulé, bien casse pattes dès le démarrage et arrive rapidement à Punta del Este avec ses grands buildings moches. Je m'arrête juste prendre une photo de « Los dedos », « les doigts », le temps d'un regard aussi pour l'île de Lobos et son phare. La route côtière secondaire est un régal même si j'ai toujours et encore du vent défavorable. L'asphalte est parfois recouverte de sable blanc, la dune occupe la route et je dois pousser ma monture à plusieurs reprises. Les petits villages se succèdent. Tout le monde me dit que dans un mois tout le littoral sera envahi, invivable, trafic automobile, bagnoles garées partout, feux et « asados » dans les forêts, renforts pompiers à cause des feux dans la pinède sèche, bref, la fête du slip, montagnes de déchets... On me dit qu'à Punta del Diablo, qu'à Cabo Polonio, Punta del Este ou Piriapolis, il faut jouer des coudes pour circuler à pied...

Bref, le soir, je loge chez José, encore un ami de Hugo du Paraguay... dans sa cabane sur la plage ou quasi, à Santa Lucia del Este juste après Biarritz, si si, Biarritz, plage de surf sur l'Atlantique ! Montevideo n'est plus très loin. José m'accompagne le lendemain jusqu'à la capitale même si je vois bien que, cycliste compétiteur sur route avec son vélo de moins de 8 kg et ses mollets affûtés comme des lames, il a du mal à supporter mon rythme de sénateur. D'autant plus que je me ménage, fais des arrêts pour prendre des photos, pour acheter du pain, pour manger, pour boire, pour pisser... du cyclotourisme quoi !

Montévidéo, capitale, m'y voici avec une grosse tendance à penser que je suis à la fin du voyage. Faux ! Au moins 200 bornes encore à parcourir. Montévideo en coupe ça fait : l'Atlantique et son eau bleue, la plage de sable fin, le boulevard côtier, et l'alignée de barres en béton des années 60-70. À cette époque là on ne faisait pas vraiment dans l'intégration paysagère ni dans l'esthétique ! Parabole à tous les balcons. Cependant, il y a toujours un bon espace entre les bâtiments et l'eau pour un peu de verdure et on peut traverser tout Montévidéo sans entrer dans la ville, en suivant le littoral de manière très agréable. Une promenade des Anglais de plus de 25 km. Pas de klaxon, peu de bruit pour une capitale, pas d'affolement. L'horizon est net, quelques cargos croisent au loin et même par ce temps clair et cette atmosphère limpide, je ne distingue pas la moindre trace de la côte argentine qui pourtant me fait face, par delà le rio de la Plata (la rivière d'argent). Montévidéo est située juste à l'endroit où le rio de la Plata se jette dans l'océan mais ça ne se voit pas. Immense fleuve composé de tous ceux que j'ai croisé depuis plus de deux mois (Parana, Iguazu, Paraguay, Uruguay, Rio Negro, Parana de las palmas, Ibicuy...), son embouchure fait plus de 130 km de large et sa longueur pas plus de 250 km, il se jette en fait dans une baie, je ne sais pas trop où est la limite océan/fleuve, eau douce/eau salée. Les thermomètres affichent 32°C. Je m'installe dans le centre de la capitale pour plusieurs jours dans l'appartement borgne de Joaquin. Étant donné que je suis arrivée par le boulevard côtier, il ne me reste plus que le centre à visiter et c'est chose faite le lendemain. Et toujours le même constat : cool Raoul, je trouve que les gens sont détendus et souriants, pour une capitale... Quelques beaux restes coloniaux, un office du tourisme efficace, un hall vers le port dédié à la consommation des « asados ». Des montagnes de viande cuisent au dessus des braises et me taquinent les narines. Montevideo possède de belles plages et même si les habitants me disent que l'eau est froide, je la trouve très bonne, plus de 20 degrés et très peu salée... Un jour de repos encore à ne rien faire alors que le ciel est gris et le vent fort et me voilà remontée sur mon vélo après 3 jours de pause, pour l'ultime ligne droite jusqu'à Colonia del Sacramento.

J'entre alors dans la série détestée des « dernières fois ». Dernière fois que je monte ma tente, dernier jour de vélo, dernier repas du soir sur le réchaud, dernière lessive à la main, dernière fois que je gonfle mon matelas, oh que j'aurai été bien dans ma petite tente pendant tout ce voyage, dernière fois que je démonte ma tente, dernier petit déj au réchaud, derniers kilomètres, dernière frontière terrestre... Assurément la fin de quelque chose.

Juste avant Colonia del Sacramento je croise un couple de retraités cyclos français pour qui c'est le premier jour d'un nouveau voyage de quatre mois et demi. Et moi je termine... Voila, Colonia. Je file acheter mon billet de bateau, n'ai pas assez d'argent uruguayen (la traversée est chère) et ils n'acceptent pas les pesos argentins. Personne ne veut des pesos argentins qui continuent à dévaluer chaque jour. Au bureau de change, à la vente ils sont à 0,65 mais à 1,35 à l'achat. Ce monsieur me les change à 1. Je n'ai rien demandé, c'est lui qui est venu à moi, pour m'aider... Je taxe ensuite un téléphone pour appeler mon hôte à Buenos Aires et lui communiquer l'heure et le lieu d'arrivée de mon bateau. Il viendra m'attendre à vélo... Je demande ensuite dans un bar-resto à entreposer mon vélo quelques heures le temps d'aller visiter le centre historique. On me dit oui, on me montre un endroit discret, privé et à l'ombre où je peux l'attacher... Trop facile jusqu'au bout cet Uruguay. Après la visite du centre colonial portugais, je passe trois heures avec Jason, un cyclo américain puis vais passer l'immigration et embarque pour traverser le rio de la Plata... Bye bye Uruguay !

 

Ce pays aura vraiment été agréable et facile. Les gens sont COOLS, même si le niveau de vie est relativement élevé, ils roulent dans des bagnoles déglinguées, n'ont pas l'air d'en vouloir toujours plus, sont simples et humbles. Ils ne sont pas méfiants, ils sont souriants, attentionnés, disponibles, honnêtes et sans état d'âme. Les routes sont plus que tranquilles. Ceux qui peuvent se passer de voiture se déplacent à vélo. Bref vous aurez compris, j'ai beaucoup aimé ce petit pays.

Je regarde s'éloigner le phare de Colonia del Sacramento alors qu'à babord grandissent peu à peu les tours de Buenos Aires...

 

Les Amériques à vélo couché : Buenos Aires – Barcelone – Bois d'Amont

Dernières impressions d'une folle virée

 

Je ne sais pas pourquoi j'avais imaginé Buenos Aires avec des immenses buildings le long du rio de la Plata ! Quand j'arrive en bateau, rien de remarquable à part la dimension du fleuve : environ 50 km, le plus large du monde. La limite de l'océan côté uruguayen est Punta del Este, Punto Indio côté argentin. La limite des eaux douces/salées est donc « horizontale » sur le globe. Coté argentin, très peu d'eau, 1,5 m de profondeur avec un chenal creusé pour le passage des bateaux, côté uruguayen beaucoup plus, ce qui explique cette limite géographique fleuve/océan qui surprend à première vue. C'est donc pour ça que quand j'ai bu la tasse à Montevidéo, je n'ai pas senti le goût du sel...

Bien, Buenos Aires. Tomas et Guillaumina arrivent très vite sur leur vélo en bambou. Immédiatement le courant passe bien et je sais que mon séjour sera agréable. Nous traversons toute la ville pour arriver dans le quartier Nunez où habite Tomas. Le métro passe à quatre blocs, le train à trois et ce sera facile pour aller à l'aéroport même si je ne sais pas encore comment j'irai.

Lundi, je visite le centre avant que tout ne soit bouclé à cause du G20. En effet, il y a un G20 par an dans le monde, mais je suis en plein dedans ! Buenos Aires est très étendue, 12 millions d'habitants, mégapole. Le centre concentre les bâtiments coloniaux espagnols avec toujours des colonnes, des balcons, des patios. Je me rends également dans le quartier plus populaire de la Boca, celui qui a vu grandir Maradona et qui s'articule autour du fameux stade. Dans ce quartier, des maisons en bois peintes de couleurs très vives, des balcons avec des personnages décoratifs qui font signe aux touristes, très nombreux. C'est le quartier incontournable de la ville, avec ses boutiques de babioles, et ses cafés aux tarifs indécents. Quels que soient les quartiers, des couples de danseurs aux costumes sophistiqués offrent aux passants les pas tout aussi sophistiqués du fameux tango. Il ne faudrait pas croire que toute l'Argentine est concernée, c'est la spécialité des seuls Portenos (habitants de Buenos Aires).

Tomas s'en va trois jours à Cordoba pour raisons professionnelles, je suis donc chez moi chez lui, ou... chez lui chez moi.

Mardi je vais chercher une caisse de vélo, et me mets au démontage. Cependant j'éprouve très vite de grosses difficultés à cause de la corrosion, de grippage (dans l'alu c'est bof...), et constate du jeu dans le cadre. Bref mon vélo commence à fatiguer. Ça turbine très fort dans ma tête. Est-ce le signe évident qu'il faut que je passe à autre chose ? Dois-je le ramener tout de même ? Pour quoi faire ? Est-ce vraiment utile ? Un ami uruguayen qui vit au Paraguay peut le reprendre et venir le chercher puisqu'il est à Montevideo en ce moment... donc il ne partirait pas à la poubelle. Lui offrir une seconde vie. Je me rends vite compte que mon seul argument pour le ramener est purement sentimental. Et la crainte d'être mal à l'aise sur un vélo droit... À quoi bon ? Pour pouvoir dire en le montrant dans mon garage : « C'est le vélo avec lequel j'ai traversé l'Asie et les Amériques, il m'a supporté pendant 105 000 km ». Non. Je ne repartirais pas avec pour un long voyage, le cadre a souffert et commence à prendre du jeu au niveau de l'articulation de la fourche arrière. Il FAUT passer à autre chose même si ça me fait mal au ventre de l'abandonner. Cela fait un moment que me taquine l'idée de voyager à l'avenir avec un autre vélo qui me permette de passer beaucoup plus hors routes, au moins d'emprunter le réseau secondaire qui dans bien des parties du monde n'est pas asphalté, et donc beaucoup plus tranquille. Je démonte ce que je peux, le mets dans le carton et basta.

Mercredi je retourne au centre-ville pour rencontrer Niko. C'est chez lui que nous avions logés (nous c'est Paco, Élodie, Julian, Céline, Léa et moi) à San Carlos de Bariloche pendant quasi une semaine lors de ma virée entre Santiago et Ushuaia. Personne au cœur démesuré, il nous avait été très difficile de partir de chez lui. Paco se faisait rapatrier pour son problème de genou, Céline et Élodie partaient vers Lima, Julian rentrait en France depuis Santiago, Léa rentrait en France depuis Bariloche, je partais à vélo vers Ushuaia, le cœur lourd d'avoir à poursuivre seule le voyage. Et Niko supportait nos états d'âme... nous faisait du pain excellent, nous emmenait au cinéma voir « Humans » de Y. Arthus Bertrand, et nous faisait visiter les environs entassés à 7 dans sa petite Jeep en ruine qui prenait l'eau, montait difficilement à 30 km/h mais dans laquelle on comprenait très bien le fonctionnement apparent des essuies-glace. Quel plaisir de le revoir !

Jeudi je prends le train et vais à Tigre voir le fameux delta. Considéré comme la Venise argentine, l'endroit est joli mais n'a rien à voir avec la ville italienne. À l'extrémité du rio de la Plata se rencontrent le rio Uruguay, le rio Parana Guazu, le rio Parana de las Palmas, le rio Tigre. Tout cela forme un immense delta composé de centaines d'îles recouvertes de végétation, un espace sauvage à l'exutoire d'un des plus grands bassins versants du monde, drainant (après le bassin amazonien) une immense partie des eaux sud-américaines.

Les jours filent, nous voici vendredi, j'ai de sérieux états d'âme par rapport au fait d'abandonner mon vélo. Je cherche des infos quant à mon transport à l'aéroport. Les bus semblent fonctionner mais ce sont des collectivos, pas sûr qu'ils prendraient mon carton de vélo, quoi que... Me voyant dans l'indécision et sans rien dire Tomas se débrouille pour trouver quelqu'un qui possède une auto... Pour la soirée, il a invité des amis et nous préparons ensemble une parilla végétarienne excellente. Belle soirée de clôture de ce voyage, à l'image de ce qu'il a été tout le long : une réussite !

À ce moment là, Tomas m'annonce que nous irons à l'aéroport avec une amie de sa mère, qu'elle passe nous prendre à neuf heures, il tient à m'accompagner et je peux encore changer d'avis quant à mon vélo, mais ma décision est prise. C'est donc l'esprit bien tranquille et sans avoir rien à faire que je me retrouve à l'aéroport. Ceci dit, jamais le carton de vélo ne serait rentré dans la petite auto...

Quand se termine le voyage ? Au moment où l'avion décolle ou quand j'arrive à la maison ? Dans ma tête il est déjà terminé, je suis passée à autre chose déjà. Cependant, je profite de mon escale de 10 heures en journée à Barcelone pour visiter cette belle ville coloniale espagnole... Ah non, il y a un mot de trop ! Je suis revenue à la source. À force de voir des villes construites en Amérique par les Espagnols... Au pas de course je fais le tour des principales choses « à voir » dans le centre sous un soleil radieux. Le marché de Noël me rappelle que je vais encore rentrer en pleine débauche de watts, aussi débile qu'inutile. Et j'ai même vu une pub sur internet pour des sapins en bois ! Sans déconner ? Des sapins en bois ! OK. Barcelone regorge de petits passages sympas et étroits, de ruelles, de venelles, mais aussi de bâtiments art déco ou plus classiques. Ça faisait évidemment bien longtemps que je n'avais pas vu une ville à l'architecture aussi riche. Bienvenue sur le vieux continent... Si le dimanche matin seuls les joggeurs arpentaient les ruelles, il était difficile quelques heures plus tard de s'y frayer un passage, au coude à coude avec la foule compacte avançant trop lentement pour mon pas...

Un décollage encore puis l'avion pose ses roues sur le tarmac de Genève. Récupération des bagages. Sortie de l'aéroport. Mes parents sont au rendez-vous. Retour. Le col de la Faucille est toujours là, quelques traces de neige. Puis mon village, ma rue, ma porte...

Le voyage est terminé. Il fut beau et riche.

Dans les jours qui suivent alors que j'ai repris le travail déjà, je reçois des messages en espagnol, on me donne des nouvelles de mon vélo et on en demande des miennes. Si en rentrant l'impression était d'être partie la veille, le fait de replonger si vite dans la vie d'ici me donne l'impression d'être rentrée il y a longtemps. Cependant, les changements dans le village, les événements survenus ces derniers 18 mois me font prendre conscience de la durée de mon absence. Le temps passe décidément trop vite.

Depuis deux jours, j'entends parler d'avalanches, de recherches de victimes, de progression en terrain enneigé, d'orientation, de matériel, de prise de décision. Un jour seulement après mon retour je suis pour trois journées en « coordination de formateurs » au centre national de ski nordique et des métiers de la montagne à Prémanon. Le but sera de former les futurs accompagnateurs sur la partie hivernale de leur cursus. C'est ce qui s'appelle un retour rapide à la réalité. J'ai enfilé les grosses chaussures, j'ai revu le panorama sur les Alpes qu'offrent les sommets jurassiens au dessus de la mer de nuages qui recouvre tout le bassin lémanique et là, je me suis dit que quand même, qu'est ce que c'est beau le Jura !

Puis la neige est venue, j'ai retrouvé mes amis et nous avons skié ensemble, qu'est ce que je suis bien avec ces gens dans mon Jura ! Tout m'a rattrapé en moins d'une semaine, seul reste bizarre le fait de jeter le papier dans les toilettes au lieu de le mettre dans la poubelle...

Des visages, des virages, des paysages, des mirages, des nuages, des rivages, j'ai tout ramené dans mes bagages. Depuis mon retour on m'a demandé maintes fois si je suis contente de rentrer. OUI, je suis contente d'être rentrée, contente de voir mes parents, mes amis, mes collègues, la neige, le panorama sur les Alpes, de faire du ski. J'ai choisi de rentrer. Je vais faire ma saison d'hiver, profiter de l'endroit où j'ai mes racines, bien profondes, et mes amis. Et puis je retrouverai un vélo pour pouvoir repartir quand le besoin se fera sentir, restant toutefois à l'affût de toute opportunité qui se présenterait, à vélo ou non... Je ne sais pas où, je ne sais pas quand ni pour combien de temps. Chaque chose en son temps, demain sera un autre jour, carpe diem...

Un post suivra avec quelques chiffres, entre autres.

 

Les Amériques à vélo couché : Tous comptes faits

 

Alors que les hordes de touristes viennent profiter de la neige disparue cette nuit sous l'assaut des trombes d'eau, je me suis mise au coin du fourneau, ai repris mes quatre cahiers de notes pour faire quelques « statistiques » sur ce dernier voyage. Impossible d'intégrer le joli tableau dans mon site donc je vais faire du littéral.

557 jours de voyage dont 465 « pédalés » (83,5 %)

40678 km de Bois d'Amont (7 jours, France, Angleterre) puis St John's, Terre Neuve au Canada (56 jours) à Buenos Aires en Argentine en passant par les États-Unis (91 jours), le Mexique (90 jours), Cuba (22 jours), le Belize (5 jours), le Guatemala (17 jours), El Salvador (5 jours), le Honduras (2 jours), le Nicaragua (6 jours), le Costa Rica (12 jours), le Panama (10 jours), la Colombie (52 jours), l'Équateur (17 jours), le Pérou (63 jours), la Bolivie (38 jours), le Paraguay (17 jours), l'Argentine (10 jours), le Brésil (16 jours), l'Uruguay (21 jours).

2461 heures effectives de vélo (quand je stoppe au feu rouge ou pour faire des courses, le compteur s'arrête...)

351 875 mètres de dénivelée positive, autant en négative. La Terre n'est pas plate, c'est une certitude.

Dénivelée positive moyenne : 757 m/jour pédalé

5 h 17 effective de vélo par jour pédalé

87,43 km/jour pédalé

73 km/jour de voyage total

16,52 km/h de vitesse moyenne

Moyenne max : 24,4 km/h

Moyenne mini : 7,3 km/h

Déniv négative max : 3365 m

Déniv positive max : 2135 m

Temps max : 9 h 05

Distance max : 174 km

Budget total incluant billets d'avion et assurance voyage, entrées de site, réparations vélos, taxes frontières, transports, hébergements, nourriture : 7751 € dont 1064 € d'avion (13,7 % du budget total) et 385 € d'assurance (5 % du budget)

56 nuits payantes (10 %) dont 24 avec Michel et 32 seule

380 € d'hébergement : 6,78 €/nuit payante (4,9 % du budget)

13,9 €/jour tout compris soit 430,6 € par mois

270 nuits sous tente (48,5 %), 210 chez l'habitant (37,7 %), 230 nuits dans un lit (41,3 %)

11 145 photos ramenées

Pour les curieux et sur demande, j'ai les mêmes chiffres détaillés par pays mais ne vois pas l'utilité de vous gaver, les fêtes imminentes y suffiront ! Ai ajouté une petite carte de mes différents voyages à vélo dans une nouvelle rubrique intitulée avec beaucoup d'originalité « carte ».